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Introduction

Avec une moyenne de deux cent mille nouveaux arrivants par année, le Canada se construit depuis quelque temps comme un pays d’immigration. Aujourd’hui, les personnes nées à l’étranger représentent 20 % de la population canadienne et appartiennent à plus de deux cents ethnies différentes – alors que dans les années 1960 les nouveaux arrivants provenaient presque exclusivement des pays européens (Statistique Canada, 2008). Le profil ethnoculturel du Canada a donc considérablement changé depuis une quarantaine d’années. Cette réalité a des impacts sur les systèmes sociaux, et en particulier sur les systèmes scolaires qui sont des portes d’entrée des immigrants dans la société canadienne. Mais l’école participe-t-elle à la valorisation de cette diversité?

Nous soutenons que l’éducation est l’une des voies à privilégier pour créer des espaces communs ouverts à tous les groupes culturels. L’implication gouvernementale dans l’implantation d’une approche éducative antidiscriminatoire et ouverte à la diversité ethnoraciale et culturelle se traduirait ainsi dans la mise en place de politiques spécifiques et dans l’implantation de curricula multiculturels. C’est pourquoi, dans le contexte de la récente refonte des curricula ontariens, nous nous penchons sur la place accordée à l’éducation de type multiculturel et antidiscriminatoire dans le nouveau programme de sciences et technologie de la 1re à la 8e année entré en vigueur en septembre 2008. Comment ce nouveau programme reflète-t-il la visée antidiscriminatoire prônée par le MEO? Et à ce chapitre, en quoi se distingue-t-il de l’ancien? Par le biais d’une étude descriptive et comparative, nous proposons des réponses à ces deux questions qui sont au coeur même de l’approche ontarienne de la valorisation de la diversité ethnoraciale et culturelle.

Contexte et pertinence de l’étude

Sur le plan éducatif, les efforts d’adaptation de l’Ontario aux réalités socioculturelles de l’augmentation et de la diversification des groupes minoritaires issus de l’immigration internationale remontent à 1977, avec la mise en place du Heritage Language Programme. Des cours de langues et de cultures sont ainsi proposés à l’intention des élèves immigrés. Dix ans plus tard, au moment où le gouvernement fédéral rédige la Loi sur le multiculturalisme canadien, un comité consultatif ontarien publie le rapport Élaboration d’une politique d’équité en matière de relations raciales et ethnoculturelles. Ledit rapport vise à présenter aux conseils scolaires un modèle de politique sur les relations raciales et ethnoculturelles. Il constitue l’essence même des politiques en matière d’éducation multiculturelle et antiraciste adoptées par la suite en Ontario. C’est ainsi qu’en 1993, cinq ans après l’adoption de la Loi sur le multiculturalisme canadien, le ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario (MEFO, 1993a) élabore une politique d’équité ethnoculturelle et d’antiracisme en éducation dans les conseils scolaires dont les objectifs consistent, entre autres, à :

Développer ou modifier les programmes d’études afin qu’ils reflètent, de façon équitable, la diversité raciale et culturelle de notre société; veiller à ce que les expériences d’apprentissage à l’école tiennent compte, de façon appropriée et équitable, de l’identité culturelle et raciale de toutes et tous les élèves; reconnaître les préjugés et les obstacles discriminatoires que l’on retrouve dans le contenu, les politiques, les structures des programmes d’études et le matériel didactique.

MEFO, 1993a, p. 13

Par ailleurs, dans sa Note 119/1993 (Politique antiraciste et d’équité ethnoculturelle dans les conseils scolaires), le MEFO définit le cadre d’action envisagé à cette époque pour réformer l’éducation en Ontario :

Le gouvernement de l’Ontario […] juge essentiel que les écoles préparent les élèves à fonctionner efficacement dans un monde de plus en plus diversifié. On reconnaît de plus en plus que les structures, les politiques et les programmes en éducation reflètent surtout une perspective européenne et ne tiennent pas compte des points de vue, des expériences et des besoins des autochtones, ainsi que des nombreux groupes raciaux et ethnoculturels minoritaires.

