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Introduction

Le Marché commun du Sud (Mercosur) a été créé en 1991 avec le traité d’Asunción signé par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, rejoints récemment par le Venezuela. Cet accord s’inscrit dans la recherche d’une intégration plus poussée entre les pays de la région. Cette recherche s’explique en partie par les nombreux chocs – telles les crises mexicaine (1994-95) et russe (1998) – qui ont frappé les économies du Mercosur au cours des années quatre-vingt-dix. En effet, la coordination des politiques économiques peut constituer une réponse efficace à des chocs communs frappant une même région. De ce point de vue, les crises brésilienne (1999) et argentine (2001-02) ont clairement montré les limites de cet accord. En effet, ces crises ont donné lieu à des réponses non coordonnées des pays du Mercosur. La crise brésilienne est tout à fait représentative du recul de la convergence des politiques économiques observé à cette période. Ainsi, alors que l’Argentine a marqué son attachement à un régime de change d’ancrage dur – la caisse d’émission – le Brésil a opté pour la flexibilité de sa monnaie.

Cette évolution dans la convergence des politiques économiques soulève la question de la faisabilité d’une union monétaire régionale entre les pays du Mercosur. L’objectif de cette étude est d’apporter quelques éléments de réponse à cette question. L’approche privilégiée met l’accent sur la synchronisation des cycles entre les pays, sur les mécanismes de propagation des chocs et sur leurs composantes commune et spécifique. Un premier ensemble de travaux focalisent leur attention sur la décomposition des cycles en composantes commune et spécifique pour les pays d’Amérique latine (Loayza, Lopez et Ubide, 2001; Karras, 2003). D’autres études recourent à la modélisation VAR ou VECM afin de rendre compte de la réaction des économies à des chocs (Ahmed, 2003; Fanelli et González-Rozada, 2003; Hallwood, Marsh et Scheibe, 2006).

Cette étude cherche à qualifier les chocs affectant ces économies et à déterminer leur degré de symétrie dans trois pays du Mercosur, l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay[1]. L’échantillon utilise des données trimestrielles sur la période 1991-2005. La recherche se distingue de la littérature précédente sur deux points principaux. En premier lieu, les VAR semi-structurels utilisés pour chaque pays prennent en compte un plus grand nombre de variables macroéconomiques que dans les études précédentes. Ainsi, par rapport aux travaux fondés exclusivement sur la décomposition des cycles en composantes commune et spécifique, notre étude permet d’identifier la nature des chocs frappant les pays. En outre, contrairement aux VAR bivariés qui composent la majorité des études consacrées au Mercosur, nous prenons en compte une diversité de chocs plus importante, notamment des chocs externes. En second lieu, les innovations structurelles des VAR sont décomposées en composantes commune et spécifique à l’aide d’un modèle à composantes inobservables (Harvey, 1990). Cette approche permet de répondre aux limites rencontrées par les modélisations VAR traditionnelles qui se concentrent pour la plupart sur la corrélation des chocs sans les désagréger en composantes commune et spécifique à chaque pays.

Une première section identifie les sources des chocs qui frappent ces économies à partir d’un modèle VAR semi-structurel. La seconde section utilise un modèle à composantes inobservables afin d’estimer dans quelle mesure les chocs – et en particulier les chocs de politique économique – ont une composante commune pouvant montrer l’esquisse d’une coordination. La conclusion souligne les principales implications de politique économique des résultats obtenus.

1. Les chocs affectant les pays du Mercosur : une modélisation VAR

La littérature sur les zones monétaires optimales met l’accent sur l’identification des chocs communs, le degré de similarité dans le processus d’ajustement des économies et le degré de convergence des politiques économiques. Cette section analyse ces différents points. Une modélisation VAR est utilisée car elle permet en effet d’analyser les conséquences de chocs orthogonaux sur les variables exogènes du modèle. Les modèles VAR ne sont pas élaborés à partir d’a priori théoriques. Une façon d’introduire des fondements théoriques est d’inclure des restrictions dans des VAR structurels afin d’établir des prédictions relatives à la dynamique temporelle suivie par les variables endogènes à la suite d’un choc.

