Corps de l’article

1. Introduction

En 2002, l’Assemblée mondiale des Nations Unies (United Nations Economic and Social Affairs, 2002) reconnaissait que le vieillissement de la population constituait un phénomène sans précédent, universel, de grande portée, durable et irréversible dont l’évaluation est encore ambiguë. Bien que moins affecté comparativement à d’autres provinces canadiennes, le Nouveau-Brunswick n’est pas épargné par l’augmentation des 65 ans et plus parmi la population totale. À ce titre, les données du dernier recensement de Statistique Canada sont on ne peut plus significatives. Ainsi, en l’espace de 25 ans, le nombre d’aînés au Nouveau-Brunswick est passé de 70 555 en 1981 à 107 635 en 2006, ce qui représente une hausse de 52,6 %. Cette dernière demeure toutefois nettement inférieure comparativement à ce que l’on observe pour l’ensemble du pays (86,3 %) ou encore dans le cas de certaines provinces plus urbanisées comme l’Ontario (90 %) ou le Québec (89,7 %). Or, la gérontocroissance (définie ici comme étant l’augmentation du nombre de personnes âgées) et le vieillissement démographique (c’est-à-dire l’accroissement de la proportion des aînés) ont des incidences à la fois positives et négatives tant au plan socio-économique qu’en termes de développement territorial (Dumont, 2006 ; Gumuchian et Pecqueur, 2007). Par exemple, le vieillissement peut entraîner une évolution différentielle, à la fois quantitative et qualitative, des besoins en logements, laquelle se répercute inévitablement sur l’aménagement du territoire. Or, cette économie, que d’aucuns qualifient de résidentielle (Davezies, 2004, 2009 ; Tanguy, 2006) peut s’avérer bénéfique pour certains milieux notamment ceux à faible densité humaine.

À la fois bien de consommation, investissement, moyen de transférer la richesse et milieu de vie, le logement constitue un aspect important dans la vie des personnes âgées. Comme l’explique Lawton (1982), il est souvent perçu par les aînés comme une « extension du moi ». Le domicile, pour reprendre ses termes, « devient alors le point central des souvenirs de toute une vie » (Lawton, 1982 : 62). À ce chapitre, il n’est guère étonnant de constater que le dispositif résidentiel constitue le champ d’intervention où l’on recense, au sein des pays occidentaux, le plus grand nombre d’initiatives orientées vers l’amélioration de la qualité de vie des aînés (Simard, 2006a). Dans cette perspective, tant les acteurs socio-économiques que les chercheurs conviennent de l’importance qu’exerce le logement dans la vie des personnes âgées (Bonvalet Drosso, Benguigui, et Mai Huynh, 2007 ; Cherubini, 1999 ; Delisle, 1999 ; Lawton, 1982). Si certaines de celles-ci sont en mesure d’occuper de luxueux condos généralement situés en périphérie des villes, tous n’ont pas cette chance. En milieu rural fragile[1] par exemple, où l’infrastructure de services est le plus souvent réduite au minimum, les aînés, particulièrement ceux à revenu modeste, doivent recourir à d’autres types d’hébergement. À bien des endroits, notamment au Québec et en Europe, nous constatons une recrudescence de l’intérêt pour la formule coopérative. Mais il n’est pas que l’économie sociale qui donne lieu à l’émergence d’initiatives originales en ce domaine. Les secteurs public et privé tentent eux aussi de s’adapter aux nouveaux besoins manifestés par les personnes âgées en matière de logement.

Le but de cet article consiste à examiner, à partir de quatre notions qui font école dans le domaine du développement territorial, dans quelle mesure un modèle d’habitation issu de la sphère privée peut avoir des répercussions positives sur la qualité de vie des personnes âgées en milieu rural fragile. Nous nous intéresserons plus spécifiquement au cas de la petite communauté de Robertville, une localité rurale située au nord-est du Nouveau-Brunswick. De concert avec un groupe de personnes âgées et quelques leaders locaux, un promoteur privé a développé un concept d’habitation unique en son genre qui allie à la fois les aspirations de ces trois catégories d’acteurs sociaux.

Au plan méthodologique, nous avons opté pour une démarche qualitative de type exploratoire. Cette approche « (…) se concentre plutôt sur l’analyse des processus sociaux, sur le sens que les personnes et les collectivités donnent à l’action, sur la vie quotidienne, sur la construction de la réalité sociale » (Deslauriers, 1991 : 6). Comme le rappellent Clément, Rolland et Thoer-Fabre (2007), les choix individuels en matière de logement sont rarement analysés alors qu’une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents permettrait de mieux appréhender les répercussions sociales du vieillissement. Par conséquent, ces mêmes auteurs réclament un plus grand nombre de recherches qui tiennent compte du point de vue des aînés dans le domaine des sciences sociales. En outre, à l’exception des travaux de Paillat et Parent (1980), de Dumont (2006) et de nos propres contributions (Simard, 2006a et b, 2009), la problématique de la gérontocroissance et du vieillissement, analysée dans une perspective de développement territorial, a fait l’objet de peu de recherches. Finalement, si les conséquences du vieillissement de la population ont retenu l’attention de plusieurs spécialistes en ce qui concerne les grands équilibres dans les domaines de l’économie et de la santé, les travaux portant plus spécifiquement sur le logement se font beaucoup plus rares (Bonvalet et al., 2007 ; Martin, 1997). Or, comme le logement est une composante essentielle de la qualité de vie, il devient une dimension particulièrement importante lorsque les restrictions d’activités conduisent à repenser l’environnement quotidien.

