Corps de l’article

1. Introduction

Le présent article découle d’une étude de cas des perceptions de trois associations de bassin versant du Nouveau-Brunswick sur les retombées environnementales, économiques et sociales d’un programme de restauration de fosses septiques. Plus précisément, cette étude veut montrer les relations entre l’approche de gestion intégrée par bassin versant et celle de l’économie sociale. En effet, les liens entre ces deux pratiques ne sont pas souvent mis en évidence dans la littérature.

Ce texte résulte d’une recherche partenariale entre des scientifiques universitaires et trois associations de bassin versant. Elle a porté sur la gestion d’un programme de restauration des systèmes de fosses septiques sur le littoral acadien du Nouveau-Brunswick au Canada Atlantique entre 2006 et 2009. L’étude de cas consiste en l’analyse des impressions des répondants au sujet de la régie d’un programme de protection de la ressource en eau du gouvernement du Nouveau-Brunswick dirigé par les organismes de bassin versant. Notre enquête se limite à trois de ces groupes, soit ceux situés sur le littoral acadien de la région Chaleur de Caraquet dans le nord-est jusqu’à Barachois - Cap Pelé - Shemogue dans le sud-est de la province. Ces trois groupes ont été choisis afin d’être représentatifs du territoire, à savoir, celles de la pêche traditionnelle artisanale, des milieux industriel et touristique.

Tout d’abord, nous présenterons les contextes théoriques des approches de gestion intégrée, de gestion par bassin versant et d’économie sociale. Ensuite, nous exposerons l’étude de cas utilisée en décrivant le programme de restauration des fosses septiques et son administration par les organismes de bassin versant. Nous traiterons de l’analyse effectuée pour témoigner des répercussions de ce dernier sur les retombées environnementales, économiques et sociales en insistant sur ces dernières pour, en discussion, montrer des liens avec l’économie sociale. En conclusion, nous ferons valoir l’importance des associations de bassin versant comme acteur du changement environnemental, économique et sociétal.

2. Contexte théorique

2.1 Approche de gestion intégrée

Le concept de gestion intégrée est né du besoin d’une démarche interdisciplinaire mieux adaptée aux problèmes soulevés par rapport à la gestion des ressources. Cette nouvelle approche se préoccupait autant de questions d’ordre économique et social que de questions d’écologie ou d’environnement. C’est à partir de 1992, au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, que le terme devient reconnu à l’échelle internationale.

La gestion intégrée peut être définie comme étant un processus continu et dynamique qui lie les gouvernements, la communauté, la science, la gestion, les intérêts des différents secteurs et ceux du public dans la réalisation et la mise en place d’un plan visant la protection et la croissance des écosystèmes et de leurs ressources (Burton, 2003 ; 2005). Cet outil a comme objectif l’amélioration de la qualité de vie des sociétés tout en maintenant la diversité biologique et la productivité des écosystèmes (Sasseville et Maranda, 2000). Il s’agit d’une méthode collaborative, flexible et transparente qui ne peut s’imposer, mais doit plutôt être construite en partenariat avec les acteurs (Savoie-Zajc, 2009). Cette pratique embrasse les principes de gestion écosystémique, de développement durable et de précaution.

Un des fondements à la base de la gestion intégrée est la nécessité de l’engagement citoyen dans son sens le plus large (Burton, 2005). C’est une approche collective et collaborative qui se situe dans la foulée du principe 10 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (Nations Unies, 1992) qui veut que : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient » et que (...) « chaque individu doit avoir dument accès aux informations relatives à l’environnement (…) pour participer aux processus de prise de décision. » (p. 2).

La gestion par bassin versant s’inscrit donc comme une méthode de gestion intégrée. D’ailleurs, Paillard (2008 : 4) mentionne que la mission des associations de bassin versant est de « travailler à maintenir un écosystème sain afin de conserver une eau de qualité en quantité suffisante pour la sauvegarde de la vie aquatique et les besoins des collectivités humaines. »

2.2 Approche de gestion par bassin versant

Depuis un certain nombre d’années, il y a une reconnaissance généralisée du bassin versant comme unité territoriale privilégiée pour une gestion efficace de l’eau (Cervoni, Biro et Beazley, 2008). L’objectif est d’atteindre un développement durable du territoire, et ce, pour toutes les activités économiques comme l’agriculture ou la forêt, pour ne nommer que ces deux secteurs (Prévil, St-Onge et Waaub, 2004).

