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La justification par la grâce au moyen de la foi est le thème symbolique du conflit qui a séparé catholiques et luthériens au moment de la Réforme. Cet ouvrage retrace les innombrables débats, d’abord dans un climat grandissant de confrontations (Première partie) avant de redevenir, au xxe siècle, l’objet d’un dialogue (Seconde partie) inscrit dans une bienveillance mutuelle retrouvée, et mené dans un espoir de réconciliation des Églises.

La Première partie s’articule autour de quatre chapitres : Luther et l’article qui fait tomber l’Église ; de Luther au Concile de Trente avec la Confession d’Augsbourg et le Livre de Ratisbonne ; le Concile de Trente (préparation, méthode et interprétation) ; le décret de la VIe session du Concile de Trente.

Cette première partie de l’ouvrage montre que, pour Luther, la justification est l’articulus stantis vel cadentis Ecclesiae, c’est-à-dire le dogme fondamental et central du christianisme, le coeur de l’Évangile. C’est pourquoi, le moine augustinien insiste davantage sur la foi-confiance que sur la foi dogmatique, sur le croire en… plus que sur le croire que… Ce n’est pas le savoir de la foi qui sauve, mais l’engagement total du croyant dans la confiance en la grâce toute-puissante de Dieu. On lui avait enseigné une justice ascendante, celle que l’homme doit rendre à Dieu pour ses péchés et par des oeuvres actives, et il découvre une justice descendante, gratuite et totalement passive du côté de l’homme. L’homme est radicalement perverti et habité par une disposition fondamentale et invincible au mal. Tout en lui est péché. Il ne peut que porter, malgré ses bonnes actions, que des fruits mauvais. La nature humaine est devenue l’ennemie de Dieu. Devant la radicalité du mal, la justification ne peut être que passive.

L’article de la justification par la foi est l’article qui fait tenir ou tomber l’Église. Celle-ci est une organisation de droit humain. Elle n’est pas une institution de salut. La rupture entre catholiques et luthériens est fondée sur cette réalité. Pour ces derniers, la scriptura sola est efficace pour le salut. Pour les autres, le Christ a fondé son Église dans laquelle les croyants baptisés mènent une existence chrétienne.

La Confession d’Augsbourg (1530) exprime fidèlement la pensée des Réformés. L’article IV affirme que chacun devient juste devant Dieu par grâce, à cause du Christ, et chacun croit que le Christ a souffert pour tous, et que, grâce à lui, le pardon des péchés, la justice et la vie éternelle sont donnés. Quatre ans avant le Concile de Trente, le Livre de Ratisbonne se présente comme une tentative de rapprochement entre catholiques et luthériens. Les discussions achoppent sur le sens à donner à l’Église, à l’autorité du pape et des conciles, à la pénitence et surtout à l’eucharistie. Le Concile de Trente tranchera. La voie que souhaitait prendre le pape Paul III.

L’ouvrage se livre, par la suite, à un long commentaire doctrinal du décret de la VIe session du Concile de Trente. Le Concile le résume sous sept points majeurs : les Réformateurs enseignent la corruption totale de la nature humaine, alors que l’Église catholique tient que le libre arbitre humain n’est ni perdu ni éteint ; les Réformateurs tiennent que la concupiscence est péché et le reste après le baptême, alors que l’Église catholique soutient le contraire ; les Réformateurs enseignent que l’homme est totalement passif en face de Dieu et que toute coopération de l’homme est exclue dans la justification, tandis que l’Église catholique tient que, par la grâce de Dieu, l’homme est préparé à accueillir la justification ; les Réformateurs enseignent que la grâce justifiante n’a de réalité que du côté de Dieu, alors que l’Église catholique tient que la justification régénère l’homme et le transforme intérieurement ; les Réformateurs soulignent que l’homme reçoit la justification par la foi seule, alors que l’Église catholique enseigne que la justification a lieu par la foi vive, qui comporte l’espérance et la charité ; les Réformateurs soutiennent que la foi crée la certitude du salut, alors que l’Église catholique estime que la réalité du salut ne coïncide nullement avec la certitude que l’homme peut en avoir ; enfin, les Réformateurs refusent l’existence de tout mérite de l’homme devant Dieu, tandis que l’Église catholique enseigne que les bonnes oeuvres, accomplies dans la grâce de Dieu, deviennent au sens propre méritoires devant Dieu.