Nous privilégierons une démarche en quatre étapes. Dans un premier temps, nous exposerons brièvement les principaux concepts qui charpentent notre travail. Par la suite, nous exposerons, de manière plus spécifique, notre méthode d’analyse. La troisième partie portera plus explicitement sur la présentation de nos résultats de recherche eu égard aux quatre notions retenues aux fins de notre analyse. Enfin, dans la quatrième partie, nous évoquons, à grands traits quelques perspectives d’avenir et de développement.

2. Cadre conceptuel

2.1 La cohésion sociale

La cohésion sociale, selon Roehner (2004), se définit comme étant l’ensemble des forces qui permettent aux membres d’une communauté de coexister et de vivre ensemble. Pour la plupart des sociologues, le concept réfère à la volonté des acteurs à « faire société ». Cette volonté, qui se manifeste à la fois par des comportements, des attitudes, des valeurs ou des règles de vie acceptées par tous les membres, favorise l’établissement de liens sociaux. Dès lors, la cohésion sociale s’affirme via l’appartenance à un groupe. Selon Delisle (1999), l’aîné, bien ancré dans son milieu, sera plus apte à se joindre à un groupe et à développer un sentiment d’appartenance. La cohésion sociale se matérialise par l’intégration et la participation des individus aux activités de ce groupe ce qui lui confère une identité propre. Par conséquent, elle prend forme au travers l’action sociale et territoriale à laquelle elle est très étroitement associée (Delevoye, 1997).

Dans ce contexte, la cohésion sociale est susceptible de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des individus en général et de celle des aînés en particulier. Elle permet aussi de mieux résister aux changements (Roehner, 2004). Les activités, la famille, les voisins, les groupes communautaires, les organismes religieux, l’histoire commune et le sentiment d’appartenance sont autant d’éléments qui conditionnent le maintien d’une cohésion sociale forte. Ceux-ci s’avèrent aussi des déterminants incontournables dans la constitution de réseaux et le renforcement de la capacité de résilience (Keown, 2009 ; Roehner, 2004).

2.2 Appartenance territoriale

L’appartenance territoriale réfère à l’aptitude, pour toute personne, de se considérer et de se sentir comme faisant partie intégrante d’un groupe, d’une famille, d’un ensemble ou d’une communauté. En d’autres termes, elle désigne le rapport qu’entretient un individu à l’égard de sa communauté. Ce rapport représente une dimension fondamentale et universelle de la condition humaine, car chaque individu qui demeure dans un milieu en subit inévitablement l’influence. En outre, l’appartenance est absolue lorsqu’on a l’intime conviction d’être en phase avec son milieu. Enfin, le sentiment d’appartenance traduit le besoin, pour un individu, d’approprier son espace, son cadre de vie.

Pour de nombreux auteurs (Carrier et al., 2000 ; Jean, 1997 ; Kayser, 1996), l’appartenance territoriale constitue l’un des principaux éléments de caractérisation (et donc de définition) du fait rural, l’une des conditions de son existence. Le rapport au territoire se concrétise dans la construction du sentiment identitaire tant sur une base individuelle que collective. Le sentiment d’appartenance à une communauté permet de stimuler l’engagement social des individus[2]. En effet, plus une personne est intégrée à son milieu, plus elle est susceptible d’être imprégnée par la territorialité de ce milieu (Dionne et Thivierge, 2000). Les individus qui passent leur vie dans la même communauté, qui participent aux activités de cette communauté, qui partagent les lieux privilégiés (sur les plans économique, politique, symbolique et affectif) et qui nouent des relations entre eux sont davantage enclins à développer un sentiment d’appartenance élevé à l’égard de leur milieu comparativement à ceux qui en sont écartés.

En ce sens, Moquay (1997, 1998) mentionne que l’appartenance au territoire constitue un facteur de confiance qui facilite l’établissement de relations stables d’engagement mutuel, la constitution de réseaux, l’entraide, le partenariat, l’échange et la coordination. Cette appartenance représente un élément vital à la solidarité communautaire et au maintien d’un tissu social fort tant recherchés pour leurs effets organisationnels bénéfiques. Dans cette même foulée, elle constitue, pour plusieurs spécialistes en science régionale (Brassard et Gagnon, 2000 ; Dionne et Thivierge, 2000 ; Dugas, 1994 ; Vachon et Lemieux, 1998 ; Vincq, 1998) une condition essentielle au développement local. En outre, ces mêmes chercheurs reconnaissent, exemples à l’appui, que l’existence d’un sentiment d’appartenance à l’intérieur d’une communauté occupe une place centrale dans le processus de développement local ou régional. Ainsi, l’appartenance territoriale est à la source d’initiatives pour la création d’emplois, la protection de l’environnement et l’épanouissement de la solidarité. Le sentiment identitaire peut donc figurer, soit en amont ou en aval du processus de développement et ce, même si, dans les deux cas, ce sentiment demeure une variable fondamentale dans l’élaboration de ce processus.