La gestion par bassin versant est plus qu’un changement de l’ensemble des fonctionnements des structures administratives. Il s’agit d’une application de la gestion intégrée fondée sur une nécessité d’harmonie entre les acteurs et les décideurs régionaux, d’une part, et les différents paliers de gouvernement, d’autre part. Ce type d’administration préconise avant tout une approche participative et interdisciplinaire (Berkes, 2004). Dans ce contexte, à l’intérieur de la notion de gestion par bassin versant apparait l’association, le groupe ou le partenariat de bassin versant. Ces groupements, typiquement des organismes de coordination locale, mobilisent leurs efforts pour une gestion intégrée et durable du milieu, surtout en ce qui concerne la quantité et la qualité de l’eau. Il s’agit, la plupart du temps, de partenariats représentatifs et démocratiques entre les secteurs public, privé et communautaire pour en arriver à une gérance de la région basée sur les forces de chacun (Mitchell, 2005).

De nombreux auteurs s’entendent pour dire qu’une pratique ancrée dans les communautés est nécessaire pour qu’aient lieu de véritables actions visant le développement durable des ressources et une gestion intégrée du territoire (Barker, 2005 ; Christie et al., 2005). Il y a donc, non seulement, une définition à l’échelle régionale des problèmes, mais aussi une tentative de réponse concertée en vue d’apporter des solutions (Assouline et Assouline, 2009 ; Davenport, 2003).

2.3 Économie sociale

L’économie sociale prône un engagement citoyen et vise un enchâssement de l’économique dans le social (Lévesque, 1989 ; Quarter, Mook et Richmond, 2003). En prenant en compte l’environnement, la société est à son tour incorporée à l’écologie (Sébastien, 2006). Les principes de l’économie sociale permettent un ancrage territorial du développement durable. En effet, l’économie sociale se caractérise par des décisions égalitaires, la participation des citoyens, la considération des problèmes environnementaux et un transfert des profits vers la collectivité. De plus, les valeurs de celle-ci sont axées vers une évolution économique et collective, tandis que la notion de développement durable est plutôt orientée vers le patrimoine communautaire. Ainsi, l’approche de l’économie sociale concernant les questions environnementales constitue un fonctionnement novateur et accentue la contemporanéité (Gendron et Gagnon, 2004). En outre, pour qu’il y ait un développement durable, il faut que l’environnement soit une condition, que l’économie soit un outil et que le social soit une fin (Gendron, 2007). Enfin, les caractéristiques environnementales des écosystèmes doivent être prises comme une exigence sine qua non afin que les démarches engagées respectent le milieu de modalité.

3. Étude de cas

3.1 Apparition des associations de bassin versant au Nouveau-Brunswick

Au Nouveau-Brunswick, les associations de bassin versant (ABV) sont apparues vers la fin des années 1990. La plupart sont nées d’un besoin provincial de classifier la qualité des eaux, afin de donner suite à la loi sur l’assainissement des eaux (Nouveau-Brunswick, 1989). De cette dernière découle un règlement sur la classification des eaux au Nouveau-Brunswick où l’on favorise les interventions des acteurs locaux pour l’atteinte des normes de qualité de l’eau. D’autres regroupements émergent avec un désir de prise en charge de questions variées en ce qui a trait à l’écosystème régional (Émond et al., 2007). Aujourd’hui, 20 associations de bassin versant existent, sans compter les nombreuses organisations de pêche ou de conservation.

Tous ces groupes ont en commun la préservation et la gestion de la ressource en eau en particulier et le développement durable en général. Ils font la collecte de données biophysiques d’habitats variés, agissent comme organismes de surveillance auprès des ministères pour soulever les cas de non-respect des règles relatives à la protection du milieu et administrent des programmes d’intendance et d’éducation. En fait, ces groupements font la médiation entre l’environnement, l’économie et la société.

