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En moins de cinquante ans[1], la grande distribution est devenue un secteur incontournable de l’économie française tout en se révélant indissociable de l’industrie. Une relation étroite s’est donc nouée entre l’Industrie et le Commerce qui a aussi amené l’Etat à souvent légiférer en la matière car cette relation revêt un caractère sécuritaire en France (Ferrier, 2007) d’où le constat d’un interventionnisme patent des pouvoirs publics dans l’ensemble du canal depuis les années 60[2] (Moatti, 2001). Force reste aussi d’observer que l’état de tension qui, en France, préside à la conduite des relations fournisseurs-distributeurs perdure depuis 1973[3] et que cette situation historique a de nouveau conduit le gouvernement à imposer deux cadres législatifs successifs au canal de distribution au cours de l’année 2008.

En promulguant la Loi[4] de Modernisation de l’Economie (LME) le 1er janvier 2009, le législateur a souhaité introduire plus de concurrence entre les acteurs du canal afin notamment de favoriser la baisse des prix à destination des consommateurs. Ce texte favorise, entre autres, la négociabilité des prix des fournisseurs par les distributeurs sans les fameuses « marges arrière » qui ont fait l’objet d’une régulation dans un autre texte, la Loi Châtel[5], qui offre déjà aux enseignes le choix d’intégrer ou pas dans les prix de vente l’ensemble des « marges arrière »[6] perçues. L’empilement soudain des huitième et neuvième réformes du canal, depuis l’ordonnance Balladur du 1er décembre 1986[7], se justifie, selon le gouvernement, par la nécessité de (re)donner rapidement du pouvoir d’achat aux Français.

On peut légitimement s’interroger sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à risquer une déstabilisation des relations Industrie-Commerce en accélérant soudainement la réforme du dispositif Galland[8] adopté en 1996 et dans lequel vivait depuis l’ensemble du canal. Les seules préoccupations inflationnistes ont, semble-t-il, poussé le législateur à adopter la LME en omettant pourtant d’observer attentivement les conséquences attendues de l’application de la Loi Châtel. Le dispositif Châtel, voté le 3 janvier 2008, est rapidement entré en vigueur le 1er mars 2008 et, de la petite supérette de quartier aux maxi-hypermarchés, tous les magasins ont été soumis aux nouvelles orientations dictées par la Loi et dont la principale repose sur la possibilité offerte aux enseignes d’intégrer partiellement ou totalement des « marges arrière » dans les prix de vente aux consommateurs. Cette alternative n’est pas elle-même nouvelle en soi puisqu’elle a déjà été partiellement offerte par la Loi Dutreil dès 2005 (Mevel et Leray, 2007).

En ce sens, la Loi Châtel ne semble finalement que suivre et étendre les dispositions déjà prises par le législateur dans le passé. Cette réintégration partielle ou totale des « marges arrière » dans les prix de vente n’a donc pas pris le caractère d’une obligation légale et chaque enseigne demeurait autonome dans la décision d’intégrer dans ses prix la quotité de « marge arrière » à laquelle elle souhaitait renoncer. Or, dans un contexte où les marges globales des distributeurs tendaient à s’éroder, il semble légitime de s’interroger sur la volonté des distributeurs de réintégrer tout ou partie des « marges arrière » dans leurs prix de vente alors même que ces dernières constituaient l’essentiel de leurs revenus depuis presque dix ans.

Cet article couvre donc deux objectifs majeurs. Alors même qu’à quelques mois d’intervalle, l’adoption de la Loi dite de Modernisation de l’Economie (LME) laissait déjà penser que la huitième réforme du canal (la loi Châtel) serait un échec, notre premier objectif est d’expliquer d’un point de vue théorique les raisons qui faisaient douter d’une baisse des prix relativement à la mise en oeuvre du dispositif Châtel. Pour ce faire, nous présentons une analyse du canal en termes de concurrence imparfaite qui conclut à la supériorité du rôle tenu par la structure du marché sur la production législative. Le deuxième objectif vise à valider cette conclusion théorique et à en mesurer la portée en s’appuyant sur une étude de cas qui examine les impacts relatifs à la mise en oeuvre de la Loi Châtel au sein d’un hypermarché français représentatif du mouvement indépendant.

Dans une première partie, nous envisageons les effets induits par une structure de concurrence imparfaite du marché sur les différents aspects de la relation fournisseur-distributeur notamment du point de vue des conséquences nées de l’édification de barrières à l’entrée et à la mobilité du point de vue de la concentration des distributeurs. Nous examinons ensuite les effets liés à l’observation d’un état hybride de marché que nous qualifions d’oligopole bilatéral à frange non concurrentielle entre les distributeurs et les industriels.

Puis, dans un second point, nous présentons une monographie empirique du suivi de l’évolution des marges et des prix d’un hypermarché installé au coeur d’un pôle commercial régional. Pour ce faire et à titre de comparaison, les marges et les prix sont étudiés sur la période 2006-2008 afin de dégager les principales évolutions majeures qu’a connu le magasin depuis l’entrée en application de la Loi Châtel. Enfin, nos conclusions apportent des perspectives d’évolution du format juridique et législatif touchant à la détermination des prix en France.

Une situation de concurrence imparfaite préjudiciable aux acteurs

Faisant suite aux récentes évolutions législatives du cadre réglementaire français, l’objectif de cette première partie est d’analyser d’un point de vue théorique les raisons qui peuvent faire douter d’une baisse des prix dans le canal de distribution. Dans un premier point, nous nous intéressons aux conditions préfigurant la structuration d’un état de concurrence imparfaite préjudiciable à l’équilibre des relations dans le canal, puis dans un second temps, nous en observons les conséquences du point de vue des effets induits en termes de concentration stratégique des acteurs. Enfin, nous discutons des conséquences d’un état permanent de concurrence imparfaite du point de vue de la constitution d’une forme hybride de marché que nous qualifions d’oligopole bilatéral à frange non concurrentielle.

Un état permanent de concurrence imparfaite dans les relations Industrie-Commerce en France

Pendant l’entre-deux guerres, l’émergence des grandes entreprises et des stratégies de différenciation de produits a provoqué une remise en cause du modèle économique permettant la naissance d’une théorie de la concurrence imparfaite (Chamberlin, 1933; Robinson, 1969). Aujourd’hui encore, dans certains secteurs comme celui des rasoirs manuels, par exemple, la concurrence s’avère plus souvent restreinte que parfaite et un très petit nombre d’entreprises industrielles (Gilette-Procter, Wilkinson et Bic) sont en situation de position dominante avec des produits comparables (du point de vue de l’image qualité et de l’image prix) mais distincts en termes de forme, de taille ou de couleur. Du point de vue de leur domaine d’activités stratégiques, l’emprise de ces firmes est telle qu’elles parviennent à dicter leurs prix au marché dans la mesure où, différenciation oblige, une augmentation légère des prix (ou une baisse subtile) n’entraînent ni une perte définitive, ni l’accaparement total de la clientèle par une seule des entreprises protagonistes. En ce sens, la littérature sur les groupes stratégiques suggère que les firmes évoluant dans le même domaine d’activités stratégiques ne sont pas toutes en concurrence les unes par rapport aux autres (Caves et Porter, 1977).