MEFO, 1993b, p. 1

Parmi les mesures adoptées pour pallier les iniquités dénoncées ci-dessus, la priorité est accordée « à l’élargissement du programme d’études pour y inclure divers points de vue et en éliminer les stéréotypes » (MEFO, 1993b, p. 1). D’autres actions et documents ministériels s’inscrivent dans la même lignée. C’est le cas du document Valeurs, influences et relations avec ses pairs. Guide pédagogique publié en 1996 dans lequel le MEFO définit les valeurs auxquelles le système éducatif doit préparer les élèves. Ceux-ci devraient ainsi être sensibilisés aux valeurs de la société canadienne, par le biais d’un système scolaire qui leur fournirait un « environnement qui les aide à se créer une image positive d’elles-mêmes et d’eux-mêmes, ce qui est crucial pour leur permettre d’agir en tant que membres responsables et bienveillants de la société » (MEFO, 1996, p. 1). En janvier 1995, la Commission royale sur l’éducation, mise sur pied par le MEFO en 1993, publie le rapport Pour l’amour d’apprendre qui consacre la diversité ethnoculturelle en Ontario comme une source de richesse. Le rapport appelle à « répondre à cette diversité » et à « servir dans la plus totale équité des élèves de toute provenance imaginable » :

Il convient tout à fait de réitérer ici l’inébranlable conviction de la Commission que le système scolaire public a le devoir de servir tous ses élèves sans exception. En vertu d’un principe qui n’admet aucun compromis ni aucune réserve, les écoles doivent accueillir les élèves de toutes origines, confessions, langues, cultures ou couleurs. Nous avons fait une série de recommandations, au sujet notamment de la formation du corps enseignant, de l’aide linguistique, de l’équité des examens et de la nature du programme d’études, afin que la vocation de l’enseignement s’articule tout entière autour des besoins et des préoccupations de tous les élèves et de toutes les communautés qu’ils représentent. Chaque jeune personne a le droit de se sentir chez elle dans les écoles financées publiquement en Ontario.

Commission royale sur l’éducation, 1995, p. 1

Parmi les recommandations formulées, une porte spécifiquement sur la nécessité de reformuler les programmes d’études pour qu’ils soient mieux adaptés aux politiques antiracistes en vigueur :

Le ministère et les conseils scolaires examinent et contrôlent systématiquement le matériel didactique (textes, livres et revues, vidéos, logiciels, et ainsi de suite), les méthodes et programmes pédagogiques (programmes d’études) ainsi que les outils d’évaluation pour s’assurer qu’ils soient dénués de tout racisme et qu’ils respectent l’esprit et la lettre des politiques antiracistes.

Commission royale, 1995, recommandation 140

À la suite des recommandations de la Commission royale, l’Ontario procède à la création de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. En novembre 1999, l’Ordre adopte les Normes d’exercice de la profession enseignante qui décrivent les compétences et les habiletés des membres. On y lit que les membres de l’Ordre « traitent équitablement et avec respect » tous les élèves, qu’ils les « encouragent à devenir des individus à part entière au sein de la société » et « connaissent les façons d’enseigner dans un monde en évolution » (Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, 1999, p. 5). Les membres de l’Ordre aident l’élève « à accepter sa propre identité, à mieux connaître son patrimoine culturel et à développer son estime de soi », utilisent « une gamme de méthodes pédagogiques pour s’adapter aux différences en apprentissage, culturelles, spirituelles et langagières », « s’adaptent aux différences des élèves tout en respectant leur diversité », aident l’élève « à lier l’apprentissage à sa propre expérience de vie ainsi qu’à ses particularités culturelles et spirituelles » (p. 9). Parmi les connaissances essentielles des membres de l’Ordre figure la compréhension de l’influence sur l’apprentissage « du patrimoine culturel, de la langue […], de la communauté » (p. 11).

Les documents les plus récents du MEO font d’ailleurs écho à ces propos en faveur de la valorisation de la diversité :

Nos écoles doivent être des endroits où les élèves font à la fois l’apprentissage et l’expérience de la diversité. Nous savons que lorsque les élèves se sentent représentés dans ce qu’ils étudient, ils ont de plus fortes chances de demeurer motivés et intéressés. Les programmes-cadres révisés contiennent MAINTENANT [c’est nous qui soulignons] une section sur l’éducation antidiscriminatoire et des exemples destinés à aider le personnel enseignant à mieux faire le lien avec la vie des élèves.