La seconde partie de l’ouvrage traite d’une possible réconciliation entre les luthériens et les catholiques. Ce travail a été amorcé par les premiers dialogues théologiques entrepris depuis le début du xxe siècle entre Karl Barth, Hans Urs von Balthasar, Louis Bouyer, Hans Küng et Henri Bouillard. L’auteur s’intéresse particulièrement à l’apport des dialogues oecuméniques après Vatican II. Le rapport de Malte, issu de la Commission mixte internationale de dialogue entre catholiques et luthériens, publié en 1972, est un premier pas vers une meilleure compréhension de la doctrine de la justification. D’autres textes s’ajoutent à celui-ci (1986) et viennent démontrer que les anathèmes du xvie siècle contre les luthériens ne concernent plus les Églises d’aujourd’hui et ne jouent plus l’effet séparateur des derniers siècles.

Le 31 octobre 1999, près de cinq siècles plus tard, à Augsbourg, le cardinal Edward Cassidy, Président du Conseil pontifical catholique pour l’unité des chrétiens, et l’évêque Christian Krause, président de la Fédération luthérienne mondiale, signèrent solennellement au nom de leur Église respective, une Déclaration commune sur la doctrine de la justification. Cette déclaration commune est un moment crucial dans l’histoire du mouvement oecuménique. Le théologien déplore cependant que le texte soit trop universitaire et donne à penser que les choses ne sont pas tellement résolues. Le document semble indiquer une méfiance mutuelle, plus encore une sorte de fondamentalisme à l’égard des documents confessionnels. Du côté luthérien, une certaine référence à la Confession d’Augsbourg, texte vénérable s’il en est, porte à croire que le fossé est loin d’être comblé entre les deux groupes.

Ce long parcours, de l’aveu même de l’auteur de l’ouvrage, laissera le lecteur quelque peu frustré. La question demeure entière : que signifie donc pour le chrétien d’aujourd’hui le message de la justification ? Comment l’annoncer de manière crédible et contagieuse ? La dernière réflexion proposée par l’écrivain théologien vaut son pesant d’or. La justice biblique ne consiste pas à rendre à quelqu’un ce qu’on lui doit, mais à lui donner ce dont il a absolument besoin pour exister et être lui-même. La justice, selon la Bible, est d’abord une affaire personnelle : le besoin fondamental d’exister et de vivre. L’homme peut-il être juste devant Dieu ? La Bible n’hésite pas à nommer certains personnages comme des justes : Abel, Noé, Job, Joseph époux de Marie, Zacharie, Siméon, Jean-Baptiste. En même temps, la Bible a pleine conscience que nul homme ne peut se présenter comme juste au regard de la transcendance du Dieu trois fois saint. L’Évangile nous annonce cette bonne nouvelle que nous existons pour Dieu : il nous regarde avec bienveillance, nous sommes « justifiés » à ses yeux de manière définitive et absolue, et par son amour gratuit pour nous. Mais celui-ci ne peut le faire sans un minimum d’accord de notre part. Dieu respecte toujours notre liberté. La liberté de l’homme est la seule chose devant laquelle la volonté de Dieu s’arrête. La foi chrétienne consiste à reconnaître que le don précède l’action — sans pour autant déprécier l’action, ou même la déclarer inutile. Ce serait le terrain d’entente qui effacerait les divisions. Les chrétiens seront-ils capables un jour de le comprendre ? Il faut espérer.