Au sein d’un groupe stratégique, l’intensité de la rivalité diffère en fonction des barrières à la mobilité et autres rigidités structurelles qui cloisonnent les entreprises dans des groupes homogènes de concurrents en termes de stratégie empêchant les firmes de se déplacer facilement à l’intérieur du secteur considéré (Cool et Dierickx, 1993). Ces barrières à la mobilité sont volontairement mises en place par des firmes qui, souhaitant protéger leur segment de toute intrusion de leurs concurrents, verrouillent les circuits de distribution ou bien haussent, par exemple, le niveau de leur budget publicitaire tout en surprotégeant leur technologie. Selon Porter (1979), la rivalité intra-groupe entre différentes organisations marchandes sera d’autant plus faible que les firmes savent reconnaitre entre elles le principe d’une dépendance mutuelle et que s’en apercevant, elles vont souhaiter coopérer. Ceci peut, sans doute, expliquer la faible rivalité existante entre Gillette-Procter, Wilkinson et Bic qui ont finalement toutes les trois intérêt à coopérer en raison de leur dépendance mutuelle du point de vue des assortiments présentés mais aussi du point de vue de la structuration d’une offre commerciale similaire à destination des membres d’un autre oligopole : celui de la grande distribution française.

Parmi les marchés à concurrence restreinte, la théorie recense différentes structures possibles de marché mais, en pratique, la concurrence imparfaite s’avère un outil moins normatif que la théorie de la concurrence pure et parfaite pour aborder le concept de concurrence (Stiglitz, 2008). La concurrence imparfaite se traduit, au mieux, par une forme hybride qui prend la forme d’une concurrence monopolistique ou bien par la constitution de monopole, duopole et autres oligopoles (Stiglitz et Walsh, 2004). Depuis une quinzaine d’année, la concentration de la grande distribution alimentaire française, autour de cinq supers centrales d’achat, est caractéristique de formation d’un oligopsone à cinq membres qui vient mettre en valeur la position dominante acquise par chacune des enseignes au détriment d’une multitude d’industriels et de fournisseurs (Canivet, 2004). L’oligopsone de la grande distribution française domine d’autant plus facilement ses fournisseurs que l’élasticité de substitution entre les biens offerts par les industriels reste forte. L’élasticité de substitution[9]constitue une mesure intéressante du pouvoir dont dispose l’oligopsone sur ses fournisseurs tandis que le volume des sommes engagées en frais de publicité et en constitution d’une image de marque témoignent de la volonté affirmée des industriels d’amoindrir cette dépendance.

Pour autant, un état de concurrence imparfaite se caractérise également par l’existence de barrières à l’entrée du marché ainsi que par des rendements croissants débouchant sur des surprofits liés aux positions monopolistiques ou oligopolistiques des acteurs industriels ou distributeurs au sein du canal (Krugman, 1980). Les barrières constituées à l’entrée concernent aussi bien la différenciation des produits, les économies d’échelle, la réglementation en vigueur que les barrières à la sortie (Bain, 1956). Sur le marché français du commerce de détail, l’état de concurrence imparfaite est matérialisé par l’existence d’un certain nombre de barrières légales à l’entrée telles que les Lois Royer et Raffarin[10] en ont artificiellement élevées tant et si bien que la concurrence économique dans le secteur de la grande distribution française s’avère fortement limitée (Askenazy et Weidenfeld, 2007).

Ce faisant les barrières à l’entrée ont structuré une pénurie[11] des linéaires alimentaires au sein des différents pôles commerciaux du pays tout comme le volet du cadre réglementaire lié à l’urbanisme commercial a aussi contribué à décourager les possibles nouveaux entrants étrangers. Cette situation s’avère en totale contradiction avec le principe de la liberté d’établissement (Rey et Tirole, 2000). La revue Synthèses[12] de l’OCDE reconnaissait que « de longues périodes sans entrée ne prouvent pas forcément que les barrières à l’entrée sont élevées…mais que l’historique des entrées dans un secteur donne des informations précieuses sur la probabilité et la nature des entrées dans l’avenir… ». A ce titre, la théorie des marchés contestables souligne que les barrières juridiques à l’entrée et à la sortie sont de très sérieux obstacles à la « contestabilité » du marché, c’est à dire à l’existence d’une réelle concurrence, seule garante de prix potentiellement concurrentiels, même si, en définitive, le marché reste dominé par une ou plusieurs entreprises (Baumol, Panzar et Willig, 1982).

Ce n’est donc surement pas un hasard si, en France, seulement six enseignes (Carrefour, E. Leclerc, Auchan, Intermarché, Géant-Casino et Système U) se partagent plus de 85 % du marché français des grandes surfaces alimentaires (Jacquiau, 2000) et si, en matière d’implantation de magasins de plus de 300m², les autorisations administratives d’ouverture étaient jusqu’ici délivrées par des commissions départementales d’équipement commercial (CDEC) composées uniquement de six membres dont trois élus. Les élus n’y étaient dont pas majoritaires et, à ce titre, la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) adoptée fin juillet 2008, vient faire évoluer le dispositif réglementaire de façon intéressante puisque, depuis le 1er janvier 2009, l’autorisation administrative n’est plus nécessaire qu’au delà d’un projet commercial supérieur à 1000m² alors que les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) accueillent désormais huit membres dont cinq élus. Les CDEC ont donc puissamment contribué à structurer la géographie des bastions commerciaux que nous connaissons (Auchan et Carrefour) mais aussi à Paris et en région parisienne (Carrefour, Auchan et à un moindre degré Leclerc et Géant-Casino) ou dans l’ouest et le sud-ouest de la France (E. Leclerc, système U et Intermarché).

Ainsi, l’absence de toute pression exercée sur le marché par l’entrée d’un concurrent potentiel ne permet pas de maintenir les prix et les profits des oligopoleurs à un niveau de marges et de prix efficient pour le consommateur, surtout en l’absence de concurrence au sens classique du terme (un grand nombre d’entrants potentiels). Sans préjuger d’une collusion tacite ou explicite entre les distributeurs dans le cadre de stratégies « coopératives » locales ou nationales au sens de Shubik (2005), on remarque quand même qu’un pôle commercial régional multi-activités/multi-formats, positionné sur une zone de chalandise de plus de 400.000 habitants, n’abrite souvent guère plus de trois ou quatre grand formats d’enseignes (≥10.000m²). Une étude[13] récente d’Asterop rappelle que sur les 630 pôles commerciaux recensés en France, dans 60 % des cas, un acteur est identifié en position de leadership avec une part de marché très supérieure aux autres et que, dans 27 % de ces zones, deux acteurs seulement se partagent l’essentiel du marché (cas du duel) tandis que, dans 13 % des marchés locaux, le consommateur se retrouvera face à une situation concurrentielle un peu plus ouverte (cas de triangulaire). Les groupes Carrefour et Leclerc détiennent à eux seuls 60 % des positions de leadership (Carrefour restant en position de leadership sur 41 % des zones concernés contre 11 % pour Leclerc).