MEO, 2009, p. 15

Dans le domaine de l’enseignement des sciences, ces initiatives s’inscrivent dans le débat toujours actuel sur la nécessité de donner une éducation scientifique à tous (Atwater, 2000; Bianchini, Cavazos et Helms, 2000; Mujawamariya, 2007; Shujah, 1999). Par ailleurs, de nombreux auteurs (Allen et Crawley, 1998; Jegede et Aikenhead, 1999; Prime et Miranda, 2006; Snively et Corsiglia, 2001) interpellent l’enseignant de sciences à tenir compte à la fois de la science occidentale et traditionnelle dans son intervention afin de rendre justice à la contribution d’autres peuples à la science et surtout pour mieux servir les intérêts et besoins d’apprentissage de tous les élèves de sa classe. Le MEO (2009, p. 25) abonde dans le même sens lorsqu’il soutient que « les programmes révisés contiennent une section sur l’éducation antidiscriminatoire qui encourage le personnel enseignant à reconnaître la diversité des origines, des intérêts et du vécu des élèves et à intégrer tout un éventail de points de vue et de perspectives dans les activités d’apprentissage ». Mais comment cette initiative figure-t-elle dans le nouveau programme de sciences et technologie de l’Ontario, de la 1re à la 8e année (MEO, 2007)? Sur quels aspects en lien avec l’éducation antidiscriminatoire ce nouveau programme se démarque-t-il de l’ancien (MEO, 1998) pour justifier sa mise en oeuvre?

Appuis théoriques

Notre analyse s’inscrit dans la perspective antiraciste qui, selon Dei (2000), repose sur les notions d’identité, de pratiques et d’expériences. D’après cet auteur, la notion d’identité est liée à la production du savoir dans la mesure où notre monde n’a de signification qu’à travers notre histoire et nos expériences individuelles et collectives. Dans cette optique, les groupes marginalisés et traditionnellement exclus ont un point de vue valide, d’où l’importance d’incorporer leurs critiques et expériences dans le processus de production du savoir. Cronin et Roger (1999, p. 651) abondent dans le même sens en stipulant que « dans les sociétés où le pouvoir est organisé hiérarchiquement — selon la race, la classe sociale et le genre — le point de vue des dominants sur la réalité est partielle et déformée par rapport au point de vue des dominés » [traduction libre].

Ainsi, l’accès à l’éducation est plus qu’une question de présence des membres des groupes désignés; une fois dans le système scolaire, ils devraient bénéficier d’un environnement qui tient compte de leurs besoins, de leurs intérêts et de leurs attentes (James et Mannette, 2000). Cette perspective rejoint celle que Giroux (2000) appelle le multiculturalisme et qu’il définit comme un terrain où s’affrontent des construits idéologiques variés telles la mémoire historique, l’identité nationale, les représentations sociales ou de soi-même et les politiques de la différence. Pour ce qui est de l’éducation, selon le même auteur, un curriculum multiculturel doit développer des contextes qui aident à reconstruire les relations entre l’école, les enseignants, les élèves et la communauté. Face à ce curriculum, Hodson (1993,1999) identifie trois principes à la base d’une éducation scientifique multiculturelle : la personnalisation de l’apprentissage et du savoir, la démystification des sciences et la politisation de l’éducation scientifique. Le premier principe se traduit par l’adoption d’un cadre d’apprentissage personnalisé qui tient compte des connaissances, des expériences, des besoins, des intérêts et des aspirations de chaque élève afin de lui permettre de s’approprier le savoir. Le deuxième principe consiste à déconstruire le mythe selon lequel la science serait occidentale en illustrant dans le curriculum les différentes origines culturelles de cette science et en légitimant les pratiques scientifiques d’autres peuples et sociétés. Quant à elle, la politisation de l’éducation scientifique revient à proposer aux élèves un contenu qui encourage le développement de leur sens civique ou leur participation politique, la recherche des solutions à la rectification des injustices sociales, morales, culturelles ou environnementales, bref le renforcement de leurs capacités.