3.2 Programme de restauration des fosses septiques

Le programme de restauration des fosses septiques est un plan du ministère de l’Environnement du Nouveau-Brunswick qui a fait appel à la collaboration des ABV entre 2003 et 2007. L’objectif était d’aider les propriétaires de maison à faibles revenus dont la fosse septique était défectueuse dans le but de réduire les risques de contamination des eaux souterraines et des eaux de surface. En effet, les associations ont eu comme tâche de l’administrer localement et ainsi d’offrir à la population moins bien nantie, les moyens de voir à la restauration de leurs fosses septiques. Dans le cadre d’une recherche précédente, une évaluation du programme (Émond et al., 2007) identifie plusieurs retombées socioéconomiques importantes pour les communautés dont le développement de liens entre les ABV et les petits entrepreneurs locaux, la mise en valeur des ABV dans leur région et la sensibilisation de la collectivité à des enjeux environnementaux. Malgré ces impacts positifs, le gouvernement provincial a aboli ce programme après cinq ans, en 2007.

4. Objectif

L’objectif de cette recherche est de montrer les liens entre la gestion intégrée par bassin versant et l’approche de l’économie sociale à l’aide de l’analyse des retombées d’un programme de restauration des fosses septiques par les associations de bassin versant. Les répercussions positives de ce genre d’initiative sont souvent évaluées en matière d’impacts économiques et environnementaux avantageux, mais les effets sociaux effectifs et potentiels sont aussi importants. C’est ce que nous avons tenté de mettre en évidence dans cet article.

5. Méthode

5.1 Recherche partenariale participative

La méthode utilisée pour ce projet s’inscrit dans le cadre général de la recherche partenariale participative (ARUC-ÉS/RQRP-ÉS, 2007a ; 2007b). Cette expérience consiste à réaliser une analyse en partenariat avec les praticiens et intervenants du milieu étudié (Bourque, 2008). Ce genre d’exploration se veut une démarche de coconstruction et de coproduction afin de faire valoir les connaissances, les observations, les moyens des individus et des organisations du site d’étude en lien avec le milieu universitaire. Cette forme de pratique est très bénéfique et appropriée pour les chercheurs, car elle permet de mettre en valeur des savoirs difficilement accessibles.

5.2 Échantillonnage

La technique d’échantillonnage des ABV pour cette expérience a été la création d’un échantillon typique par choix raisonné (Angers, 2009 ; Beaud, 2006). Cette méthode non probabiliste a permis de retenir trois ABV, jugées représentatives de l’ensemble du littoral acadien de la province du Nouveau-Brunswick. Plus précisément, ces dernières ont été choisies à partir d’une investigation plus large sur l’économie sociale et la gouvernance dans les bassins versants du littoral acadien où onze groupes sur seize avaient participé (Émond et al., 2007). De plus, selon nos partenaires des ABV, les sujets visés étaient représentatifs des zones géographiques des associations, soit le nord-est, le centre et la partie sud-est du Nouveau-Brunswick. Ce territoire s’étend de la région Chaleur jusqu’à celle du sud-est, soit Barachois - Cap-Pelé - Shemogue (Figure 1 pour une mise en situation géographique de ces régions). Par ailleurs, comme cette étude se veut exploratoire, la représentativité de l’échan-tillonnage, au sens probabiliste du terme, n’est pas nécessaire puisque les résultats montrent le fonctionnement particulier des ABV dans une perspective multidisciplinaire (Beaud, 2006). En outre, ces ABV doivent demeurer anonymes afin de respecter les conditions de confidentialité exigées par l’éthique de la recherche.

Figure 1

Localisation des territoires couverts par les associations de bassin versant sélectionnées pour cette étude

Localisation des territoires couverts par les associations de bassin versant sélectionnées pour cette étude