1.1 Méthodologie

1.1.1 Le choix des variables

Chaque VAR national est un modèle avec huit variables : trois externes et cinq domestiques.

Les trois variables externes retenues sont les suivantes : (i) le prix mondial du pétrole (WOP); (ii) l’indice de la production industrielle des États-Unis (US_IPI) et (iii) le taux d’intérêt des Fed Funds en terme nominal (US_R).

Les cinq variables domestiques sont : (i) l’IPI de chacun des trois pays (A_IPI, B_IPI et U_IPI pour Argentine, Brésil et Uruguay respectivement); (ii) l’indice des prix à la production (A_PPI, B_PPI et U_PPI); (iii) le taux du marché monétaire en terme nominal (A_R, B_R et U_R); (iv) l’agrégat monétaire M2 (A_M2, B_M2 et U_M2) et (v) le taux de change réel mesuré par le produit du taux de change nominal par le rapport des prix américains sur les prix domestiques, soit equation: 1515713n.jpg avec DOM pour Argentine, Brésil et Uruguay (A_, B_ et U_).

Une caractéristique importante de notre modèle est de construire un VAR pour chacune des trois économies à partir des mêmes variables externes (WOP, US_IPI et US_R). Ce choix a été préféré à celui consistant à prendre en compte des variables externes purement exogènes afin de souligner les interactions entre ces trois variables dans chacun de nos modèles nationaux.

Comme il est habituel dans la littérature, nous supposons que les chocs structurels orthogonaux sont une combinaison linéaire des résidus dans des VAR de forme réduite. L’identification des chocs est obtenue en utilisant les restrictions contemporaines fondées sur l’ordre de Choleski d’une structure économique récursive. Ainsi, les variables sont ordonnées de la plus exogène vers la plus endogène. Nous ne recourons donc pas à la décomposition de Blanchard et Quah (1989) utilisée dans de nombreuses études. En effet, supposer la neutralité à long terme des chocs nominaux semble arbitraire pour des études couvrant une douzaine d’années. L’ordre des variables dans la matrice de Cholesky n’est naturellement pas laissé au hasard : il est fondé sur l’intuition et la théorie économique, et validé par les fonctions de réponse aux chocs (« fonctions de réponses impulsionnelles ») et les résultats de la décomposition de la variance des erreurs de prévision. C’est la raison pour laquelle à la suite de Doan (2004), nous qualifions ces VAR de « semi-structurels », et non simplement de récursifs. Au total, les VAR nationaux ont l’ordre suivant des variables : WOP, US_IPI, US_R, IPI domestiques, PPI domestiques, R domestiques, M2 domestiques et ER domestiques.

1.1.2 Le modèle

La stationnarité des taux d’intérêt et du logarithme des autres variables a été vérifiée à l’aide des tests de Dickey et Fuller. Ces tests sont perturbés par les chocs de la période, les épisodes d’inflation élevée, les programmes de stabilisation et les changements dans les régimes de politique économique (y compris les régimes de change). Toutefois, nous avons vérifié que toutes les données – corrigées de la présence de « ruptures structurelles » déterminés de manière exogène (Perron, 1989) – étaient I(1) à l’exception du taux d’intérêt qui est I(0). Les tests de coïntégration de Johansen n’identifient aucun vecteur de coïntégration[2]. Le choix d’un VAR simple en différence première est déduit de l’absence de vecteurs de coïntégration entre les différentes variables retenues ici. En outre, comme l’ont souligné Allen et Fildes (2005), toute autre solution (VAR en niveau ou même Modèle Vectoriel à Correction d’Erreur dit « VECM ») pourrait conduire à d’importantes erreurs de prévision.

Le nombre de retards a été choisi à partir des critères et des tests habituels à l’aide du logiciel Eviews[3]. Lorsque différents retards apparaissaient, nous avons suivi le principe de parcimonie et donc choisi le nombre indiqué de retards le plus faible.