2.3 La communauté

Au sens large, la communauté désigne un ensemble d’individus qui habite un lieu commun. De façon générale, le concept se caractérise par des liens internes intenses, une forte cohésion et un esprit de solidarité. Pour Aristote, la communauté fait référence à la vie autarcique et heureuse du village. C’est d’ailleurs sous l’angle spatial que les socio-logues ont, dans un premier temps, examiné le concept de communauté. Le sociologue allemand Tönnies en fait même une sorte d’idéal. Selon ce dernier, la communauté est « de l’ordre de l’organique, du fusionnel, unité substantielle dont les membres tirent leur identité propre du seul fait de leur participation communautaire, consciente ou inconsciente » (cité par Akoun et Ansart, 1999 : 88). Selon Schrecker (2006), deux traits saillants affirment l’existence d’une communauté. D’une part, les liens sociaux sont souvent vécus comme égalitaires. D’autre part, le village se fait communauté autour de l’idée de préservation de sa propre identité et de la transmission de ses traditions (Miner, 1985 ; Schrecker, 2006).

La communauté est aussi un lieu de sociabilité et de solidarité. Celle-ci s’incarne au travers des groupes sociaux, tels que les clubs de l’âge d’or, les chevaliers de Colomb et les filles d’Isabelle, ou encore par l’intermédiaire de la paroisse, avec sa kyrielle de comités et de mouvements. Par ailleurs, la communauté fournit également des repères sécurisants pour les personnes âgées. C’est le cas notamment de l’épicerie, de l’école ou encore de la force symbolique que représente le clocher du village. Dès lors, la communauté devient, selon Martin (1997), l’endroit vers lequel les aînés se tournent lorsqu’ils ont besoin d’aide, de soutien ou de toute autre forme d’appui.

2.4 La solidarité

Le sentiment d’appartenance a comme résultat de développer un esprit de solidarité. En milieu rural, les valeurs personnelles réfèrent constamment au petit groupe social dans lequel l’individu est étroitement inséré. La sociabilité, la solidarité, les liens de parenté et d’amitié, l’étendue des relations influencent la vie de chacun et conditionnent ses comportements. Pour certains, cette solidarité constitue « l’une des conditions essentielles pour assurer un développement coopératif efficace et harmonieux dans le contexte actuel de mondialisation et de paupérisation d’une partie importante de notre société » (Saint-Pierre, 1998 : 123). En fait, la solidarité est ni plus ni moins la résultante du lien et du capital social (Akoun et Ansart, 1999).

Les solidarités interindividuelles prennent de multiples formes. Ainsi, nous distinguons la solidarité spontanée et la solidarité d’assurance (Simard, 2003). La première comporte essentiellement une dimension communautaire. Elle se manifeste par des relations interpersonnelles très étroites et intenses particulièrement en milieu rural où la petite taille démographique des localités favorise l’établissement de telles relations. Celles-ci se matérialisent par des visites entre voisins, de l’entraide mutuelle, des discussions au bureau de poste, au dépanneur, à la caisse populaire, etc. Quant à la seconde, la solidarité d’assurance, elle revêt davantage une dimension sociale. Elle se traduit, dans bien des cas, par une mobilisation des individus à la suite d’événements tragiques ou douloureux.

La solidarité spontanée est particulièrement prisée par les personnes âgées. Puisque, selon Cherubini (2005), les aînés connaissent une transformation de leur soutien familial, par la mobilité et l’éloignement de leurs enfants, ils assistent à l’émergence de nouvelles formes de soutien et de réseaux. Pour plusieurs, l’entraide et le soutien font partie intégrante de leur vie. Ces formes de solidarité permettent de repenser le milieu communautaire dans lequel les personnes âgées vivent. Par conséquent, elles influencent positivement leur qualité de vie.

Les principaux concepts liés à notre contribution ayant été présentés, la prochaine section portera sur l’analyse de nos résultats. Ceux-sont seront évoqués en reprenant chacune des notions qui structurent notre travail. Toutefois, il nous apparaît important, d’entrée de jeu, d’effectuer une brève présentation de la localité de Robertville au plan socio-économique et de décrire, dans ses grandes lignes, le modèle d’habitation qui a vu le jour au sein de cette communauté.

3. Méthode d’analyse

3.1 Instrument d’analyse

Tel que mentionné en introduction, nous avons opté pour une recherche de type exploratoire. Le paradigme constructiviste soutient que la réalité est multiple, subjective et construite psychologiquement par les individus (Guba et Lincoln, 2005). Ce type de recherche tente de comprendre la réalité des personnes par le biais d’entrevues et autres sources d’information telles que l’observation participante et l’examen de documents, le cas échéant. Par conséquent, cette méthode d’analyse nous apparaissait la plus appropriée compte tenu des objectifs de notre recherche.

La grille d’entretien que nous avons élaborée gravitait autour des quatre concepts que nous avons brièvement exposés à la section précédente. Il s’agit, rappelons-le, de la cohésion sociale, de l’appartenance territoriale, de la communauté et de la solidarité. Ces notions sont étroitement imbriquées les unes aux autres[3] et récurrentes dans le vaste champ du développement territorial. Notre grille a servi de matériau préparatoire à la tenue d’un focus group, un outil qui découle de l’observation directe permettant de développer une approche de co-construction avec les participants. Le groupe de discussion a permis de recueillir le point de vue des personnes âgées quant au rôle que joue le modèle d’habitation dont elles disposent sur leur qualité de vie.