La typologie des approches multiculturelles proposée par Banks (1989, p. 192) nous servira d’appareil conceptuel pour analyser et comparer les programmes français de sciences et technologie de l’Ontario de la 1re à la 8e année (MEFO, 1998; 2007). Banks identifie quatre différents paradigmes d’éducation multiculturelle :

  1. les approches contributionnistes;

  2. les approches additives;

  3. les approches transformationnelles;

  4. les approches d’action sociale.

Les approches contributionnistes correspondent au niveau le plus superficiel d’intégration de l’éducation multiculturelle dans le curriculum, car elles se limitent à introduire des contenus ethniques, tels que les fêtes, les costumes, les mets, les héros, et en général des éléments culturels discrets. Suivent les approches additives qui ajoutent des contenus, des concepts, des thèmes et des perspectives ethniques, mais sans modifier en profondeur la structure du curriculum. À un niveau plus élevé, les approches transformationnelles visent à changer la structure du curriculum en intégrant des perspectives multiculturelles. Finalement, les approches d’action sociale impliquent les membres des groupes culturels dans la société et représentent le modèle idéal d’une société multiculturelle.

Au chapitre de ces paradigmes, le nouveau programme ontarien de sciences et technologie de la 1re à la 8e année se compare-t-il à l’ancien?

Quelques aspects méthodologiques

En vue d’appréhender la place qui revient à la diversité ethnoculturelle dans les programmes des sciences et technologie, nous avons eu recours à une analyse de contenu (Van der Maren, 1996). Seul le curriculum formel a été analysé et soumis à un codage fermé selon les phases 1, 2, 4, 5 et 11 du modèle de Van der Maren (1996, p. 437). Ces phases consistent respectivement à : 1) lire le cadre conceptuel pour dresser la liste des rubriques; 2) faire une première lecture du matériel invoqué (à savoir les deux documents de la 1re à la 8e du curriculum français de sciences et technologie de l’Ontario publiés respectivement par le MEFO en 1998 et en 2007) et rédiger un sommaire de notre lecture (nos impressions, ce qui nous interpelle, les thèmes ayant attiré notre attention, l’interprétation que cette lecture suscite; 4) repérer et extraire des passages significatifs qui contiennent des unités de sens en les numérotant et en les surlignant; 5) extraire les segments représentatifs et en faire un codage permettant d’associer les segments aux rubriques; 11) procéder aux exigences de vérification en calculant les indices de fidélité intra et intercodeurs. Pour cette dernière étape, nous nous sommes limitées à la fidélité intercodeurs.

Dans notre cas, le codage a été effectué par trois personnes, les deux chercheuses et un étudiant diplômé. Ce dernier a recodé un échantillon de chacun des deux documents à l’étude. Selon le modèle d’analyse retenu (Banks, 1989, p.192), nous cherchions à identifier des éléments pouvant relever des approches contributionnistes, additives, transformationnelles ou d’action sociale. Ces éléments pouvaient être contenus dans les fondements, les attentes et les contenus d’apprentissages curriculaires. Nous avons utilisé une grille élaborée et validée par Mujawamariya (2007). La grille explicite les différentes approches de Banks et fournit des exemples de l’illustration de chacune des approches (voir Figure 1). Cette grille a servi pour notre codage et pour la vérification intercodeurs. Alors que l’indice de fidélité intercodeurs s’élève à 89,58 % avant ajustement, les résultats présentés dans ce texte sont le fruit du consensus entre les trois codeurs et il s’élève à 97,92 %.

Figure 1

Grille d’analyse illustrant les approches de Banks dans le curriculum

Grille d’analyse illustrant les approches de Banks dans le curriculum
Mujawamariya, 2007

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Place de la diversité ethnoculturelle dans les programmes français de sciences et technologie de l’Ontario

La diversité ethnoculturelle dans les fondements des programmes de sciences et technologie de la 1re à la 8e année

Les deux programmes français de sciences et technologie de l’Ontario semblent faire de la place à la dimension linguistique et particulièrement au développement de la compétence langagière en français. Dans l’ancien programme-cadre, quatre courts paragraphes sont consacrés à l’importance des habiletés en communication et de la compétence langagière en français. Il est clairement stipulé dans l’un de ces paragraphes que :

