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La première reconnaissance des droits des Autochtones sur la scène internationale remonte à 1957, avec la Convention 107 relative aux populations aborigènes et tribales, de l’Organisation internationale du travail (OIT)[1]. Suivra le rapport Cobo[2], en 1986, puis, en 1989, la Convention 169 relative aux peuples autochtones et tribaux. C’est dans cet esprit de renforcement de la protection des populations autochtones qu’a été adoptée, le 13 septembre 2007, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Après quelque vingt années de négociations et de consultation dirigée par le Groupe de travail sur les questions autochtones, elle a été adoptée par 143 pays. Seuls quatre États ont voté contre : les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l’Australie[3].

Valeur de la Déclaration

Comme toute résolution de l’Assemblée générale, elle n’est pas de nature contraignante et ne lie pas les États juridiquement. Néanmoins, elle les engage politiquement, comme déclaration d’intention, signalant leur volonté d’adopter un comportement respectueux vis-à-vis des peuples autochtones. De plus, les dispositions de ce document peuvent être considérées par les juridictions nationales en tant qu’outils d’interprétation du droit interne. Certains pays ont d’ailleurs incorporé la Déclaration à leurs droits nationaux[4] ou encore s’apprêteraient à modifier leur constitution[5]. Enfin, si elle est appliquée par une large majorité d’États et qu’ils la perçoivent comme contraignante, elle pourrait le devenir pour tous. La transformation de principes issus du droit international volontaire en coutume internationale s’est déjà produite. La Déclaration universelle des droits de l’homme est un bon exemple. Elle est aujourd’hui perçue par les États comme coutumière, c’est-à- dire que son contenu contraint les États sans que la nature du document (une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies) ne soit juridiquement obligatoire, elle ne l’était pas initialement. Certains auteurs considèrent déjà que cela s’applique à la Déclaration[6], puisque 143 États, auxquels sont venus s’ajouter l’Australie en 2008 et la Nouvelle-Zélande en 2010, l’ont adoptée et qu’elle contient des principes de protection minimums. À ce propos, la Commission interaméricaine des droits de l’homme, organe politique et juridique de l’Organisation des États américains, a déjà qualifié les formes traditionnelles de propriété – faisant l’objet d’une protection dans la Déclaration via le droit à la terre – comme des « principes juridiques généraux du droit international », autrement dit de la coutume[7].

Contenu de la Déclaration

La Déclaration, premier document international consacrant des normes adaptées aux besoins des Autochtones et les intégrant à la rédaction du texte, contient des normes minimales. Ses dispositions peuvent être classées en trois catégories. Il s’agit, premièrement, de celles qui reconnaissent les règles issues des droits de la personne aux peuples autochtones. En la matière, la Déclaration reconnaît les droits fondamentaux classiques, tels que les droits à une nationalité (article 6) ou à la vie (article 7). Elle reconnaît également les droits économiques et sociaux et les adapte aux besoins des Autochtones, par exemple, l’article 24 consacrant le droit à la santé, dont le droit aux pharmacopées autochtones. Une adaptation similaire est proposée aux articles 14 et 15, sur le droit à l’éducation. L’article 14 permet ainsi aux peuples autochtones d’instaurer leurs propres établissements scolaires ainsi qu’un système éducatif dans leur propre langue, ce qui encourage l’accès pour les enfants à une éducation en relation avec leur identité autochtone.

La Déclaration reconnaît, deuxièmement, des dispositions qui consacrent des droits spécifiques aux peuples autochtones et à leurs membres. Elle reconnaît notamment le droit à la terre à travers le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les territoires qu’ils occupent ou qu’ils utilisent (articles 26 et 27). Elle définit le rapport qu’ils entretiennent avec leurs territoires (article 25). Elle consacre aussi le droit au consentement préalable libre et éclairé, qui dépasse le droit à la consultation et implique le droit des Autochtones de refuser une initiative contraire à leur volonté dans le cas, par exemple, d’un conflit lié à l’utilisation d’une ressource naturelle (article 19).