3.2 Description de l’échantillon et démarche relative à la cueillette des données

Sept des 10 résidants[4] ont participé au groupe de discussion. Ceux-ci occupent le complexe d’habitation depuis plusieurs années, soit deux depuis sa construction, deux depuis six ans et trois depuis cinq ans. Sélectionnés sur une base volontaire, les participants se composaient exclusivement de femmes dont la moyenne d’âge était de 82,4 ans.

Une rencontre préliminaire s’est tenue avec l’un des résidants afin de l’informer sur la nature et les objectifs de notre étude. Celui-ci nous a servi en quelque sorte d’intermédiaire auprès des autres occupants afin de les convier à participer à notre recherche. Quant au focus group, il s’est déroulé le 28 août 2009 dans la salle commune de l’immeuble. L’accueil chaleureux et l’atmosphère détendue ont permis de créer une ambiance propice au dialogue et aux échanges. Au début de l’entrevue, les participants ont été invités à prendre connaissance du formulaire de consentement. Nous les avons aussi encouragés à poser leurs questions, le cas échéant.

En raison du petit nombre de participants, notre grille d’entretien se composait exclusivement de questions ouvertes. Ce choix s’est également justifié par la très grande variété de réponses que nous nous attendions de recevoir. Les questions ont été formulées de manière à encourager les participants à faire état de leur expérience. Le focus group a duré un peu plus d’une heure. Celui-ci comportait six étapes.

Après avoir expliqué, dans des mots assez simples, le sens des quatre concepts retenus aux fins de notre étude, nous avons demandé aux participants de préciser ce que ces notions signifiaient pour eux. Par la suite, nous les avons invités à identifier en quoi ces concepts s’appliquaient ou non à leur situation. Dans un troisième temps, nous avons demandé aux participants d’expliquer comment leur lieu d’habitation contribuait à leur qualité de vie. La quatrième partie de notre démarche consistait à identifier les éléments qui particularisent leur milieu. Nous voulions, par cette intervention, être en mesure de cibler les facteurs qui font en sorte que les personnes âgées se sentent bien dans leur environnement et veulent y demeurer. Une cinquième question portait plus spécifiquement sur les possibilités d’amélioration concernant le complexe d’habitation en particulier et la qualité de vie des participants en général. Enfin, nous leur avons demandé comment ils entrevoyaient leur propre avenir ainsi que celui de leur milieu. Ces deux derniers thèmes ont été regroupés au sein de notre analyse sous la rubrique « perspectives d’avenir et de développement » (voir section 4).

Les participants ont été conviés à s’exprimer à tour de rôle sur chacun de ces six aspects. Leurs propos ont été enregistrés. Pour ce faire, nous avons obtenu leur approbation ainsi que celle du comité d’éthique de la Faculté des études supérieures et de la recherche de l’Université de Moncton. Les données ont été traitées à partir de la transcription intégrale des informations obtenues lors du focus group.

4. Analyse des résultats

4.1 Brève présentation de la communauté à l’étude

Robertville est une petite localité rurale faisant partie du comté de Gloucester située au nord-est de la province du Nouveau-Brunswick (Carte de localisation). Au plan juridique, le village correspond à un district de services locaux (DSL).[5] Aux fins du recensement, Robertville est intégré à la municipalité de Beresford dont la population se chiffrait, en 2006, à 6 301 habitants. On estime celle de Robertville à environ 840 personnes. La cohorte des 65 ans et plus regroupe 10,7 % de la population totale de Beresford (Tableau 1). La proportion de jeunes y est légèrement supérieure par rapport à celle du comté de Gloucester auquel la localité de Beresford appartient. Bien que nous ne disposions pas de données précises à ce sujet, la situation semble être différente dans le cas de Robertville. En effet, selon certains leaders locaux, la dénatalité, l’exode et le vieillis-sement démographique menaceraient la survie de l’école du village. Des données obtenues après du ministère de l’Éducation semblent attester leur affirmation. Ainsi, le nombre d’élèves à Robertville aurait diminué de 37 % entre 1997 et 2008.

Tableau 1

Principales caractéristiques socio-économiques de la localité de Beresford en comparaison avec le comté de Gloucester et la province en 2006

Principales caractéristiques socio-économiques de la localité de Beresford en comparaison avec le comté de Gloucester et la province en 2006
Source : Statistique Canada. Recensements de 2001 et 2006