Cela nous a finalement conduits à adopter un seul retard dans nos VAR. Pour chaque pays noté i, la forme réduite standard du VAR avec constante est la suivante :

Afin de tenir compte de certains chocs ayant affecté les pays étudiés, nous avons ajouté un certain nombre de variables muettes :

  • la période 1990-T1 – 1994-T2 pour le Brésil marquée par la forte accélération de l’inflation qui précède la mise en place du Plan de stabilisation dit « Plan Real »;

  • la période 2001-T3 – 2003-T1 pour l’Uruguay au cours de laquelle ce pays a été fortement perturbé par les conséquences durables de la crise de paiement brésilienne sur les partenaires commerciaux du Brésil, et plus encore de la crise qui suit de l’effondrement du régime de change argentin.

L’introduction d’une variable muette pour l’Argentine, prenant en compte directement l’effondrement de la caisse d’émission, ne s’est pas révélée significative. Nous ne l’avons donc pas maintenue dans notre VAR.

Il convient de préciser que nos trois pays ont non seulement adopté des régimes de change différents, mais que ceux-ci ont évolué au cours de la période d’étude. Les principaux changements ont été les suivants :

  • entre 1991 et 2001, l’Argentine a adopté une caisse d’émission puis, après cette période, un régime de flottement indépendant. (dans ce qui suit, la caisse d’émission est considérée comme un régime d’ancrage dur);

  • sur la plus grande partie de la période, c’est-à-dire entre 1991 et 1997, le Brésil a adopté un système de parités glissantes. Précisons que lors de la mise en place du Plan Real en 1994, le Brésil avait momentanément recouru à un système de flottement étroitement contrôlé. En 1998, les autorités substituent à ce système un régime de bandes glissantes, puis à partir de 1999 un système de flottement indépendant avec cible d’inflation. Ainsi, sur la période 1991-1998, le Brésil a eu un régime de change intermédiaire;

  • entre 1991 et 2001, l’Uruguay a choisi un régime de change intermédiaire fondé sur des bandes glissantes. En juin 2002, un régime de flottement a été adopté.

Les innovations structurelles orthogonales ont été déduites des résidus issus du VAR de forme réduite en utilisant la procédure d’identification expliquée précédemment. Ces innovations structurelles ont permis d’identifier les réponses de nos variables aux chocs (Annexe 1) ainsi que les décompositions de variances (Annexe 2).

1.1.3 Typologie des chocs

Ce travail distingue :

  • des chocs réels extérieurs : le prix du pétrole en tant que choc mondial et l’indice de la production industrielle des États-Unis en tant que choc régional;

  • un choc réel domestique avec l’indice de la production industrielle de chacun des trois pays;

  • des chocs nominaux domestiques avec l’indice des prix à la production, le taux d’intérêt du marché monétaire, l’agrégat M2 et le taux de change réel. Ce dernier est identifié comme un choc nominal dans la mesure où il produit les mêmes effets que si nous avions pris les taux de change nominaux. En outre, sur la période considérée, le taux de change réel est fortement déterminé par l’évolution des prix à la production. Les variables taux d’intérêt et taux de change réel peuvent être interprétées comme des variables de politique économique. L’agrégat M2 peut être considéré comme une variable non politique représentant la demande de monnaie (Eichenbaum et Evans, 1995). C’est le choix fait ici.

En outre, l’analyse des réponses de l’agrégat M2 aux différents chocs est rendue complexe en raison de différents facteurs :

  • d’une part, l’agrégat peut inclure des titres de dette publique liquides, auquel cas il ne réagit plus nécessairement selon une logique transactionnelle usuelle. C’est notamment le cas au Brésil dans notre échantillon;

  • d’autre part, les évolutions de M2 apparaissent en partie liées à la dollarisation des économies;

  • il convient de tenir compte du fait que les modalités de la dollarisation différent selon les économies;

  • cet agrégat monétaire intègre ou n’intègre pas les dépôts en devises. Précisons ce point.