La dernière catégorie porte sur le droit à l’autodétermination. L’article 3 de la Déclaration le leur reconnaît pour la première fois, l’article 46 le limitant à sa dimension interne. Le droit à l’autodétermination doit ainsi respecter la Charte des Nations Unies, et les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale de chaque État. Conséquemment, le texte ne se situe pas dans le paradigme de la décolonisation et de l’indépendance, mais bien dans celui de la reconnaissance de peuples distincts existants à l’intérieur d’États indépendants.

Pertinence de la Déclaration

La mise en oeuvre de la Déclaration soutient trois principes fondamentaux qui, au Canada, permettraient à terme de faire évoluer la juridiction nationale[8] mais aussi de former une nouvelle génération de juges, décideurs politiques et de hauts fonctionnaires amenés à travailler avec les peuples autochtones[9].

Le premier principe porte sur la reconnaissance des spécificités autochtones. Cette Déclaration reconnaît plusieurs éléments clés, liés aux conceptions de l’identité, de la culture et des besoins des peuples autochtones, comme le lien à la terre, qui sont appréhendés dans une perspective dynamique. Ainsi, la culture et l’identité ne cesseraient pas d’être protégées parce qu’elles se sont transformées. Les Autochtones sont intégrés au sein d’un processus qui est, par définition, évolutif. En outre, le fait que l’identité et la culture soient soutenues par des processus facilite l’identification des mécanismes nécessaires à leur reproduction et permet d’arriver par conséquent à des mesures de protection plus adéquates. Les débats et tensions que l’on retrouve parfois devant les tribunaux autour du caractère illégal, parce que « moderne », d’une technique de chasse par rapport à une autre, plus « traditionnelle », n’auraient pas lieu[10]. L’approche dynamique va ainsi à l’encontre de l’essentialisation des identités et permet de sortir de la dichotomie réductrice tradition/modernité.

La Déclaration place les Autochtones comme la source de leurs droits, car les décisions étatiques doivent être adoptées en collaboration avec eux. Le fait qu’elle reconnaisse les liens entre l’identité et la culture entérine l’indivisibilité des différents droits qui découlent de cette reconnaissance. Il devient alors plus difficile de considérer les droits relatifs à la culture sans faire référence à la question de l’identité et vice-versa. L’indivisibilité des droits protège ainsi la dignité individuelle et collective puisqu’elle privilégie une définition a priori ou organique de l’identité et de la culture et non pas a postériori, c’est-à-dire à partir d’une source extérieure qui vient les qualifier et en déterminer la légitimité ou non.

Un deuxième principe qui donne une grande valeur symbolique à cette Déclaration est celui du consentement préalable libre et éclairé. Au Canada, les gouvernements ont le devoir de consulter et d’accommoder les populations autochtones. Pourtant, trop souvent dans les cas de projets d’aménagement et de développement forestier, minier ou pétrolier, les communautés autochtones concernées considèrent n’avoir pas ou peu été consultées. D’autres encore ont l’impression que le développement s’est fait en dépit de leurs réticences et de leurs revendications. Leurs besoins et leurs droits n’ont pas été pris en considération par les gouvernements, qui octroient des permis aux compagnies sans les avertir, même si ces projets se font sur leurs territoires. Le principe du consentement préalable libre et éclairé permet de consolider cette obligation de consulter, puisqu’il pose une norme quant au résultat attendu. Néanmoins, ce principe ne doit pas être vu comme un simple droit de véto, mais comme un droit de prévenir les conséquences sur l’environnement et la culture de ces communautés et de leur permettre de participer aux développements. Cette norme permet l’inclusion et le respect de droits fondamentaux même lorsqu’il s’agit d’enjeux économiques et politiques aussi cruciaux que le contrôle des ressources naturelles.