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Au plan économique, la situation de Beresford apparaît nettement meilleure que celle du comté de Gloucester pris dans sa globalité, le taux d’activité y étant supérieur de 3,7 points. De même, le taux de chômage est légèrement moins élevé par rapport à ce que l’on observe à l’échelle régionale. L’activité économique gravite surtout autour des services, ceux-ci formant 70,2 % de la structure occupationnelle locale. Le tourisme exerce aussi un rôle majeur au sein de l’économie. Principal employeur de la localité, Beresford possède un important manufacturier de portes et fenêtres. En fait, près d’une personne sur cinq occupe un emploi au sein de ce secteur d’activité. C’est probablement ce qui explique que la population de Beresford est moins scolarisée que celle du comté et de la province. En raison du rôle de petit centre de services que cette localité exerce dans son environnement immédiat, mais aussi de sa vocation touristique, l’infrastructure de services, à Beresford, est relativement bien développée. Aussi y retrouve-t-on une école, un aréna, une pharmacie, un salon de coiffure, une caisse populaire, une salle de quilles, un ciné-parc, un centre de curling ainsi que de nombreux restaurants, motels, bars-salons et autres types de commerces. Comparativement à celle de Beresford, l’armature de services, à Robertville, est beaucoup plus modeste. Outre, un immeuble à appartements pour aînés, objet de notre propos, elle se compose d’une coopérative d’alimentation, d’une école primaire, d’une caisse populaire, d’un bureau de poste, d’un club d’âge d’or, d’un dépanneur et d’un foyer de soin pour personnes âgées.

Localisation géographique de la localité de Roberville dans le comté de Gloucester au Nouveau-Brunswick

Localisation géographique de la localité de Roberville dans le comté de Gloucester au Nouveau-Brunswick
Cartographie : Majella Simard, laboratoire de géographie, Université de Moncton, 2010

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La bonne santé économique de Beresford se reflète également par un niveau de revenu plus élevé que celui du comté de Gloucester et de la province dans son ensemble. Il s’ensuit, eu égard à ce que l’on observe aux échelons régional et provincial, une plus faible proportion du revenu perçu sous la forme de transferts gouvernementaux et des familles à faible revenu.

4.2 Présentation du modèle d’habitation pour personnes âgées et bref historique du projet

Le modèle d’habitation retenu aux fins de la présente analyse est un immeuble d’un étage comportant 10 appartements. Cet immeuble accueille exclusivement des personnes âgées autonomes. Chacune des unités est assortie d’une entrée privée. Celles-ci se composent de deux chambres, d’une cuisine, d’un salon, d’une salle de bain et d’un coin de rangement. À l’intérieur de chaque appartement, une porte donne accès à un corridor qui sert de lien entre tous les logements. L’immeuble comprend également une buanderie et une salle de séjour commune.

Sur le terrain de l’édifice, un coin a été aménagé pour chaque résidant afin de leur permettre d’y planter des fleurs et d’aménager un potager. Les locataires ont également accès à un jardin communautaire ainsi qu’à plusieurs espaces verts. À noter que l’immeuble est situé légèrement en retrait de la route principale. La relative proximité des services par rapport au complexe conjugué au fort sentiment d’appartenance qui, comme nous le verrons au cours des prochains paragraphes, caractérise les résidants à l’égard de leur milieu, contribuent au maintien de l’infrastructure de services locaux.

En 1991, le vieillissement accéléré de la population de Robertville incite un groupe d’entrepreneurs à y construire un immeuble d’habitation. Une consultation est menée auprès de quelques personnes âgées et de certains leaders locaux afin de déterminer s’il y a un réel besoin et un intérêt pour ce type de projet. Les résultats de la consultation s’avèrent positifs. Le promoteur, un entrepreneur privé, reçoit 18 noms de personnes intéressées non seulement à y habiter, mais aussi à émettre leurs idées quant au plan lié à sa construction. Les futurs locataires désirent effectivement être partie prenante du projet. Avec le promoteur, ils s’assoient autour d’une même table et établissent les différents paramètres relatifs à l’érection de l’édifice. L’un de ceux-ci concerne notamment la localisation de l’immeuble. On souhaite qu’il soit situé près des services de façon à pouvoir s’y rendre à pied en quelques minutes. En même temps, les futurs locataires demandent à ce que l’édifice ne longe pas la route principale, ceci dans le but de préserver leur tranquillité. Ils émettent aussi des exigences quant à l’aménagement paysager. Ils insistent notamment pour que chacun des résidants puisse bénéficier d’un jardin. Les travaux débutent à l’hiver 1991. L’immeuble accueille ses premiers occupants au courant de l’été de la même année.

4.3 Éléments d’observation et d’analyse

4.3.1 La cohésion sociale

Pour les répondants, la cohésion sociale réfère aux liens qui se tissent entre chacun des résidants. Elle se manifeste par la capacité à demeurer actif, un commentaire qui a été soulevé par l’ensemble du groupe. De façon unanime, les résidants évoquent que la présence du complexe leur a permis de demeurer dans leur paroisse et ainsi de maintenir les liens avec leurs proches. Parce qu’elles savent s’organiser entre elles, les personnes qui habitent cet édifice ont à se tourner moins souvent vers leurs enfants pour leur demander de l’aide. Aux dires d’un participant, « ce complexe d’appartements nous permet de ne pas embarrasser nos enfants ». Par conséquent, cet esprit d’entraide mutuelle est particulièrement apprécié auprès des résidants. Le temps ne constitue pas un obstacle à leur engagement au sein de la vie communautaire, leurs obligations ne se limitant qu’à la préparation des repas et à l’accomplissement de certaines tâches ménagères. De fait, en dépit de leur âge avancé, les personnes âgées qui habitent l’immeuble sont toutes très actives. « On continue notre routine d’avant (jardinage, achats ou cuisine) ».

