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Introduction

La prise en charge de la diversité ethnoculturelle représente un défi sans précédent pour toutes les nations démocratiques. La réflexion québécoise, sur ce plan, est ancienne et elle fait montre de dynamisme et d’originalité ; il faut s’en réjouir. Comme ailleurs, elle procède en grande partie, au sein de la culture majoritaire, d’une vive inquiétude pour l’avenir de l’identité et de l’héritage dont elle se nourrit. Inévitablement, l’émotivité et le symbolique occupent donc une large place dans les débats, tout comme la divergence des visions et, souvent, l’incompatibilité des aspirations. Tout cela appelle un arbitrage difficile axé sur la recherche d’équilibres délicats entre des impératifs concurrents. C’est dire toutes les précautions et toute la modestie dont doit s’entourer la quête d’un modèle général d’intégration.

En gardant ces considérations à l’esprit, j’aimerais, dans le cours du présent essai, présenter en premier lieu ma vision de l’interculturalisme comme modèle d’intégration et de gestion de la diversité ethnoculturelle. Je m’inspirerai à cette fin du parcours québécois amorcé depuis les années 1960 et 1970[1], mais aussi de la réflexion et des expériences conduites en Europe où l’approche interculturaliste, comme formule de coexistence en contexte de diversité, a d’importantes racines[2]. Au Québec même, l’interculturalisme bénéficie présentement de larges appuis dans la population (comme l’ont montré les audiences publiques de la Commission Bouchard-Taylor[3]), mais il fait aussi l’objet d’importantes critiques. Il est certain qu’il reste un important travail à faire en termes de clarification, de promotion et d’applications de ce modèle.

Un second objectif consiste à répudier un certain nombre de malentendus ou de distorsions qui ont introduit de la confusion dans le débat public, plus spécialement au Québec. Je m’emploierai donc à montrer ou à rappeler que :

  1. l’intégration collective est un processus global qui concerne l’ensemble des citoyens et des composantes d’une société, et non seulement l’insertion des immigrants ;

  2. l’interculturalisme n’est pas une forme déguisée (« sournoise », a-t-on dit) de multiculturalisme[4] ;

  3. l’intégration est fondée sur un principe de réciprocité ; les nouveaux venus, tout comme les membres de la société d’accueil, y partagent donc une importante responsabilité ;

  4. le pluralisme (comme orientation préconisant le respect de la diversité) et en particulier le principe de la reconnaissance, à condition qu’ils soient appliqués avec discernement et rigueur, ne conduisent nullement à la fragmentation (ou au « communautarisme ») et ne remettent pas en question les valeurs fondamentales de la société d’accueil ;

  5. le pluralisme est une option générale qui peut avoir diverses applications correspondant à autant de modèles, dont le multiculturalisme ; il est donc erroné d’établir une relation exclusive entre ces deux notions et de les présenter comme synonymes ;

  6. le type de pluralisme préconisé par l’interculturalisme peut être qualifié d’intégrateur en ce qu’il prend en compte le contexte et l’avenir de la culture majoritaire ;

  7. les accommodements (ou ajustements concertés) ne sont pas des privilèges, ils n’ont pas été conçus uniquement pour les immigrants et ils ne doivent pas donner libre cours à des valeurs, croyances ou pratiques contraires aux normes fondamentales de la société ; ils visent simplement à faire en sorte que tous les citoyens bénéficient des mêmes droits, quelle que soit leur appartenance culturelle ;

  8. l’interculturalisme, en tant que modèle pluraliste, se soucie autant des intérêts de la majorité culturelle, dont le désir de se perpétuer et de s’affirmer est parfaitement légitime, que des intérêts des minorités et des immigrants ; on ne doit donc pas opposer, d’un côté, les défenseurs de l’identité et des traditions de la majorité et, de l’autre, les défenseurs des droits des minorités et des immigrants ; il est possible et nécessaire de conjuguer dans une même dynamique d’appartenance et de développement ces deux impératifs que sont les aspirations identitaires de la majorité et l’orientation pluraliste ;

  9. sauf circonstances extrêmes, les solutions radicales conviennent rarement à la nature des problèmes que pose la diversité ethnoculturelle.

Ma présentation prendra comme point de départ la description présentée dans le Rapport Bouchard-Taylor[5], mais en la précisant et en y ajoutant de nombreux éléments. Je m’appuierai également sur l’importante contribution de divers auteurs québécois qui ont longuement réfléchi sur le sujet[6]. Enfin, je signale que la réalité autochtone ne sera pas prise en compte ici. Cette décision tient au fait que, à la demande des Autochtones eux-mêmes, le gouvernement québécois a résolu que les affaires relatives aux rapports avec ces communautés devaient être traitées « de nation à nation »[7]. De leur côté, les populations visées ne souhaitent pas être considérées comme une minorité culturelle au sein de la nation québécoise. Pour l’instant, cette question relève donc d’une autre problématique que celle de l’interculturalisme proprement dit, ce modèle étant conçu pour penser l’intégration au sein d’une nation.

I. L’interculturalisme : quelques éléments non spécifiques

Première donnée importante : l’interculturalisme fait place à divers éléments qui ne lui sont pas exclusifs. C’est, par exemple, l’idée assez répandue que la langue officielle, le cadre juridique et la référence territoriale ne suffisent pas à fonder une nation ; il faut y ajouter toute la symbolique qui nourrit l’identitaire, la mémoire et l’appartenance[8]. Le principe de ce qu’on appelle la reconnaissance (au sens de Charles Taylor et d’autres) fait aussi partie de l’interculturalisme[9]. On le retrouve également au coeur du multiculturalisme et de quelques autres modèles. Une autre donnée constitutive de l’interculturalisme et que l’on rencontre dans la majorité des démocraties d’Occident consiste dans une orientation pluraliste, c’est-à-dire une sensibilité à la diversité ethnoculturelle et le rejet de toute discrimination basée sur la différence[10]. Héritée de la prise de conscience qui a suivi les deux guerres mondiales, les fascismes, les régimes totalitaires et la décolonisation, cette orientation s’est traduite dans les années 1950-1960 par une nouvelle attitude, une nouvelle sensibilité face aux minorités de toutes sortes.

Cela dit, il importe de souligner que ces éléments (symbolique nationale, reconnaissance et pluralisme) sont susceptibles d’interprétations et d’applications très diverses, ce qui ouvre la voie à une variété de modèles. Ainsi, contrairement à une perception assez répandue, l’orientation pluraliste, tout comme le principe de la reconnaissance, ne conduit donc pas nécessairement au multiculturalisme.

De même, les accommodements raisonnables sont une pratique très répandue aux États-Unis, au Canada anglophone, en Australie et dans certains pays d’Europe, dont l’Angleterre. On peut définir ces accommodements comme des ajustements apportés à l’application de certaines normes ou règles, à l’intention de certains individus ou groupes (immigrants ou non) possédant tel ou tel caractère distinctif qui les met en marge de la culture majoritaire. Ces ajustements visent à favoriser leur intégration et à les soustraire à des risques de discrimination découlant précisément de ce caractère distinctif. Encore une fois, et contrairement à une perception courante, il ne s’agit pas ici d’octroyer à certaines personnes des droits exclusifs ou des privilèges. Dans un esprit d’équité (ou d’égalité), le but est toujours d’appliquer plus intégralement un droit fondamental reconnu à tous les citoyens[11]. S’agissant de reconnaissance, de pluralisme ou d’accommodement, il importe de distinguer le principe qui les fonde et les critères ou leur mode d’application.

On note donc que ce n’est pas non plus sur le plan des accommodements que se marque l’originalité de l’interculturalisme car ceux-ci peuvent être pratiqués suivant des philosophies, des sensibilités et des règles ou critères très diversifiés. On doit par conséquent s’interdire, là aussi, d’associer d’une manière exclusive le principe des accommodements au multiculturalisme. Certains ajustements peuvent sembler parfaitement admissibles dans une société et poser problème dans une autre, même si elles adhèrent toutes deux au pluralisme.

À la lumière de ce qui précède, on voit que dans le cas particulier du Québec, il faut aménager une forme de pluralisme qui s’accorde avec le fait que la majorité francophone est elle-même une minorité culturelle incertaine, fragile même, qui a besoin de protection pour assurer sa survie et son développement dans l’environnement nord-américain et dans un contexte de mondialisation.

II. Paradigmes et niveaux d’analyse

Avant d’aller plus loin, et afin de bien caractériser l’interculturalisme parmi les autres modèles de prise en charge de la diversité ethnoculturelle, il est utile de passer en revue les cinq grands paradigmes dans lesquels ils s’inscrivent. Ces paradigmes sont de grands schémas qui situent l’intention première ou l’horizon constitutif de chaque modèle. Ils structurent le débat public dans une nation, ils en fixent les paramètres et les questions principales, ils inspirent aussi les politiques et les programmes de l’État et, enfin, ils nourrissent les perceptions que les citoyens entretiennent les uns des autres.

Un premier paradigme est celui de la diversité. On le retrouve notamment au Canada anglais, aux États-Unis, en Suède, en Australie et en Inde. Dans ce cas, le postulat principal veut que la nation soit constituée d’un ensemble d’individus et de groupes ethnoculturels placés sur un pied d’égalité et protégés par les mêmes droits ; on n’y reconnaît donc pas officiellement de majorité culturelle ni, par conséquent, de minorités proprement dites. À l’enseigne officielle de la diversité, chacun s’affirme et s’exprime comme il l’entend, dans les limites fixées par le droit. En deuxième lieu, on peut parler d’un paradigme de l’homogénéité (ou d’un paradigme unitaire) qui affirme fondamentalement une indifférenciation ethnoculturelle au moins dans la vie publique et parfois également dans la vie privée ; on pense ici à des nations comme la France (pour ce qui est de l’espace public), l’Italie, le Japon ou la Russie. Il y a, en troisième lieu, le paradigme de ce que j’appelle la bi- ou multipolarité. C’est le cas de sociétés constituées de deux ou quelques groupements ou sous-ensembles nationaux parfois reconnus officiellement comme tels et assortis d’une sorte de permanence. Des États-Nations comme la Malaisie, la Bolivie, la Belgique, la Suisse et l’Irlande du Nord (en fait, tous les États plurinationaux qui se reconnaissent comme tels[12]) relèvent de ce paradigme.

Le quatrième paradigme est celui de la dualité. On le retrouve là où la diversité est pensée et gérée sur la base d’un rapport entre des minorités issues d’une immigration récente ou ancienne et une majorité culturelle qu’on peut qualifier de fondatrice. Arrêtons-nous un instant sur ce dernier concept. Je qualifie de fondatrice toute culture résultant de l’histoire d’une collectivité qui a occupé un espace depuis longtemps (un siècle, quelques siècles ou quelques millénaires), qui a constitué un territoire ou un habitat (ce que certains géographes appellent une « territorialité ») dans lequel elle se reconnaît ; qui a élaboré une identité et un imaginaire exprimés dans une langue, des traditions et des institutions ; qui a développé une solidarité et une appartenance ; et qui nourrit un sentiment de continuité mis en forme dans une mémoire. Dans une société donnée, des minorités établies depuis longtemps peuvent donc également détenir le statut de culture fondatrice. Au Québec, pensons aux communautés autochtones, dont la fondation est plus ancienne que celle de la culture majoritaire, ou à la population anglophone[13].

Sauf exception, les majorités culturelles sont des cultures fondatrices, mais comme il arrive toujours, elles n’ont cessé d’incorporer au fil du temps d’importants apports qui se sont fondus au filon initial en le transformant. Sous l’effet des migrations et des relations interculturelles, la réalité que recouvrent ces notions est donc fondamentalement mouvante et dynamique, même si le discours dominant tend à gommer ce caractère. Comme nous le verrons plus loin, d’autres facteurs font en sorte que la notion de majorité culturelle peut héberger des contenus diversifiés et malléables.

Au passage, on notera que j’évite d’utiliser les concepts de « groupe ethnique » ou de « communauté culturelle ». Ces concepts supposent en effet un degré de structuration qui existe peu fréquemment dans la réalité. Dans cet esprit, la notion de minorité doit être entendue dans un sens très général pour désigner un foyer culturel ou une vie communautaire spécifique qui se déploie en coexistence avec la culture majoritaire et dont les frontières sont souvent très floues.

La dualité majorité/minorités acquiert donc le statut d’un paradigme, du fait que, dans une nation donnée, elle peut en venir à structurer la réflexion et les débats sur la diversité. Elle s’y manifeste alors sous la forme d’une dichotomie ou d’un clivage Eux/Nous plus ou moins prononcé. Je précise aussi que le paradigme de la dualité ne crée pas le clivage Eux/Nous ; il y trouve plutôt son point de départ, son ancrage. Si, pour quelque raison, on veut récuser ce paradigme dans une nation donnée, il sera donc plus avisé de s’en prendre aux facteurs qui lui ont donné naissance et qui le perpétuent. J’ajoute que la grande majorité des nations d’Occident (incluant le Québec) me semblent opérer présentement sous ce paradigme.

Le cinquième paradigme est celui de la mixité. Il est fondé sur l’idée que, grâce au métissage, la diversité ethnoculturelle de la nation va progressivement se résorber pour donner naissance à une nouvelle culture, différente de ses éléments constitutifs. On retrouve ce paradigme principalement en Amérique latine, notamment au Brésil et au Mexique.

J’ajoute trois autres précisions à ce sujet. Les paradigmes constituent le premier niveau d’analyse de la diversité ethnoculturelle. Les différents modèles qui s’y rattachent (tels que le multiculturalisme, l’interculturalisme, le melting pot, l’hyphenation, le républicanisme, l’assimilationnisme, le consociationnisme, etc.[14]) sont le deuxième niveau. Le troisième est celui de la structure ethnoculturelle concrète des populations, telle qu’elle se révèle à la lumière des données empiriques (statistiques de recensement et relevés monographiques) sur l’origine ethnique, la langue, la religion et la spatialisation (concentrations géographiques, ghettos et amalgames).

Je signale aussi que les paradigmes, tout comme les modèles, procèdent d’un choix collectif, souvent codifié dans des documents officiels. Ainsi, on connaît plusieurs exemples de nations qui ont changé de paradigmes au cours des dernières décennies. Dans les années 1960-1970, le Canada et l’Australie sont passés du paradigme de l’homogénéité à celui de la diversité pendant que le Québec abandonnait le paradigme de l’homogénéité pour celui de la dualité. De même, on pourrait dire que l’Angleterre paraît actuellement s’éloigner du paradigme de la diversité[15] et qu’on assiste présentement au Québec à une tentative visant à introduire des éléments de non-différenciation à la républicaine (mouvement contre les accommodements, contre le port de signes religieux dans les instances de l’État, etc.).

Notons enfin qu’un paradigme peut accueillir plus d’un modèle — et parfois des modèles assez différents, comme on le voit notamment au Canada et aux États-Unis (diversité) ou en France et en Italie (homogénéité). Le cas de figure le plus simple est évidemment celui d’une nation qui adhère à un seul paradigme (ou à un paradigme prédominant). Toutefois, on ne doit pas écarter les cas de nations où le débat public est plus éclaté et qui souscrivent simultanément à deux ou trois paradigmes en compétition. De ce point de vue, les États-Unis se distinguent. Le paradigme de la diversité y prévaut nettement dans l’ensemble, la nation y étant définie comme fondée sur quelques idéaux universels capables d’accueillir la plus grande diversité qui soit. Toutefois, on y voit bien se manifester présentement deux autres paradigmes, soit celui de la dualité (la culture « mainstream » face à celle de minorités perçues comme réfractaires à l’intégration) et celui de l’assimilation (discours du « melting pot »). De ce point de vue, le cas du Brésil attire également l’attention dans la mesure où le schéma de la mixité qui y prédomine (appuyé sur le grand mythe de la démocratie raciale) fait également place au paradigme de la diversité aussi bien que de l’homogénéité. Dans ce cas, le discours officiel et le débat public rappellent souvent la non-différenciation de cette nation en termes de races, mais ils se montrent en même temps très informés de la diversité ethnoculturelle.

