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Créées en 1997, les entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD), au nombre de 101, couvrent l’ensemble du Québec et offrent ainsi plus de 5 millions d’heures de services domestiques (principalement d’entretien ménager) à plus de 70 000 personnes avec environ 6000 proposées à cette fin. Le livre propose une mise à jour de l’ouvrage collectif publié en 2003 sur L’économie sociale dans les services à domicile (Vaillancourt et al., 2003). Ce dernier portait non seulement sur l’émergence des EESAD et leur contribution à la transformation des politiques sociales, mais également sur leurs rapports de consommation, ainsi qu’au territoire, alors que le présent ouvrage est centré sur l’évolution des arrangements institutionnels les concernant pour la période allant de 2003 à 2008. Plus largement, les auteurs s’intéressent non seulement à la présence de l’économie sociale dans l’organisation des services publics, mais aussi à l’actualisation de leur potentiel pour l’amélioration et la démocratisation des politiques publiques.

Les arrangements institutionnels relatifs aux EESAD sont constitués principalement de normes et de balises nationales fixées par l’État québécois dans les politiques publiques pour ce domaine. L’analyse sociopolitique proposée par les auteurs s’appuie sur une recherche menée à l’invitation du Regroupement des entreprises d’économie sociale en aide domestique du Québec (REESADQ) qui était désireux d’organiser des États généraux de l’aide domestique. Même si ce projet d’États généraux fut abandonné, la recherche a été réalisée en partenariat avec des représentants de ces entreprises. De plus, toute la documentation pertinente a été examinée de sorte que l’ouvrage est riche en informations aussi bien quantitatives que qualitatives.

Le chapitre 1 pose les paramètres théoriques et méthodologiques de la recherche alors que le chapitre 2 propose, pour fin de comparaison, un retour sur le consensus de 1996, établi lors du Sommet sur l’économie et l’emploi, et sur le Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique (PEFSAD) qui devait en assurer le financement. Les trois autres chapitres portent essentiellement sur ces entreprises et les politiques les concernant. Ainsi, le chapitre 3 présente les principaux éléments de contexte pour cette période de cinq ans, soit la réforme Couillard de 2003 à 2008, le rapport Ménard de 2006, la nouvelle politique de SAD de 2003 et les précisions de 2004, la persistance du sous-financement, l’évolution de l’enveloppe budgétaire, la stagnation de la croissance des EESAD, l’augmentation des primes de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST), l’instabilité et la fragmentation du réseautage et la syndicalisation des EESAD (avec ses quarante-sept pages, ce chapitre est de loin le plus volumineux). Le chapitre 4 concerne l’évolution des arrangements institutionnels de 2003 à 2008. Enfin, le chapitre 5 montre que les arrangements institutionnels actuels sont inadéquats et insatisfaisants. Pour leur évaluation, les auteurs utilisent les indicateurs du consensus de 1996, soit la qualité des emplois, la lutte au travail au noir et la non-substitution des emplois, mais ajoutent trois autres indicateurs, soit la qualité des services, l’indexation du PEFSAD et l’élaboration de la politique concernant les EESAD. Au terme de l’exercice, trois questions stratégiques s’imposent, soit celle du financement nécessaire à l’actualisation de la potentialité des EESAD, celle du panier de services qu’elles doivent et peuvent offrir et, enfin, celle du processus d’élaboration des politiques les concernant.