L’acquisition de cette compétence langagière en français implique aussi que les élèves disposent et se servent de matériel documentaire en langue française pour faire leurs recherches qu’il s’agisse de collections d’ouvrages et de magazines scientifiques jeunesse, de cédéroms ou logiciels. Il en va de même pour les recherches dans Internet; les enseignantes et enseignants doivent en effet veiller à ce que les élèves explorent et consultent des sites en langue française. Dans le même ordre d’idée, la capacité de s’adresser aux élèves en français dictera le choix des personnes-ressources du milieu communautaire que l’on invitera dans le cadre du programme de sciences et de technologie, qu’elles soient vétérinaires, pépiniéristes, agentes ou agentes des services de protection de la faune, technologues en robotique ou biologistes.

MEFO, 1998, p. 10

Le nouveau programme va au-delà de la dimension linguistique pour faire place, tout au moins en théorie, aux questions d’équité et d’inclusion en enseignement des sciences selon cet énoncé :

Le programme-cadre de sciences et technologie prépare l’élève à devenir un citoyen ou une citoyenne responsable, qui comprend la société complexe dans laquelle il ou elle vit et qui y participe pleinement. On s’attend à ce que dans ses paroles et dans ses actes, l’élève fasse preuve de respect, d’ouverture et de compréhension envers les individus, les groupes et les autres cultures. […] En particulier dans le présent programme-cadre, on amènera l’élève à reconnaître la contribution de personnalités francophones et francophiles de différentes cultures à l’avancement et à la diffusion des connaissances scientifiques et technologiques, au Canada et dans le monde.

MEO, 2007, p. 37

Bref, l’accent mis sur la dimension linguistique et le discours tenu sur les besoins diversifiés des élèves ainsi que l’objectif global de « fournir à tous les élèves de la province une chance égale d’atteindre leur plein potentiel » (MEO, 2007, p. 38) laissent espérer une prise en compte, dans les attentes et les contenus d’apprentissage, des besoins des élèves francophones de souche, des élèves des communautés autochtones et de ceux issus des communautés d’immigration récente. Mais au-delà de ces énoncés de principes, qu’en est-il dans les apprentissages proposés?

La diversité ethnoculturelle dans les attentes et les contenus d’apprentissage

La structure des programmes ontariens en sciences et technologie, autant le nouveau que l’ancien, repose sur trois composantes majeures : les Attentes, les Contenus d’apprentissage – subdivisés en trois grandes compétences (Compréhension des concepts, Acquisition d’habiletés en recherche scientifique, en conception et en communication et Rapprochement entre les sciences et la technologie et le quotidien pour le programme de 1998 ou Rapprochement entre les sciences, la technologie, la société et l’environnement pour le programme de 2007) – ainsi que la Grille d’évaluation du rendement. Bien qu’il soit mentionné que cette répartition ne constitue pas un cloisonnement des contenus d’apprentissage, il reste que ces derniers sont constitués d’une liste impressionnante d’items (entre 15 et 33 items selon les domaines et les niveaux dans l’ancien, et entre 12 et 20 dans le nouveau (voir Tableaux 1 et 2).

Tableau 1

Nombre d’items selon le domaine et le niveau dans le programme de 1998

Nombre d’items selon le domaine et le niveau dans le programme de 1998

Légende:

Les lettres C, A et R font référence aux trois grandes compétences, C pour Compréhension des concepts, A pour Acquisition d’habiletés en recherche scientifique, en conception et en communication, et R pour Rapprochement entre les sciences et la technologie et le quotidien.

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Tableau 2

Nombre d’items selon le domaine et le niveau dans le programme de 2007

Nombre d’items selon le domaine et le niveau dans le programme de 2007

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Dans l’ancien programme (Tableau 1), un élève qui complétait son programme de sciences et technologie de la 1re à la 8e avait donc été exposé à 852 contenus d’apprentissage relevant de 5 domaines (Systèmes vivants; Matière et matériaux; Énergie et contrôle; Structures et mécanismes; Systèmes de la Terre et de l’espace). Une des modifications apportées au programme de 1998 est la réduction des domaines qui passent de 5 à 4 dans le nouveau programme et des contenus d’apprentissage qui passent de 852 à 484.