Pour le reste, on retiendra surtout qu’il n’y a pas de relation linéaire entre les trois niveaux d’analyse. On ne peut pas supposer que ce qui se passe à un niveau est dicté par ce qu’il advient dans les deux autres. Certes, on imaginerait mal des pays comme la Belgique ou la Suisse adhérer au paradigme de l’homogénéité. Néanmoins, il peut exister parfois des disparités assez importantes entre la réalité ethnoculturelle d’une nation et le schéma général à travers lequel elle se pense (les exemples de la France et de l’Italie viennent à l’esprit).

III. Spécificités de l’interculturalisme

Je mentionnerai sept points principaux qui me paraissent caractériser l’interculturalisme et le distinguer des autres modèles de prise en charge de la diversité. Il est à noter que l’exposé devrait normalement faire état de deux grandes dimensions du modèle. L’une, sociétale, renvoie à l’échelle macrosociale, soit la problématique générale des relations interculturelles et de l’intégration d’une société. L’autre dimension est celle de l’interculturalité. Elle renvoie à l’échelle microsociale, celle du voisinage, des relations communautaires et de la vie quotidienne des institutions (école, hôpitaux, milieux de travail, etc.). Toutefois, l’attention sera centrée principalement sur la première dimension, priorité étant donnée à la définition des principes et des fondements du modèle.

A. Une dualité majorité/minorités

En tout premier lieu, comme modèle global d’intégration d’une société, l’interculturalisme prend forme principalement dans le paradigme de la dualité[16]. Un des traits inhérents à ce paradigme est la conscience vive du rapport majorité/minorités et la tension qui lui est associée. Plus précisément, c’est l’inquiétude que peut ressentir la majorité culturelle face aux minorités. Il arrive que la diversité représentée par les cultures minoritaires inspire au groupe majoritaire le sentiment plus ou moins aigu d’une menace non seulement pour ses droits, mais aussi pour ses valeurs, ses traditions, sa langue, sa mémoire et son identité. Ce sentiment peut se nourrir de divers motifs. Par exemple, en Angleterre, aux États-Unis et dans bien d’autres pays, l’élément terroriste est présentement une cause première de préoccupation. Au Québec, une source importante d’inquiétude tient au fait que la majorité culturelle francophone est elle-même une minorité fragile dans l’environnement nord-américain (elle y représente deux pour cent de la population). Souvent aussi, le malaise est alimenté par le fait d’une minorité ethnoculturelle démographiquement importante qui est perçue comme hostile aux valeurs et aux traditions du groupe majoritaire et comme réfractaire à l’intégration (ce qui peut arriver effectivement quand cette minorité craint elle-même pour ses valeurs et pour sa culture). Le malaise peut également naître du fait que, dans une nation donnée, la culture fondatrice vit une période d’instabilité ou traverse une crise quelconque. Quoi qu’il en soit, il s’ensuit que la dualité risque alors d’être vécue comme la conjugaison de deux insécurités puisque les groupes minoritaires, pour des raisons évidentes, nourrissent eux-mêmes un sentiment d’incertitude pour leur avenir. Enfin, il y a des nations au sein desquelles la dualité est le fait d’un accord durable, forgé dans l’histoire entre deux groupes, l’un majoritaire, l’autre minoritaire.

Indépendamment des sources auxquelles elle s’alimente, cette insécurité et la méfiance réciproque qui peut en découler conduisent à perpétuer la dualité Eux/Nous. Or, tel que mentionné ci-dessus, l’interculturalisme invite à assurer un avenir autant à la culture majoritaire qu’aux cultures minoritaires. De ce point de vue, il est essentiellement une recherche de conciliation. Il vise à articuler, sous l’arbitrage du droit, la tension entre continuité et diversité, à savoir la continuité de la culture fondatrice et la diversité apportée par l’immigration ancienne ou récente[17]. En ce sens, je dirais que l’interculturalisme entend conjuguer la culture en tant que racines et en tant que rencontres. Cela dit, cette tension qui sous-tend la dualité peut être corrosive et donner lieu à la création de stéréotypes, à des comportements de rejet ou d’exclusion et à diverses formes de discrimination de la part du groupe majoritaire. Elle peut aussi être vécue comme positive, comme un rappel constant à la vigilance, au dialogue et aux nécessaires ajustements concertés. C’est le défi principal de l’interculturalisme : atténuer au maximum le rapport Eux/Nous plutôt que l’envenimer.

Les remarques qui précèdent appellent quelques avertissements :

  1. Il faut se garder d’une vision réductrice qui représenterait le clivage majorité/minorités comme une opposition entre une majorité homogène et des minorités hétérogènes. Quand on y regarde de près, on se rend compte qu’au-delà de la langue commune et de nombreux symboles partagés, d’importants éléments de diversité se retrouvent presque toujours au coeur même du noyau majoritaire (différences au plan de la morale et des croyances, clivages idéologiques, coupures générationnelles, divisions sociales, identités régionales et le reste). Pour cette raison, il semblerait plus juste de parler d’un clivage entre deux types de diversité. Il reste que, sous l’effet de la menace ressentie, le groupe majoritaire tend souvent à réagir en gommant d’importantes facettes de sa propre diversité. C’est un phénomène dont on peut observer des manifestations dans les débats en cours au Québec et ailleurs en Occident.

  2. On doit aussi éviter de concevoir la dualité majorité/minorités comme un ensemble figé. Si la structure duelle est durable, les contenus des deux composantes, le contexte ainsi que les modalités de leur articulation changent sans cesse (d’où l’utilité de ne pas figer dans une acception trop étroite les notions de majorité et de minorités). Encore une fois, ce caractère dynamique ne transpire pas toujours des débats. Ainsi, d’une conjoncture à l’autre, la majorité culturelle peut se contracter, se dilater et se recomposer au gré des enjeux de l’heure et en fonction des stratégies du discours. Au Québec, si on s’en remet aux perceptions les plus courantes, on pourrait dire que la majorité culturelle regroupe dans son acception la plus étroite le segment le plus militant parmi les Francophones dits de « souche », ceux qui parlent au nom de ce que j’ai appelé ci-dessus la culture fondatrice[18]. Dans son acception la plus large, elle recouvre l’ensemble des Francophones de naissance et parfois même l’ensemble de la société hôte, lorsqu’on met par exemple en rapport des valeurs universelles partagées par tous les Québécois (égalité homme-femme, séparation de l’État et des Églises, etc.) avec les valeurs qu’on associe à certains immigrants. Dans ce dernier cas, la majorité culturelle exède donc la population ou la majorité francophone[19]. Ces précisions invitent à une grande vigilance dans l’analyse du débat public.

  3. Il arrive aussi que la « majorité » invoquée dans les débats et dont divers intervenants se font les porte-parole autoproclamés soit bien théorique, sinon imaginaire. Quoi qu’il en soit, on reste dans le paradigme de la dualité avec sa dichotomie majorité/minorités (et cela jusqu’à ce que le débat public lui-même se reconvertisse éventuellement pour s’inscrire dans un autre paradigme).

  4. Le sentiment de menace ou d’insécurité qu’éprouve la majorité face aux minorités doit toujours être considéré avec un oeil critique. On connaît trop d’exemples de majorités qui ont fait de leurs minorités un bouc émissaire parce qu’elles se croyaient impuissantes à agir sur les vraies causes de leurs infortunes. Pour les nations d’Occident présentement assaillies de divers côtés (les nombreuses incertitudes liées à la mondialisation, la montée d’un nouvel individualisme et l’érosion du lien social, l’endettement et l’affaiblissement des États, le vieillissement des populations, la précarité des emplois, etc.), il peut être tentant de détourner vers l’immigrant ou le minoritaire les effets d’un malaise qui tient d’abord à des bouleversements fondamentaux à l’échelle planétaire.

Dans le cadre québécois, le sentiment d’insécurité se nourrit aussi de la présence grandissante des immigrants et des minorités culturelles, très largement concentrée dans la région de Montréal. Ce sentiment me paraît fondé dans la mesure où il exprime la fragilité de la francophonie québécoise en Amérique, accentuée par la mondialisation et par l’incertaine francisation des immigrants. Il me semble fondé également dans la mesure où il affirme l’importance de sauvegarder des valeurs fondamentales comme l’égalité homme-femme et la séparation des Églises et de l’État. Enfin, il s’accentue du fait que la question nationale demeure non résolue, qu’elle semble même glisser vers une impasse. Cela dit, il s’y mêle incontestablement, chez quelques intervenants dans le débat public, un désir de consacrer formellement le statut prédominant de la culture fondatrice et de donner à cette préséance une consécration juridique. Les éléments (incontestables) de fragilité de la francophonie québécoise ne me semblent pas justifier une mesure aussi radicale qui instaurerait a priori un régime d’inégalité entre citoyens[20].

  1. On perçoit ici un risque potentiel associé au paradigme de la dualité. En reconnaissant l’existence et les intérêts légitimes d’une majorité, ce paradigme peut en venir non pas à atténuer, mais à exacerber le clivage Eux/Nous en ouvrant un espace pour les tendances dominatrices des groupes majoritaires, dont les expressions sont bien visibles dans l’histoire de l’Occident comme des autres continents (xénophobie, exclusion, discrimination, etc.). Pour cette raison, il importe au plus haut point d’inscrire dans le paradigme de la dualité une orientation fermement pluraliste et des mécanismes de correction, faute de quoi on risque de verser dans l’ethnicisme (empiètement sur les droits d’autrui au nom de motifs irrecevables)[21]. En résumé, l’interculturalisme reconnaît le statut de la majorité culturelle (sa légitimité, le droit de perpétuer ses traditions, ses valeurs, son héritage et le droit de se mobiliser pour assurer son développement) tout en l’encadrant afin de réduire les risques de débordements auxquels sont sujets toutes les majorités à l’égard de leurs minorités, comme l’histoire ancienne et récente nous l’enseigne.

B. Une dynamique d’interactions

Le deuxième attribut dont il faut faire état au titre de l’originalité de l’interculturalisme est que tout en préconisant le respect de la diversité, le modèle favorise les interactions, les échanges, les rapprochements et les initiatives intercommunautaires. Il privilégie donc la voie des négociations et des ajustements mutuels, mais dans le strict respect des valeurs fondamentales de la société d’accueil, inscrites dans les lois ou dans les textes constitutionnels, tout en tenant compte également des valeurs dites communes faisant partie d’une culture publique partagée. Un esprit de conciliation, d’équilibre et de réciprocité préside donc à la dynamique des interactions, laquelle se trouve au coeur de l’interculturalisme.

C. Les pratiques d’harmonisation : une responsabilité citoyenne

Tout cela fait appel à une véritable culture des interactions et des ajustements mutuels comme condition de l’intégration. C’est pourquoi l’interculturalisme étend à l’ensemble des citoyens la responsabilité des relations interculturelles dans la vie quotidienne, tout particulièrement la gestion des situations d’incompatibilité qui surviennent inévitablement au sein des institutions ou dans le cadre communautaire. Il revient à chaque citoyen placé en situation d’interculturalité de contribuer aux ajustements et aux accommodements mutuels. Les tribunaux conservent évidemment leur indispensable fonction, mais en dernier recours seulement, lorsque l’action citoyenne a échoué à résoudre les désaccords. Il s’ensuit aussi qu’au-delà des politiques de l’État, l’interculturalisme encourage à l’échelle microsociale les initiatives créatrices des individus et des groupes. Dans l’ensemble, on peut donc identifier quatre avenues d’action correspondant à autant de catégories d’acteurs : a) le système juridique ; b) l’État et ses ramifications ; c) les institutions et organisations civiles ; d) et les individus et les groupes dans leurs milieux de vie et de travail.

Une telle conception suppose toutefois l’existence d’une culture ou d’une éthique de l’échange et de la négociation, ce qui peut sembler idéaliste. Pourtant, et c’est là un constat important de la Commission que j’ai coprésidée, une telle culture existe déjà dans une grande partie de la population québécoise. Nous avons pu la voir en action dans la vie quotidienne des institutions (notamment dans la sphère de l’éducation et celle de la santé), tout comme au sein des centaines de groupes qui se sont formés depuis quelques années en régions comme en métropole pour oeuvrer à l’accueil et à l’intégration socioéconomique des immigrants. De nombreux conseils municipaux, même dans le monde rural, ont aussi mis en oeuvre des politiques pour attirer et intégrer les nouveaux venus. Toutefois, ces efforts doivent évidemment être prolongés et amplifiés avec le soutien de l’État qui doit veiller à mettre en place tout un réseau d’agents, de lieux et de canaux de communication qui encourage les rapprochements, la connaissance mutuelle et l’intégration.

D. Intégration et identité

À l’opposé des orientations dites communautaristes et par souci de contrer les risques de fragmentation ordinairement associés au multiculturalisme, l’interculturalisme vise une forte intégration des diverses traditions culturelles en présence. Une précision s’impose à ce sujet. En accord avec la conception sociologique la plus largement admise, la notion d’intégration désigne l’ensemble des mécanismes et processus d’articulation (ou d’insertion) grâce auxquels se constitue le lien social, cimenté par des fondements symboliques et fonctionnels. Ces mécanismes et processus engagent tous les citoyens (anciens et nouveaux), opèrent à diverses échelles (individuelle, communautaire, institutionnelle et étatique) et suivent plusieurs dimensions (économique, sociale, culturelle, etc.). Il va sans dire qu’au plan culturel proprement dit, le concept d’intégration est dépourvu de toute connotation assimilatrice. Néanmoins, dans le cours des controverses récentes en Europe, il en est venu parfois à acquérir une connotation de ce genre. Pour éviter toute confusion, on pourrait parler d’intégrationnisme pour désigner ces formes d’intégration non respectueuses de la diversité.

Dans cet esprit, l’interculturalisme préconise un type particulier de pluralisme que je qualifie d’intégrateur. C’est un troisième trait qui le caractérise. Une culture majoritaire qui se sent menacée par ses minorités éprouve le besoin soit de les assimiler (ce qui présage une sortie de la dualité), soit de les intégrer (c’est ce dernier parti que le Québec a jusqu’ici adopté). Elle craint instinctivement tout ce qui est fragmentation, ghettoïsation ou marginalisation. C’est encore plus vrai lorsque cette culture majoritaire est elle-même une minorité fragile à l’échelle continentale, comme c’est le cas de la francophonie québécoise. Voilà un impératif qui conditionne toute la réflexion sur l’approche de la réalité ethnoculturelle au Québec. Il fait voir l’importance qu’il faut attacher à l’intégration des minorités et des immigrants afin de renforcer la majorité francophone et d’assurer son avenir. Des mesures qui iraient à l’encontre de la diversité (comme celles qui sont actuellement proposées au titre d’une laïcité républicaine) tendraient à accroître le risque de marginalisation et de fragmentation, deux traits que l’on associe justement au multiculturalisme et qui motivent son rejet. L’idée centrale ici est que, la francophonie québécoise se trouvant présentement dans une situation très difficile, elle doit éviter de creuser en son sein des clivages durables ; elle doit plutôt s’employer à se faire des alliés dont elle a bien besoin parmi les immigrants et les minorités culturelles. Toute recherche d’un modèle général doit incorporer cette donnée fondamentale[22].

Par ailleurs, toujours dans le cadre québécois, on ne peut faire abstraction de plus de deux siècles de lutte pour la survie dans un contexte marqué par le poids défavorable du nombre, par un rapport de pouvoir inégal et par diverses tentatives d’assimilation de la part d’une autorité coloniale. La mémoire qui en a résulté est naturellement porteuse d’insécurité. Elle véhicule aussi un rappel constant à la vigilance. Les plaidoyers qui se font entendre présentement en faveur de l’identité québécoise francophone (et parfois à l’encontre des supposés « excès » du pluralisme) en sont une manifestation. Ils ne peuvent pas être ignorés.