En reprenant les distinctions établies par Reinhart, Rogoff et Savastano (2003)[4], l’Argentine et le Brésil ont une dollarisation de type I, dans laquelle des dollarisations domestique et externe coexistent, alors que l’Uruguay a une dollarisation de type II, c’est-à-dire essentiellement domestique, le secteur privé ayant une dette externe en devises relativement faible. Les trois pays ont aussi des degrés de dollarisation assez différents : élevé pour l’Argentine (20 sur une échelle de 30) et l’Uruguay (21); moyen pour le Brésil (7)[5].

Enfin, il est important de noter que si M2 en Argentine[6] inclut certains dépôts en dollars, ce n’est pas le cas pour le Brésil et l’Uruguay. Ce n’est pas réellement important compte tenu du faible degré de dollarisation de l’économie; mais il n’en va pas de même pour l’Uruguay. Pour ce dernier, on observe que la demande de monnaie mesurée par M2 ne répond pas qu’aux seuls facteurs traditionnels d’une fonction de demande de monnaie, mais dépend également des événements extérieurs et domestiques susceptibles de provoquer une crise de confiance. Par exemple, lors de la crise argentine, l’agrégat M2 a baissé en Uruguay au profit de M2 (qui comprend les dépôts en dollars) en raison d’une dollarisation accrue de l’économie liée à la perte de confiance vis-à-vis de la monnaie domestique.

1.2 Résultats

L’objectif est ici double. D’une part, il s’agit d’identifier quels types de chocs, réels ou nominaux, produisent les fluctuations les plus importantes dans les trois économies étudiées. D’autre part, il s’agit de voir dans quelle mesure les variables macroéconomiques retenues réagissent de manière similaire ou non à ces chocs. Nous obtiendrons ainsi un premier aperçu du comportement de chacune de ces économies à la suite des chocs, notamment en termes de convergences des politiques économiques.

1.2.1 Chocs réels extérieurs : réactions des variables domestiques

L’analyse des réponses des IPI aux chocs sur WOP et US_IPI montre que les effets sont de court terme (de l’ordre d’un à deux trimestres) et d’ampleur limitée. L’analyse de la décomposition de variance des IPI domestiques confirme les observations précédentes. Dans aucun des trois pays, les innovations sur WOP ou l’IPI des États-Unis n’expliquent plus de 10 % de la variance de leur IPI.

Un choc sur WOP provoque dans les trois pays une hausse des prix, soit à l’impact, soit au bout d’un trimestre. Les prix à la production s’ajustent relativement rapidement dans les trois pays. Le choc est en effet absorbé au bout de cinq à six trimestres. Les fluctuations des prix sont particulièrement marquées et significatives en Argentine. Elles peuvent être la conséquence du currency board. Celui-ci limitant les possibilités d’ajustements amortis de l’économie face à des chocs, soit les ajustements sont rapides, mais porteurs d’instabilité à court terme, soit, au contraire, ils sont très lents.

Les réactions de court terme à un choc sur l’US_IPI sont conformes aux effets attendus : les prix augmentent après le choc. On relève à nouveau des différences concernant l’ampleur des fluctuations avec des réactions très marquées des prix argentins et très faibles des prix uruguayens. De même, l’ajustement est plus long dans le premier pays par rapport au second. Les décompositions de variance montrent que les innovations sur la production américaine expliquent une part significative de la variance des prix en Argentine et en Uruguay, mais non au Brésil.

Les réponses des taux d’intérêt aux deux chocs extérieurs réels sont dans l’ensemble peu significatives. Quelque soit le régime de change, les marges de manoeuvre des politiques monétaires semblent avoir été sur une grande partie de la période limitées ou non utilisées. Dans les trois pays, le taux d’intérêt a été utilisé pour faire respecter l’ancrage nominal (où le taux de change apparaît à chaque fois) dans un contexte de lutte contre l’inflation. Les réactions contracycliques sont de ce point de vue limitées. Cette analyse est confirmée par les décompositions de variance : aucune des variables réelles extérieures n’exerce d’influence sur les taux d’intérêt, à l’exception du l’Uruguay avec l’US_IPI. Les innovations sur cette variable expliquent entre 11 et 12 % de la variance de U_PPI après huit trimestres.