Dans quelle mesure ces contenus d’apprentissage sont-ils adaptés aux réalités socioculturelles des groupes scolaires auxquels ils sont destinés? En dépit du fait que ces contenus d’apprentissage se divisent en trois grandes compétences, il nous semble que les connaissances prédominent au détriment des habiletés et des attitudes, ces dernières étant quasi absentes. Ces connaissances reposent exclusivement sur des contenus eurocentriques. Voici quelques exemples dans lesquels la dimension socioculturelle non occidentale est tout simplement éludée : 1) décrire les apports passés et présents de l’astronomie à la qualité de la vie humaine, par exemple, l’invention du calendrier, la prévision de phénomènes tels les éclipses et les saisons, les renseignements sur l’espace et le temps (MEFO, 1998, p. 104); 2) nommer les Canadiennes et les Canadiens qui ont contribué à l’avancement de la science et de la technologie de l’espace, par exemple, Marc Garneau, Roberta Bondar, Chris Hadfield, David Levy, Helen Hogg, Bjarni Tryggvason (MEFO, 1998, p. 104); 3) décrire les conséquences d’un choix limité de matériaux sur la fabrication d’un dispositif ou d’une structure (MEFO, 1998, p. 83); 4) évaluer la contribution des Canadiennes et Canadiens dans l’exploration spatiale et le progrès scientifique, par exemple, Julie Payette, Marc Garneau, Roberta Bondar, Chris Hadfield, David Levy, Helen Hogg, Richard Bond, le développement de Canadarm [télémanipulateur de la navette spatiale], le développement du télescope Hubble par l’Université de la Colombie-Britannique (MEO, 2007, p. 118).

Relever de tels exemples dans le nouveau programme autant que dans l’ancien ne constitue pas pour autant notre objectif. Nous cherchons plutôt à repérer des contenus qui intègrent des savoirs autres que des savoirs occidentaux et qui présentent la science comme une activité humaine s’inscrivant dans un contexte socioculturel donné. Les quelques rares items répertoriés, deux dans l’ancien, soit 0,23 % (2/852) et neuf dans le nouveau programme soit 1,85 % (9/484) (voir Tableau 3) appartiennent à la rubrique Rapprochement entre les sciences et la technologie et le quotidien (MEFO, 1998) ou Rapprochement entre les sciences, la technologie, la société et l’environnement (MEO, 2007).

Tableau 3

Nombre d’items relatifs à la diversité ethnoculturelle dans les programmes de 1998 et de 2007

Nombre d’items relatifs à la diversité ethnoculturelle dans les programmes de 1998 et de 2007
*

R/A : pour rien n’à signaler.

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Mais jusqu’où ces rares contenus engagent-ils l’élève dans son apprentissage sur la diversité ethnoculturelle? Dans quelle mesure ces contenus reflètent-ils l’expérience de l’élève appartenant à un groupe ethnoculturel minoritaire pour qu’il se sente représenté dans ce qu’il étudie? Le tableau 4 fournit plus de détails sur les domaines dans lesquels, selon le MEO, la diversité ethnoculturelle est valorisée — si valorisation il y a — et la nature de ces contenus suivant la grille élaborée par Mujawamariya (2007) s’inspirant de Banks (1989).

Tableau 4

Nombre et nature des items relatifs à la diversité ethnoculturelle dans les programmes français de sciences et technologie de l’Ontario de 1998 et 2007

Nombre et nature des items relatifs à la diversité ethnoculturelle dans les programmes français de sciences et technologie de l’Ontario de 1998 et 2007
*

R/A : pour rien n’à signaler.

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Le Tableau indique que de la 1re à la 4e année l’ancien curriculum de sciences de l’Ontario ne fait aucune mention de la diversité ethnoculturelle. Ce n’est qu’à partir de la 5e année, dans le domaine Systèmes vivants, qu’on peut repérer des références à d’autres cultures : « Identifier les aliments qui sont à la base du régime alimentaire de diverses sociétés et qui leur fournissent les substances nutritives nécessaires (par exemple, les glucides proviennent du riz en Asie; de la pomme de terre et du blé en Amérique du Nord) » (MEFO, 1998, p. 28). En 6e année, dans le domaine Structures et mécanismes, il est fait mention de savoirs produits dans d’autres cultures en ces termes : « Décrire comment, dans différentes cultures, on s’est servi de dispositifs et de systèmes différents pour répondre à des besoins semblables (par exemple, les systèmes d’irrigation des fermes, les habitations temporaires, les bicyclettes) » (MEFO, 1998, p. 86).