L’interculturalisme plaide donc en faveur de l’intégration, ce qui permet de mieux voir la nécessité des interactions et des rapprochements. Ramenée à l’essentiel, l’argumentation est simple : le meilleur moyen de contrer le malaise qu’on peut éprouver devant l’étranger n’est pas de le garder à distance, mais de s’en rapprocher de façon à détruire les stéréotypes et à faciliter son insertion dans la société hôte. En d’autres mots, l’exclusion n’est pas seulement repréhensible sur un plan moral ou légal, elle l’est également d’un point de vue sociologique.

Toutefois, l’interculturalisme n’est pas un carcan. Il laisse à certains groupements ethno-religieux la faculté de se constituer en petites communautés qui, tout en respectant la loi, entretiennent des rapports plus distants avec la société. De plus, il laisse évidemment toute latitude aux personnes qui le désirent de se définir d’abord et avant tout comme citoyens québécois, reléguant ainsi à l’arrière-plan leur appartenance ou leur identification à leur groupe ou culture d’origine.

Sur un autre plan qui est souvent négligé, il va de soi que l’insertion économique et sociale doit aller de pair avec l’intégration culturelle. Elle en est même une condition première[23]. Ainsi, c’est par l’accès aux grands réseaux sociaux que peuvent se faire les interactions et la diffusion culturelle (valeurs, normes, etc.). Pour cette raison et pour d’autres qui relèvent de la justice sociale la plus élémentaire, il faut déplorer que les débats actuels sur l’intégration des immigrants n’accordent pas à cette dimension l’attention qu’elle mériterait. Au Québec comme ailleurs, l’accès à l’emploi est la sphère la plus susceptible d’être affectée par les pratiques discriminatoires. Une négligence prolongée de ce côté peut entraîner à long terme d’importants coûts sociaux, comme on a pu le voir récemment dans divers pays d’Europe.

E. Des éléments de préséance ad hoc à la culture majoritaire

L’intégration culturelle est le lieu d’une cinquième caractéristique qui mérite d’être commentée plus longuement. Tout en recherchant une articulation équitable entre continuité et diversité, l’interculturalisme invite à reconnaître certains éléments de préséance ad hoc (ou contextuelle) à la culture majoritaire. Je dis bien « ad hoc », car il est hors de question de formaliser ou d’ériger en règle générale de droit cette disposition, ce qui conduirait à créer deux classes de citoyens. En cela, l’interculturalisme se distingue de certains régimes républicains qui, directement ou non, sous prétexte d’universalisme, octroient une préséance systématique, a priori, à ce que j’appelle la culture majoritaire ou fondatrice. Pareille disposition, qui établit une hiérarchisation formelle, ouvre la porte à des abus de pouvoir. Cela dit, je crois qu’à la condition d’en circonscrire soigneusement la nature et l’étendue, le principe de la préséance ad hoc peut éviter les excès ethnicistes tout en accordant des avantages ou des protections à la culture majoritaire.

Ce principe me paraît se justifier de diverses façons. La première découle de ce que j’appelle l’argument identitaire. Afin de préserver l’héritage culturel et symbolique qui sert de fondement à son identité et qui contribue à assurer sa continuité, le groupe majoritaire peut légitimement revendiquer des éléments de préséance contextuelle fondés sur son ancienneté ou son histoire. Cette revendication, tel que mentionné déjà, est encore plus fondée lorsque la majorité culturelle est elle-même une minorité dans son environnement continental. Comme nous le verrons, il est toutefois difficile, dans l’abstrait, d’établir exactement la portée de ces éléments, celle-ci devant plutôt se préciser dans des situations concrètes qui relèvent toujours d’un débat démocratique et d’une négociation arbitrée par la Chartedes droits et libertés de la personne[24]. Il arrive cependant que, dans certaines conditions, des éléments de préséance puissent être érigés en droits ou en lois ; mais l’argumentation doit alors faire valoir des motifs supérieurs (pensons à la loi 101 sur la langue française au Québec[25], qui était nécessaire à la survie de la culture francophone et dont les objectifs ainsi que les dispositions principales ont été reconnus comme légitimes par la Cour suprême du Canada).

Quoi qu’il en soit, on constate qu’à des degrés divers, ces éléments de préséance s’affirment concrètement dans toutes les sociétés, même les plus libérales (ou les plus « civiques »), en vertu de forces difficilement répressibles. C’est un deuxième argument, d’ordre historique ou coutumier. De nombreux intellectuels, libéraux et autres, ont en effet démontré ou reconnu que la neutralité culturelle des États-Nations (ou plus exactement des majorités qui les contrôlent), souhaitée ou proclamée en principe, n’existe pas dans la réalité, certains auteurs soutenant qu’elle est impossible. Cette marge de non-neutralité est alors admise comme une sorte de fatalité. Pour d’autres, elle s’avère utile et même nécessaire. Par exemple, elle permet de consolider l’identité nationale considérée à la fois comme source de solidarité et comme fondement de la participation responsable des citoyens et de la justice sociale[26].

Sont visées ici certaines initiatives ou politiques visant à préserver la culture dite nationale, dont on sait qu’elle est en grande partie celle de la majorité. Ces initiatives ont pour effet de favoriser la religion de la majorité, sa langue, l’une ou l’autre de ses institutions ou traditions, cela au nom de l’ancienneté ou de la continuité[27]. J’inclus à ce qui précède la possibilité pour une culture majoritaire d’affirmer une sensibilité particulière à une ou quelques valeurs universelles parmi toutes celles auxquelles elle souscrit par ailleurs : on pense à l’égalité homme-femme au Québec, à la liberté individuelle aux États-Unis, à l’égalité raciale là où sévit la ségrégation, à la solidarité familiale dans les sociétés méditerraréennes, à l’égalité sociale dans les pays scandinaves, etc. C’est précisément dans cet esprit que le Rapport de la Commission Bouchard-Taylor énonce que : « [d]ans le secteur des soins de santé comme dans tous les services publics, cette valeur [d’égalité homme-femme] disqualifie, en principe, toutes les demandes [d’accommodement] ayant pour effet d’accorder à la femme un statut inférieur à celui de l’homme »[28].

En fait, sans qu’il ne fasse jamais l’objet d’une mise en forme théorique ou normative, le principe des éléments de préséance ad hoc occupe une place importante dans le fonctionnement des sociétés démocratiques. Les régimes de laïcité en fournissent un exemple éloquent. Au-delà des grands principes, valeurs, normes et droits qui les fondent, les systèmes de laïcité intègrent ordinairement de nombreux éléments contextuels et historiques ainsi que des choix politiques et sociaux propres à chaque société. On peut soutenir que tout régime de laïcité est un agencement de quatre principes ou valeurs constitutives, à savoir la liberté de croyance ou de conscience de chaque personne (ce qui inclut les visions du monde), l’égalité morale des citoyens, la séparation ou l’autonomie réciproque de l’État et de l’Église, et la neutralité de l’État en matière de croyances, de religions ou de visions du monde[29]. Mais à ces quatre composantes s’en ajoute une autre, à savoir les valeurs traditionnelles et les coutumes de la culture majoritaire. Peu formalisée, cette composante est néanmoins assez puissante pour bénéficier parfois d’une préséance sur les autres, ce qui survient notamment quand elle est en confrontation avec la neutralité de l’État et/ou la liberté morale des personnes. Par exemple, c’est au nom des valeurs traditionnelles (et plus précisément du « patrimoine historique ») qu’en mai 2008, l’Assemblée nationale du Québec s’est prononcée unanimement en faveur du maintien d’un crucifix au-dessus du siège du Président de l’Assemblée, et ce, en dépit de la règle de la neutralité religieuse de l’État et de la règle de séparation de la religion et de l’État[30].

D’une certaine façon, il y a peu de neuf dans ma proposition. Ce que j’ajoute, c’est une volonté de prendre acte de ces formes de préséance ad hoc et de les considérer de front pour arriver à en clarifier à la fois le statut, la portée et les limites plutôt que de les repousser en marge comme s’ils étaient accidentels ou accessoires. Ce deuxième argument table donc principalement sur le fait d’une pratique instituée, généralisée et inévitable, utile même, sinon nécessaire, dans les sociétés les plus démocratiques.

Dans une perspective générale, et c’est le troisième argument, cette pratique peut être considérée comme une sorte d’accommodement que les minorités reconnaissent aux majorités, mais qui demeure soumise au débat. Nous sommes bien ici dans l’esprit de l’interculturalisme qui préconise une logique d’harmonisation au moyen d’ajustements mutuels, selon un principe de réciprocité. Sous ce rapport, une leçon importante se dégage de l’expérience québécoise récente. La principale critique formulée contre le Rapport de la Commission Bouchard-Taylor est venue du côté de la majorité francophone. Dans l’esprit de plusieurs, le Rapport accordait beaucoup aux minorités et aux immigrants, mais très peu à la majorité ; on rappelait avec force qu’étant elle aussi une minorité, la francophonie québécoise a également besoin de protections, d’où la nécessité d’un équilibre. Or, les éléments de préséance ad hoc s’inscrivent précisément dans cet esprit.

Un quatrième argument, qui mériterait un examen approfondi, est de nature juridique. De tout temps, le droit reconnaît une valeur à l’antécédence. On pense au droit d’aînesse (primogéniture) et à toutes les formes d’avantages conférés en vertu de l’ancienneté. L’exemple le plus éloquent, à cet égard, demeure les droits ancestraux reconnus aux populations autochtones à titre de premiers occupants. Sur quels fondements et dans quelle mesure cette logique peut-elle être transposée dans le domaine des rapports interculturels comme fondement d’une préséance ad hoc en faveur des majorités fondatrices ? Il faut de toute évidence se garder ici de s’adonner à des extrapolations faciles et abusives (la situation de la francophonie québécoise n’est évidemment pas celle des cultures autochtones). Le fait mérite cependant notre attention, ne serait-ce que pour formuler les nuances qui s’imposent.

Un cinquième argument tient à la diversité des cultures et des identités à l’échelle planétaire, célébrée par l’UNESCO comme une source d’innovation et de créativité, au même titre que la biodiversité. On sait que cet organisme en a fait en novembre 2001 une grande priorité, son initiative recevant l’appui de 185 États[31]. Mais si l’on s’accorde sur la nécessité de préserver la pluralité culturelle à cette échelle, les groupes majoritaires au sein des États-Nations, en tant que soutiens principaux des cultures nationales, ne se voient-ils pas investis d’une légitimité, sinon d’une responsabilité spécifique dans la lutte contre les puissants courants d’uniformisation portés par la mondialisation ?

Le critère de la préséance contextuelle se justifie d’une sixième façon, cette fois du point de vue de la sociologie. Comme je l’ai indiqué plus haut, toute société a besoin d’un fondement symbolique (identité, mémoire, etc.) pour assurer son équilibre, sa reproduction et son développement, le droit à lui seul (ou les données dites civiques) ne suffisant pas à remplir cette fonction. En particulier dans un contexte de tensions, de changements ou de crises, seule l’existence de repères largement partagés, c’est-à-dire d’une culture ou d’une identité, rend possibles les éléments d’appartenance et de solidarité qui sont à la base de toute forme de mobilisation collective pour la poursuite du bien commun. Or, ce dernier réside au premier chef dans la lutte contre les inégalités, là précisément où l’idéal de l’individualisme libéral accuse peut-être sa plus grande faiblesse.

Toutes ces conditions nécessitent une continuité qui est assurée en très grande partie par la culture majoritaire et les valeurs forgées dans son histoire[32]. Par ailleurs, il ne s’agit pas uniquement de cohésion sociale. Pour qu’une société ait prise sur son présent et son avenir, elle doit se donner des orientations et des idéaux qui tiennent à la fois de l’héritage et du projet. Si le second volet est la responsabilité de l’ensemble des citoyens, le premier s’inscrit principalement dans le parcours de la majorité fondatrice.

Un dernier argument, d’ordre pragmatique celui-là, plaide en faveur de cette thèse. L’histoire ancienne et récente nous a appris à craindre les minorités lorsqu’elles sont terrorisées ou fanatisées de quelque façon. Mais elle nous a aussi appris à craindre tout autant (et peut-être davantage) les majorités culturelles qui donnent dans des comportements agressifs lorsqu’elles se trouvent profondément humiliées, injustement traitées et victimisées. La sagesse invite à tenir compte de cette donnée. Le principe des éléments de préséance ad hoc est justement de nature à atténuer chez certaines majorités une angoisse qui peut aisément se transformer en hostilité, en particulier quand elle est exploitée par des acteurs sociaux ou politiques qui y trouvent un profit quelconque. Par contre, ce principe déplaira peut-être aux tenants d’un juridisme ou d’un libéralisme absolu. C’est le lieu de rappeler qu’à viser la société parfaite, on sème parfois les germes du contraire.

Pour conclure sur ce point, ce serait une erreur que de tenir a priori toute culture majoritaire pour menaçante ou malfaisante. Certaines ont un remarquable passé d’ouverture et de générosité envers les minorités ; d’autres, malgré des circonstances difficiles, ont su élaborer et maintenir une orientation libérale. Il arrive souvent aussi que les cultures dominantes soient le bon relais pour faire avancer la démocratie et les droits de la personne[33]. Le Québec des années 1960 et 1970 en est un exemple éloquent : cette période a été marquée à la fois par un néonationalisme intense au sein de la majorité francophone et une avancée spectaculaire des valeurs libérales culminant dans l’adoption, en 1975, de la Charte des droits et libertés. L’Europe du dix-neuvième siècle montre aussi divers exemples de majorités nationales qui ont fait prévaloir les valeurs démocratiques et libérales.

Encore une fois, l’argumentation qui précède égratigne peut-être, aux yeux de certains, le principe de l’égalité formelle des droits entre individus, groupes et cultures. À sa défense, on dira qu’elle ne fait que refléter et s’accorder avec un état de fait universel, à savoir l’impossible neutralité culturelle des États-Nations. De même, elle nous éloigne quelque peu de la vision idéale et très abstraite de la société comme étant formée d’un ensemble de citoyens parfaitement autonomes, rationnels et auto-construits. Toutefois, elle nous rapproche de la réalité complexe, mouvante, omniprésente et imprévisible des dynamiques identitaires et des aléas de la vie politique. La thèse des éléments de préséance contextuelle procède donc d’une vision plus sociologique et plus réaliste du libéralisme.

Ce serait une grave erreur que de sous-estimer le poids ou de nier la légitimité des identités collectives. Avec raison, on les dit souvent arbitrairement construites, parfois même inventées, mais cela ne les empêche pas d’être vécues comme profondément authentiques par une grande majorité d’individus qui y trouvent un sens et des repères fondamentaux. Du coup, elles acquièrent une substance qui les soustrait au procès de l’arbitraire ou de l’artificiel. Largement commandées par l’émotion, elles sont donc peu sympathiques aux esprits trop rationalistes. Et pourtant, tout comme les mythes[34] dont elles se nourrissent, elles relèvent d’un mécanisme universel qui traverse l’histoire de toutes les sociétés et pèse fortement sur l’orientation de leur parcours. Imprévisibles et irrépressibles, elles peuvent s’investir dans les causes les plus nobles comme les plus viles ; la responsabilité en incombe aux acteurs sociaux qui exercent à cet égard une responsabilité éminente. En tout état de cause, elles remplissent des fonctions essentielles d’unification, de sécurisation, de stabilisation et de mobilisation.