Étant donné que l’environnement, tant intérieur qu’extérieur, a été pensé en fonction des besoins des locataires, ceux-ci sont davantage enclins à demeurer actifs, une observation que souligne également Deslisle (1999) dans ses travaux. Par exemple, certains bénéficiaires ont aménagé des mangeoires d’oiseaux. D’autres cultivent leur potager ou alors profitent du jardin communautaire. D’autres encore ont disposé des tables et des chaises pour s’asseoir à l’extérieur et respirer l’air frais. « Les petits jardins de fleurs nous occupent et aident à diminuer l’ennui ». La tranquillité, la sécurité et la vastitude des espaces verts sont autant d’éléments qui contribuent à améliorer la qualité de vie des résidants. Les commentaires qu’ils ont formulés à ce sujet confirment d’ailleurs l’analyse effectuée par Clément, Rolland et Thoer-Fabre (2007). Ces auteurs établissent notamment l’existence d’une relation causale entre la qualité de vie des personnes âgées et la prise en considération de leurs attentes dans l’élaboration de tout projet résidentiel.

Les participants ont aussi mentionné que l’église et le club de l’âge d’or constituaient des lieux propices au renforcement des liens sociaux. La proximité de ces deux services par rapport à leur lieu de résidence les incite à participer plus activement à la vie communautaire. Dès lors, le territoire peut être considéré comme une ressource, au sens où l’entendent Gumuchian et Pecqueur (2007), c’est-à-dire un lieu qui permet de se retrouver et de s’affranchir. Leur participation se traduit aussi par une volonté manifeste à encourager l’achat local et ce, même si la majorité des résidants possède encore leur propre voiture. Aussi, préfèrent-ils de loin, dans la mesure du possible, effectuer leurs emplettes à Robertville plutôt que de transiger avec les commerçants de Beresford. Certes, ce choix leur permet d’éviter certains déplacements. Mais il est surtout un signe de leur appartenance au territoire.

Bref, le renforcement de la cohésion sociale se matérialise par une vie communautaire relativement intense, la fréquentation des services de proximité ainsi que par un très fort esprit de solidarité. Pour reprendre l’expression d’un participant, « on est tissé très serré ».

4.3.2 L’appartenance territoriale

Étant presque tous natifs de Robertville, les résidants déclarent éprouver un fort sentiment d’appartenance à l’égard de leur localité. Avec le temps, ils ont accumulé du capital social local (amis, habitudes, etc.), ce qui explique la force de leur esprit identitaire. Delisle (1999) évoque que plus le sentiment d’appartenance est élevé, plus la cohésion sociale sera forte. Durant l’entrevue, nous avons été à même de constater que le rapport au territoire se manifestait par une utilisation très fréquente d’expressions telles que « chez-nous » et « notre paroisse ». Ce rapport explique aussi l’importance que les répondants accordent à la vie communautaire. De concert avec le propriétaire, tous les résidants sont impliqués, de près ou de loin, dans l’organisation et la logistique liées au bon fonctionnement de l’établissement.

D’après les participants, la localisation géographique de l’immeuble est un facteur qui contribuerait au renforcement du sentiment identitaire. Tous apprécient particulièrement que le complexe se situe à Robertville. L’aménagement paysager rappelle celui dont les résidants profitaient du temps où ils occupaient leur maison. Par conséquent, ils ont le sentiment d’être et de se sentir chez eux.

Enfin, tel que mentionné plus tôt, la volonté des résidants à se procurer, en autant que faire se peut, le maximum de biens et de services offerts par les commerçants locaux est autre une manifestation du fort sentiment d’appartenance qui les anime.

4.3.3 La communauté

La communauté semble occuper une place importante dans la vie des personnes que nous avons interrogées. Elles y sont particulièrement attachées. C’est notamment le cas de celles qui habitent encore dans le milieu qui les a vues naître. Figure de symbole, cette communauté représente aussi un lieu de souvenirs. Puisque ces personnes connaissent très bien leur milieu, y ayant habité souvent toute leur vie, elles désirent y demeurer. L’implantation d’un immeuble à appartements est venue satisfaire ce désir. « Ça nous permet de rester dans notre environnement, dans notre paroisse ». Cela est d’autant plus capital pour les bénéficiaires que la majorité d’entre eux sont, rappelons-le, natifs de Robertville. « C’est important quand on peut rester dans notre environnement, dans l’endroit qu’on connaît ». Nous avons été plutôt surpris lorsqu’un participant a évoqué que la présence du complexe avait eu des impacts en matière d’aménagement du territoire notamment en contribuant à maintenir les effectifs démographiques du village favorisant ainsi la consolidation du tissu de peuplement et celle de l’infrastructure de services locaux.

L’organisation matérielle du bâtiment a aussi des implications sur la vie communautaire. La particularité des corridors, qui servent d’aire commune à l’ensemble des résidants, leur permet de se côtoyer plus facilement et d’affermir cet esprit communautaire. Le salon, autre pièce commune que l’on retrouve à l’intérieur de l’établissement, ouvre la porte au dialogue et à la socialisation. Particulièrement fréquentée par les amateurs de cartes, cette pièce contribue à briser l’isolement et la solitude.