1.2.2 Choc nominal extérieur : réactions des variables réelles et nominales domestiques

Le choc considéré ici est un choc de politique monétaire : le taux d’intérêt du marché monétaire aux États-Unis.

D’une manière générale, on observe que les réponses des variables domestiques sont faiblement significatives et de court terme. Cela ne signifie pas que les pays latino-américains ne soient pas affectés par la politique monétaire américaine. En fait, il s’agit davantage d’un effet lié à la période d’étude. Si on excepte la période 1994-1995 et celle qui apparaît après le deuxième trimestre de 2004, notre échantillon a été marqué soit par des détentes monétaires importantes aux États-Unis – entre 1991 et 1993 puis entre fin 2000 et fin 2003 – soit par une stabilité des taux (entre 1995 et 1999). Autrement dit, les chocs sur les taux d’intérêt américains ont été d’une manière générale de faible ampleur, ce qui peut expliquer les résultats obtenus ici. L’analyse des décompositions de variance confirme l’influence limitée du taux d’intérêt américain sur la période d’étude.

1.2.3 Choc réel domestique

Les réponses au choc d’offre domestique – choc appréhendé par l’indice de la production industrielle (IPI) – sont de courte durée et faibles ou non significatives, à l’exception du Brésil. Les décompositions de variance des autres variables domestiques montrent ainsi que les innovations de l’IPI n’expliquent de manière significative d’autres variables que dans le cas du Brésil. Il n’apparaît cependant aucun effet de persistance.

1.2.4 Chocs nominaux domestiques

L’analyse des décompositions de variance permet de souligner le rôle des prix dans le type d’économies étudiées. Si les innovations sur les prix n’expliquent pas la variance de la production, elles sont des variables explicatives importantes des autres variables nominales domestiques. Dans les trois pays, l’effet sur les taux d’intérêt est important et persistant (au-dessus de 30 % pour l’Argentine après le trimestre 2; entre 27 et 38 % pour le Brésil; entre 33 et 49 % pour l’Uruguay). Pour des économies au passé inflationniste, on voit clairement la réaction des autorités à toute pression sur les prix. On relève aussi une influence significative sur les agrégats monétaires M2, particulièrement marquée pour le Brésil. Les innovations sur les prix expliquent près d’un quart de la variance des taux de change réels au Brésil et en Uruguay, ce qui suggère un ajustement des taux de change nominaux limités et conformes à la peur du flottement. A contrario, la rigidité du taux nominal impliqué par la caisse d’émission explique l’influence très forte (plus de 55 %) des innovations sur les prix en Argentine.

Les innovations sur le taux d’intérêt s’interprètent comme des chocs de politique monétaire. Dans les trois pays, les chocs sur les taux d’intérêt sont très rapidement absorbés. En fait, les décompositions de variance suggèrent que les innovations sur les taux d’intérêt ne sont pas une variable explicative pertinente des autres variables. Cette faible capacité explicative peut trouver son origine dans un activisme monétaire très limité dans les trois pays considérés.

Le choc sur M2 est un choc de demande nominale. Dans les trois pays, l’ajustement de M2 est inférieur à un an. C’est en Argentine que les fluctuations des variables liées aux innovations sur M2 sont les plus importantes tant en ampleur qu’en nombre de variables affectées. L’analyse de la décomposition de variance montre en ce sens que les innovations sur M2 rendent compte de 16 à 18,5 % de la variance de l’IPI argentin mais pas de celle des autres pays.