Sous ce rapport, les démocraties ont peut-être une importante leçon à apprendre de ce qui s’est passé en Russie après la chute de l’URSS. En gros, dans ce contexte de transition, les élites libérales ont cherché à instaurer de nouvelles valeurs et imprimer une nouvelle direction à leur société. Cependant, par négligence ou par souci de rationalisme, elles ont failli à remodeler en conséquence l’identitaire russe, en d’autres mots, à inscrire leurs idéaux dans une identité ou dans des mythes nationaux. À la faveur de diverses circonstances, ce sont les anciens mythes et les anciennes valeurs issues de la tradition russe, peu sensible à la démocratie et à la liberté, qui ont prévalu, contribuant à mettre en échec le programme libéral. Il en a résulté le régime que l’on connaît : une gouvernance rude qui fait bon marché des droits de la personne[35]. En d’autres mots, la promotion du pluralisme intégrateur et de l’interculturalisme doit nécessairement prendre en compte la part d’émotion, de non-rationnel qui imprègne toute société, et plus précisément les puissants mythes[36] qui soutiennent toutes les identités collectives et nationales. On tient peut-être ici un facteur important (parmi d’autres) dans l’explication du ressac observé récemment à travers le monde à l’égard du pluralisme.

Ce serait certes manquer de sagesse que de ne pas cultiver une méfiance à l’endroit des dynamiques identitaires qui fondent parfois les « tyrannies de la majorité », mais ce serait une erreur tout aussi grave que d’en ignorer les fonctions utiles ou de les condamner a priori. Tout cela plaide en faveur d’un effort de conjugaison ou d’intégration de l’identitaire et du pluralisme. Or cette alliance est possible, comme l’a montré le Québec au cours des dernières décennies : il n’y a pas d’incompatibilité intrinsèque entre la continuité et le développement des cultures majoritaires (ou des cultures nationales) et le droit.

Dans le débat québécois sur les relations ethnoculturelles au cours des dernières années, divers interlocuteurs se sont employés à établir une telle polarisation dans le but de discréditer le pluralisme. Selon la vision qu’ils tentent d’accréditer, il y aurait d’un côté les défenseurs de la majorité et, de l’autre, les défenseurs des droits des minorités, insouciants des problèmes que vit la majorité. Cette opposition néfaste n’est pas fondée et il faut la récuser. Dans l’esprit de l’interculturalisme, les deux impératifs ne sont pas concurrents mais conjoints : il faut répéter que ce modèle n’opère pas que dans l’intérêt des minorités ou des immigrants, qu’il doit aussi prendre en compte l’intérêt de la majorité, dont le désir d’affirmation et de développement est parfaitement légitime.

Cela dit, on comprend que le critère de la préséance ad hoc doit être balisé. Dans le cas contraire, il risque tout simplement de mettre en échec la pratique des accommodements dont l’un des buts, tel qu’indiqué ci-dessus, est de protéger les minorités contre les débordements, souvent involontaires ou inconscients, de la majorité[37]. Il y a donc ici aussi des équilibres délicats à négocier avec prudence et modération. À cet égard, rappelons que d’importantes responsabilités incombent à tout groupe majoritaire, du fait qu’il contrôle largement les institutions de la société d’accueil. Il lui faut adhérer au principe général des droits égaux à tous les citoyens (anciens et nouveaux) et combattre toute forme de discrimination. Par le biais des institutions qu’il domine, il a aussi le devoir de faciliter aux nouveaux venus et aux groupes minoritaires l’intégration à la société. Sauf circonstances exceptionnelles, la préséance contextuelle doit donc s’exercer dans les limites des droits fondamentaux. Si elle devait aller au-delà, cette extension devrait être proportionnelle aux dimensions de la menace ou du péril encouru par la majorité culturelle, à défaut de quoi on verserait dans l’ethnicisme.

Il est requis des groupes minoritaires de s’adapter à la société d’accueil, d’adhérer à ses valeurs fondamentales et de respecter ses institutions, mais en vertu de la double obligation qui vient d’être évoquée, le groupe majoritaire se doit parfois lui aussi d’amender certaines de ses façons de faire. C’est pourquoi il lui incombe de promouvoir d’une manière raisonnée les pratiques d’accommodement ou d’ajustement concerté : a) comme mécanisme d’harmonisation interculturelle qui prévient ou dénoue les tensions ; b) comme mesure d’assouplissement qui favorise l’intégration des immigrants et réduit les risques de fragmentation ; et c) comme outil de protection contre les formes de discrimination qui sont souvent le fait des majorités. Contrairement à une perception courante, ces ajustements ne sont pas des privilèges ; ce sont des dispositions à la fois utiles (en faveur de l’intégration) et nécessaires (pour le respect des droits, notamment l’égalité et la dignité). Il est bien entendu, par ailleurs, que leur usage doit être soumis à des balises strictes qui évitent de glisser dans le laisser-faire et de compromettre les valeurs essentielles d’une société[38].

Enfin, là aussi, la règle de réciprocité s’applique. Par exemple, le Rapport de la Commission Bouchard-Taylor établit clairement que « [l]es demandeurs qui font preuve d’intransigeance, refusent la négociation et vont à l’encontre de la règle de la réciprocité compromettent lourdement leur démarche »[39]. Les tribunaux adoptent la même règle dans l’examen des demandes d’accommodement.

Comme on le devine, il est difficile de fixer précisément dans l’abstrait la limite du critère de préséance ad hoc et les modalités de son application. Mais n’en va-t-il pas ainsi avec plusieurs valeurs et droits fondamentaux, ce qui fonde précisément la nécessité de promouvoir une culture des interactions, de la négociation et du débat ? Dans ce contexte, et pour les fins de la présente réflexion, il peut être utile de s’en remettre à des exemples. À titre illustratif, en voici quelques-uns relatifs aux contextes québécois et canadien. Certains, comme on le verra, sont plutôt superficiels, d’autres rejoignent des enjeux essentiels, mais chacun illustre une facette de la préséance contextuelle.

Peuvent être, selon moi, considérés comme légitimes en vertu du critère de la préséance ad hoc :

  1. l’institution du français comme langue publique commune ;

  2. une place prédominante accordée à l’enseignement du passé francophone dans les cours d’histoire ; en d’autres mots : une mémoire nationale inclusive mais qui octroie une prépondérance à la trame majoritaire ;

  3. la place prioritaire qui est actuellement accordée à la présentation des religions chrétiennes dans le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse ;

  4. les sépultures nationales de chefs d’État dans une église catholique ;

  5. le maintien de la croix sur le drapeau du Québec (qui a déjà fait l’objet de contestations[40]) ;

  6. l’installation de décorations de Noël sur les places ou dans les édifices publics ; et

  7. la sonnerie quotidienne des cloches des églises catholiques à divers moments de la journée[41].

Par contre, je considère les cas suivants comme une extension excessive du principe de la préséance ad hoc :

  1. le maintien du crucifix sur le mur de l’Assemblée nationale, dans les salles d’audience des tribunaux ou dans les établissements de santé ;

  2. la récitation de prières aux réunions de conseils municipaux ;

  3. le financement de postes d’aumôniers ou d’animateurs de pastorale catholiques dans des hôpitaux publics, à même les deniers de l’État et à l’exclusion d’autres religions[42] ;

  4. l’interdiction générale du port de signes religieux chez tous les employés des secteurs public et parapublics ;

  5. la référence à la suprématie de Dieu dans le préambule de la Chartecanadienne des droits et libertés[43] ;

  6. l’inclusion dans une charte d’articles ou de clauses établissant une hiérarchie formelle entre la majorité culturelle et les minorités ; et

  7. l’interdiction du port de la burqa dans les rues et places publiques (sauf pour motif de sécurité ou autres motifs graves).

F. Une culture commune

Un sixième attribut de l’interculturalisme, qui découle des précédents est l’idée qu’au-delà et à partir de la diversité ethnoculturelle, les éléments d’une culture commune (ou d’une culture nationale) en viennent à prendre forme, donnant ainsi naissance à une appartenance et à une identité spécifiques qui s’ajoutent et se greffent de quelque façon aux appartenances et aux identités premières[44]. C’est là une conséquence logique et prévisible à la fois de l’objectif d’insertion et de la dynamique des interactions qui sont au coeur de l’interculturalisme. À la longue, autant la culture majoritaire que les cultures minoritaires s’en trouvent modifiées à divers degrés[45]. Tel qu’indiqué précédemment, il est aussi inévitable que, dans ce jeu continu d’échanges ou de transactions informelles dans le cadre quotidien, l’impact de la culture majoritaire sera proportionnel à son poids démographique et sociologique, lui donnant ainsi un avantage de facto pour assurer sa continuité. Par contre, l’horizon d’une culture commune en formation, véritablement « pan-québécoise », garantit aux minorités culturelles et aux nouveaux venus l’assurance d’une pleine citoyenneté et les prémunit contre l’exclusion. Cet horizon offre aussi aux membres des minorités culturelles une voie de sortie de ce qu’ils pourraient percevoir comme un enfermement dans des ghettos ethniques.

En d’autres mots, on pourrait dire que l’évolution de la culture québécoise est d’ores et déjà le fait de trois trames qui s’entremêlent d’une manière très fine et très complexe, en fonction de leur poids sociologique et de leur dynamisme : la culture de la majorité fondatrice, celle des immigrants et des minorités, et celle qui résulte des interactions et du mélange de l’une et de l’autre. Il serait certes bien difficile de démêler la part de chacune, mais à quoi cela servirait-il au juste ?

G. Une quête d’équilibres et de médiations

Fondamentalement, l’interculturalisme est une recherche d’équilibre et de médiations entre des principes, des valeurs et des attentes souvent concurrentes. En ce sens, il est une tentative permanente visant à articuler majorité et minorités, continuité et diversité, identité et droits, rappels du passé et visions d’avenir. Il invite, à tous les paliers de la vie collective, à inventer de nouvelles façons de coexister au sein et au-delà des différences.

Enfin, notons que la dichotomie majorité/minorités n’est pas immuable. Par le fait de la dynamique prolongée des interactions, il n’est pas exclu qu’elle se dissolve un jour. On imagine alors deux possibilités : soit que ses deux grandes composantes en viennent à se fondre complètement, soit que l’une d’entre elles disparaisse. Dans un scénario comme dans l’autre, on sortirait à la fois du modèle interculturaliste et du paradigme de la dualité. Dans le cas du Québec, cependant, cette éventualité reste plutôt théorique. Il faudrait en effet que l’immigration, qui tend à renouveler la dualité, diminue substantiellement et que les minorités culturelles (ou la majorité elle-même) renoncent à se perpétuer. C’est là une conséquence et en même temps un paradoxe de l’orientation pluraliste au sein du paradigme de la dualité : dans la mesure où cette orientation préconise le respect de la diversité, elle tend à atténuer le rapport Eux/Nous et à désamorcer la tension qui le nourrit, mais en même temps, elle contribue aussi, au moins indirectement, à perpétuer la dualité.

Quoi qu’il en soit, ces scénarios demeurent imprévisibles et quelque peu arbitraires pour une autre raison. En définitive, et tel qu’indiqué ci-dessus, les paradigmes et les modèles sont aussi une affaire de choix. Il n’y a donc pas de correspondance assurée entre la façon dont évolue la réalité ethnoculturelle d’une nation et la forme ou les voies qu’emprunte le discours public.

Les paragraphes qui précèdent soulèvent la question des valeurs communes qui font déjà l’objet d’un très large consensus (ou sont en voie d’y parvenir) et de leur nécessaire protection au plan juridique. À cet égard, on sait qu’au cours des dernières années, certains jugements de la Cour suprême du Canada ont soulevé de vives protestations au Québec. Une clarification s’impose à ce sujet. Si on en venait au point où, par ses jugements, la Cour suprême, d’une façon répétée et systématique, contredisait et mettait en péril les valeurs fondamentales et consensuelles du Québec, comme l’égalité homme-femme, la langue française ou la séparation institutionnelle de l’État et de l’Église, le Québec serait alors pleinement justifié de résister à ces jugements, soit en recourant à la clause dérogatoire de la Constitution canadienne[46], soit par d’autres moyens juridiques et politiques. 

IV. Interculturalisme et multiculturalisme

J’ouvre une parenthèse pour situer l’interculturalisme québécois par rapport au multiculturalisme canadien. Je rappelle d’abord que, pour des raisons politiques, tous les gouvernements québécois (fédéralistes ou non) ont rejeté le multiculturalisme depuis son adoption par le gouvernement fédéral en 1971. Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, les Francophones québécois ont lutté pour faire prévaloir une définition du Canada comme étant formé de deux nations (anglophone et francophone). Cette vision du pays a toutefois été condamnée par l’introduction du multiculturalisme qui faisait désormais des Francophones québécois un simple groupe ethnique parmi plusieurs autres à l’échelle canadienne. En ce sens, le multiculturalisme a affaibli le Québec et, pour cette raison, il fait l’objet d’une vive opposition au sein de la population francophone.

Sur un plan plus sociologique ou théorique, les chercheurs sont souvent interpellés pour expliquer la différence entre ces deux modèles. Pour diverses raisons, cette question ne s’accommode pas de réponse simple. L’une d’entre elles tient au fait que le multiculturalisme canadien a beaucoup évolué depuis son introduction en 1971. C’est une donnée importante dont on ne tient pas toujours assez compte. Dans les années 1970, par exemple, la préservation et même la promotion de la diversité des langues et des cultures étaient un élément central du modèle canadien. À partir des années 1980, la dimension sociale (lutte contre les inégalités et l’exclusion) s’est imposée, en même temps que la dimension juridique exprimée notamment dans la lutte contre la discrimination. Avec la décennie 1990 et au cours des années 2000 est apparue une préoccupation croissante pour la cohésion sociale, pour l’intégration et les valeurs communes, pour la formation (ou la consolidation) d’une appartenance et d’une identité canadiennes. Plus récemment encore, le modèle a fait plus de place aux notions d’interactions, d’échanges interculturels, de valeurs canadiennes et de participation[47].

On constate donc avec intérêt que, ce faisant, le multiculturalisme canadien s’est rapproché peu à peu de l’interculturalisme québécois et c’est là l’origine d’une confusion persistante au Québec. En effet, un certain nombre d’intervenants dans les débats publics affirment la similitude des deux modèles, mais pour des raisons opposées. Les uns, au nom du nationalisme québécois, veulent disqualifier l’interculturalisme en l’assimilant au multiculturalisme canadien et en lui prêtant les travers généralement imputés à ce dernier modèle (fragmentation, relativisme, etc.), alors qu’en vérité, c’est contre le pluralisme qu’ils en ont. Les autres, ordinairement dans une perspective canadienne ou fédéraliste, nient les différences importantes qui persistent entre les deux modèles en soutenant que l’interculturalisme n’est qu’une variante du multiculturalisme canadien.

Il me semble toutefois que les deux modèles demeurent bien différents, et ce, pour les raisons suivantes :

  1. L’élément le plus déterminant et le plus évident est que l’interculturalisme prend pour objet la nation québécoise, dont l’existence a été officiellement reconnue par le gouvernement fédéral lui-même (en vertu d’une motion adoptée par la Chambre des communes le 27 novembre 2006[48]).

  2. Les deux modèles s’inscrivent dans des paradigmes opposés. Le gouvernement fédéral adhère toujours à l’idée qu’il n’y a pas de culture majoritaire au Canada, que c’est la diversité qui caractérise fondamentalement ce pays et que cette notion doit commander toute la réflexion sur la réalité ethnoculturelle[49]. Le Québec, quant à lui, continue d’adhérer au paradigme de la dualité en mettant l’accent sur l’articulation majorité/minorités. Ce choix s’accorde avec le statut minoritaire de cette francophonie sur le continent nord-américain et les inquiétudes qui l’accompagnent inévitablement. Le facteur déterminant, sur ce point est qu’il y a bel et bien au sein de la nation québécoise une culture majoritaire dont la fragilité est un attribut permanent. Il en découle une conception spécifique de la nation, de l’identité et de l’appartenance nationales. La notion de minorités, notamment, y acquiert un relief particulier.

  3. Parce qu’ils constituent eux-mêmes une minorité les Francophones québécois craignent instinctivement les formes de fragmentation socioculturelle, de marginalisation ou de ghettoïsation, d’où l’accent particulier que met l’interculturalisme sur l’intégration, à savoir les interactions, le rapprochement entre cultures, le développement d’un sentiment d’appartenance et l’émergence d’une culture commune. Traditionnellement, le multiculturalisme ne cultive pas au même degré une telle préoccupation ; il met donc davantage l’accent sur la valorisation et la promotion des groupes « ethniques ».