Depuis 1997, le PEFSAD qui représente la principale source de financement des EESAD pour l’aide domestique n’a pas été indexé alors que le coût réel des services d’aide domestique est passé de 14 $ à 17 $ de l’heure. De plus, les dépenses per capita pour le Québec, qui étaient en 2004 de 80 $, sont très inférieures à celles de l’ensemble du Canada qui sont de 93,60 $. Vaillancourt et Jetté identifient plusieurs facteurs qui expliquent pourquoi les EESAD ne réussissent pas à obtenir un financement adéquat. En premier lieu, les regroupements des EESAD et les regroupements nationaux avec lesquels ils entretiennent des liens sont non seulement fragmentés mais incapables d’alliances pour des stratégies communes, notamment face à l’État québécois. En deuxième lieu, outre le fait que les usagers des services d’aide domestique sont peu organisés, leur poids politique ne semble pas comparable à celui des parents de jeunes enfants. En troisième lieu, pour l’État québécois comme pour le ministère de la Santé et des Services sociaux, les services d’aide domestique constituent un domaine extrêmement marginal, sans doute à tort. Par ailleurs, le sous-financement des EESAD n’est pas sans conséquences sérieuses. Ainsi, la faible rémunération des préposées entraîne une précarité des emplois, une rotation du personnel et des coûts additionnels de formation. Il s’ensuit que les services aux usagers sont de moindre qualité. Enfin, le sous-financement des EESAD entrave à la fois leur fonctionnement démocratique et leur croissance.

Le panier des services des EESAD ne devait être constitué essentiellement que des services de travaux lourds et légers d’entretien ménager et exclure à la fois les soins d’hygiène offerts principalement par les auxiliaires familiales et les soins de santé fournis par les infirmières de manière à éviter toute substitution d’emploi avec le secteur public. Toutefois comme le discours du ministère et des instances régionales ne fut pas toujours clair et précis, notamment sur le partage de leurs responsabilités respectives, certaines EESAD (entre 10 % et 20 %) ont offert progressivement des soins d’hygiène et des activités de la vie quotidienne, débordant ainsi les activités de la vie domestique. De plus, même si le PEFSAD ne subventionne que les activités de la vie domestique, le panier de services s’est élargi en 2004 en direction des services de la vie quotidienne et en 2006 vers des services de répit et gardiennage. Ainsi, le panier de services tel que défini par des « balises nationales imprécises » se révèle être une « pomme de discorde » non seulement entre les EESAD qui les respectent et celles qui ne les respectent pas et même entre les divers regroupements nationaux. Il en résulte également des tensions avec les organisations syndicales du secteur public, les organisations professionnelles, le mouvement des femmes et les associations de défense d’usagers concernés par les SAD. Ces conflits et tensions ont également contribué à affaiblir le rapport de force des EESAD avec l’État québécois puisqu’elles n’ont pu présenter une stratégie commune.

Enfin, la troisième question stratégique concerne moins le contenu des politiques d’aide à domicile que le processus menant à leur définition. En 1996, le cadre institutionnel a été défini dans la perspective d’une démocratie participative, soit avec la contribution des diverses parties prenantes. Depuis, cette coconstruction démocratique a fait place à une coconstruction corporatiste. Si cette dernière se distingue d’une coconstruction néolibérale, qui s’en remet exclusivement au marché et aux acteurs dominants, elle laisse de côté les usagers et plusieurs autres parties prenantes. Une coconstruction démocratique et solidaire suppose d’une part la capacité des acteurs concernés à se regrouper et à établir des alliances pour dialoguer et établir une stratégie commune, et d’autre part une ouverture des représentants de l’État (administration publique et élus) pour mettre en place des règles favorisant le partenariat non seulement pour la production des services mais aussi pour l’élaboration des politiques elles-mêmes. Pour les auteurs, seule une coconstruction démocratique et solidaire permettrait de satisfaire aux critères d’évaluation énoncés à l’origine.

En conclusion, les auteurs reviennent sur les éléments à surveiller et les défis à relever pour assurer un développement qui permettrait la pleine actualisation du potentiel des EESAD. L’un des plus importants est lié à l’économie sociale, soit celui de maintenir une forte cohésion entre des entités dont les projets sont parfois en concurrence même s’ils reposent sur des valeurs relativement voisines. Ce paradoxe aurait sans doute mérité d’être encore approfondi davantage. Cela dit, la formation en 2008 d’une Table pour l’actualisation du PEFSAD (TAP) réunissant les grands réseaux et la quasi-totalité des ESSAD laisse supposer que ce secteur d’activité pourrait connaître une véritable consolidation dans le sens d’une plus grande solidarité.