Dans le nouveau curriculum (MEO, 2007), la diversité ethnoculturelle est abordée à partir de la 3e année, et ce, de façon relativement intensive. En effet, sur les neuf items identifiés dans ce curriculum, près de la moitié sont concentrées en cette année, un (1) dans Systèmes vivants (p. 70) et trois (3) dans Structures et mécanismes (p. 75-76). En 4e année, nous avons relevé deux items, un (1) dans Structures et mécanismes (p. 88) et l’autre dans Systèmes de la Terre et de l’espace (p. 91). Il faudra alors attendre jusqu’en 7e année pour que le programme fasse allusion à la perspective et aux contributions des autochtones à la science en parlant de la gestion des richesses naturelles (Systèmes vivants, p. 122) et de la botte de style mukluk (Systèmes de la Terre et de l’espace, p. 130). Enfin, en 8e année, le programme aborde la problématique de l’eau avec un accent particulier sur la salubrité de l’eau dans les communautés autochtones (Systèmes de la Terre et de l’espace, p. 145).

Voilà les quelques exemples que nous avons identifiés illustrant les approches définies par Banks. Ils constituent les rares occasions dans lesquelles l’élève pourrait accéder aux savoirs de sa culture, s’il est autochtone ou d’origine immigrante, et au savoir d’une autre culture que la sienne s’il s’identifie comme un Franco-Ontarien de souche. De façon générale, il y a d’une part Compréhension des concepts et acquisition qui réfèrent à ce que Milne (1998) appelle declarative science stories où processus scientifiques et concepts se résument à des objets accessibles par la simple observation par n’importe qui, loin du principe de personnalisation de l’apprentissage de Hodson (1999). Et d’autre part, le Rapprochement entre sciences, technologie et quotidien (MEFO, 1998) et le Rapprochement entre sciences, technologie, société et environnement (MEO, 2007) tendent à mettre en évidence l’importance d’un seul contexte socioculturel à partir duquel la science est appréhendée — le contexte canadien dans lequel la science héroïque prend beaucoup de place et seuls les scientifiques canadiens ont droit de cité. Même lorsque les élèves francophones sont invités à rencontrer leurs principaux héros qui ont contribué de façon significative aux sciences et à la technologie, la plupart des noms retenus, ceux de Roberta Bondar, de Chris Hadfield, de David Levy, de Helen Hogg ou de Richard Bond, ont une résonance typiquement anglophone et blanche. Ce qui semble en contradiction avec le discours qui veut que « [l]es programmes-cadres révisés contiennent MAINTENANT une section sur l’éducation antidiscriminatoire et des exemples destinés à aider le personnel enseignant à mieux faire le lien avec la vie des élèves. » (MEO, 2009, p. 15).

Discussion

Notre analyse des contenus d’apprentissage montre qu’en dehors de la dimension linguistique, les programmes-cadres de sciences et technologie des écoles de langue française de l’Ontario (MEFO, 1998; MEO, 2007) laissent très peu de place à la diversité ethnoculturelle des élèves. Les deux programmes revêtent un caractère purement eurocentrique, car ils évacuent les contributions scientifiques d’autres peuples et d’autres cultures (Dei, 1996; Hodson, 1999; Gahardo et Dasen, 2006; Shujah, 1999), et ce, en dépit de la diversité ethnoculturelle de plus en plus croissante des élèves en Ontario et au Canada (Ryan, Pollock et Antonelli 2009; Statistique Canada, 2008). Comment les élèves peuvent-ils alors se sentir représentés dans ce qu’ils étudient? Comment l’enseignant peut-il faire le lien entre ce qu’il enseigne et la vie de la plupart des élèves des écoles ontariennes actuelles? Comment l’enseignant peut-il oeuvrer pour offrir aux élèves franco-ontariens de souche une éducation scientifique ouverte à d’autres cultures? Dans ce sens-là, ces programmes n’échappent pas au phénomène dénoncé par plusieurs auteurs (Aikenhead, 2002a; Aikenhead, 2002b; Larochelle et Désautels, 2003; Daniel, 2005; Roth et Barthon, 2004), selon lequel l’enseignement de sciences n’a pas changé et, malgré la rhétorique d’une culture scientifique et technologique pour tous et pour toutes, les élèves ne sont confrontés qu’à une assimilation de faits et de théorie.