  4. Dans le prolongement de ce qui précède, on voit qu’une forte dimension collective (unité, interaction, intégration et culture commune) imprègne l’interculturalisme, ce qui l’éloigne de l’individualisme libéral qui est au fondement du multiculturalisme[50].

  5. Un autre caractère distinctif vient du fait que le multiculturalisme canadien a peu à dire au chapitre de la protection de la langue. C’est qu’inévitablement, pour des raisons de survie, les immigrants au Canada anglais voudront toujours, tôt ou tard, apprendre la langue du continent. Il en va bien différemment avec le français au Québec, toujours en lutte et à la recherche de protections. Cette inquiétude prend évidemment sa source dans une motivation culturelle, mais aussi dans le fait que la langue est un facteur important d’insertion sociale et de cohésion collective. En regard, le multiculturalisme ne prend pas en compte cette inquiétude entourant l’existence d’une langue commune, l’anglais n’y étant aucunement menacé.

  6. D’une façon plus générale, tout ce qui est octroyé aux immigrants ou aux minorités en termes de droits et d’accommodements dans les nations d’Occident s’accompagne d’une préoccupation pour les valeurs et même pour l’avenir de la culture majoritaire. On comprendra que ce genre d’antinomie est ressenti encore plus vivement dans les petites nations inquiètes de leur survie, où le respect de la diversité prend une tout autre dimension. En d’autres mots, les enjeux découlant de la pratique du pluralisme y sont d’une portée et y suscitent une tension que ne connaissent pas les nations plus puissantes, fermement établies et se définissant en référence à la diversité. C’est une contrainte qui imprègne inévitablement l’esprit de l’interculturalisme.

  7. Un autre élément de différenciation tient à la mémoire collective. À cause des combats que les Francophones d’ici ont dû mener au cours de leur histoire, une mémoire intense de la petite nation combattante s’est naturellement constituée. Pour de nombreux Francophones, cette mémoire est porteuse d’un message fort qui crée le sentiment d’une fidélité, sinon d’un devoir pour les générations présentes et futures. La référence à ce passé est au coeur de l’imaginaire francophone, ce qui fait naître une autre source de tension : dans un contexte marqué par la présence croissante des immigrants et des minorités, comment enseigner cette mémoire de la majorité sans la diluer de son contenu symbolique, tout en faisant droit à la mémoire des minorité[51] ? On voit que ce genre d’interrogation n’a pas la même résonnance dans une perspective multiculturaliste où la problématique de la culture majoritaire est tout simplement absente.

  8. Les éléments de spécificité qui viennent d’être signalés se traduisent concrètement de diverses façons, notamment dans les modes d’application du principe de la reconnaissance et dans la gestion des accommodements. Dans ce dernier cas, par exemple, on s’attend à ce que l’examen des demandes d’accommodement au Québec accorde un poids important au critère de l’intégration ; une demande aura donc plus de chance d’être agréée si elle va dans ce sens. Ainsi, permettre le port du hidjab en classe encourage les élèves musulmanes à continuer à fréquenter l’école publique et à s’ouvrir plus aisément aux valeurs de la société québécoise. Il en va de même avec l’autorisation de menus distincts dans les cafétérias d’établissements scolaires, une politique flexible pour certaines activités pédagogiques qui ne porte pas atteinte à la Loi sur l’instruction publique[52], etc.

  9. Dans l’ensemble, l’interculturalisme, comme on le voit, se montre très sensible aux problèmes et aux besoins de la culture majoritaire, ce que le multiculturalisme ne peut faire, encore une fois parce qu’il ne reconnaît pas l’existence d’une telle culture.

Ces remarques font ressortir une vision contrastée des deux modèles. Néanmoins, si l’on compare les politiques effectivement mises en oeuvre depuis quelques décennies par les gouvernements canadien et québécois en matière de relations interethniques, on observe de nombreuses similitudes[53]. Comment expliquer ce paradoxe ? Hormis l’évolution déjà signalée du multiculturalisme en direction de l’interculturalisme, je crois que ces ressemblances sont dues en partie au fait que les deux modèles partagent l’orientation pluraliste. Bien plus encore, elles découlent du fait que les gouvernements québécois n’ont pas suffisamment aligné leurs politiques sur le modèle interculturaliste, un écart s’étant creusé entre l’orientation officiellement professée et les programmes mis en oeuvre. Un effort beaucoup plus important devra être fait sur ce point. Il presse en effet de concevoir des projets et des politiques qui donnent vraiment corps à l’esprit et aux finalités de l’interculturalisme. Il importe aussi de mobiliser à cette fin toute la société québécoise : non seulement l’État, mais aussi les institutions parapubliques et privées, le milieu des affaires, les centrales syndicales, les médias, les individus et les groupes de pression.

À titre d’exemple parmi bien d’autres mesures que l’État pourrait mettre en oeuvre, pourquoi ne pas donner à l’interculturalisme une reconnaissance officielle équivalente à celle dont le multiculturalisme a bénéficié au Canada ? En vertu de l’article 27 de la Charte canadienne, le multiculturalisme jouit du statut de clause interprétative. Pourquoi ne pas en faire autant avec l’interculturalisme dans la Charte québécoise ?[54]

Conclusion : Un avenir pour l’interculturalisme et pour la francophonie québécoise

En conclusion, ajoutons que, comme toutes les démocraties du monde présentement interpellées sinon ébranlées dans leurs fondements culturels, le Québec est confronté à un dilemme qu’il ne pourra surmonter qu’au prix de débats, de négociations et de formules novatrices dans les modalités d’intégration. C’est le coeur même du modèle ici proposé : la recherche de solutions négociées et d’équilibres à établir entre des principes ou normes concurrentes, grâce aux initiatives concertées de nombreux acteurs de la majorité et des minorités.

On aura compris que l’interculturalisme préconise une dynamique complexe faite d’interactions, de continuité et de changements, constamment négociée et renégociée à tous les échelons de la société, dans le respect des valeurs fondamentales et dans un esprit qui pourrait se résumer dans une maxime : fermeté sur les principes, souplesse dans les modalités d’application. Ça me semble être la recette la plus propre à favoriser l’intégration. Dans le cadre québécois, je soutiens donc qu’il faut écarter les solutions radicales, celles qui, par exemple, conduisent à bannir totalement le port de signes religieux dans les institutions publiques. Il me semble que les modèles de type républicain, à la française ou à la turque, ne s’accordent pas avec le contexte québécois[55] et ne conviennent pas aux finalités et à la philosophie de l’interculturalisme. La prohibition intégrale, qui entraîne la violation d’un droit fondamental, ne paraît justifiée, du moins présentement, par aucun des argumentaires présentés en sa faveur, soit parce que le principe est erroné, soit parce qu’ils reposent sur des suppositions ou hypothèses non attestées empiriquement : accroc à la séparation institutionnelle de l’État et de l’Église[56], complot islamiste ou intégriste, menace terroriste imminente, partialité des agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions, symboles d’oppression de la femme (ce qui se vérifie certes dans plusieurs cas, mais la généralisation n’est certes pas fondée[57]), etc.

Dans l’esprit de l’interculturalisme, il faut plutôt s’appliquer à reconnaître la diversité des situations pour y apporter une diversité de solutions à l’intérieur d’un cadre normatif clair. On est ainsi amené à constater que, dans certains cas, on doit recourir à l’interdiction, par exemple dans le cas des agents qui incarnent au premier chef la neutralité de l’État et son autonomie par rapport à la religion, dans le cas des agents dotés d’un pouvoir de coercition et dans le cas de la burqa ou du niqab qui doivent être bannis dans les emplois de l’État et même dans l’espace public s’il est démontré qu’ils posent un problème de sécurité, etc[58].

L’interculturalisme repose sur un pari qui est celui de la démocratie, à savoir la capacité de réaliser des consensus sur des formules de coexistence pacifique qui préservent les valeurs fondamentales et ménagent un avenir pour tous les citoyens, indépendamment de leurs origines et de leurs allégeances. Cette option n’est certes pas la plus facile. En ce qui concerne la culture majoritaire, le plus simple consisterait à vouloir protéger la vieille identité francophone au point de l’isoler, de la figer et donc de l’appauvrir, ce qui serait une autre façon de la mettre en péril. Le parti le plus prometteur, mais aussi le plus difficile, c’est celui qui offre un horizon élargi à cette identité et aux valeurs qui la nourrissent en les partageant avec les immigrants et avec les groupes minoritaires. Ce dernier parti, contrairement à ce qu’on en dit parfois, c’est celui non pas de l’effacement ou du renoncement de soi, mais d’une véritable affirmation. C’est celui de l’agrandissement et de l’enrichissement de l’héritage. Il comporte aussi le précieux avantage de proposer un avenir mobilisateur pour tous les citoyens du Québec.

Enfin, il faut le redire, il s’accorde pleinement avec les nouveaux paramètres de la francophonie québécoise, définitivement engagée dans le freinage démographique, dans la diversification issue de l’immigration et dans la mondialisation. Minoritaire, cette francophonie n’a pas les moyens de s’affaiblir en creusant des clivages durables au sein de la nation. Elle a besoin de toutes ses forces ; son avenir passe par une intégration respectueuse de la diversité.

Pour ce qui est du Québec, l’essentiel est de s’en remettre à une formule qui préserve les acquis de cette nation, dans toute leur richesse, tout en étendant la sphère dans laquelle ils peuvent se déployer ou se redéployer. Jusqu’à preuve du contraire, l’interculturalisme s’annonce comme le modèle le plus apte à conjuguer efficacement ces impératifs. Je crois avoir montré, en particulier, que de diverses façons, il peut assurer un avenir aussi bien à la majorité qu’aux minorités. On a donc tort de prétendre que l’interculturalisme (ou le pluralisme intégrateur) force la culture majoritaire à « renoncer » à elle-même (c’est-à-dire à sa mémoire, à son identité et à ses aspirations) et la prive des moyens de s’affirmer[59].

Cette brève présentation du modèle a fait une large place aux spécificités québécoises et, plus particulièrement, au double statut à la fois minoritaire et majoritaire de cette francophonie. Elle a aussi mis en relief les capacités de transposition et d’expansion de l’interculturalisme à toutes les nations, occidentales et autres, qui ont choisi d’inscrire dans le paradigme de la dualité leur réflexion sur la diversité et l’intégration. On en verra une preuve dans les résultats d’une large consultation effectuée en 2006-2007 par le Conseil de l’Europe auprès de ses quarante-sept États membres (à la suite du Sommet de Varsovie en 2005)[60]. Ces derniers étaient interrogés sur le meilleur modèle à promouvoir en matière de relations interethniques. Tous ces pays en sont arrivés à un consensus en trois points : a) le rejet du multiculturalisme, associé à la fragmentation et perçu comme nuisible à la cohésion sociale ; b) le rejet de l’assimilation, à cause de la violation des droits individuels auquel il conduit ; et c) le choix de l’interculturalisme comme voie médiane, comme modèle d’équilibre et d’équité. La consultation faisait également ressortir que ce modèle retenait ce qu’il y a de meilleur dans le multiculturalisme (la sensibilité à la diversité) et dans le républicanisme (la sensibilité à l’universalité des droits)[61].

L’interculturalisme ouvre donc un horizon très large de réflexion et d’action, en même temps qu’il offre au Québec l’occasion d’apporter une contribution significative à l’un des problèmes les plus fondamentaux de notre temps.


Introduction

The responsible management of ethnocultural diversity is an unprecedented challenge for most democratic nations. The debate in Quebec on this subject is an old one, marked by its dynamism and originality—we should celebrate that. As it does elsewhere, for the majority culture the debate stems largely from an insecurity over the future of the identity and heritage from which it draws its strength. Inevitably, emotionalism and symbolism occupy a large part of the debate, as do divergent visions and, quite often, incompatible aspirations. All this makes for difficult arbitration based on a delicate balance between competing imperatives, requiring all the precautions and all the modesty that must accompany the search for a general model of integration.

Keeping these concerns in mind, I would like to use this essay primarily to present my vision of interculturalism as a model for integration and the management of ethnocultural diversity. I draw inspiration for this goal from the path taken by Quebec since the 1960s and 1970s,[1] but also from personal reflection and from experiments conducted in Europe, where interculturalism, as a formula for coexistence in the context of diversity, has significant roots.[2] In Quebec itself, interculturalism currently benefits from widespread popular support (as the public hearings of the Bouchard-Taylor Commission demonstrated),[3] but it is also the object of significant criticism. It is certain that there is significant work left to do in terms of clarification, promotion, and applications for this model.

A second goal is to repudiate a number of the misunderstandings and distortions that have entered the public debate, especially in Quebec. I plan to show or remind that:

  1. collective integration is a global process affecting all the citizens and constituents of a society, not simply immigrants;

  2. interculturalism is not a disguised (or “underhanded”, as has been said) form of multiculturalism;[4]

  3. integration is based on a principle of reciprocity—newcomers and members of the host society share an important responsibility;

  4. when applied with discretion and rigour, pluralism (an attitude advocating respect for diversity) and especially the principle of recognition, do not lead to fragmentation (or “communitarianism”) and do not put the basic values of the host society into question;

  5. pluralism is a general option with various applications corresponding to as many models, including multiculturalism—it is thus inaccurate to establish an exclusive relationship between these two concepts and to present them as synonymous;

  6. the type of pluralism advocated by interculturalism could be described as integrational in that it takes into account the context and future of the majority culture;

  7. accommodations (or concerted adjustments) are not privileges, they are not designed solely for immigrants and they should not give free rein to values, beliefs, and practices that are contrary to the basic norms of society—they simply aim to allow all citizens to benefit from the same rights, no matter their cultural affiliation;

  8. as a pluralist model, interculturalism concerns itself with the interests of the majority culture, whose desire to perpetuate and maintain itself is perfectly legitimate, as much as it does with the interests of minorities and immigrants—we thus find no reason to oppose either the defenders of the identity and traditions of the majority culture on one side, or the defenders of the rights of minorities and immigrants on the other; it is both possible and necessary to combine the majority’s aspirations for identity with a pluralist mindset, making for a single process of belonging and development; and

  9. except in extreme cases, radical solutions rarely meet the needs of the problems posed by ethnocultural diversity.

My presentation will use the description provided in the Bouchard-Taylor Report[5] as a point of departure but will also clarify and add a number of elements. I will also rely on the important contributions of a number of authors from Quebec who have a long history of reflecting on this topic.[6] Finally, I should note that the Aboriginal experience will not be taken into account here. This is because the government of Quebec, in accordance with demands made by Aboriginal peoples, has resolved that relations with these communities should be treated as “nation to nation”[7] affairs. From their perspective, the populations concerned do not wish to be seen as cultural minorities within the nation of Quebec. For the moment this issue would require a different line of thought than interculturalism as defined here, since our model aims at integration within a single nation.

I. Interculturalism: Some Basic Principles

First, interculturalism incorporates a number of elements that are not exclusive to it. For example, it endorses the rather widely accepted idea that an official language, legal framework, and territorial unity are not sufficient to make a cohesive nation—they must be combined with a symbolic element that helps foster identity, collective memory, and belonging.[8] What we term the principle of recognition (in the sense used by Charles Taylor and others) is also part of interculturalism.[9] It is also found at the heart of multiculturalism and in a few other models. Another element of interculturalism found in the majority of Western democracies is a pluralist mindset, meaning sensitivity to ethnocultural diversity and the rejection of all discrimination based on difference.[10] Inherited from the moral awakening following the two World Wars, fascism, totalitarian regimes, and decolonization, this mindset came into being in the 1950s and 1960s as a new sensitivity towards minorities of all kinds.