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5.3 Récolte des données

Dès la conception de cette étude, des ateliers de diffusion et de validation des informations ont été planifiés dans les trois régions pour présenter les perspectives, les utilités et les résultats de la recherche partenariale des ABV. Trois entrevues semi-dirigées et trois réunions (Savoie-Zajc, 2009) sur le sens de la recherche partenariale ont permis de comprendre et d’analyser plus en profondeur les retombées environne-mentales, économiques et sociales de l’amélioration des systèmes de fosses septiques. Un guide d’entretien de 26 questions a été développé avec la participation des partenaires du projet. Ces questions touchaient les thèmes suivants : le programme de restauration des fosses septiques, les données sociodémographiques des résidents, l’éducation et la sensibilisation des citoyens sur la maintenance des fosses septiques, les coûts liés à la réparation des fosses septiques, les types de travaux effectués, les incidences perçues (économiques, sociales, environne-mentales) du programme. Les entretiens ont eu lieu à l’été 2007. Les observations réalisées par les participants lors des réunions ainsi que le contenu des entrevues ont fait l’objet d’une analyse thématique afin de dégager les thèmes récurrents (Paillé, 1996). Par la suite, en janvier et en février 2008, les résultats préliminaires d’enquête ont été présentés à des ABV et à d’autres groupes communautaires, incluant des représentants de municipalités. Pour donner suite à ces rencontres, nous avons validé, auprès des partenaires sous forme de groupes de discussion (focus group), les informations colligées sur le rôle des ABV dans la restauration des systèmes de fosses septiques au cours d’un atelier tenu en janvier 2009.

6. Résultats

Les résultats des entrevues réalisées portaient sur les perceptions des responsables de ces associations vis-à-vis des impacts du programme de restauration des fosses septiques. Ces retombées sont classées en trois catégories : environnementales, économiques et sociales.

6.1 Retombées environnementales

L’analyse des entrevues semi-dirigées montre une différence dans la perception des effets environnementaux découlant des systèmes de fosses septiques défectueux pour chacune des associations interviewées. Précisons que les impacts environnementaux perçus par ces dernières dépendent de l’étendue et de l’emplacement géographique de leur territoire. Elles sont localisées principalement au coeur de la pêche traditionnelle artisanale, en milieu industriel et touristique. Les répercussions environnementales résultant des structures endommagées sont nombreuses : accumulation de nitrates et de phosphates dans l’eau douce, prolifération des algues aquatiques, diminution en ce qui a trait aux aspects biotiques, mauvaise odeur, augmentation de la température de l’eau, augmentation de matières fécales dans l’eau. D’autres incidences environnementales mentionnées sont la pollution des eaux de surface et des eaux souterraines par les coliformes fécaux et la contamination des puits d’eau potable. Les ABV ont aussi soulevé comme problème la dégradation des sols causée par les fosses septiques mal entretenues ou délabrées. Il apparait que pour une des associations de bassin versant situées à proximité d’un bassin hydrographique de grande taille, la défectuosité des fosses septiques aurait des conséquences moins importantes dans leur région. Qui plus est, les associations de bassin versant ont parlé de la contamination des eaux de mer par l’activité humaine le long du littoral ce qui nuirait à la pêche traditionnelle. Un répondant a d’ailleurs indiqué en entrevue que les eaux usées de certains chalets étaient la cause principale de l’altération de la qualité des eaux de surface, ce qui freine la pêche aux mollusques. De plus, malgré que les représentants des associations ont une conception quelquefois différente des retombées environnementales, au sein de ces dernières un consensus règne sur le fait que des impacts attribuables au non-entretien des fosses septiques sur leur territoire respectif existent à des degrés divers.

Enfin, le tableau 1 résume les perceptions des répercussions environnementales à court, à moyen et à long terme résultant de la réparation des systèmes de fosses septiques. Les répondants affirment majoritairement que la réfection des fosses septiques permettra d’améliorer les propriétés de l’eau que ce soit pour une utilisation domestique, récréative ou économique. Également, sur une longue période, ils prévoient une amélioration de la qualité de l’eau et un maintien de la biodiversité dans le territoire. Les retombées indiquées dans le tableau 1 découlent de mesures numériques d’où le caractère quantitatif de la formulation de ces dernières (amélioration, diminution, réduction). En fait, ces résultats ont été obtenus à partir du guide d’entretien rempli avec les responsables des associations de bassin versant. Les valeurs des différents paramètres de qualité de l’eau mesurés par les répondants n’ont pas été transférées aux chercheurs ou examinées par ceux-ci puisque ces données ne correspondaient pas et n’influençaient pas la finalité de cette étude. En somme, les chercheurs se sont contentés des réponses fournies par les membres des associations de bassin versant puisque le but consistait plutôt à ressortir les liens entre la gestion intégrée par bassin versant et l’économie sociale.