Le choc sur le taux de change réel est une dépréciation suivie par une appréciation marquée mais de courte durée. Les effets sont de court terme dans les trois pays (de l’ordre de deux à trois trimestres). Les décompositions de variance montrent elles aussi la faible influence exercée par le taux de change réel sur la période considérée, et ce dans un contexte où les autorités des trois pays ont une logique d’ancrage de leur monnaie.

1.2.5 Synthèse

Les résultats des VAR pays montrent ainsi que les économies du Mercosur réagissent plutôt à des chocs nominaux et non à des chocs réels. D’une part, ce sont les innovations sur les variables nominales qui produisent les fluctuations les plus significatives. D’autre part, ce sont elles qui ont les effets de persistance les plus importants, ce qui est confirmé par les décompositions de variance. Or, l’analyse des ajustements aux chocs montre des réactions sensiblement différentes. Une implication importante est que si les VAR ne permettent pas d’affirmer que les pays ont eu des chocs asymétriques sur la période d’analyse, ils montrent nettement des dynamiques nationales spécifiques à la suite de ces mêmes chocs. De ce point de vue, l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay ne forment pas une zone monétaire optimale.

Le modèle à composantes inobservables permet de préciser ces résultats.

2. Identification des composantes communes et spécifiques des chocs : un modèle espace-état

La procédure d’identification des chocs « structurels » dans les VAR – qu’elle passe par une simple procédure de triangulation « à la Choleski », à partir d’une hypothèse d’exogénéité ad hoc sur les variables (comme dans la section précédente), ou par une décomposition « à la Blanchard et Quah » de type « nouvelle synthèse » opposant chocs de demande (n’ayant pas d’effets réels à long terme) aux chocs d’offre – ne permet pas de dissocier les chocs entre composantes commune et spécifique à chaque pays. Or, il s’agit là d’un élément important pour apprécier la pertinence d’une zone monétaire. Ainsi, de faibles composantes communes impliquent a priori d’importants ajustements des taux de change, rendant ainsi instable une union monétaire. Cette faiblesse peut aussi signifier des réactions différentes des économies aux chocs.

Afin d’identifier les composantes commune et spécifique des différents chocs structurels, nous utilisons une décomposition en deux composantes inobservables à partir d’un filtre de Kalman (voir Harvey, 1990; Kim et Nelson, 1999). Une telle procédure a été mise en oeuvre par Bosco N’Goma (2000) pour les pays de la zone CFA, par Chamie, Deserres et Lalonde (1994) pour l’Europe et les États-Unis et par Lalonde et St-Amant (1993) pour la zone ALENA.

2.1 Méthodologie

Comme le rappellent Lemoine et Pelgrin (2003), les modèles espace-état distinguent variables observées (le signal) et variables cachées (l’état interne). Ils sont constitués :

  • d’une ou plusieurs équation(s) de mesure décrivant la manière dont les variables observées sont générées par les variables cachées et les résidus;

  • d’une ou plusieurs équation(s) de transitions décrivant la manière dont les variables cachées sont générées à partir de leur retard et d’innovations.

Comme dans Allegret et Sand-Zantman (2007), nous cherchons ici à décomposer les chocs affectant les trois partenaires du Mercosur (ou les pays pris deux à deux) en deux composantes inobservables : une composante commune aux trois pays (ou à deux des trois pays) et une composante spécifique à chaque pays.

En notant :

  • les trois pays A, B et U respectivement pour l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay;

  • les chocs réels ou nominaux ε i_j,t, en la date « t », avec j= IPI, PPI, ER, R, et M2;

  • les composantes communes {nC_j,t};

  • les composantes spécifiques {ni_j,t};

  • la part des composantes communes dans les chocs εi_j,t : αi_j et des composantes spécifiques (1 – αi_j).

La décomposition peut se résumer à l’estimation des paramètres αi_j et des chroniques {nC_j,t} et {ni_j,t}.

Dans notre modèle « espace-état[7] », ce bloc constitue le système d’équations « de mesure » où les chocs structurels (ici variables dépendantes) du modèle résultent, rappelons-le, de la décomposition des résidus d’estimation de la forme réduite du VAR.