That said, it is important to note that these components (national symbols, recognition, and pluralism) are susceptible to a variety of interpretations and applications that open the door to a number of possible models. Thus, contrary to widespread perception, a pluralist mindset, as with all recognition principles, does not necessarily lead to multiculturalism.

Likewise, reasonable accommodation is a very widespread practice in the United States, anglophone Canada, Australia, and several European countries, including England. We can define these accommodations as adjustments made to the administration of certain norms or rules for certain individuals or groups (immigrants or not) possessing some sort of distinctive characteristic that places them outside of the mainstream culture These adjustments aim to encourage the integration of these groups and to shield them from precisely the kind of discrimination that could result from their distinctive characteristics. Once again, and contrary to current perceptions, this does not mean awarding certain people exclusive rights or privileges. In the spirit of equity (or equality), the goal is always to more fully implement the fundamental rights granted to all citizens.[11] When referring to recognition, pluralism, or accommodations, it is important to distinguish between their founding principles and the specific criteria and methods of their administration.

Accommodation is not unique to interculturalism and can be enacted in accordance with a variety of philosophies, sensitivities, and policies. Consequently again, we must prevent ourselves from associating accommodation exclusively with multiculturalism. Certain adjustments can seem perfectly admissible in one society and cause problems in another, even if both adhere to pluralism.

In light of this discussion, we see that in the particular case of Quebec it is necessary to develop a form of pluralism that acknowledges that the francophone majority is itself a precarious minority that needs protection in order to ensure its survival and development in the North American environment and in the context of globalization.

II. Paradigms and Levels of Analysis

Before going further, and in order to properly distinguish interculturalism from the other models of management of ethnocultural diversity, it is useful to review the five major paradigms these models tend to follow. These paradigms are large schemas that will help situate the primary intention, or defining outlook, of each model. They structure the public debate of a nation, determine the parameters and the basic issues, inspire the policies and programs of the state and, finally, fuel the perceptions citizens hold of each other.

A first paradigm is that of diversity. In particular, we find this in English Canada, the United States, Sweden, Australia, and India. The guiding premise in these cases is that the nation is composed of a collection of individuals and ethnocultural groups placed on equal footing and protected by the same laws—there is no recognition of a majority culture and, in consequence, no minorities per se. Under the official banner of diversity, all assert themselves and express themselves as they see fit, within the limits prescribed by law. Secondly, we can speak of a paradigm of homogeneity (i.e., a unitary paradigm), which fundamentally asserts an ethnocultural similarity in public life and sometimes also in private life—included here are nations such as France (at least in the public space), Italy, Japan, and Russia. Thirdly, there is the paradigm I call bi- or multipolarity. This refers to societies composed of two or more national groups or subgroups, sometimes officially recognized as such and granted a kind of permanence. Nation-states such as Malaysia, Bolivia, Belgium, Switzerland, and Northern Ireland (i.e., all the pluri-national states that recognize themselves as such)[12] operate under this paradigm.

The fourth paradigm is that of duality. We see this where diversity is conceived and managed as a relationship between minorities from a recent or distant period of immigration, and a cultural majority that could be described as foundational. Let us pause for a moment to examine this last concept. I include as foundational any culture resulting from the history of a community that has occupied a single area for a long period (one century, several centuries, or several millennia); that has formed a territory or settlement (what certain geographers call “territoriality”) with which it identifies; that has developed an identity and a collective imagination expressed through language, traditions, and institutions; that has developed solidarity and belonging; and that shares a sense of continuity based in memory. In such societies, long-established minorities can also hold the status of foundational cultures. In Quebec, examples include the Aboriginal communities, which were founded before the majority culture, in addition to the anglophone population.[13]

With certain exceptions, majority cultures are foundational cultures, although they never stop incorporating important new contributions that blend with the existing cultural fabric and ultimately transform it. Through the effects of migration and intercultural relations, the reality underlying these concepts is fundamentally shifting and dynamic, even if the dominant discourse tends to erase this characteristic. As we will see later on, other factors make it so that the concept of a majority culture can accommodate diverse and malleable realities.

Parenthetically, it is worth noting that I avoid using the term “ethnic group” or “cultural community”. These concepts presuppose a degree of structuring that seldom exists in reality. With this in mind, the idea of a minority must be understood, in a very general sense, to designate a cultural nexus or community life that carries on in coexistence with the majority culture and the borders of which are often quite fluid.

The majority/minorities duality thus acquires the status of a paradigm so that it can structure discussion and debates over diversity in a given nation. It appears as a dichotomy or an us/them divide that is more or less pronounced. I maintain that the duality paradigm does not create this divide—rather, this is its point of departure, its anchor. Rather than challenging the paradigm on this ground, one would be best advised to tackle the factors that have created the duality and contribute to perpetuate it. I will add that the vast majority of Western nations (including Quebec) currently seem to be operating under or shifting towards this paradigm.

The fifth paradigm is that of mixité. It is founded on the idea that, through miscegenation, the ethnocultural diversity of a nation will be progressively reduced, eventually creating a new culture separate from its constituent elements. We find this paradigm primarily in Latin America, notably in Brazil and Mexico.

I will add three further details on this subject. Paradigms are the first level of analysis for ethnocultural diversity. The different models associated with them (such as multiculturalism, interculturalism, the melting pot, hyphenation, republicanism, assimilationism, consociationalism, etc.),[14] are the second level. The third is the concrete ethnocultural structure of populations as revealed by empirical data (census statistics and monographs) on ethnic origin, language, religion, and spatialization (geographic concentrations, ghettos, and clustering).

I will also point out that, as with all models, these paradigms are the result of a collective choice often codified in official documents. Thus, we see many examples of nations that have changed their paradigms over the last decades. Between 1960 and 1970, Canada and Australia moved from a homogeneity paradigm to a diversity paradigm while Quebec abandoned homogeneity for duality. Similarly, it seems that England is currently distancing itself from the diversity paradigm[15] and that we are currently witnessing in Quebec some attempts to introduce elements of republican-style non-differentiation (against accommodation and expression of religion in state institutions).

Finally, it is worth noting that a paradigm can accommodate more than one model––and sometimes very different models—as seen particularly in Canada and the United States (diversity), and France and Italy (homogeneity). The simplest example is that of a nation that adheres to a single paradigm (or to a predominant paradigm). However, we should not write off nations where public debate is more animated and might simultaneously subscribe to two or three competing paradigms. The United States comes to mind. The diversity paradigm is markedly dominant throughout, since the nation was (at least officially) founded on universal ideals capable of accommodating the greatest possible diversity. Yet we are currently seeing the manifestation of two other paradigms, namely duality (“mainstream” culture versus minorities perceived as resistant to integration) and assimilation (a radical version of the “melting pot”). In this vein, Brazil also deserves attention to the degree that the dominant schema of racial mixing (supported by the great myth of racial democracy) makes space for the diversity as well as the homogeneity paradigms. In this case, official discourse and public debate often reveal how this nation does not define itself by race, but at the same time remains very aware of ethnocultural diversity.

Furthermore, we should note that there is not a linear relationship between these three levels of analysis. One should not assume that what happens at one level is determined by what happens at the other two. Certainly it is difficult to imagine countries like Belgium or Switzerland adhering to the homogeneity paradigm. Nevertheless, there can sometimes be important disparities between the ethnocultural reality of a nation and the general schema it uses to imagine itself (the examples of France and Italy again come to mind).

III. Characteristics of Interculturalism

I will mention seven main points that characterize interculturalism with respect to other models of management of diversity. But it should be mentioned in the first place that the model operates at two levels. One is the societal or macrosocial level where the challenge is to define principles and general guidelines for integration. The second level is interculturality. It refers to the microsocial scale of neighbourhoods, community relations, and the daily life of institutions (schools, hospitals, workplaces, etc.). However, focus will be given primarily to the first dimension, with priority placed on defining the principles and basic philosophy of the model.

A. Majority/Minorities Duality

First and foremost, as a global model for social integration, interculturalism takes shape principally within the duality paradigm.[16] One of the inherent traits of this paradigm is a keen awareness of the majority/minorities relationship and the tension associated with it. More precisely, I am referring to the anxiety that the majority culture can feel in the face of cultural minorities. Indeed, they can create a more or less acute sense of threat within the majority culture not only in terms of its rights, but also in terms of its values, traditions, language, memory, and identity (not to mention its security). This feeling can be fuelled by a number of different sources. For example, in England, the United States, and many other countries, terrorism is currently a major concern. In Quebec, a significant source of anxiety comes from the fact that the francophone cultural majority is a fragile minority in the North American environment (representing less than two percent of the total population). Also, this anxiety is often supplemented by the presence of a demographically significant ethnocultural minority perceived as hostile to the traditions and values of the majority group and resistant to integration (which can happen when this minority fears for its own values and culture). This unease can also occur in countries where the foundational culture is experiencing a period of instability or undergoing some kind of crisis. Be that as it may, it follows that the duality thus risks being experienced as the intersection of two sets of anxieties since minority groups often, and for obvious reasons, fuel their own feelings of uncertainty about their future. Finally, there are nations in which duality is the result of a sustainable agreement forged in the history between two groups, one a majority, the other a minority.

Regardless of its sources, this insecurity and the reciprocal mistrust it produces can help perpetuate the us/them duality. And yet, as mentioned previously, interculturalism seeks to care for the future of the majority culture as much as that of minority cultures. From this perspective, it is essentially a search for conciliation. Under the arbitration of the law, it seeks to articulate the tension between continuity and diversity, i.e., the continuity of the foundational culture and the diversity brought in by past or recent immigration.[17] In this sense, I would say that interculturalism intends to connect cultures as much through their roots as through encounters. That said, the tension underlying this duality can be corrosive and give birth to stereotypes, exclusionary or reactionary behaviour, and various forms of discrimination from the majority group. It can also be positive, experienced as a constant reminder for vigilance, dialogue, and necessary concerted adjustments. The central challenge of interculturalism is to smooth over and to alleviate the us/them relation rather than inflame it.

The preceding remarks require a few warnings:

  1. We should avoid a reductive vision that represents the majority/minorities divide as an opposition between a homogeneous majority and heterogeneous minorities. When we look closely, we see that beyond a common language and shared symbols, important elements of diversity almost always extend to the very core of the majority (differences of morality and belief, ideological divisions, generation gaps, social divisions, regional identities, etc.). For this reason, it seems better to talk about a cleavage between two different kinds of diversity. The fact remains that, when faced with a perceived threat, the majority group is likely to erase important aspects of its own diversity. This phenomenon is apparent in debates in Quebec and elsewhere in the West.

  2. We must also avoid conceiving of the majority/minorities duality as a fixed set. If this dual structure is durable, the contents of its two components, as well as the context and modalities of their connection, are in constant flux (hence the danger of too rigid a conception of the majority/minorities duality). Again, this dynamic character does not always come through in public debate. The majority culture can contract, expand, and reconstruct itself to meet the mood and challenges of the hour and as a function of its discursive strategies. If we refer to the current debate and perceptions in Quebec, we might say that the “cultural majority” covers a quite large territory. In its narrowest meaning, it coincides with the most militant fragment of the “old stock” French-speakers.[18] Yet in its widest acceptance, the majority includes all French-speakers and even the entire host society, especially when the core values held by most Quebecois (gender equality, separation of church and state, etc.) with the values associated with some immigrants. In this last case, the cultural majority is larger than the francophone majority.[19] These considerations are a reminder of the need for vigilance when analyzing public debate in duality nations.

  3. It can also happen that the “majority” evoked in debates is rather theoretical or even imaginary. Whatever the case, the duality paradigm remains with its majority/minorities dichotomy (at least until the public debate eventually shifts to embrace another paradigm).

  4. The threat or insecurity felt by the majority in the face of minorities must always be considered with a critical eye. We know of too many examples of majorities who made their minorities into scapegoats because they saw themselves as powerless to act against the real causes of their adversity. For Western nations currently under attack on many fronts (the numerous uncertainties linked to globalization, the rise of a new individualism, the erosion of social bonds, deficits and the growing weakness of the state, aging populations, precarious employment, etc.), it can be tempting to blame immigrants or minorities for problems that actually stem from fundamental changes on a global scale.

In the context of Quebec, feelings of insecurity are also fueled by the growing presence of immigrants and cultural minorities, largely concentrated in the area surrounding Montreal. This feeling is justified since it is an expression of the fragility of francophone Quebec in America, a condition accentuated by globalization and by uncertainty over the francization of immigrants. It is also justified to the extent that it affirms the importance of preserving fundamental values like gender equality and the separation of church and state. Finally, it is accentuated by the fact that the national question remains unresolved and even seems to be sliding towards an impasse. That said, it is undeniably conflated by some participants in the public debate with a desire to formally consecrate the dominant status of the foundational culture and to give legal recognition to this precedence. The (incontestable) fragility of francophone Quebec does not seem to me to justify measures so radical that they would institute a regime of a priori inequality between citizens.[20]

  1. Here again we see a potential risk associated with the duality paradigm. By recognizing the legitimate interests of a majority, this paradigm could exacerbate rather than smooth over us/them divisions because it allows space for the dominating trends of majority groups, the results of which are visible throughout the history of the West and other continents (xenophobia, exclusion, discrimination, etc.). Thus, it is important to instill a pluralist mindset and protective mechanisms at the highest levels of the duality paradigm in order to avoid falling into ethnicism (impingements on the rights of others for inadmissible reasons).[21] In summary, interculturalism recognizes the status of the majority culture (its legitimacy, its right to perpetuate its traditions, its heritage, and its right to mobilize around developmental goals) within a framework designed to reduce the excesses that all majorities are capable of enacting on minorities––as ancient and recent history has taught us.

B. A Process of Interaction

The second original attribute of interculturalism is that, while fostering respect for diversity, the model favours interactions, exchanges, connections, and intercommunity initiatives. It thus privileges a path of negotiations and mutual adjustments, but with strict respect for the values of the host society as inscribed in law or constitutional texts and all while taking into account the so-called shared values of a common public culture. A spirit of conciliation, balance, and reciprocity presides over the process of interaction at the heart of interculturalism.

C. The Principles of Harmonization: A Civic Responsibility

The preceding makes a case for a culture of genuine interaction and mutual adjustments as a condition for integration. This is why interculturalism makes all citizens responsible for maintaining intercultural relations in daily life, especially when facing the inevitable incompatibilities that surface at the levels of institutions and communities. It is the duty of each citizen placed in an intercultural situation to contribute to mutual adjustments and accommodations. The courts obviously retain their indispensable function, though only as a last recourse after citizen action has failed to resolve disagreements. It also follows that beyond state policy, interculturalism encourages creative initiatives from individuals and groups working on a microsocial level. In total, we can identify four avenues for action corresponding with as many categories of actors: (a) the judicial system, (b) the state and its subsidiaries, (c) civil institutions and organizations, (d) individuals and groups in their living and work environments.

This view presupposes the existence of a culture or ethic of exchange and negotiation, which might seem idealistic. However, and this was an important finding of the Commission I co-chaired, such a culture already exists within a large part of the population of Quebec. We saw it in action in the daily life of institutions (notably in the spheres of education and healthcare), as well as in the hundreds of groups that have been formed primarily in metropolitan areas in the last few years to foster the socio-economic integration of immigrants. Many municipal councils, even in rural areas, have also enacted policies designed to attract and integrate newcomers. In any case, these efforts must obviously be extended and expanded with support from the State, which should work to put in place a whole network of officials, locations, and communication channels that encourage connection, mutual recognition, and integration.

D. Integration and Identity

Contrary to the so-called communitarian mindset and for the sake of countering the risks of fragmentation ordinarily associated with multiculturalism, interculturalism aims for a strong integration of diverse coexisting traditions and cultures. According to the most commonly accepted sociological view, the term integration designates the totality of mechanisms and processes of insertion (or assimilation) that constitute the social bond, which is further cemented by its symbolic and functional foundations. These processes and mechanisms engage all citizens (new and long-standing), operate on many levels (individual, community, institutional, and state), and work in multiple dimensions (economic, social, cultural, and so forth). On a cultural level, the concept of integration is devoid of any assimilationist connotations. Nevertheless, during the recent controversies in Europe, it sometimes came to acquire this kind of connotation. To avoid any confusion, we could use the term “integrationism” to refer to those forms of integration that are not respectful of diversity.