Dès lors, à l’abri des barrières réglementaires, en évitant soigneusement toute guerre des prix dans leurs bastions commerciaux, les oligopoleurs ont su développer des rentes de situation qui génèrent des surprofits imposants en pratiquant des prix de vente très au dessus du coût marginal. Ce problème a déjà été évoqué au Royaume-Uni dans les années 30, puis repris dans les années 60, où il s’agissait de savoir à quelle hauteur les barrières à l’entrée se révélaient nécessairement dissuasives vis-à-vis de nouveaux entrants afin d’éviter un phénomène de concentration des distributeurs britanniques s’avérant préjudiciable aux consommateurs.

De la situation de concentration des distributeurs français

La montée des coûts fixes au sein des enseignes (infrastructures des magasins, marketing, salaires, …) a généré un intérêt croissant des distributeurs pour les économies d’échelle[14] déclenchant un puissant mouvement de concentration dans tout le secteur de la distribution française (Ducrocq, 2005). A partir des années 80 et 90, les concentrations dans le secteur de la distribution ont connu un développement considérable dans tous les pays européens ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des autorités européennes dont la responsabilité réside dans la préservation de conditions acceptables de concurrence entre les firmes sur le marché. Dans le cas spécifique de la distribution européenne, les concentrations peuvent porter aussi bien sur les marchés d’approvisionnement que sur ceux relatif au commerce de détail (Filser, 2000). Dans l’espace européen, c’est à la Commission européenne, par la voix d’un Commissaire et à la Direction Générale de la Concurrence, que revient la responsabilité de surveiller les concentrations d’envergure communautaire[15] susceptibles de porter atteinte à la concurrence en créant ou en renforçant une position dominante.

Selon la Commission européenne, le marché pertinent[16] pour juger de la concentration sur les marchés d’approvisionnement demeure, d’un point de vue géographique, le niveau national tandis que sur les marchés de détail, le marché pertinent des produits/magasins substituables comprend, à la fois, une dimension nationale et régionale mais aussi plus locale à travers les différents formats de points de vente proposant l’assortiment habituel du commerce de détail à dominante alimentaire (hypermarchés, supermarchés, commerces de proximité non spécialisés, magasins discount) dans une zone de chalandise[17]. Ce n’est pas l’approche qui a été retenue en France, du point de vue de la substituabilité des produits, par le Conseil de la Concurrence qui exclut la concurrence inter-format. C’est notamment le cas avec les magasins de hard discounts ce qui a pour conséquence mécanique d’abaisser le seuil de concentration à risque en France.

Au niveau géographique, la définition du marché pertinent est par contre la même pour la Commission Européenne et pour le Conseil[18] de la Concurrence Français. Selon le Conseil, la situation de dépendance d’un fournisseur à l’égard d’un distributeur (dépendance pour cause de puissance d’achat) peut être définie sur la base de deux principaux critères qui sont la proportion du chiffre d’affaires du fournisseur réalisée avec le revendeur et la part de marché du revendeur dans la distribution du produit concerné mais le Conseil peut aussi mettre en exergue la durée des relations commerciales entre les deux entreprises ainsi que les ressources financières ou la notoriété de la marque du fournisseur. Pour autant, le Conseil n’a jamais interdit une concentration ni condamné[19] un groupe de grande distribution généraliste pour abus de dépendance économique vis-à-vis de l’un de ses fournisseurs. Selon certains auteurs (Allain et Chambolle, 2003; Cola, 2006), l’absence de recours aux concepts d’abus de dépendance économique (ou d’abus de position dominante) pour réguler les relations entre fabricants et distributeurs serait à l’origine de la superposition des textes réglementaires et de l’inflation des dispositifs législatifs.

La pénurie des mètres carrés linéaires engendrée par la Loi Raffarin, en termes d’urbanisme commercial, conjuguée aux effets tarifaires générés par la Loi Galland (relativement à l’adoption du seuil de revente à perte notamment) ont encore renforcé la course vers la taille critique des enseignes tout en renforçant les enseignes de hard discount (Ducrocq, 2005). Si depuis 1996, la croissance externe est devenue le seul mode possible de croissance pour les distributeurs, ces deux textes ont contribué à figer encore un peu plus les positions et les parts de marché des acteurs de la distribution. Les difficultés soulevées par cette situation ont trait à la concentration des distributeurs sur le marché de l’approvisionnement à la fois en matière de marques nationales, de MDD et de 1er prix.

Pour juger du pouvoir à l’achat d’un distributeur sur un producteur, la Commission européenne évalue la dépendance économique de l’industriel envers l’enseigne au travers du calcul du « taux de menace[20] » défini comme le pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par un fournisseur avec un seul distributeur à partir duquel la perte du client distributeur constituerait une menace pour l’existence même de l’industriel.

C’est ainsi qu’au moment de la fusion avec Promodès, le groupe Carrefour a du se résoudre à revendre l’entreprise Cora, dans laquelle elle détenait seulement une minorité de blocage, alors même que le nouvel ensemble dépassait considérablement le « taux de menace » pour de nombreux fournisseurs dans quatre catégories de produits : droguerie, parfumerie-hygiène, produits périssables en libre service et épicerie sèche. Cora étant membre de la centrale d’achat Opéra, une des cinq principales centrales d’achat françaises, son absorption par Carrefour était susceptible de réduire considérablement la concurrence sur le marché de l’approvisionnement en ne permettant pas aux petites et moyennes entreprises les plus affectées de s’adapter à la nouvelle situation (Cola, 2007).

Les évolutions les plus récentes en économie industrielle ont mis l’accent sur la résolution du tryptique structure du marché, comportement et performance des firmes (SCP) (Demsetz, 1997) mais certains auteurs soulignent également l‘importance du lien direct qui unit l’environnement juridique et institutionnel de la firme aux barrières à l’entrée et à la performance de l’entreprise tout en admettant le rôle actif joué par les entreprises dans l’élaboration des structures de marché (Carlton et Perloff, 1999). Ce rôle procède en particulier de la création stratégique de barrières à l’entrée dans le but de réguler les mouvements (d’entrée et de sortie) des concurrents sur le marché. Ce faisant, l’édification de barrières à l’entrée contribue, selon la thèse structuraliste de l’économie industrielle (Bain, 1956), à promouvoir un phénomène de concentration d’entreprises qui lui-même favorise la constitution de positions dominantes ce qui peut amener ces entreprises à pratiquer finalement des prix plus élevés qu’ils ne le seraient dans une situation de moindre concentration du marché.

Dans le cas du commerce de détail, les concentrations peuvent porter atteintes à la concurrence, non seulement au travers de la hausse des prix à la consommation relativement à l’accroissement du pouvoir de marché des distributeurs, mais aussi au travers de la réduction de la variété des références proposées aux consommateurs. La Commission européenne estime d’ailleurs que les risques sont réels à partir du moment où un distributeur conquiert une part de marché de plus de 50 % déclenchant alors une enquête approfondie sur le degré de concurrence du secteur visé.