Pour estimer les paramètres αi_j et les chroniques nC_j,t et ni_j,t, la procédure va consister à ajouter un second système d’équations dites « de transition ». Ce dernier bloc spécifie le comportement dynamique des différentes composantes inobservables du modèle.

Concernant la dynamique des variables d’état, cette étude suppose un modèle invariant puisque les chocs structurels ne sont pas autocorrélés. Les composantes commune et spécifique sont des bruits blancs. Dans une grande partie des logiciels, et en particulier ceux utilisés ici[8], les innovations structurelles εi_j,t sont générées et normalisées en supposant des variances unitaires. Cette normalisation permet de comparer plus aisément des chocs structurels relatifs à une variable spécifique et générés à partir des résidus des VAR réduits nationaux estimés séparément. Les composantes inobservables sont normalisées en imposant également une variance unitaire. Ces hypothèses déterminent la trajectoire des composantes puisqu’elles précisent la distribution de ces variables stochastiques : elles expriment ainsi les équations de transition.

Enfin, l’estimation doit être « calée » sur la série représentative des chocs de l’un des pays qui sera pris comme choc de référence. L’Argentine est choisie comme « pays de référence » avec pour initialisation αA_j = 1 au démarrage des procédures itératives d’estimation. L’algorithme itératif que constitue le filtre de Kalman permettra de déterminer s’il existe une combinaison linéaire de chocs commun et spécifique permettant de décomposer nos chocs, et estimera la part de la composante commune dans chaque chronique nationale.

2.2 Résultats

L’annexe 3 présente les différents résultats obtenus à l’aide du logiciel Eviews. Les tests de spécifications utilisent l’approche en termes de maximum de vraisemblance (Harvey, 1990).

2.2.1 Les chocs étrangers

Les chocs sur les trois variables étrangères – présentes dans les trois modèles VAR pays – nous permettent de tester la validité de notre méthodologie. On peut supposer que les chocs structurels déduits des trois équations comportent une forte composante commune : ils doivent donc être perçus par notre modèle comme un choc essentiellement commun.

En dépit des faibles performances de notre estimation du prix du pétrole dans les trois modèles pays, le modèle à composante inobservable montre clairement le poids de la composante commune dans les innovations « prix du pétrole ». C’est également vrai, mais dans une moindre mesure, pour les deux autres variables externes (IPI américain et taux d’intérêt américain). Ces résultats apparaissent dans les tableaux A.3.1. à A.3.3. où la composante commune représente selon les pays entre 70 et 80 % du choc structurel sur le prix du pétrole, ce qui est une part systématiquement supérieure aux deux autres chocs extérieurs (le choc sur US_IPI et celui sur US_R)[9]. Le Brésil a souvent une composante commune inférieure aux deux autres pays. Ce pays semble ainsi avoir une autonomie plus importante, notamment à l’égard de la conjoncture américaine.

2.2.2 Les chocs domestiques

Les innovations structurelles sur les IPI domestiques constituent notre premier choc. Lors des estimations, les chocs argentin et brésilien ont successivement a été considérés comme le cycle commun de référence (tableau A.3.4.)[10]. À un seuil de significativité de 5 %, les pays ne partagent manifestement aucun cycle commun, que l’on prenne le cycle argentin ou le cycle brésilien comme référence. À un seuil de 10 %, l’Argentine et l’Uruguay semblent partager une dynamique commune lorsque le cycle argentin est pris pour référence. Cependant, même dans ce cas, la part de la composante commune reste inférieure à 10 %. Nous avons ensuite essayé d’estimer la composante commune par paire de pays du Mercosur. Les résultats confirment les remarques précédentes. Ainsi, l’Uruguay partage la même proportion de composante commune que dans le modèle à trois pays, et ce, même si le test est moins significatif. Le Brésil n’a aucune composante commune avec l’Argentine et l’Uruguay.