In keeping with these ideas, interculturalism advocates a particular type of pluralism that I would define as integrationary. This is its third defining trait. A majority culture that feels threatened by its minorities will feel the need to either assimilate them (which predicts the end of duality) or to integrate them (the road that Quebec has thus far taken). It instinctively fears all kinds of fragmentation, ghettoization, or marginalization. This is even truer when this majority is a minority on the continental level, as is the case with francophone Quebec. This state of affairs becomes an imperative that frames the discussion on how to approach the intercultural reality of Quebec. It highlights the importance that must be given to the integration of minorities and immigrants in order to strengthen this francophonie and ensure its future. Measures that run counter to pluralism (such as those currently proposed by republican secularists) tend to increase the risk of marginalization and fragmentation—two phenomena precisely associated with multiculturalism that have contributed to its rejection. The central idea here is that francophone Quebec is itself in a difficult situation and must avoid fostering costly long-term divisions—it would do much better to create the allies it needs within immigrants and cultural minorities. All attempts at a general model must incorporate this basic concern.[22]

Furthermore, when speaking about Quebec one cannot ignore its more than two centuries of struggle for survival in a context marked by an unfavourable population imbalance, unequal power relations, and by the various assimilation policies of the colonial authorities. Memories of this period naturally feed present-day anxieties. They also provide a constant reminder for vigilance. The current advocates of a francophone Quebecois identity (although sometimes in opposition to the supposed “excesses” of pluralism) are one manifestation of this. They cannot be ignored.

Interculturalism therefore advocates in favour of integration, thus emphasizing the need for interactions and connections Boiled down to its essence, the argument is simple—the best way to counter the unease we sometimes feel towards foreigners is not to keep them at a distance, but to approach them in a way that breaks down stereotypes and facilitates their integration in the host society. In other words, exclusion is reprehensible not only on a moral or legal level, but from a sociological and pragmatic standpoint as well.

And yet interculturalism is not a straitjacket. It acknowledges the right of ethnoreligious groups to organize themselves in small communities that, while respecting the law, maintain a rather distant relationship from the rest of society. In the opposite direction, it gives great latitude to individuals who wish to identify themselves first and foremost as Quebecois by relegating their identification with their group or culture of origin to the background, or by renegotiating this belonging.

On another, often-neglected level, it is of course true that social and economic incorporation must accompany cultural integration. It may even be a necessary precondition.[23] Thus, it is through access to large social networks that interactions and cultural diffusion (values, norms, and so forth) can take place. For this reason and for others having to do with basic social justice, we must lament that current debates on integration do not give this fact the attention it deserves. In Quebec as elsewhere, access to employment is the area most likely to be affected by discriminatory practices. Prolonged negligence on this front has important social costs, as we have seen recently in various European countries.

E. Elements of Ad hoc Precedence for the Majority Culture

Cultural integration contains a fifth characteristic that deserves greater attention. While seeking an equitable interaction between continuity and diversity, interculturalism allows for the recognition of certain elements of ad hoc (or contextual) precedence for the majority culture. I say ad hoc because it is out of the question to formalize or establish this idea as a general legal principle, which would lead to the creation of two classes of citizens. In this way, interculturalism distinguishes itself from radical republican that, whether directly or not, use the pretext of universalism to bestow a systematic, a priori precedence on what I term the majority or foundational culture. This kind of arrangement, which establishes a formal hierarchy, opens the door to abuses of power. That said, I think that as long as the nature and the reach of ad hoc precedence are carefully circumscribed it can avoid the excesses of ethnicism while giving some advantages (or the needed protections) to the majority culture.

This principle is justified on several levels. The first stems from what I term the identity argument. In order for the majority group to preserve the cultural and symbolic heritage that serves as the foundation of its identity and helps to ensure its continuity, it can legitimately claim some elements of contextual precedence based on its seniority or history. This claim is, as already mentioned, even more grounded when the cultural majority is itself a minority in the continental environment. As we will see, it is always difficult to establish in the abstract the full extent of this concept, which should take shape in specific situations conditioned by democratic debate and through negotiations mediated by the Charter of human rights and freedoms.[24] In certain situations it could happen that elements of precedence are established as rights or laws, but then the reasoning must invoke higher motives—think of Bill 101 on the French language in Quebec,[25] which was necessary for the survival of francophone culture and whose central objectives and measures were declared legitimate by the Supreme Court of Canada.

In any case, I maintain that to varying degrees, these elements of precedence are present in all societies, even the most liberal (or the most “civic-oriented”) by virtue of forces that are difficult to control. This is a second argument, based on history and custom. Many intellectuals, liberal and otherwise, have in effect demonstrated or recognized that while the cultural neutrality of nation-states (or more precisely, the majorities that control them) is sought-after and proclaimed in principle, it does not exist in reality—some authors even maintain that it is impossible. They see the margin of non-neutrality as an unfortunate inevitability. For others, it proves even useful and necessary. For example, it allows for the consolidation of national identity, which is at once a source of solidarity and a foundation for responsible citizen participation and social justice.[26]

What is involved here are some initiatives or policies that aim to preserve a so-called national culture, which we know to be in large part the culture of the majority. These initiatives usually have the effect of supporting the religion of the majority, its language, and some of its institutions and traditions, all in the name of history, identity or continuity.[27] I include in this list the possibility that a majority culture might express a special sensitivity to one or a few universal values amongst those it endorses. Think of gender equality in Quebec, individual liberty in the United States, racial equality in places formerly rife with segregation, familial solidarity in Mediterranean societies, social equality in Scandinavian countries, and so forth. It was precisely in this spirit that the report of the Bouchard-Taylor Commission stated that “[i]n the health care sector as in all public services, [the gender equality value] disqualifies, in principle, all requests that have the effect of granting a woman an inferior status to that of a man.”[28]

In fact, although it is never put in a theoretical, normative or even explicit form, the principle behind elements of ad hoc precedence occupies an important place in the functioning of democratic societies. Secular states in particular make for an eloquent example. Beyond their founding principles, values, norms, and laws, these states typically incorporate a number of contextual and historic elements as well as political and social choices befitting the majority. We could claim that all secular regimes are an arrangement of four constitutive principles or values: the freedom of conscience and religion, the moral equality of citizens, the separation of church and state, and the neutrality of the state in matters of belief, religion, or worldviews.[29] But another component could be added to these four, namely the traditional values and customs of the majority culture. Seldom formalized, this component is nevertheless powerful enough to sometimes take precedence over the others, which occurs notably when it is in conflict with the neutrality of the state and/or the moral freedom of individuals. For example, it is in the name of traditional values (and more precisely “historical heritage”) that in May 2008 the National Assembly of Quebec unanimously declared itself in favour of keeping a crucifix above the chair of the President of the Assembly, in spite of the rule of religious neutrality on the part of the state and the rule of separation between church and state.[30]

Actually, there is little new in my proposition. What I add is a willingness to acknowledge these forms of ad hoc precedence and to consider them head-on in order to clarify their status, reach, and limits, rather than pushing them to the margins as though they were accidental or non-existent. So, this second argument relies on a wisely institutionalized and unavoidable practice that is seen as useful, if not necessary, to even the most democratic of societies, even if it is dealt with as a blind spot.

From a general perspective, and this is the third argument, this practice can be considered a kind of accommodation that minorities accord to majorities, under certain conditions subject to debate. This is very much in the spirit of interculturalism, which seeks harmonization through mutual adjustments according to a principle of reciprocity. In this respect, an important lesson can be drawn from recent experience in Quebec. The principal criticism levelled against the Bouchard-Taylor Commission Report came from members of the francophone majority. According to them the Report granted a great deal to minorities and immigrants but very little to the majority––a forceful reminder that because francophone Quebec was also a minority, it too needed protections; so, there was a need for balance. The elements of ad hoc precedence are conceived in this spirit.

A fourth argument, which calls for closer examination, is a legal one. The law has always recognized the value of antecedence. Think of birthrights (primogeniture) and all the advantages conferred by virtue of seniority. The most eloquent example in this regard is the ancestral rights recognized for Aboriginal populations as first occupants. On what grounds and to what extent can this logic be transposed to the world of intercultural relations as the basis for an ad hoc precedence in favour of foundational majorities? First of all, we must avoid easy and abusive conclusions; the situation of francophone Quebec is obviously not the same as that of Aboriginal cultures. The idea does, however, deserve our attention, even if only to articulate the required nuances.

A fifth argument relates to the diversity of cultures and identities on a planetary level, which is celebrated by UNESCO as a source of innovation and creativity at the same level as biodiversity. In November 2001 the organization made diversity one of its chief priorities, receiving the support of 185 member states.[31] But if we agree to maintain cultural plurality on this scale, then will not majority groups––the main staples of national cultures––see themselves as invested with specific responsibility in the struggle against the powerful currents of uniformity brought about by globalization?

Contextual precedence justifies itself in a sixth way, this time from a sociological perspective. As I indicated above, all societies need a symbolic foundation (identity, memory, belonging, and so forth) to sustain their equilibrium, reproduction, and development, since the legal framework alone (or so-called civic principles) does not adequately fulfill this function. Especially in situations of tension, change, or crisis, only widely shared common reference points––that is to say, a culture or an identity––provide for the solidarity that forms the basis of any kind of collective mobilization towards the pursuit of a common good. This process is a prime engine in the struggle against inequalities, and this is where the ideal of liberal individualism reveals what is likely its greatest weakness.

All these conditions require a continuity that is guaranteed to a large extent by the majority culture and the values forged in its history.[32] In addition, this is not only about social cohesion. In order for a society to take hold of its destiny, it must devote itself to principles and ideals that encompass both its heritage and its future. If the former is the responsibility of all citizens, the latter is primarily the work of the foundational majority.

A final argument, this one more pragmatic, makes the case for this thesis. Ancient and recent history has taught us to fear minorities that are terrorized or fanaticized in some way. But it has also taught us to be equally, if not more, afraid of cultural majorities that take on aggressive behaviour when they feel profoundly humiliated, unjustly treated, and victimized. Wisdom demands that we take this into account. The principles behind ad hoc precedence can soothe majority anxieties that could easily turn into hostility––especially when there are social or political actors who readily stand to profit. However, the principle of contextual precedence might be unacceptable to advocates of an absolute legalism or liberalism. This is the place to remember that in aiming for the perfect society, we sometimes sow the opposite seeds.

To conclude this point, it would be an error to believe that all majority cultures are basically menacing or harmful. Some have a remarkable history of openness and generosity towards minorities, while others, despite difficult circumstances, have managed to maintain their liberal leanings. Often dominant cultures are helpful agents in advancing democracy and individual rights.[33] In this regard, Quebec of the 1960s and 1970s is an eloquent example—the period was marked by both intense neo-nationalism on the part of the francophone majority, and spectacular advances in liberal values culminating in the 1975 adoption of the Quebec Charter. Nineteenth-century Europe also provides a number of examples of national majorities that promoted democratic and liberal values.

Again, the above argument may in a certain light run counter to the principle of formal equality between individuals, groups, and cultures. In its defence, one can say that it does nothing more than reflect and conform to a state of universal reality, namely the impossibility of cultural neutrality of nation-states. Likewise, it somewhat detracts from the ideal and abstract vision of a society formed of a group of perfectly autonomous, rational, and self-made citizens. However, it brings us closer to the complex, shifting, unpredictable, and omnipresent reality of identity dynamics and the vagaries of political life. The argument for elements of contextual precedence thus proceeds from a more sociological and realist vision of liberalism.

It would be a grave mistake to underestimate the weight or deny the legitimacy of collective identities. It is often said, and rightly so, that they are arbitrarily constructed or even invented, but that does not prevent them from being lived as profoundly authentic by the large majority of individuals who need them to make sense of their life and to ground themselves. Finally, they come to acquire a level of substance that keeps them from being entirely arbitrary or artificial. Largely driven by emotion, they arouse suspicion the consummate rationalists. And like all myths that they feed on,[34] they partake in a universal mechanism that is acting in the history of all societies and weighs strongly on the direction of their future. Unpredictable and irrepressible, they can be linked both to the most noble and the most vile endeavours. In any case, they fulfill an essential function of unification, stabilization, and mobilization.

In this vein, democracies may have an important lesson to learn from what happened in Russia after the fall of the USSR. In short, during the transition liberal elites sought to instill new values and imprint a new direction on their society. However, out of either negligence or too much concern for rationalism, they failed at reshaping Russian identity––in other words, at inscribing their ideals into a new identity dynamic; drawing on a modern set of myths. For a variety of reasons, it was the ancient myths stemming from Russian tradition that prevailed and, because they were unsympathetic to democracy and freedom, contributed to the failure of the liberal agenda. This resulted in the regime we know today—an authoritarian government with minimal respect for individual rights and democracy.[35] In other words, advocacy for integrational pluralism and interculturalism must necessarily take into account the emotional aspect and the non-rational element that permeates all societies, more specifically the powerful myths[36] that support collective and national identities.

It would certainly take a lack of wisdom not to cultivate wariness towards identity dynamics that can give birth to “tyrannies of the majority”, but it would be just as crucial an error to ignore their useful functions or to condemn them a priori. All of this speaks in favour of the effort to foster a conjunction of identity and pluralism. And this kind of alliance is possible, as Quebec has shown over the course of the last decades—there is no intrinsic incompatibility between the continuity and growth of majority cultures (or national cultures) and the law.

In the Quebec debate over ethnocultural relations in recent years, several interlocutors have tried to foster extreme polarization in order to discredit pluralism. According to their vision, on one side there are the defenders of the majority and on the other, the defenders of minority rights who give little thought to the majority’s concerns. This harmful opposition is groundless and must be rejected. In the spirit of interculturalism, these two imperatives are not competitive but complementary—it must be reminded that interculturalism does not operate only for the benefit of minorities and immigrants, but that it must also take into account the interests of the majority, whose desire for affirmation and development is perfectly legitimate.

That said, we realize that the criteria for ad hoc precedence must be carefully mapped out. Otherwise it may simply jeopardize the practice of accommodations designed, as outlined above, to protect minorities from the majority’s often involuntary or unconscious excesses.[37] Here too, there is a delicate balance to be negotiated with prudence and moderation. In this respect, remember that important responsibilities fall to all majority groups because they largely control the institutions of the host society. They must embrace the general principle of equal rights for all citizens and fight all forms of discrimination. Due to the institutions under their control, it is also their duty to facilitate the integration of newcomers and minority groups into society. Except in extraordinary circumstances, contextual precedence must therefore operate within the limits of basic rights. If it must act against these rights, it can do so only to an extent that is proportional to the threat or peril incurred against the cultural majority––failing which it simply slips into ethnicism.

Minority groups are required to adapt to their host society, adhere to its basic values, and respect its institutions, but due to the double obligation just explained, the majority group must also sometimes amend its ways. That is why it is important to encourage the reasonable promotion of accommodations or concerted adjustments: (a) as a mechanism of inter-cultural harmonization that prevents or defuses tensions, (b) as a facilitating measure to encourage the integration of immigrants and reduce the risk of fragmentation, and (c) as a protection against the forms of discrimination that often arise from majorities. Contrary to the current perception, these adjustments are not privileges; they are arrangements that are at once useful (in favour of integration) and necessary (for the preservation of rights, including equality and dignity). This being said, it is well understood that their implementation must be subject to strict guidelines in order to prevent a slip into a laissez-faire mentality that would compromise the basic values of the host society.[38]

Finally, here too, the rule of reciprocity applies. For example, the report of the Bouchard-Taylor Commission clearly established that “[a]pplicants who are intransigent, reject negotiation and go against the rule of reciprocity will seriously compromise their approach.”[39] Courtrooms adopt the same rule for examining requests for accommodations.