Les mesures de la concentration d’un secteur permettent d’inférer le degré de concurrence dans une industrie déterminée et, assez logiquement, on s’attend à ce que les industries les plus concentrées présentent des comportements moins compétitifs que celles qui sont plus fragmentées (Church et Ware (2000). La mesure de la concentration structurelle du marché de la distribution peut être opérée à partir du calcul des coefficients de concentration tels que définis par des indices comme le CR4 et le CR8 ou encore par le Herfindahl-Hirschman Index (HHI[21]). Ainsi, la part de marché des quatre plus grandes entreprises du secteur de la grande distribution atteint 66 % en novembre 2008 tandis que celle des huit premières (CR8) s’élève à plus de 90 %. En France, le HHI étendu aux parts de marché consolidées des 10 premières GSA avoisine les 1.350 points ce qui le place d’emblée dans une zone intermédiaire pouvant présenter des risques majeurs dans une optique de dissuasion des entrants potentiels. Pour mémoire, la Federal Trade Commission américaine qualifie une industrie de « déconcentrée » à partir du moment où le seuil du HHI du secteur est plus petit que 1.000 et comme modérément « concentrée » quand le HHI atteint des valeurs comprises entre 1.000 et 1.800, et enfin comme hautement « concentrée » pour un HHI supérieur à 1.800. On saisit alors que l’analyse de la concentration diffère selon que l’on opère une lecture américaine, européenne ou nationale du secteur.

La littérature établit d’ailleurs une forte corrélation entre le degré de concentration d’un secteur et le taux de profit des entreprises qui y sont impliquées. « Presque toutes les analyses empiriques du paradigme SCP montrent une augmentation du taux de profit des entreprises du secteur dès que le CR4 franchit un palier situé entre 45 % et 59 % » (Scherer et Ross, 1990). En France, l’évolution du CR4 du secteur des grandes surfaces alimentaires rend donc bien compte d’une situation de marché de concurrence imparfaite, de type oligopolistique, où le profit de chaque distributeur dépend finalement bien plus localement de l’autorisation administrative de mise en marché des linéaires par les commissions départementales d’activités commerciales (CDAC) que d’un vrai positionnement concurrentiel[22] vis-à-vis des autres enseignes.

Depuis plus de dix ans maintenant, les leaders du CR4 maintiennent leur domination tandis que les challengers et les hard discounters tentent eux aussi d’atteindre un seuil critique en termes de chiffres d’affaires afin de peser durablement sur leurs fournisseurs. En ce sens, sur la période 2007/2008, la variation à la baisse de 30 points du HHI, ajusté aux 10 premières entreprises du secteur, se justifie par le renforcement des parts de marché des hard discounters au détriment des enseignes traditionnelles mais il faut cependant garder en mémoire que bon nombre d’entre elles (Leader Price, Netto,…), hormis Aldi et Lidl, appartiennent à des enseignes de la grande distribution. L’édification de barrières réglementaires a l’entrée a donc pesé sur l’indice de concentration des distributeurs français en favorisant également l’émergence d’un double oligopole en amont et en aval du canal de distribution.

De la constitution d’un oligopole bilatéral dans le canal Industrie- Commerce

En référence au tableau de Stackelberg, la littérature parle d’oligopole bilatéral pour qualifier l’opposition entre deux systèmes oligopolistiques arbitrés par des barrières règlementaires à l’entrée qui affaiblissent durablement le jeu concurrentiel des acteurs (Mevel et Leray, 2007). Galbraith (1952), et d’autres institutionnalistes, estiment que l’existence d’un fort pouvoir de marché dans un système économique légitime l’émergence d’un contre-pouvoir qui le contraste, voire le neutralise. Selon l’économiste nord-américain, par le jeu des seuls mécanismes concurrentiels, c’est l’exercice de ce contre-pouvoir (countervailing power) par l’oligopole à l’achat qui limite l’ampleur des profits des industriels en faveur des consommateurs (Cola, 2007).

Pour autant, le contre pouvoir des distributeurs tient plus, selon Porter (1976), dans leur capacité à différencier leur offre au sein des magasins plutôt que dans leur seule concentration. Stigler (1954) souligne, qu’au cas où les distributeurs oligopolistiques ne sont pas en concurrence entre eux, ces derniers risquent, par des comportements collusifs, de s’approprier une partie des profits des fabricants sans pour autant en concéder une fraction aux consommateurs par la réduction des prix au détail. La présence d’une concurrence imparfaite au niveau de la distribution et de la production a été également soulignée par Steiner (1993), pour qui, « en augmentant la différenciation d’un magasin, on réduit celle des marques fabricants comme en accroissant la différenciation d’une marque, on réduit celle d’un magasin ». L’efficience économique du canal passe donc par la mise en concurrence des industriels et des distributeurs dans les magasins au sein desquels les marges des uns et des autres vont se différencier selon que les consommateurs préfèrent changer de marque à l’intérieur d’un magasin plutôt que délaisser un magasin pour suivre la marque.

Si en France, sur un plan national, le secteur de la grande distribution demeure en apparence un secteur moyennement concentré, il n’en demeure pas moins que l’existence de barrière à l’entrée et à la mobilité pose de nombreux problèmes en termes d’efficience économique. Le contexte de l’oligopole de la grande distribution renvoie vers un oligopsone formé de cinq ou six super-centrales d’achats qui acquièrent auprès de grandes firmes industrielles, de PME/PMI et des coopératives un ensemble de produits homogènes (marques nationales) et différenciés (MDD et 1er prix). Les opérations de concentration dans le secteur de la distribution ont trouvé également leurs pendants chez les industriels où, en réaction, un second oligopole s’est constitué autour d’une trentaine de firmes multinationales concourant à plus de 80 % du chiffre d’affaires de la grande distribution française alors que 700 petites et moyennes entreprises, 3000 coopératives de l’agroalimentaire et 450.000 agriculteurs se partagent les 20 % restants.

D’un point de vue théorique, il semble que le rôle de la structure de marché s’avère ici plus déterminante que la production législative dans la mesure où la présence d’un oligopole bilatéral fait douter d’une baisse des prix dans le canal. Il s’agit maintenant de vérifier empiriquement cette conclusion théorique sur le terrain en observant si l’évolution législative est susceptible d’enclencher ou non une réelle baisse des prix.

Aspects empiriques : impact de la loi Châtel sur les prix et les marges d’un hypermarché

Dans un premier temps, nous présentons la dualité du système de distribution français du point de vue de la définition des prix d’achat, des rabais et remises ainsi que des « marges arrière ». Dans un second temps, nous considérons l’évolution des marges « triple[23] net » et « double[24] net » d’une surface de vente de grande taille (hypermarché) chez un distributeur indépendant. Enfin, nous envisageons les conséquences contreproductives que peut générer la Loi sur le système de prix en magasin avant de proposer une analyse des relations Industrie-Commerce en mobilisant la théorie des jeux.

De la dualité du système de distribution français du point de vue de la définition des prix d’achat, des rabais et ristournes et des marges arrière

Lors des négociations commerciales annuelles avec leurs fournisseurs, les distributeurs négocient les prix d’achat qui conditionnent la marge avant réalisée en magasin mais aussi les rabais et remises obtenus qui conduisent au « double net » ainsi que les « marges arrière » conditionnant l’obtention du « triple net » (Tableaux 1,2 et 3).