La non-opposition entre les droits des peuples autochtones et ceux des non-Autochtones est un autre principe qui rend cet instrument pertinent en contexte canadien et québécois. Cette conciliation soulève plusieurs enjeux[11]. Au Québec, les revendications de groupes autochtones ne sont pas toujours bien reçues par la population qui craint de se faire déposséder et d’être discriminé au profit des Autochtones. La Déclaration permettrait de définir une nouvelle approche dans les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones à travers des ententes négociées de bonne foi et qui respecteraient les droits de toutes les parties concernées. En effet, les peuples autochtones ne seraient plus obligés de céder ou d’échanger leurs droits territoriaux pour parvenir à un accord[12]. Les non-Autochtones auraient l’assurance que leurs droits seraient pris en considération advenant une négociation et une entente, comme le stipule l’article 46 de la Déclaration. Au lieu de bâtir les ententes sur un principe d’exclusion et de renoncement aux droits, celles-ci seraient plutôt basées sur leur protection puisque la reconnaissance des droits des uns ne se ferait pas au détriment de ceux des autres. On peut donc penser que cette approche consensuelle et inclusive permettrait une plus grande adhésion des populations concernées à la négociation d’une entente.

Réticences canadiennes

La question de la gouvernance du territoire est un enjeu crucial pour le Canada et c’est en partie pour cette raison qu’il a voté contre l’adoption du texte en 2007. Selon son représentant aux Nations Unies, John McNee, le gouvernement s’opposait à de nombreux chapitres, dont celui du territoire, du consentement préalable, libre et éclairé, de l’autodétermination, de la propriété intellectuelle et des questions militaires. En outre, les dispositions de la Déclaration ne reconnaissent pas suffisamment les droits territoriaux des non-Autochtones et seraient même « susceptibles de remettre en question des points déjà réglés par traité au Canada »[13].

Pourtant la position canadienne sur les droits des peuples autochtones ne fait pas l’unanimité. Lors de l’Examen périodique universel[14], le Canada a été pointé du doigt concernant les problèmes persistants reliés à la pauvreté chez les Autochtones (violence, faible niveau de scolarisation, problème de santé, dépendances à la drogue et à l’alcool)[15]. Le récent rapport de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, paru en janvier 2010, démontre également que les citoyens autochtones vivent toujours plus précairement que le reste de la population[16]. De plus, de nombreux pays demandent au Canada d’adopter la Déclaration ou du moins d’en respecter le texte[17]. Sans compter que le droit interne canadien contient lui-même des invitations à négocier de nouveaux accords avec les peuples autochtones pour respecter leurs droits et affronter les problèmes sociaux auxquels ils font face. Comme l’affirmait la juge en chef de la Cour suprême du Canada, la volonté démocratique de l’ensemble de la collectivité canadienne tout comme les droits des Autochtones devront être pris en compte pour en arriver à un processus réel de réconciliation par la négociation de nouvelles ententes[18].

Il est bien certain que l’appui de la Déclaration, annoncé dans le discours du Trône du 3 mars 2010[19], n’effacera pas les défis auxquels font face les peuples autochtones dans le monde. Au Canada, sa mise en oeuvre demandera que soient considérés différemment les accords déjà conclus entre nos gouvernements et les peuples autochtones et qu’une nouvelle approche dans les négociations, beaucoup plus consensuelle, soit adoptée. Cette mise en oeuvre ne sera donc ni rapide, ni facile. Néanmoins, ce type de document, bien qu’il cause des changements réels, par les principes et les valeurs qu’il promeut, assurerait définitivement une meilleure qualité de vie pour les Autochtones (parce que basée sur la définition de leurs besoins) et faciliterait certainement une reconfiguration des relations entre Autochtones et non-Autochtones. Sans compter qu’au plan international, elle redonnerait au Canada son image de défenseur des droits humains. On ne peut donc qu’espérer que le gouvernement aille pleinement de l’avant avec ce récent engagement.