As we may guess, it is difficult to precisely set up in the abstract the limits of ad hoc precedence and the terms of its application. But is it not the same with several basic values and rights, which creates the necessity of interactions, negotiations, and debate? In this context, and for the purpose of the present discussion, it can be useful to turn to a few examples, relevant to the Canadian and Quebec context. Some of them, as we will see, are rather superficial, while others strike at the heart of fundamental issues—but each illustrates an aspect of contextual precedence.

The following could, to my thinking, be considered legitimate according to the criteria for ad hoc precedence:

  1. the institution of French as the common public language;

  2. allocating a prominent place to the teaching of the francophone past in history courses, or in other words, a national memory that is inclusive but gives predominance to the majority narrative;

  3. the current priority position given to the presentation of Christian religions in the new course on ethics and religious culture;

  4. the official burials of heads of state in Catholic churches;

  5. keeping the cross on the Quebec flag (which has already been subject to challenges);[40]

  6. laying Christmas decorations in public squares or buildings; and

  7. the sounding of bells in Catholic churches at various moments throughout the day.[41]

On the other hand, I consider the following examples to be abusive extensions of the principle of ad hoc precedence:

  1. keeping a cross on the wall of the National Assembly and in public courtrooms;

  2. the recitation of prayers at municipal council meetings;

  3. the funding of chaplain or Catholic pastoral care positions in public hospitals with state funds, to the exclusion of other religions;[42]

  4. the general prohibition against wearing religious signs for all employees in the public and semi-public sectors;

  5. the reference to the supremacy of God in the preamble of the Canadian Charter of Rights and Freedoms,[43]

  6. including articles or clauses in a charter that establish a formal hierarchy between the cultural majority and minorities; and

  7. the prohibition against wearing a burka in streets and public places (except for security or other compelling reasons).

F. A Common Culture

A sixth facet of interculturalism that stems from the preceding ones is the idea that beyond and separate from ethnocultural diversity, elements of a common culture (or a national culture) begin to take shape, giving birth to a belonging and an identity that grafts itself onto initial belongings and identities.[44] This is a logical, predictable, and welcome consequence of the goals of integration and the dynamic of interactions that are at the heart of interculturalism. In the long-term, both the majority culture and minority cultures will find themselves changed to varying degrees.[45] As indicated earlier, it is also inevitable that in the course of continued exchanges and informal transactions in daily life, the impact of the majority culture will be proportional to its demographic and sociological weight, giving it a de facto advantage in ensuring its continuity. On the other hand, the formation of a new, truly “pan-Quebecois” culture provides a guarantee to minorities and newcomers of full citizenship and protects them from exclusion. This outlook also offers cultural minorities an exit strategy from what some of their members can perceive as imprisonment in ethnic ghettos.

In other words, the cultural evolution of Quebec is already the result of three threads weaving together in subtle and complex ways, stemming from their sociological influence and their dynamism—the culture of the foundational majority, the culture of immigrants and minorities, and the culture resulting from the mixture of the two. It would certainly be quite difficult to disentangle the contributions of each, but what good would that do?

G. The Search for Equilibriums

Fundamentally, interculturalism is a search for balance and mediation between often-competing principles, values, and expectations. In this sense, it is a sustained effort aimed at connecting majorities and minorities, continuity and diversity, identity and rights, reminders of the past and visions of the future. It calls for new ways of coexisting within and beyond differences at all levels of collective life.

Furthermore, the majority/minorities dichotomy is not immutable. Through the prolonged dynamic of interactions, it is not unrealistic to think that it may one day dissolve. Here we see two possibilities—either the two basic components of the dynamic will melt together completely, or that one of them will disappear. Both scenarios would mean a departure from the interculturalist model and the duality paradigm. In the case of Quebec, however, this eventuality remains largely theoretical. It would require that immigration—which tends to renew the duality—diminish substantially, and that cultural minorities (or the majority itself) choose not to perpetuate themselves. This is at once a consequence and a paradox of a pluralist philosophy within a duality paradigm: to the extent that this presupposes a respect for diversity, it tends to diminish the us/them relationship and defuse the tension it fuels, but at the same time it contributes indirectly to perpetuating the duality.

Whatever the case may be, these scenarios remain unpredictable and somewhat arbitrary for another reason. As indicated earlier, paradigms and models are ultimately a matter of choice. There is not, therefore, necessarily a correspondence between the evolution of a nation’s ethnocultural reality and the form or the voices that frame the public discourse.

The preceding paragraphs highlight the issue of common values, which are already (or are becoming) subject to a very large consensus, and the necessity for their protection under the law. On this front, we know that over the course of the last few years some judgments by the Supreme Court of Canada have been met with sharp objections in Quebec. Some clarification is needed here. If we get to a point where the Supreme Court repeatedly and systematically contradicts or threatens the basic and consensual values of Quebec, such as gender equality, the French language, or the institutional separation of church and state, then Quebec would be perfectly justified in resisting these judgments, either through recourse to the notwithstanding clause in the Canadian Constitution[46] or through other legal and political means.

IV. Interculturalism and Multiculturalism

I am opening a parenthetical discussion to situate Quebec interculturalism in relation to Canadian multiculturalism. I will first remind that, for political reasons, all Quebec governments (federalist or not) have rejected multiculturalism since its adoption by the federal government in 1971. Since the middle of the nineteenth century, francophones in Quebec have fought to gain acceptance of the idea that Canada is composed of two nations (anglophone and francophone). This vision of the country was undermined by the introduction of multiculturalism, which made francophones in Quebec simply one ethnic group among many others throughout Canada. In this sense, multiculturalism weakened Quebec and for this reason it is the source of keen opposition from the francophone population.

On a more theoretical or sociological level, researchers have often extrapolated in order to bring to fore the difference between these two models. For many reasons, this question does not lend itself to an easy answer. One is that Canadian multiculturalism has evolved a great deal since 1971. This is an important fact that we do not always take into account. In the 1970s, for example, the promotion of a diversity of languages and cultures was a central element of the Canadian model. Beginning in the 1980s, a social dimension (the struggle against inequalities and exclusion) emerged at the same time as the rights dimension was primarily being heard through the struggle against discrimination. In the 1990s and over the course of the 2000s there was a growing concern for social cohesion, integration and common values, and for the formation (or consolidation) of a Canadian belonging and identity. More recently still, the model has made more room for ideas of interactions, cultural exchanges, Canadian values, and participation.[47]

We therefore note with interest that, in so doing, Canadian multiculturalism has slowly grown closer to Quebec interculturalism and that this is a source of persistent confusion in Quebec. Indeed, a number of interlocutors in the public debate argue for the similarity of the two models, but for opposite reasons. One group, on behalf of Quebec nationalism, aims to discredit interculturalism by associating it with Canadian multiculturalism and blaming it for the drawbacks usually associated with that model (fragmentation, relativism, and so forth), although in reality, one suspects that it is pluralism that is targeted. The other group, working from a Canadian or federalist perspective, downplays or denies the differences that exist between the two models by claiming that interculturalism is simply a variant of Canadian multiculturalism.

It seems to me, however, that these two models remain quite different for the following reasons:

  1. The most defining and obvious difference is that interculturalism pertains to the nation of Quebec, the existence of which was officially recognized by the federal government itself (through a motion adopted by the House of Commons on 27 November 2006).[48]

  2. The two models are rooted in opposite paradigms. The federal government still adheres to the idea that there is no majority culture in Canada, that diversity defines the country, and that this idea must guide all discussion of ethnocultural reality.[49] For its part, Quebec continues to embrace the duality paradigm, emphasizing the majority/minorities structure. This choice conforms to the minority status of this French-speaking people on the North American continent and the anxieties that it inevitably entails. The crucial point here is that there really is a majority culture within the nation of Quebec whose fragility is a permanent fact of life. This results in a specific vision of nationhood, identity, and national belonging.

  3. Since francophone Quebecers constitute a minority, they instinctively fear all forms of socio-cultural fragmentation, marginalization, and ghettoization. This is where interculturalism draws its particular conception of integration, namely the emphasis on interactions, connections between cultures, the development of feelings of belonging, and the emergence of a common culture. Traditionally, multiculturalism does not cultivate these concerns to the same degree—it puts more emphasis on the validation and promotion of “ethnic” groups.

  4. Paradoxically, an extension of these arguments reveals the strong collective dimension (unity, interaction, integration, and common culture) permeating interculturalism, which distances it from the liberal individualism that is also inherent in multiculturalism.[50]

  5. Another distinctive trait comes from the fact that Canadian multiculturalism has little to say on the issue of protecting languages. Sooner or later, immigrants to English-speaking Canada will inevitably want to learn the dominant language of the continent in order to eke out a decent living. The case is very different for the French language in Quebec, where there is a constant struggle to find new linguistic protections. This anxiety is obviously culturally motivated, but it also comes from the fact that language is an important factor in civic integration and collective cohesion. Multiculturalism does not echo this anxiety over a common language because English is in no way threatened.

  6. In a more general sense, all the rights and accommodations granted to immigrants in Western democracies are accompanied by a preoccupation with the values and even the future of the host culture. This concern is understandably stronger in small nations that are anxious about their survival. Here, respect for diversity takes an additional dimension. In other words, the challenges linked to pluralism in small nations have an impact and spark a level of tension seldom experienced by more powerful nations. These pressures lie at the heart of interculturalism.

  7. Another difference has to do with collective memory. Due to the battles that Quebec francophones have waged over the course of their history, an intense collective memory of their small, combative nation has taken hold. For many French-speakers, this memory carries a message of loyalty, or even duty, towards past and future generations. References to this past lie at the heart of the francophone culture, which can be another source of tension: how to transmit the memory of the majority without diluting its symbolic content in a context of increasing diversity, and all the while making room for minority narratives?[51] This line of questioning clearly does not have the same resonance from a multiculturalist perspective, where the issue of a majority culture is simply absent.

  8. The specific elements that have been noted here are concretely translated in different ways, particularly in the practice of recognition and of accommodations. In this last case, one expects that requests for accommodations in Quebec are often evaluated in terms of integration—that is, a request is more likely to be met if it can be positively connected to this issue. Thus, permitting the wearing of the hijab in class encourages Muslim students to continue attending public school and to open themselves up more easily to the values of Quebec society. The same is true for the offering of special menus in school cafeterias, a flexible policy towards certain pedagogical activities that do not interfere with the Education Act,[52] and so forth.

  9. As we have seen, interculturalism is on the whole very sensitive to the problems and needs of the majority culture, which multiculturalism cannot provide since, once again, it does not recognize the existence of such a culture.

These remarks bring to light the contrasting visions of these two models. Nevertheless, if we compare the policies relating to interethnic matters actually put in place by the Canadian and Quebec governments over the last several decades, we see numerous similarities.[53] How to explain this paradox? Besides the already discussed recent shift of multiculturalism towards interculturalism, I think that these similarities are due in part to the fact that both models share a pluralist orientation. But it mostly stems from the fact that the government of Quebec has not adequately aligned its policies with the interculturalist model. A gap has developed between the official philosophy and the policies actually in place. A much greater effort should be made on this ground. It is urgent to conceive of projects and policies that give real body to the spirit and objectives of interculturalism. It is also important to mobilize the Quebec society towards this end—not only the state, but also semi-public and private institutions, the business sector, the major unions, the media, and advocacy groups.

To give an example of one measure among many others that the state might put in place, why not give interculturalism a level of official recognition equivalent to what multiculturalism has received in Canada? By virtue of article 27 of the Canadian Charter, multiculturalism enjoys the status of an interpretative clause. Why not do the same thing for interculturalism in the Quebec Charter?[54]

Conclusion: A Future for Interculturalism and French-speaking Quebec

Like all democracies worldwide currently questioning or even shaken in their cultural foundations, Quebec is confronted with a dilemma that it cannot overcome except through debates, negotiations, and the search for new ways of integration. These concerns lie at the very heart of the model proposed here. Needless to say, interculturalism calls for a complex dynamic made up of interactions, continuity, and change that is constantly negotiated and renegotiated on all levels of society, within a framework of respect for basic values and in a spirit that can be summarized in a single maxim—firmness in principles, flexibility in their application. This seems to be the best recipe for fostering integration as far as Quebec is concerned. Within the framework of Quebec, I maintain that radical solutions must be avoided—solutions that would, for example, lead to a total ban of religious symbols in public institutions. Republican models along the lines of France or Turkey are not well matched to the context of Quebec[55] and do not correspond to the objectives and philosophy of interculturalism. Total prohibition, which entails the violation of a basic right, does not seem justified, at least at present, by any of the arguments made in its favour. Some of them draw on erroneous principles (e.g., equality of rights precludes difference of treatment, and the ban of religious signs is dictated by the separation of state and church). Others rely on suppositions and hypotheses that have not been tested enough empirically (the existence of an Islamist threat in Montréal, the belief that state officials wearing religious signs are biased in the course of their duties, the idea that the hidjab is the sign of female oppression (true in many cases, but the generalization is certainly abusive),[56] and so forth.

The spirit of interculturalism invites us to recognize the diversity of situations in order to provide a diversity of solutions within a clear normative framework. In some cases, prohibition is in order—for instance with officials who embody the neutrality of the state and its autonomy from religion; for officials endowed with coercive power; and in the case of the burka or niqab, which should be banned in state employment locations and even in public spaces if it can be shown to pose a security threat; and so forth.[57]

Interculturalism is built on the basic wager of democracy, that is, a capacity to reach consensus on forms of peaceful coexistence that preserve basic values and make room for the future of all citizens, regardless of their origins or nationalities. This path is certainly not the easiest. For the Quebec majority culture, the simplest thing would be to try to protect the old francophone identity to the point of isolating it, to freeze it—as it were—and thus to impoverish it, which would be another way of putting it at risk. The more promising but also the more difficult option is the one which offers a wider horizon to this identity and to its underlying values by sharing them with immigrants and minority groups. This last option, contrary to what is sometimes said, does not involve withdrawal or self-renunciation, but real affirmation. It means the expansion and enrichment of heritage. It also includes the important advantage of providing inspiration for all Quebec’s citizens.

Finally, it must be restated that these propositions befit the new realities of francophone Quebec, which has entered a phase of demographic decrease, of diversification due to immigration, and of globalization. As a minority, the French-speaking majority cannot afford to be weakened by creating lasting divisions. It needs all its strength. To a large extent, its future lies in the respectful integration of diversity.

For Quebec, the key is to rely on a model of integration that preserves the rich achievements of this nation, while expanding the sphere in which they can be unfurled and extended. Until there is proof to the contrary, interculturalism appears to be the best way for effectively combining these objectives. I have tried to show, in particular, that it can ensure a future for the majority as well as for minorities. Thus, it is wrong to claim that interculturalism (or integrational pluralism) forces the majority culture to “renounce” itself (that is to say, its memory, its identity, and its aspirations) and deprives it of the means for self-assertion.[58]

This brief presentation of the interculturalist model has devoted much space to the specifics of Quebec and, more particularly, to the minority and majority double-status of this French-speaking people. It also brought into light the potential of interculturalism for transposition and expansion to all nations, Western and otherwise, that have chosen to adopt the duality paradigm in their dealings with diversity and integration. There is proof of this in the results of a broad survey conducted by the Council of Europe among its forty-seven member states (following the Warsaw Summit in 2005).[59] They were asked about the best model for managing interethnic or intercultural relations. All these countries arrived at a consensus on three points: (a) the rejection of multiculturalism, which was associated with fragmentation and seen as harmful to social cohesion; (b) the rejection of assimilation due to the violation of individual rights that it entails; and (c) the choice of interculturalism as a middle path, as a model of balance and equity. Interestingly, the survey also brought out that this model maintained the best parts of multiculturalism (sensitivity to diversity) and of republicanism (sensitivity to universal rights).[60]

Interculturalism thus opens a large horizon for thought and action, at the same time that it presents Quebec with the opportunity to make a significant contribution to one of the fundamental problems of our time.