Tableau 1, 2 et 3

Définition du prix d’achat « double net » et « triple net » relativement à l’application des lois Dutreil, Châtel et de la LME

Exemple d’application de la loi Dutreil au coût d’achat réel d’un produit (depuis 2007)

Exemple d’application de la loi Dutreil au coût d’achat réel d’un produit (depuis 2007)

Exemple d’application de la loi Châtel au coût d’achat réel d’un produit en 2008

Exemple d’application de la loi Châtel au coût d’achat réel d’un produit en 2008

Exemple d’application de la LME au coût d’achat réel d’un produit depuis le 1er janvier 2009

Exemple d’application de la LME au coût d’achat réel d’un produit depuis le 1er janvier 2009

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Si l’essentiel des négociations[25] entre industriels et distributeurs est réalisé à l’échelle nationale, le rôle d’un point de vente peut alors paraître insignifiant alors même que les décisions sont prises à un niveau supérieur. Pourtant, à ce stade, il ne faut pas négliger la dichotomie fondamentale qui caractérise et différentie l’organisation des achats dans la grande distribution française entre les distributeurs intégrés et les indépendants.

Au système de négociations centralisées des achats mis en oeuvre par les organisations intégrées (Carrefour, Auchan, Casino, Cora) à une échelle nationale, les mouvements d’indépendants (Leclerc, Intermarché, Système U) répondent par la combinaison d’une négociation des achats à trois niveaux : national, régional et local. Chez les indépendants, la négociation centralisée des achats correspond au référencement global de l’assortiment du fournisseur auprès de la centrale d’achat nationale tandis que des négociations complémentaires ont lieu au sein des centrales régionales concernant les volumes d’achats effectifs. En pratique, les opérations nationales (12 à 14 tracts annuels) sont centralisées tandis que le permanent et les opérations régionales (12-13 tracts annuels) relèvent des centrales d’achat locales. Pour autant, les indépendants offrent aux magasins toute liberté pour s’approvisionner localement et cela intéresse essentiellement les rayons frais hors libre service (fruits et légumes, marée, charcuterie, fromagerie essentiellement).

En France, les relations fournisseur-distributeur peuvent donc changer radicalement, notamment du point de vue du rattachement à l’effort tarifaire consenti par le fournisseur en termes d’arbitrages entre marges avant, rabais et remises ou « marges arrière », selon que l’on s’intéresse à un distributeur indépendant ou à un intégré. La dualité du système de distribution français reste une caractéristique fondamentale du canal et cette dualité a induit dans le passé des mouvements stratégiques de grandes ampleurs (concentration des enseignes, différenciation des formats de magasins et du mix-assortiment, généralisation des nouveaux instruments promotionnels,…) qui ne peuvent pas être analysés sans en tenir compte.

D’autre part, si chez les intégrés la fixation des prix en magasin est une responsabilité de la centrale nationale, chez les indépendants, le prix est souvent fixé localement sous contrainte du prix d’achat, des remises et ristournes et « marges arrières » obtenus par la centrale régionale dont dépend l’adhérent. La fixation des prix en magasin ne se fait pas donc pas de façon purement autonome au plan local et ce d’autant plus que la prise en compte de l’environnement concurrentiel dans lequel évolue localement le magasin joue également un rôle clef puisque ce facteur induit des variations considérables en termes de pratiques tarifaires au sein d’une même enseigne. On retrouve ici un effet fondamental du second volet propre à l’environnement réglementaire du commerce de détail en France à savoir la législation sur l’urbanisme commercial qui admettait, avant l’adoption de la LME, qu’un détaillant établi avait finalement peu de risque de voir se développer en face de lui une nouvelle concurrence, sous la forme d’une entrée dans sa zone de chalandise d’une nouvelle enseigne, en raison de l’influence des lois successives (Royer puis Raffarin) qui avaient progressivement durci les conditions administratives d’ouverture de nouveaux magasins. Or, la LME a radicalement modifié aujourd’hui la donne en ce domaine puisque les ouvertures de nouveaux magasins, y compris celles de moyennes surfaces à dominante alimentaire et des hard-discounters, sont aujourd’hui localement plus largement libéralisées en dessous d’une surface de 1000 m². L’analyse de l’évolution des marges « triple net » et « double net » d’une surface de vente sous l’impact de la loi Châtel doit permettre d’affiner notre propos.

Etude de l’évolution des marges « triple net » et « double net » du distributeur 

A partir de la méthode des cas, nous avons souhaité privilégier une approche locale plutôt que nationale afin d’appréhender finement les logiques économiques qui préfigurent à la formation et à l’évolution des prix et des marges dans une surface de vente type sur une période qui s’étende de 2006 à 2008. Ce faisant, la mobilisation d’un matériel empirique réalisée à partir de la seule étude d’une grande surface peut quelque peu atténuer la portée des conclusions de l’étude quant à l’incidence de la modification de la réglementation sur les rapports Industrie-Commerce à l’échelle de l’ensemble du marché français.

En suivant une démarche de nature inductive, nous avons étudié le cas spécifique d’un hypermarché représentatif d’une enseigne indépendante présentant une surface de vente de 12 000 m² (pour un effectif moyen de 550 collaborateurs) et réalisant environ 160 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel hors carburant. Cette grande surface est située dans un pôle commercial à vocation régionale[26] lui même positionné au sein d’un pôle d’agglomération à forte influence, nanti d’un réseau routier très dense, en périphérie d’une agglomération de 220 000 habitants. Le magasin détient une position concurrentielle très favorable[27] sur son aire de marché, jusque dans sa zone d’attractivité[28] tertiaire, bien que sa zone de chalandise comprenne deux autres pôles d’agglomération et cinq pôles commerciaux relais ou de proximité. En conséquence, le « champ de bataille » commercial comprend trois hypermarchés concurrents de taille comparable (+10.000m2) mais d’enseignes différentes ainsi que huit autres hypermarchés plus modestes (2500 à 3500 m2), qui appartiennent tous en majorité à des enseignes indépendantes. Des supérettes et quelques magasins de hard-discounters d’une faible surface commerciale (1000 m2 en moyenne) complètent l’offre commerciale de la zone considérée.

En 2006, l’entrée en vigueur de la Loi Dutreil I a fragilisé les résultats du magasin en raison des difficultés d’application de la nouvelle législation dans les linéaires (Tableau 1). En jouant le jeu d’une intégration partielle des « marges arrière » dans certains prix (jusqu’à 15 %), afin de répondre notamment à la stratégie de l’enseigne au niveau national, le magasin a constaté l’érosion de son chiffre d’affaires doublée d’une perte de plus de 300 000 euros en trois trimestres. Ce constat l’a donc amené à corriger rapidement sa politique tarifaire. A partir du 1er janvier 2006, l’hypermarché choisissait de se repositionner en termes de prix tout comme d’ailleurs l’ensemble des distributeurs français l’ont fait relativement aux difficultés apparus dans d’application de la Loi Dutreil I. Le magasin a ainsi décidé de ne plus étendre l’intégration partielle de « marges arrière » permise par la Loi, bien que sur cette période, le taux de fréquentation du magasin ait quand même progressé (+6,3 %). Si la baisse des prix en magasin, relative à l’introduction de la Loi Dutreil I, n’a pas entrainé d’effet positif sur le chiffre d’affaires du magasin alors même que la fréquentation s’établissait en hausse, c’est du coté de l’évolution des paniers moyens des ménages qu’il faut chercher une explication. En effet, entre 2005 et 2006, le panier moyen de la clientèle a aussi chuté de près de 8 % en valeur, à un peu plus de 47 euros, entraînant un net fléchissement du volume du chiffre d’affaires de l’hypermarché de près de 2 % sur la période considérée. Les avènements concomitants de nouveaux modes de consommation, voire d’une relative désaffection des consommateurs vis-à-vis des grands formats de magasin, mais aussi d’un renforcement de l’intérêt des clients pour les premiers prix et la marque premium du distributeur ont considérablement soutenu la baisse du panier moyen. La baisse des prix en magasin ne parvenant absolument pas à compenser alors le déficit de consommation constaté en linéaires.