Diverses activités sont organisées par les résidants. Ces activités renforcent le sens qu’ils accordent à la notion de communauté. Par exemple, la prière du matin est l’occasion de se retrouver ensemble, de solidifier les liens qui unissent les bénéficiaires, bref de « faire communauté ». Un résidant offre également un service de covoiturage aux autres locataires. La fréquentation des commerces locaux contribue aussi à nouer des liens sociaux et amicaux entre les bénéficiaires et les autres membres de la communauté de Robertville.

Finalement, il ressort, d’après les propos formulés par les participants, que leur complexe d’habitation est beaucoup plus qu’un simple immeuble. Il représente, à leurs yeux, une composante essentielle de la vie en communauté et du vivre-ensemble.

4.3.4 La solidarité

La solidarité a été mentionnée à maintes reprises comme un élément qui singularise ce modèle d’habitation. Elle s’exprime à travers une multitude de gestes quotidiens qui rendent la vie plus agréable, comme une visite à l’improviste ou un appel téléphonique, mais aussi par diverses formes d’entraide que les résidants ont, de manière informelle, implantées au fil des années. Par exemple, lorsqu’une personne est déprimée ou découragée, les bénéficiaires s’encouragent mutuellement. Un participant a expliqué avoir chuté dans son appartement, se fracturant une côte. Un résidant est immédiatement venu à sa rescousse. « Si j’avais été seul dans ma maison, je ne sais pas ce que j’aurai fait ». Bien qu’informel, ce système d’entraide est connu de tous, et chacun peut compter sur l’autre pour obtenir du soutien tant au plan physique que psychologique.

Selon certains résidants, le concept d’habitation a favorisé l’émergence d’une véritable cellule familiale. « Nous formons une grande famille ». Un participant a relaté un autre exemple où le mot « solidarité » prenait tout son sens. Constatant qu’une résidante ne s’était pas présentée à la prière matinale, un comportement contraire à ses habitudes, un locataire est immédiatement allé frapper à sa porte de chambre, pour constater qu’elle avait été victime d’un malaise cardiaque. Grâce à l’intervention de ce bénéficiaire, les secours ont pu être dépêchés rapidement sur les lieux, ce qui lui a sauvé la vie. De manière unanime, les participants du focus group ont mentionné que l’établissement de ce réseau d’entraide s’avérait très rassurant. Par conséquent, il procure un sentiment de sécurité et de bien-être chez les résidants.

Une autre caractéristique relevée par les participants en lien avec le concept de solidarité concerne le fait que leur modèle d’habitation contribue à réduire l’isolement et la solitude. Plusieurs auteurs – Clément, Rolland et Thoer-Fabre (2007) notamment – ont montré que les personnes âgées qui se construisaient des réseaux de solidarité souffraient moins d’isolement. Un participant a évoqué ce qui suit : « Lorsqu’on est une personne âgée, on est plus seule, notre résidence brise l’isolement pour nous autres ».

Les lieux communs permettent aux personnes qui habitent l’immeuble de se rencontrer et d’échanger. Les appartements servent aussi de lieux de rencontre. Les locataires se fréquentent à tour de rôle que ce soit pour une partie de cartes, de « parchési » ou encore simplement pour causer. Leur disponibilité, leur ouverture d’esprit et leur sociabilité sont autant de qualités qui favorisent les rencontres.

Nous avons notre privé, car nous avons notre appartement, mais si on veut briser notre privé on va dans le grand salon ou chez un voisin et il y a toujours une personne qui est là avec qui on peut jaser, ça brise l’isolement.

À aucun moment durant notre entretien, les participants n’ont évoqué les mots « insécurité » et « solitude » pour caractériser leur situation. Le fait d’habiter dans un immeuble dont ils ont défini les principaux paramètres et autres éléments de spécificité contribue à fuir la solitude. Tous les bénéficiaires considèrent leur milieu de vie comme étant des plus sécuritaires, un sentiment qui ne les animait pas lorsqu’ils demeuraient seuls dans leur maison. « Quand on vieillit, on a besoin de plus de sécurité. J’avais très peur quand je vivais seul dans ma maison, mais depuis que je suis ici, je n’ai plus pensé à la peur ». Un autre participant ajoute :

Quand j’étais seul, j’avais toujours peur de dormir seul. Je devais aller coucher chez ma fille tous les soirs puis ce n’était pas plaisant, car je ne voulais pas la déranger. Mais depuis que je suis ici, je n’ai plus peur de dormir le soir.

L’insécurité et la peur sont deux réalités que ne connaissent pas les individus qui résidant au sein de ce complexe. « Personne ne souffre d’insomnie ici », a évoqué l’un d’entre eux. Un participant souligne d’ailleurs que le sentiment de sécurité qui habite chacun des résidants contribue à réduire le stress. « C’est mieux que des pilules », enchérit-il. Tranquillité d’esprit et sécurité contribuent non seulement à l’amélioration de la qualité de vie des bénéficiaires, mais aussi à leur épanouissement personnel et social.

5. Perspectives d’avenir et de développement

En raison du vieillissement de la population de Robertville et de Beresford, les participants au focus group anticipent la construction d’un deuxième immeuble qui posséderait les mêmes particularités que le leur. Selon eux, il y aurait une demande pour cette forme d’habitation. Pour appuyer leurs propos, ils signalent notamment que depuis l’implantation du complexe, aucun appartement n’est demeuré vacant plus de 30 jours. En outre, d’aucuns affirment connaître dans leur entourage des individus intéressés à venir s’y établir. Comme la résidence affiche toujours complet, ceux-ci se voient contraints d’emménager à l’extérieur de leur lieu d’origine.