Nous obtenons des résultats identiques avec les chocs sur les prix à la production. L’Uruguay a une composante commune avec l’Argentine, et ce pour une part qui frise les 10 % et à un niveau de significativité honorable (proche de 1 %) (Tableau A.3.5.).

Dans le cas des autres chocs domestiques, les tableaux A.3.6. (taux d’intérêt), A.3.7. (agrégat M2) et A.3.8. (taux de change réels), montrent l’absence de composante commune. Étant donné que le taux d’intérêt et les taux de change réels sont des variables politiques, ce résultat suggère que les pays du Mercosur ne coordonnent pas leur politique macroéconomique. Notre résultat confirme en partie l’analyse de Eichengreen et Taylor (2004). Ces derniers ont en effet souligné que l’un des problèmes majeurs des pays du Mercosur du point de vue des critères des zones monétaires optimales est le manque de coordination de leur politique économique.

L’absence de composante commune pour l’agrégat M2 confirme les observations issues de l’analyse du VAR : les demandes de monnaie dans les trois pays obéissent à des logiques différentes de détermination.

Conclusion

Les résultats obtenus dans cette étude convergent pour indiquer que les pays du Mercosur ne sont pas prédisposés à former une union monétaire soit entre eux, soit avec les États-Unis. En premier lieu, la synchronisation des cycles apparaît trop limitée pour ne pas suggérer la présence de chocs asymétriques et/ou des réactions différentes de politique économique. En deuxième lieu, les VAR structurels domestiques confirment la faible convergence des politiques économiques entre ces pays. En particulier, face à des chocs nominaux en partie commun, les ajustements différent sensiblement. En troisième lieu enfin, notre modèle espace – état montre la faible composante commune des chocs. Cela confirme notre hypothèse d’une faible coordination des politiques économiques au sein de la zone.

Cette étude a quelques implications de politique économique. Les pays du Mercosur ont adopté un dispositif institutionnel destiné à promouvoir la coordination des politiques économiques entre les pays membres. En ce sens, les pays ont clairement affiché une volonté politique d’intégration poussée, mais cet objectif initial est loin d’être atteint. Les résultats de nos estimations conduisent à identifier une explication importante à cet état de fait : l’absence d’ancre commune au sein de la zone. En effet, comme le montrent les modèles VAR pays, ces économies ne sont pas frappées par des chocs de nature très différente. Si les réactions diffèrent, c’est en raison de l’adoption de régimes de change différents – et divergents dans les moments de crises comme lors de celle de 1999 – au cours de la période étudiée. Dans la lignée d’une approche endogène des zones monétaires optimales, il apparaît qu’adopter une stratégie d’ancrage commun serait susceptible d’améliorer la convergence des politiques économiques. L’asymétrie des chocs et l’absence de synchronisation des cycles entre les pays du Mercosur et les États-Unis impliquent que le dollar n’est pas une ancre pertinente. La diversité de la structure des échanges commerciaux des pays de la zone appelle plutôt un ancrage à un panier de devises. Compte tenu de la fragilité des régimes de change intermédiaire dans un contexte de mobilité croissante des capitaux, une solution alternative, suggérée notamment par Rose (2007), pourrait être que tous les pays du Mercosur adoptent une cible d’inflation comme ancre commune.

Cependant, il convient d’interpréter avec prudence les résultats obtenus ici. D’une part, la période d’étude est relativement courte. D’autre part, les problèmes liés à la sensibilité de ces pays aux flux internationaux de capitaux n’a pas été explicitement prise en compte ici. Ainsi, une recherche complémentaire doit porter sur une modélisation plus précise de l’instabilité financière de ces pays et sur ses conséquences quant au bien-fondé d’une union monétaire[11]. En outre, les structures financières sont insuffisamment intégrées dans l’analyse. Or, non seulement les pays du Mercosur ont des degrés de dollarisation différents, mais les différences de structures financières entre eux, notamment du point de vue de l’importance relative des marchés financiers, peuvent être des éléments d’explications de la faible convergence des politiques économiques au sein de la zone.