Ainsi, le choix d’intégrer totalement ou partiellement les « marges arrière » dans les prix de vente peut s’avérer une question relativement dangereuse pour le distributeur. L’intégration réduit très sensiblement la marge opérationnelle globale du magasin ainsi que le revenu final alors même que les coûts fixes continuaient de progresser du fait de charges de personnel plus importantes et des impératifs nationaux marketing à maintenir (tracts, catalogues, médias, cartes de fidélité,…). A partir du 1er janvier 2007, la Loi Dutreil II a favorisé l’intégration d’un volant encore plus important de « marges arrière » (jusqu’à 20 %) mais le magasin n’a pas suivi tout le potentiel de baisse des prix offert par la Loi. La priorité annoncée en 2007 étant clairement à la reconstruction de la marge globale du magasin alors même que le panier moyen subissait un nouveau tassement de 5 % à 45 euros. Même si la fréquentation du magasin demeurait en hausse très sensible (3,44 millions de visites en 2007 contre seulement 3,04 millions en 2005), le chiffre d’affaires continuait de stagner sous l’impact d’une baisse durable du panier moyen du consommateur.

A l’aune de ces données contextuelles, il semble donc que la promulgation de la Loi Châtel n’ait eu aucun effet déflationniste sur les prix (Tableau 2). Bien au contraire, depuis l’entrée en application de la Loi, la marge « triple net » moyenne des différents départements du magasin a continué à progresser ce qui tend à démontrer un certain refus d’intégrer tout volant supplémentaire de « marges arrière » dans les prix de vente (Tableau 4). La récolte de « marges arrière » auprès des fournisseurs s’est également poursuivie, hormis pour les produits frais, ce qui explique en grande partie la poursuite de la hausse des marges « triple net » du magasin pour tous les départements. En ce qui concerne plus particulièrement les marges « double net », ces dernières régressent en 2008, en dehors du frais, ce qui ne laisse pas augurer d’une volonté de basculer d’un système arrière vers un système avant.

Tableau 4

Évolutions des différentes marges, par département, sur la période 2006-2008 (janvier à mai)

Évolutions des différentes marges, par département, sur la période 2006-2008 (janvier à mai)

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La situation du département frais reste particulière dans le sens où ces produits sont déjà fortement margés et que, dès lors, le magasin considère qu’il est de son intérêt de se différencier fondamentalement sur la variété et la qualité de son assortiment en gammes fraîches par rapport à la concurrence. Cela s’est notamment traduit par une demande de remises supplémentaires sur factures aux fournisseurs et par une élévation de la marge « double net » réalisée en produits frais. Les linéaires frais du magasin ont basculé légèrement leur marge vers l’avant alors même que les marges « triple net » continuaient pourtant de progresser. On vérifie ainsi, qu’en cas de contraction de la demande, les marges générées par les linéaires frais prennent donc encore plus d’importance par rapport à la marge globale dégagée par le magasin.

L’application du dispositif Châtel reste donc, somme toute, assez relative en magasin bien que le principe du « triple net sec[29] » ait été totalement assimilé par le management de l’hypermarché. Cette assimilation est intéressante en soi, car elle montre l’absence de renforcement de la marge « double net » et la poursuite de la hausse continue des « marges arrière » (sauf pour les produits frais). On peut aussi en déduire qu’à six mois de la promulgation de la LME, le magasin ne paraît toujours pas prêt à « vidanger » ses « marges arrière ». Ces dernières pesant encore trop lourd dans la marge globale du magasin.

On constate aussi que l’hypermarché n’intègre finalement que très peu de « marges arrière » dans ses prix de vente alors que l’on a assisté, depuis dix ans, à l’explosion de ces mêmes « marges arrière » qui, selon une enquête de l’ILEC[30] constituaient, à la fin 2008, près de 39 % du prix net facturé aux distributeurs. La Loi Châtel n’a donc pas mis fin au système arrière et elle a sans doute contribué à institutionnaliser encore un peu plus un usage qui est né avec la mise en oeuvre du dispositif Galland. C’est ainsi que le magasin a reçu globalement, tous secteurs confondus, plus de « marges arrière » de ses fournisseurs en 2008 qu’il n’en a perçu en 2006 et 2007 mais qu’il n’en a au final que très peu intégrées dans les prix

Cela signifie-t-il que le magasin a refusé de jouer le jeu de la Loi ? Rien n’est moins évident non plus, car il apparait que le secteur des produits de grande consommation (PGC) fonctionnait avec des « marges avant » négatives, et qu’au final, le distributeur restait prompt à retirer toujours plus de profits des sommes versées par les fournisseurs au titre de la coopération commerciale ou des services distincts. Sous l’impact de la Loi Châtel, les « marges arrière » sont devenues le « gagne pain » principal du magasin (pour ne pas dire le seul dans certains rayons[31]) encourageant l’hypermarché à poursuivre une politique de marges globalement élevées linéaire par linéaire. Ainsi, sur les dix meilleurs produits vendus par le magasin, dont les volumes imposent une forte image prix, l’hypermarché a appliqué des marges importantes trois années consécutivement (Tableau 5). Or, on ne peut que constater la stabilité générale des marges « triple net » sur la période considérée alors que les chiffres d’affaires continuaient pourtant d’augmenter pour chaque famille de produits. Dès lors, il apparaît bien que l’accent a été mis sur le maintien de la marge globale du magasin au détriment de tout impact sur les rétrocessions de « marges arrière » et donc au final sur les prix.

Tableau 5

Segmentation des 10 meilleurs produits vendus sous les lois Dutreil I, Dutreil II et Châtel

Segmentation des 10 meilleurs produits vendus sous les lois Dutreil I, Dutreil II et Châtel

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Au regard des dix articles les plus vendus dans le magasin sur trois ans, le haut niveau des marges appliqué par le distributeur transparait clairement. En outre, ce panel nous révèle que seulement un très faible nombre d’articles leaders reçoivent finalement des « marges arrière ». Ainsi, sur les trente-six meilleures ventes du magasin, seuls deux produits en définitive peuvent appliquer la Loi Châtel et peuvent donc théoriquement abaisser leur prix au niveau du SRP Châtel. La loi Châtel ne semble donc pas avoir « désactivée » le principe de la hausse générale des prix dans la grande distribution. En effet, les trente-quatre autres produits très bien vendus sont des produits dits MDD et, à ce titre, ils ne bénéficient pas d’un basculement du système arrière vers l’avant. Au contraire, le magasin pousse très largement les feux sur les produits MDD qui sont devenus des références à forte marge avant.