D’ici peu, le centre d’accueil pour personnes âgées non autonomes, qui a pignon sur rue à Robertville, sera agrandi. Le projet, qui relève du secteur public, est relativement bien perçu par les résidants du complexe, ces derniers estimant qu’il permettra de répondre aux besoins d’une population de plus en plus vieillissante.

Quand on leur demande si un aspect de leur milieu pouvait être amélioré ou modifié, la plupart des participants mentionnent qu’ils apprécieraient bénéficier, sur une base occasionnelle, d’un service de repas ou encore profiter d’une cuisine communautaire. Cette dernière permettrait de multiplier les rencontres et les échanges. Ils réclament, de manière plus explicite, un service de traiteur. « Nous pourrions en profiter quand bon nous semble, quand ça ne nous tente pas de cuisiner » rétorque un locataire.

6. Conclusion

Au terme de cette analyse, nous croyons avoir atteint l’objectif que nous nous étions fixé. Ce dernier, rappelons-le, consistait, à partir d’un modèle d’habitation ayant valeur d’exemplarité, à identifier les facteurs susceptibles de contribuer, en milieu rural fragile, au maintien et à l’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées. Élaborés dans une perspective de développement territorial, quatre indicateurs ont servi à appuyer notre réflexion à savoir : la cohésion sociale, l’appartenance territoriale, la communauté et la solidarité. Les résultats que nous avons obtenus à partir d’un focus group confirment l’étroite imbrication qui caractérise ces quatre notions fondamentales en science régionale.

La sécurité, l’entraide, le sentiment d’appartenance à la communauté et les réseaux sociaux sont autant d’éléments qui contribuent au renforcement de la cohésion sociale et, par conséquent, à la qualité du cadre et du milieu de vie. Ces facteurs favorisent aussi une participation accrue des personnes âgées à l’organisation de la vie communautaire. Dans la mesure du possible, celles-ci souhaitent demeurer dans leur environnement. Mais il y a un revers à la médaille. Ce choix implique, en effet, que les résidants se retrouvent le plus souvent éloignés de leurs enfants lesquels habitent généralement en ville. Dès lors, ils organisent leur milieu de vie en mettant en place différents moyens qui leur permettent de briser l’isolement et de se rendre utiles. C’est ainsi que nous avons assisté, dans le cas qui nous intéresse ici, à l’implantation d’un système informel de surveillance qui peut s’avérer un outil extrêmement précieux en cas d’urgence. La fréquentation des commerces locaux constitue une occasion de s’intégrer à la communauté. À ce titre, un des principaux éléments qui se dégage de notre analyse concerne l’importance que nos sujets accordent à la dimension territoriale. Celle-ci se manifeste notamment par le très fort sentiment d’appartenance qu’ils éprouvent à l’égard de leur milieu. Elle se reflète aussi par leur intérêt pour tout ce qui concerne l’aménagement de l’espace (localisation de l’immeuble, qualité et accessibilité des espaces verts, proximité des services, etc.) et l’achat local.

Mais ce qui explique davantage le succès relié à ce projet tient à l’engagement des premiers résidants à son élaboration et, de manière plus spécifique, à l’étroite concertation qui s’est manifestée entre ceux-ci et le promoteur. De toute évidence, cette concertation a permis aux personnes âgées de se construire un chez-soi qui correspond à leurs aspirations. L’esprit de partenariat qui régnait lors de la mise en oeuvre de cette initiative semble toujours bien présent au sein des résidants qui habitent cet immeuble.

Certes, nous sommes conscients que notre recherche est loin d’avoir épuisé la question du logement à destination des aînés en milieu rural fragile. Bien qu’il puisse être transposé à d’autres milieux, le cas que nous avons analysé ne peut évidemment pas s’appliquer à toutes les communautés rurales du Nouveau-Brunswick. De plus, comme certains événements relatés par les participants du focus group reposaient sur leurs souvenirs, force est de reconnaître la limite de ces données rétrospectives. Néanmoins, notre recherche montre que la participation citoyenne des aînés est susceptible de faire contrepoids au discours alarmiste axé sur les effets négatifs liés à la gérontocroissance et au vieillissement démographique. Elle ouvre aussi la porte à d’autres travaux portant sur la contribution de la concertation et du capital socioterritorial comme facteurs de développement en milieu rural fragile. En outre, elle éveille en nous un certain nombre d’interrogations. Où se situent les personnes âgées qui, dans leur milieu, n’ont pas accès à ce genre d’habitation ? Comment vivent-elles cette situation ? Doivent-elles quitter leur milieu d’origine pour aller vivre ailleurs ? Ce déménagement a-t-il un impact sur leur qualité de vie et sur celle de leur communauté ? Autant de questions qui montrent la nécessité de réaliser des enquêtes sur le terrain afin de mieux saisir la réalité des personnes âgées vivant en milieu rural. Connaître les comportements résidentiels des aînés ne permet-il pas de mieux appréhender l’impact potentiel du vieillissement démographique sur le marché du logement et d’anticiper les trajectoires de demain ?