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Quelles sont les contributions de l’approche écosystémique à la multidisciplinarité? L’objectif du présent numéro thématique est de répondre à cette question en cherchant à comprendre ce que les chercheurs ont appris dans leurs travaux en lien avec les communautés.

Nous sommes reconnaissants à la direction de la Revue de l’Université de Moncton de son ouverture aux aspects interdisciplinaires de l’approche écosystémique. Ce numéro s’inscrit dans le cadre du projet Gestion des écosystèmes basée (GEBC) sur les communautés au Burkina Faso. Ainsi nous avons voulu refléter la contribution des diverses disciplines dans les domaines traitant de l’environnement, de la nutrition et de l’éducation. D’où le titre retenu par l’équipe de direction du projet de l’ACDI-AUCC-PUCD, Volet 1 : Quelles sont les contributions de l’approche écosystémique à la multidisciplinarité. De plus, dans la mesure du possible, nous avons tenté de nous assurer d’une implication des collectivités locales dans la démarche des études effectuées. Il s’agit ici de voir dans quelle mesure les disciplines des sciences naturelles et du génie peuvent coopérer avec les sciences humaines et sociales dans les recherches tant en environnement, en nutrition qu’en éducation.

Pour la définition de l’approche écosystémique, nous avons retenu celle de la Convention de la biodiversité en 2000 « L’approche par écosystème est une stratégie de gestion intégrée des terres, des eaux et des ressources vivantes, qui favorise la conservation et l’utilisation durable d’une manière équitable. Ainsi, l’application d’une telle approche aidera à assurer l’équilibre entre les trois objectifs de la Convention que sont la conservation, l’utilisation durable et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques » (Confé-rence des parties à la Convention sur la diversité biologique, 2000 : 47).

Nous concevons aussi que l’approche écosystémique s’inscrit dans une perspective de décentralisation de la gestion des ressources naturelles afin que les communautés locales puissent participer à l’élaboration de la démarche de recherche et s’approprier des résultats afin de passer à l’action (FAO, 2010-Principes de Malawi). Ceci dit, nous considérons que la gestion écosystémique se fait en tenant compte de l’intérêt général des collectivités locales et des générations futures nous permettant d’établir le lien avec l’économie sociale et solidaire. Pour ce faire, la recherche partenariale ou encore la recherche action participative (PAR) devient un outil d’autonomisation des communautés.

La recherche action participative (PAR) veut que les personnes et les associations locales participent activement à la définition des enjeux relatifs à leur communauté afin que le processus et les solutions identifiées aient des retombées dans l’intérêt général et la promotion collective. « done well, PAR has many benefits...particularly for those committed to challenging unequal power relationships and increasing social justice » (Kindon, 2010 : 259, souligné par l’auteure). La PAR ayant le focus sur les retombées sociétales et le partage collectif des ressources communes dans les communautés locales, considère que plusieurs groupes socio-économiques ou associations constituent l’épine dorsale des initiatives en transition vers des communautés durables. Aussi ces associations et leurs partenaires dans les communautés locales aident à renforcer ce que Gunderson et Holling (2002) appellent la capacité adaptative. La capacité adaptative se définit comme la capacité d’un système écologique et social de s’adapter lorsqu’un système change. Ceci est relié à la somme des capacités et des ressources institutionnelles d’une région qui permettent, voire facilitent, la mise en place de mesures effectives d’adaptation (Munasinghe, 2007). Nous pensons que les associations formelles et informelles des collectivités locales font partie intégrante de la résilience sociale pour envisager un nouveau système en transition vers un développement durable (Walker et Salt, 2006).

Les auteurs qui ont contribué à l’appel à article de la Revue de l’Université de Moncton à l’été 2008 sont impliqués dans des recherches avec les communautés locales au bénéfice des collectivités. La plupart des contributions à cet appel sont des notes de recherche. Ces travaux se passent en Afrique de l’Ouest. Nous débuterons par celles-ci et nous terminerons par un article et une réflexion de collaborateurs canadiens.