On ne peut donc que s’interroger sur l’intérêt du dispositif Châtel à partir du moment où le distributeur n’applique que lentement et avec parcimonie la Loi en magasin. Dès lors, cela nous conforte dans l’idée que le processus de basculement de l’essentiel de la marge globale vers les marges avant ne pourra s’opérer qu’après avoir purgé la relation commerciale de toutes « marges arrière ». En ce sens, le niveau général atteint par les « marges arrière » perçues par les distributeurs[32] n’a fait que confirmer le haut niveau général des prix de la grande-distribution française[33]en Europe.

Ceci explique aussi pourquoi, dans le cadre de la LME, le législateur, qui loin d’interdire les « marges arrière », viendra opportunément contraindre les distributeurs à en justifier formellement l’utilisation auprès de leurs fournisseurs provoquant ainsi une vidange immédiate de ces dernières (Tableau 3). L’année 2009 a donc vu simultanément un effondrement des volumes collectés de « marges arrière » (à 11 %[34] en moyenne du prix facturé à l’enseigne) conjugué à un renforcement des rabais et remises accordés par les fournisseurs. Ce faisant, la LME se différencie de la loi Châtel en contraignant les négociations commerciales à l’achat au niveau du « double net » tandis que cette dernière maintenait le dictat du « triple net » sur la formation des prix.

Les résultats contreproductifs de la Loi Châtel sur les prix en magasin 

Le but ultime de la Loi Châtel était d’abaisser significativement les prix de vente aux consommateurs. Or, on ne peut que constater l’échec du cadre législatif en magasin qui n’apparait pas avoir eu les effets escomptés sur les prix. Pourtant, les marges globales du distributeur, bien que d’un fort niveau, se sont légèrement érodées. Dans notre panel, la marge « triple net » globale de l’hypermarché a ainsi diminué de 0,04 % depuis la promulgation de la Loi Châtel. La baisse des marges ne s’est donc pas limitée aux seuls produits percevant des sommes des fournisseurs, mais elle s’est étendue à l’ensemble des produits du magasin. Le caractère rémunérateur des « marges arrière » a amené le distributeur à adapter son intégration. En magasin, le dispositif d’abaissement du SRP Châtel n’a pas fonctionné comme le prévoyait initialement la Loi puisque l’on a plutôt assisté à une diminution des marges avant pratiquée par le distributeur et que ce dernier a compensé ce phénomène par des gains en « marges arrière » non réintégrés dans les prix au détriment des consommateurs.

Dans cette situation, ce sont les fournisseurs qui sont mis à contribution en versant un complément de « marge arrière » tout en concédant une part de marge double net supplémentaire afin de financer le distributeur. Mais celui-ci ne joue pas le jeu pour une question d’équilibre de sa marge globale et de gestion de la compétitivité prix du magasin (intégration potentiel à tout moment en cas de guerre des prix). Ainsi, la loi Châtel a mécaniquement favorisé l’abaissement du seuil de calcul du SRP triple net (Tableau 2) comparativement au dispositif Dutreil (Tableau 1) mais le distributeur a renâclé et les prix sont restés finalement très éloignés du SRP Châtel théorique en magasin. La LME en favorisant le retour vers le « double net » a relancé le jeu des acteurs mais aussi les tentations opportunistes lors des négociations commerciales 2010 (Tableau 3).

En 2008, l’impact de la loi Châtel est consubstantiel à une inflation de 2 % du prix moyen des articles dans le magasin (y compris sur les marques du distributeur) (Tableau 6). L’inflation des matières premières importées dans les prix de cession des industriels combinée à une trop timide intégration des « marges arrière » (la Loi n’avait pas prévu ce cas de figure) et à un faible basculement des marges vers l’avant encouragent une augmentation des prix de vente aux consommateurs en 2008. L’explosion des sommes fournies par les industriels au distributeur a eu une très large part de responsabilité dans la hausse des prix en magasin sachant que les fournisseurs n’ont pu trouver d’autres solutions que d’augmenter leurs tarifs. Ces augmentations des tarifs fournisseurs ont eu pour effet le relèvement mécanique du seuil du SRP chez les distributeurs avec pour conséquence une nouvelle hausse des prix reportée sur les consommateurs.

Tableau 6

Évolution des volumes et des prix moyens par département 2006-2008

Évolution des volumes et des prix moyens par département 2006-2008

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En réponse, dès janvier 2008, la centrale régionale dont dépend le magasin[35] attaquait les hausses de tarifs des fournisseurs sous l’angle du déréférencement. Or, cette flambée des tarifs ne semble n’avoir qu’une seule origine à savoir la relative absence de concurrence entre les enseignes localement. L’oligopole bilatéral à frange non concurrentielle, confronté à un état permanent de concurrence imparfaite, serait donc à l’origine de l’accélération du système des « marges arrière ». La structure de marché s’avérant ici plus déterminante que l’évolution législative puisqu’industriels et distributeurs, tous deux membres de l’oligopole bilatéral, ont continué à s’entendre sur le partage de la rente économique lors de la mise en oeuvre du dispositif Châtel.

L’exemple des ventes des bouteilles de Coca-Cola dans l’hypermarché est assez révélateur de notre propos. En effet, les marges PAF[36] (prix d’achat facturé) et les marges « triple net » de la bouteille de Coca ont beaucoup fluctué entre 2007 et 2008 dans le linéaire liquide du magasin. On est ainsi passé d’une marge PAF négative en 2007 à une marge PAF à zéro depuis mars 2008. Dans le même temps, on a également observé une forte montée de la « marge arrière » distribuée par Coca qui permettait à l’industriel de tenir le distributeur à sa merci par un contrôle des prix de vente du produit au vu de la forte notoriété de la marque qui en fait un article hautement concurrentiel pour l’enseigne. Le produit est ainsi présent au même moment et au même prix dans les linéaires des hypermarchés concurrents. Au sein de la zone de chalandise, les externalités négatives relatives à une situation de concurrence imparfaite entre les magasins sont démontrées à partir du moment où les accords entre Coca et l’ensemble des hypermarchés locaux sont grosso-modo identiques à trois centimes près. C’est pourquoi la loi Châtel a tenté de répondre au problème relatif à l’impossibilité de différenciation par les prix entre les distributeurs par le choix offert aux enseignes d’intégrer ou non des « marges arrière » dans les prix qui a finalement été très peu suivi.

Ainsi, derrière l’application du cadre législatif de la Loi Châtel stricto sensu se cache, pour le magasin, le délicat problème de la gestion des relations avec les industriels. Un outil tel que la théorie des jeux permet d’expliquer en quoi les prix et les résultats augmentent si les industriels et distributeurs acceptent de neutraliser ensemble le théâtre de la guerre des prix (Eber, 2007).

Un jeu d’acteurs permanent et collusif entre les grands industriels et les distributeurs français

En effet, très en amont de la législation nouvelle, l’oligopole des distributeurs a depuis longtemps pris conscience que la guerre des prix, suggérée par la Loi Châtel, ne pouvait que leur être particulièrement préjudiciable. Une guerre des prix mettait durablement en péril la rentabilité globale des magasins tout en sapant la relation de dépendance commerciale des industriels vis-à-vis des enseignes alors même que c’est le degré de dépendance de l’industriel au distributeur qui conditionne et fixe le partage de la rente économique au sein du canal.