Tableau 1

Synthèse des perceptions sur les retombées environnementales résultant de la réparation des systèmes des fosses septiques des bassins versants du littoral acadien

Synthèse des perceptions sur les retombées environnementales résultant de la réparation des systèmes des fosses septiques des bassins versants du littoral acadien

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6.2 Retombées économiques

Dans l’ensemble, le programme de réparation des systèmes de fosses septiques de la province donne l’occasion aux associations de bassin versant d’embaucher des employés (principalement des étudiants) durant l’été et de s’impliquer eux-mêmes auprès des plus démunis. Un membre d’une association de bassin versant a mentionné que le programme d’amélioration des systèmes de fosses septiques permet à l’organisation d’allouer un montant à la gestion administrative de l’organisme pendant la saison estivale.

Notons également que le programme de restauration des fosses septiques a amené plusieurs participants à investir en surplus des montants attribués pour exécuter les travaux, ceci afin d’embellir l’aménagement de leur cour, profitant de la présence sur place des entrepreneurs. Ces sommes totalisaient jusqu’à 8 000 $ par bassin versant par année soit environ 650 $ par fosse septique réparée.

Un aspect éloquent qui a trait aux retombées économiques est l’impact sur le développement régional tel que l’embauche d’entrepreneurs locaux pour la réparation des fosses septiques. Tous les remplacements de réservoirs, des tuyaux ainsi que les voyages de terre sont faits par des entrepreneurs situés à proximité du territoire du bassin versant. Si l’on considère qu’en moyenne douze fosses septiques par année sont remplacées dans les communautés des groupes de bassin versant et qu’on calcule les couts défrayés pour le service des entrepreneurs locaux, on constate qu’approximativement 6 720 $ sont alloués à la main d’oeuvre d’entreprises locales chaque année. Aussi, 13 440 $ seraient consacrés à l’achat local de réservoirs et de tuyaux, 7 680 $ sont impartis à l’achat de terre et plus de 4 000 $ sont déboursés en taxes. Ainsi, le fait qu’environ 200 systèmes de fosses septiques sont réparés sur le littoral acadien du Nouveau-Brunswick chaque année dans le cadre de ce programme dénote des retombées environnementales et économiques. Donc en cinq ans, de 2003 à 2007, près de 1 000 fosses septiques ont été restaurées par des entrepreneurs qualifiés. De plus, ce programme amène les autres citoyens du territoire à une plus grande conscience de la nécessité d’améliorer la qualité de l’eau. Un des répondants a affirmé qu’un des points innovateurs du projet de réparation des systèmes de fosses septiques est la visibilité grandissante des entrepreneurs en réparation de la région. Les gens sont plus informés de l’entretien requis pour leur fosse septique et, par le fait même, ils font appel aux services des entrepreneurs locaux.

Les faits saillants de ce programme sont les travaux des entrepreneurs locaux. Travailler avec eux, c’est le meilleur outil dont nous disposons, car ils travaillent de très près avec la communauté et notre association. Les gens de la communauté font appel à ces entrepreneurs et ensuite ils les réfèrent à notre organisme et c’est à travers eux que le programme d’amélioration des systèmes de fosses septiques est valorisé. J’ai même écrit une lettre à la province pour leur dire que le programme est un excellent modèle administré par les associations de bassin versant.

6.3 Retombées sociales

Dans les entrevues réalisées en 2006 auprès de 11 associations de bassin versant du littoral acadien (Émond et al., 2007), les répondants affirmaient que les retombées sociales des associations de bassin versant semblent plus difficiles à cerner puisque les impacts sociaux de même que les conséquences sur la santé publique sont des aspects souvent intangibles et complexes à caractériser. Concernant le projet de restauration des systèmes de fosses septiques, les discours des personnes interviewées durant l’été 2007 confirment cette assertion. Elles sont conscientes des interactions environnementales et économiques qui découlent du projet de restauration, mais sont moins sensibilisées aux effets sociaux de cette initiative. De ce fait, nous avons dû utiliser, lors des entretiens, des exemples de liens, de réseaux, d’échanges, d’actions collectives dans les bassins versants. Ainsi, les associations ont pu relever des éléments clés en ce qui a trait aux répercussions sociales du programme d’amélioration des fosses septiques.