Carole C. Tranchant, Ibrahim Ouattara, Adjima Thiombiano, et Liette Vasseur, les auteurs de « De la nutrition à l’écologie nutritionnelle : essai de mise en perspective », se situent dans une perspective holistique de l’alimentation en regardant ses aspects tant point de vue environnemental que du point de vue de la santé et de la société. Ces auteurs sont partie prenante de l’équipe de direction de Gestion des écosystèmes basée sur les communautés aux Burkina Faso (GEBC). Il s’agit d’une contribution innovante qui vise à dégager selon eux « des modes d’alimentation plus durables ». Ces auteurs se situent volontiers dans une perspective écosystémique et, ce faisant, font appel à l’interdisciplinarité. Il s’agit de prendre en compte les notions dans le domaine de l’alimentation en s’appuyant sur les principes de la biodiversité. Les auteurs concluent que l’aspect novateur de leur contribution est de la situer dans le contexte de la sécurité alimentaire et de la santé des collectivités locales qui vivent en symbiose avec leur écosystème. D’où l’importance de la sensibilisation à cet aspect.

Quant à la seconde contribution de ce numéro, elle porte sur « les risques de dégradation des écosystèmes liés à la culture du coton au Burkina Faso : le cas du Parc national de Pô ». Jean-Marie Dipama, comme les auteurs précédents, est aussi associé à la direction du projet GEBC. L’étude montre l’importance qu’a prise la culture du coton au Burkina Faso et l’impact de celle-ci sur la dégradation des écosystèmes naturels de la zone du parc national de Pô dans la province du Nahori. Selon lui, la culture du coton exerce une pression foncière autour du parc et « les effets induits des techniques et pratiques culturales » ont un effet sur la dégradation sur des composantes de l’écosystème telles : la végétation, la flore, la faune et les sols. Il s’en suit donc une perte de biodiversité et un appauvrissement des sols pour les cultures vivrières. Par exemple, la diminution, voire même la disparition, des pollinisateurs tel les abeilles est particulièrement inquiétante. Étant donné l’importance de la culture du coton à l’échelle nationale, l’auteur propose des mesures appropriées à la gestion des ressources naturelles en fonction des écosystèmes du parc national de Pô.

Joël Korahiré de l’Université de Ouagadougou nous montre la dynamique entre le Ranch de Gibier de Nazinga (RGN) et les collectivités riveraines de dix villages des provinces de Nahouri et Sissili. Il s’agit ici de trouver une formule équitable entre la direction du RGN et les villages riverains d’un partage équitable des ressources générés par le Parc. Le RGN a contribué à la construction de d’infrastructures de routes et de pistes afin d’aider la communication entre les divers villages. Il en est ainsi de la contribution au maintien de services de l’eau et des équipe-ments scolaires. De plus, le RGN procure des emplois aux résidents des villages riverains et des fonds d’épargne. Cependant, les villageois sont exclus de la gestion de ces fonds eux qui pensaient devenir des partenaires dans la gestion des ressources naturelles. Qui plus est, la perception des villageois est que le RGN n’accorde pas de bénéfices à la hauteur des besoins de ces populations. Par exemple les Comités villageois de chasse (CVC) et les Groupes féminins de pêche (CFP) trouvent que le RGN a suscité des espoirs et a semé beaucoup des déceptions parce qu’il n’a pas respecté ses engagements. Face à ce bri de lien de confiance, on note l’augmentation du braconnage par les populations des villages riverains. Korahiré propose différentes mesures de redressement dont un vaste programme d’éducation environnementale par le RGN en lien avec les villages riverains en vue de restaurer la confiance.