Le magasin a été confronté à la résolution du difficile dilemme du prisonnier, à savoir qu’il avait sans doute beaucoup plus à perdre à tendre directement vers le SRP Châtel en affrontant directement ses concurrents par les prix dans son bastion commercial, plutôt qu’à maintenir une position de statu quo sur ses mêmes prix de vente. On en revient alors à la question de la collusion entre les membres d’un d’oligopole (Fellner, 1949). Dans une zone commerciale, l’instauration d’un équilibre collusif se heurte également aux problèmes liés à l’asymétrie de l’information dont disposent les acteurs qui sont dépositaires du jeu concurrentiel. Cela peut être traité comme un problème de communication inter-firme puisque la détection de tout signal de baisse de prix devient un problème crucial pour le maintien de l’équilibre collusif (Stigler, 1954).

Si à un niveau national, dans un contexte oligopolistique tendu, ce sont les tentatives de résolution du dilemme du prisonnier qui apparaissent être la source de difficultés majeures entre les acteurs du canal, on observe qu’au un niveau local, c’est l’existence d’asymétries d’informations qui engendre des comportements opportunistes de la part du leader en termes de parts de marché. Depuis dix ans et la promulgation de la Loi Galland, l’adhérent du magasin a soutenu une orientation défensive des négociations commerciales en orientant, en centrale d’achat, la relation Industrie/Commerce vers un état non-coopératif permanent. Passé maître dans l’art de mettre en marché la rareté de ses linéaires auprès des industriels et ce, depuis la promulgation de la Loi Raffarin (1996), la tentation de faire cavalier seul a toujours été la plus forte chez les distributeurs indépendants. Les intégrés, qui sont soit cotés en Bourse (Carrefour, Casino), soit contrôlés par des familles ne poursuivent pas les mêmes objectifs de rentabilité que les indépendants. Dans la mesure où, chez les indépendants, un même adhérent ne peut pas exploiter plus de deux magasins (le contrat d’adhésion le stipule formellement), la poursuite d’une plus forte rentabilité peut être finalement assez secondaire par rapport au maintien d’une position de leadership sur la zone de chalandise du magasin.

Cette situation commerciale itérative a conduit à l’accumulation de « marges arrière » considérables par la centrale d’achat régionale tout en confortant les adhérents dans l’idée de prolonger la poursuite d’une politique défensive vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes à la relation (Etat, fournisseurs,…). Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, le contexte spécifique au sein du canal n’a pas permis à l’enseigne d’évoluer et de se montrer plus coopérative vis-à-vis des industriels et des pouvoirs publics qui ambitionnaient de voir les magasins rapidement adopter le dispositif Châtel afin de voir enfin baisser les prix de vente consommateurs.

On peut alors supposer que la peur rationnelle d’un déclenchement d’une guerre des prix au sein du bastion paralyse le magasin. L’idée qu’une intégration massive de « marges arrière » soit susceptible d’entrainer une surenchère des concurrents qui, en réaction, auraient réintégré à leur tour encore plus de « marges arrière », a paralysé le canal. Ce faisant, on s’est aussi éloigné d’un équilibre de Nash[37] puisque les conséquences d’une guerre des prix ne s’arrêtent pas à un seul magasin. L’oligopole des grandes marques industrielles pouvait lui aussi être touché par la mise en place d’une intelligence stratégique des prix entre les distributeurs qui aurait contribué à tendre encore plus les relations entre l’amont et l’aval du canal. Ainsi, aux yeux des enseignes de distribution, la crainte de toute idée relative à l’intégration, même partielle des « marges arrière », ne peut que correspondre à un risque de voir se former une réaction en chaîne explosive pour le distributeur. Une intégration agressive des « marges arrière » par un seul distributeur au départ serait suivie d’une intégration de « marges arrière » encore plus importantes par les enseignes concurrentes ce qui se traduirait, au final, par une baisse de la rentabilité de tous les membres de l’oligopole de la distribution.

Pour autant, cette situation génèrerait une augmentation supplémentaire de « marges arrière » conduisant à une élévation des tarifs chez les fournisseurs ainsi qu’à une hausse des prix des produits et, au final, à une baisse catastrophique des ventes défavorable alors à l’ensemble des membres de l’oligopole. Au sein de l’hypermarché, l’idée qu’une application pure et dure de Châtel n’aurait que des effets négatifs reste dominante. Les tenants et aboutissants économiques préfigurant un échec de la Loi sont alors réunies car c’est alors l’application de la Loi elle-même qui devient potentiellement un vecteur de vie chère en France. Pour autant, on ne peut pas non plus nier, qu’en magasin, il y ait eu l’application d’une stratégie de prix opportunistes de la part du distributeur en conséquence de l’application de la Loi Châtel.

Au terme de cette étude de cas, il ressort 3 enseignements : (i) une progression relative des marges « triples net », avec une progression de la marge globale du distributeur en 2008; (ii) l’émergence d’effets contre-productifs de la Loi Châtel sur la diminution des prix de vente au consommateur; (iii) dans une situation d’entente de type collusive entre les distributeurs et les industriels, à tout le moins les principaux, on assiste à la constitution d’un oligopole bilatéral entre les industriels et les distributeurs. L’étude de cas confirme donc les résultats théoriques obtenus à partir de l’analyse du marché en termes de concurrence imparfaite à savoir qu’au sein du canal Industrie-Commerce la structure de marché domine l’évolution législative.

Conclusion

Le dispositif Galland auquel appartient la Loi Châtel avait pour but de clarifier la relation industrie-commerce en favorisant une coopération commerciale entre l’amont et l’aval du canal. Dans l’esprit du législateur, c’est cette collaboration entre les différentes parties prenantes que les « marges arrière » devaient venir rémunérer. La Loi Châtel, en institutionnalisant les « marges arrière », a perpétué cette vision coopérative des deux oligopoles. C’est donc la conjugaison d’une concurrence imparfaite à l’inflation législative et aux impératifs liés à la rémunération de la coopération entre industriels et distributeurs qui a considérablement renforcé l’oligopole bilatéral en une structure hybride que nous qualifions d’oligopole bilatéral à frange non-concurrentielle.

L’adoption de la Loi Châtel n’est finalement qu’une suite logique à une évolution législative déjà très fortement marquée par les réformes passées. Cette loi n’a été qu’une loi de passage vers la libéralisation du dispositif Galland. Pourtant, la Loi Châtel qui se voulait régulatrice des dérives observées dans la relation Industrie-Commerce a échoué. Les « marges arrière » ont ainsi continué à croitre et les profits des distributeurs s’en sont retrouvés renforcés à l’instar de ceux des industriels qui sont restés protégés par la non négociabilité des conditions générales de vente. Dès lors, les prix ont flambé et la relation Industrie-Commerce n’en a pas été aplanie. Bien au contraire. La Loi Châtel a jeté encore un peu plus le trouble dans la tumultueuse histoire des relations entre fournisseurs et distributeurs : la tension atteignant son paroxysme courant 2008.

Le législateur a donc décidé de légiférer à nouveau sans attendre les résultats liés à la mise en application de la Loi Châtel. A l’aune de son bilan, la Loi Châtel semble n’avoir été qu’un tremplin à l’adoption de la Loi de Modernisation de l’Economie qui sera le premier dispositif à reconnaitre la nécessité d’une libéralisation de la relation Industrie-Commerce dans le cadre d’un retour vers le droit commun.