Tout d’abord, deux participants des associations de bassin versant interviewés ont affirmé lors des entrevues que les projets de restauration leur donnaient une plus grande visibilité dans la communauté :

Ça nous donne une visibilité environnementale, donc les gens voient qu’on fait des plans d’action pour améliorer la qualité de l’eau ça fait partie d’un de nos objectifs, donc en améliorant la qualité de l’eau tu vas toucher d’autres aspects créatifs comme l’aquaculture.

Vraiment un de nos challenges c’est qu’on a de la difficulté à donner de la visibilité ce qui fait que tous les projets, comme celui des fosses septiques, nous permettent de nous faire connaître un peu mieux dans la communauté.

Un autre répondant a soulevé l’importance du programme d’amélioration des systèmes de fosses septiques en lien avec les retombées sociales en mentionnant la création de liens qui se nouent entre différents citoyens au sein de son territoire d’appartenance. De plus, selon ce participant, le succès de ce programme tient à sa gestion locale et sa dimension humaine, car il permet de rapprocher des membres de la communauté ayant des intérêts variés et des opinions divergentes :

C’est un excellent programme, mais aussi un modèle de programme adéquat qui est accessible aux familles à faibles revenues. De plus, le programme permet de renforcer les liens dans la communauté.

Parmi les affirmations de certains répondants, on note que la relation d’appartenance avec le milieu est significative. Effectivement, les membres des associations de bassin versant conçoivent plus aisément les impacts positifs des actions de leurs propres regroupements en ce qui concerne le maintien et la sauvegarde de leur région, voire de leur environnement. Le lien sociétal devient plus concret lorsque les représentants des associations de bassin versant entrent en contact directement avec les citoyens de la communauté lors de l’exécution du programme de restauration des systèmes de fosses septiques.

Toujours selon les participants, les adhérents des associations de bassin versant sont convaincus que le projet est un excellent programme pour les moins bien nantis d’autant plus qu’il est géré par des organismes communautaires soucieux de les inclure socialement. Mentionnons aussi que des bénévoles du territoire de bassin versant participent activement à certaines activités ponctuelles sans en être membres. L’implication communautaire de ces volontaires contribue à la prise en charge collective des aspects environnementaux, économiques et sociaux. Ceci favorise la sensibilisation et l’éducation relative à l’environnement. Un conseiller municipal du littoral acadien a indiqué lors d’une présentation publique en février 2008 :

Il faut dire et insister sur la chance qu’on a de travailler avec les bénévoles que leur participation est précieuse. Il faut surtout valoriser leur participation même si cela implique un nombre peu élevé de gens.

La notion de prise en charge des collectivités rejoint le concept d’autonomisation communautaire qui consiste à rendre la communauté capable d’analyser sa situation et de régler les problèmes de dégradation de l’environnement en se donnant des objectifs précis à atteindre. Dans un processus d’autonomisation, les associations de bassin versant s’interrogent toutefois sur la portée limitée de l’initiative provinciale du programme pour la réparation des systèmes de fosses septiques. Le questionnement des membres des associations de bassin versant a mené également à l’organisation d’une journée d’information sur les nouvelles technologies de traitement des eaux usées domestiques et à un débat sur la législation actuelle du Nouveau-Brunswick. L’autoresponsabilisation redéfinit le statut des membres du territoire des associations de bassin versant en un rôle d’acteurs sociaux importants au sein de leur communauté. De ces rencontres, plusieurs éléments, en lien avec la mission des associations de bassin versant, ont été retenus comme étant très révélateurs à l’analyse des résultats. Voici deux exemples de témoignage ressortis durant les entrevues semi-dirigées :

J’explique aux gens à la fin de la lettre, je remercie les gens d’avoir participé à améliorer l’environnement et la qualité de l’eau, notre but principal est d’améliorer la qualité de l’eau des rivières, j’encourage plus les gens à faire réparer leurs systèmes, de bien l’entretenir.