La quatrième contribution provient d’une équipe de collaboration multi-universités composée de Jean Ghislain Tabué Youmbi, Dénis Ntamack, Roger Feumba, Emmanuel Ngnikam, Joseph Wéthé, et Émile Tanawa. Elle a pour titre : « vulnérabilité des eaux souterraines et périmètres de protection dans le bassin versant de la Mingoa (Yaoundé, Cameroun) ». L’objectif des auteurs de cette étude est de montrer « la vulnérabilité des nappes phréatiques dans le contexte de l’occupation anarchique des sols qui évolue vers une quasi saturation de l’espace » dans le territoire du bassin versant de la Mingoa. Enfin, ils nous proposent d’identifier des sources de contamination potentielles et suggère un périmètre de protection des captages ou prises d’eau. Ce faisant les auteurs veulent diminuer le nombre élevé de maladies hydriques (parasitoses intestinales et diarrhées) dans les quartiers pauvres et défavorisées de ce territoire. Pour eux, la demande excessive en eau provenant de la ressource souterraine ainsi que le risque de contamination de cette dernière invite à la protéger. Afin que la population soit impliquée et sensibilisée et prête à agir, ils ont fait appel à « l’approche participative…avec les différentes composantes de la population » aux diverses associations de jeunes et de femmes.

La cinquième contribution vient de collègues de l’Université de Moncton, membres de l’équipe de GEBC, et est basée sur une recherche participative sur le Littoral acadien. Ce territoire est situé au Nouveau-Brunswick en bordure du sud du Golfe du Saint-Laurent au Canada atlantique. L’étude est intitulée les associations de bassin versant du littoral acadien un modèle d’acteurs valorisant les approches écosystémiques et d’économie sociale L’objectif de cette recherche action participative est de montrer les liens entre la gestion intégrée par bassin versant et l’approche de l’économie sociale à l’aide de l’analyse des retombées d’un programme de restauration des fosses septiques des plus démunis par les associations de bassin versant. Cet article va au-delà des impacts positifs économiques et environnementaux parce qu’on y inclut les impacts sociaux. Cette recherche exploratoire se veut une démarche en lien organique avec les communautés locales en vue d’une autonomisation de celles-ci.

Enfin, la réflexion sur la multidisciplinarité voire même l’interdisciplinarité d’une professeure de la Brock University, Liette Vasseur, et aussi membre de l’équipe GEBC permet de comprendre que ces concepts sont depuis une trentaine d’années valorisés dans le discours. En témoigne selon l’auteure la notion de développement durable dans sa dimension holistique et inclusive. Mais selon l’auteure même si les décideurs et les grands penseurs ont rapidement réalisé que seule la recherche combinant différentes disciplines ne pouvait pas répondre à ces défis, le soutien à de telles opérations interdisciplinaires est souvent mince. Ces initiatives se sont traduites dans des approches de Gestion intégrée et de développement durable dans la foulée du rapport Brundtland (1987) et du Sommet Planète Terre (1992). La principale barrière serait la difficulté des universitaires (professeurs) à se débarrasser de conceptions disciplinaires sans oublier que l’économique prévaut toujours sur l’environnement et ses habitats. Comme piste de solution, l’auteure propose, entre autres, le développement d’un langage commun comme éducation de base, la responsabilité des générations présentes envers les générations futures ainsi que les compromis nécessaires à effectuer pour un authentique développement durable.

Ce que nous avons appris de l’approche écosystème basée sur les communautés s’inscrit dans les principes de la Convention de la biodiversité que ce soit dans l’alimentation durable, la gestion de l’eau, des sols, de la faune et la flore et des fosses septiques et ce dans une perspective d’équité et de justice sociale. Tant les notes de recherche que les articles et réflexions montrent que l’approche écosystème et la gestion intégrée sont des idéaux à atteindre et des démarches pour y arriver. Également et non le moindre l’approche écosystémique nous convie à la multidisciplinarité voire à l’interdisciplinarité. Le fait que nous avons travaillé dans ce numéro avec des gens provenant des sciences naturelles et du génie et des sciences humaines et des sciences sociales montre que la coopération interdisciplinaire pour les études en environnement est souhaitable, réaliste et possible. Mais ceci reste un défi dans les universités qui fonctionnent par département et faculté. Cependant, déjà nous avons observé et observons dans les institutions universitaires des progrès à ce chapitre.