Notre mandat, c’est de s’occuper de la qualité de l’eau de surface et des habitats pour le poisson entre autres, et d’autres espèces aquatiques et terrestres aussi, en fait, c’est vraiment la restauration d’habitats et la qualité de l’eau de surface.

Le tableau 2 indique plus concrètement les retombées sociales, directes et indirectes, découlant des projets d’amélioration des systèmes de fosses septiques par analyse des réponses au guide d’entretien. Un répondant d’une association de bassin versant a mentionné en entrevue qu’on ne retrouve pas des programmes similaires liés à l’amélioration des systèmes de fosses septiques dans les autres provinces des maritimes canadiennes :

C’est vraiment un programme exceptionnel pour n’importe quelle province et je peux même dire que ce programme géré par les associations de bassin versant est innovateur.

Tableau 2

Synthèse des perceptions des retombées sociales du programme de réparation des systèmes de fosses septiques

Synthèse des perceptions des retombées sociales du programme de réparation des systèmes de fosses septiques

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7. Discussion

Les associations de bassin versant possèdent des caractéristiques qui relèvent des notions d’économie sociale et de gestion intégrée dans la mesure où elles favorisent la prise de décision démocratique, l’implication citoyenne et elles valorisent la prise en compte de l’internalisation des coûts environnementaux dans l’économie (Émond et al., 2007). Par conséquent, le programme d’amélioration des systèmes de fosses septiques permet non seulement d’oeuvrer à la cohésion sociale et à la justice sociale, mais promeut également la visibilité des associations de bassin versant et le développement local des territoires du littoral acadien. Une des retombées économiques importantes de cet exercice était l’impact sur le développement régional en vue d’une économie solidaire. Ce projet subventionné donne lieu à l’établissement de capacités communautaires et la conscientisation des citoyens à propos des enjeux environnementaux. Les associations de bassin versant du littoral acadien à travers leurs diverses initiatives procurent aux communautés des services que les entreprises privées et les gouvernements ne pourraient offrir de manière aussi efficace (Gardner Pinfold Consulting Economists Ltd., 2008). Ces regroupements, en plus d’intervenir comme relais pour les agences gouvernementales en garantissant l’offre d’activités et de services environnementaux aux collectivités rurales, sensibilisent et éduquent les personnes et les autorités régionales dans le but de favoriser la responsabilisation et la prise en charge des usagers, ce qui s’inscrit dans la mouvance du changement social, voire d’innovation sociale (Gendron et Gagnon, 2004 ; Klein et Harrisson, 2006). De la sorte, le lien collectif serait renforcé entre la communauté et les compagnies locales faisant partie du territoire de bassin versant. Il s’agit d’un exemple de cogestion adapté aux collectivités locales et régionales. On peut alors parler d’une alliance novatrice comme nous l’a souligné un représentant d’association de bassin versant soit : un partenariat public, communauté et privé (PPCP). Le public fixe les règles de fonctionnement, la communauté s’occupe de la gestion courante du programme, du volet de sensibilisation/promotion tout en assurant la logistique sur le terrain. Pour sa part, le privé réalise les travaux.

Dans cette optique, les groupes de bassin versant qui travaillent dans la perspective de l’économie sociale au Nouveau-Brunswick aident les collectivités à comprendre l’importance de la solidarité de même que l’entraide. De plus, ils légitiment un soutien gouvernemental qui leur offre la possibilité d’oeuvrer pour la viabilité du développement de leur territoire respectif. La recherche partenariale offre notamment une meilleure compréhension des structures organisationnelles de ces organismes communautaires autonomes et, de ce fait, leur collaboration est essentielle au renforcement d’entente entre le milieu universitaire et la collectivité. La collecte de données entamée auprès des associations de bassin versant interrogées a servi à mettre en valeur leur contribution environnementale, économique et sociale, mais également d’apporter leur apport en tant qu’organismes communautaires. Plus précisément, en faisant la promotion du programme d’amélioration des systèmes de fosses septiques, les associations de bassin versant s’assurent d’une plus grande équité sociale et d’une justice distributive envers les citoyens les moins bien nantis des communautés où sont implantées les associations de bassin versant. Ces dernières offrent donc la possibilité d’améliorer la situation et le bienêtre des personnes démunies vivant dans la société. En effet, cette activité de restauration de systèmes de fosses septiques par les associations de bassin versant habilite les personnes et les communautés à s’engager dans des actions de développement durable. Les membres des associations de bassin versant du littoral acadien sont des acteurs clés dans la participation à la gestion environnementale citoyenne. Les organismes de bassin versant légitiment un ancrage territorial du développement durable « notamment en ce qui concerne la prise de décision démocratique, l’insistance sur l’implication citoyenne, la prise en compte possible de l’internalisation des questions environnementales ainsi que la redistribution des revenus dans la communauté » (Gendron et Gagnon, 2004 : 27).

En résumé, soulignons que les observations sur les aspects environnementaux et sociaux nous ont permis de constater que les projets de réparation des systèmes de fosses septiques des groupes de bassin versant font le lien entre les eaux souterraines et les eaux de surface d’une part, et d’autre part, renforcent la cohésion sociale. Le fait que les employés et les bénévoles des associations de bassin versant s’investissent auprès de la communauté et que les personnes sentent qu’elles peuvent avoir accès à des services en toute équité aide ces individus à comprendre comment tisser des liens et bâtir des capacités communautaires. Ces communautés pourraient, selon nous, mieux faire face à divers enjeux environnementaux, sociaux et économiques. Toujours selon Gendron et Gagnon (2004 : 26), les questions environnementales doivent être considérées sous l’angle économique, social, politique et scientifique plus spécifiquement comme une construction sociale qui, d’une part, met en perspective « des polémiques écologiques, par exemple la gestion de l’eau […] et, d’autre part, la participation des représentants des milieux industriels, des politiciens, des intervenants du secteur de la santé et des scientifiques, des groupes sociaux et environnementalistes. »

8. Conclusion

Le projet de réparation des systèmes de fosses septiques a été pris en charge par les associations de bassin versant de 2003 à 2007, ce qui leur a donné une plus grande visibilité auprès des citoyens et des entrepreneurs. Les actions novatrices et inédites comme celle-ci sont nécessaires pour amener les gens à s’intéresser aux activités des associations de bassin versant. Les communautés peuvent être sensibles aux retombées concrètes du travail de ces associations grâce à leur intervention dans le programme. Quoique certains aspects soient intangibles, ces conséquences assurent une compréhension du rôle des organismes de bassin versant en matière d’équité, de justice sociale et de gouvernance territoriale. Les approches utilisées par les associations de bassin versant dans la gestion du programme de réparation des systèmes de fosses septiques nous permettent de mieux comprendre le renforcement du lien communautaire, voire de la cohésion sociale le long du littoral acadien.

Le développement durable et l’économie sociale sont complémentaires et se rejoignent par des principes qui se résument à la reconnaissance d’une dimension sociale ainsi qu’à l’idée d’une croissance qui a des objectifs sociétaux précis (Gendron, 2002). Les associations de bassin versant contribuent aussi aux transformations sociales et économiques de leurs territoires voire à l’innovation sociale : ils sont des acteurs du changement. L’économie sociale a un ancrage théorique particulier dans le sens où la pratique précède la recherche (Ibid.). Ainsi, les associations de bassin versant s’inscrivent dans cette vision, car ce sont leurs démarches qui améliorent la qualité de la ressource en eau et même la qualité de vie.

Enfin, on ne saurait trop mettre l’accent sur le rôle des organismes de bassin versant dans la protection de la qualité de l’eau tant pour les rivières, les estuaires que le littoral, et ce, dans une perspective holistique, voire écosystémique et territoriale (Sébastien, 2006 ; Sébastien et Brodhag, 2004). Qui plus est, l’activité des associations de bassin versant en participant à la coordination des acteurs sur le terrain favorise la gouvernance environnementale locale (Gagnon et Fortin, 1999) et est un élément dans le maillon de la constitution de communautés résilientes. En ce sens, les associations de bassin versant recourent aux entrepreneurs régionaux pour restaurer les systèmes de fosses septiques ; en retour, elles peuvent montrer que cette restauration sert à réduire les rejets d’eau contaminée dans les cours d’eau, les estuaires et les zones côtières contribuant ainsi à protéger la biodiversité.