À la lumière des résultats de notre étude, la politique antiraciste et d’équité ethnoculturelle (MEFO, 1993; Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, 1999) ne semble pas avoir été traduite dans l’ancien programme français de sciences et technologie de l’Ontario, de la 1re à la 8e année. Et l’introduction d’une section sur l’éducation antidiscriminatoire dans le programme révisé n’a pas un grand impact sur le contenu curriculaire à enseigner. Malgré leurs fondements philosophiques qui laissent présager une certaine sensibilité à la diversité des élèves, l’un et l’autre des programmes ne renferment que quelques contenus d’apprentissage en lien avec la diversité culturelle, deux dans le programme de 1998 et neuf dans le programme révisé de 2007. Non seulement leur nombre est négligeable, mais aussi ils touchent à des aspects superficiels (Banks, 1989) qui ne permettent pas d’adapter le curriculum aux caractéristiques des élèves et à leurs réalités. Même la question de la diversité linguistique reste au niveau de la rhétorique; en dehors d’être nommée, la communauté franco-ontarienne n’est pas prise en considération dans sa spécificité. La seule diversité dont l’enseignant doit finalement se préoccuper est celle de l’enfant en difficulté, car des consignes claires lui sont adressées allant de la modification du programme aux installations (MEFO, 1998, p. 12; MEO, 2007, p. 35).

Relativement à la diversité ethnoculturelle des élèves, deux contenus d’apprentissages ont été identifiés dans notre analyse du programme de 1998 et neuf dans celui de 2007. Le premier des deux énoncés relevés dans le programme de 1998, celui de 5e année, fait référence à la nourriture et sied par conséquent dans la catégorie des approches contributionnistes de Banks. Le deuxième énoncé, celui de 6e année, porte sur la production du savoir dans d’autres cultures et relève du domaine additif. Le programme révisé se distingue de l’ancien tout simplement par le nombre des items. Malgré qu’ils s’étendent sur quatre ans (quatre en 3e année, deux en 6e année, deux en 7e année et un en 8e année), ils touchent, comme dans l’ancien programme, à des aspects superficiels correspondant aux deux niveaux inférieurs de l’échelle de Banks.

En l’absence des deux niveaux supérieurs du modèle de Banks, transformationnel et d’action sociale, les deux programmes sont loin de répondre aux trois principes de l’éducation scientifique multiculturelle de Hodson. Premièrement, on ne peut engager l’élève dans le processus de construction de son savoir avec des verbes d’action comme « identifier », « décrire », « définir » qui sont cependant prédominants dans les énoncés que nous avons répertoriés. L’élève à qui on impose le savoir de l’AUTRE est alors privé de son pouvoir de s’impliquer dans l’entreprise scientifique et de son aspiration à devenir scientifique un jour. Deuxièmement, on ne peut prétendre à un processus de démystification en l’absence d’une perspective historique. Les programmes de sciences et technologie renforcent plutôt la vision d’une science asociale et aculturelle dans laquelle l’élève ne peut se voir représenté. Lorsqu’un autre contexte social est mentionné, c’est beaucoup pour sa marginalité afin de montrer la suprématie de la science canadienne comme dans le cas de l’énoncé qui compare le Canada au Soudan : « Examiner comment l’usage de poulies et d’engrenages a grandement amélioré notre qualité de vie en comparant les diverses utilisations de poulies et d’engrenages au Canada à celles dans un pays en développement […]. Le Soudan utilise souvent le travail manuel pour creuser des puits alors qu’une pelle mécanique et couramment utilisée au Canada » (MEO, 2007, p. 88). Troisièmement et conséquemment, ces programmes ne peuvent motiver l’élève à s’engager dans des actions sociopolitiques, car ils ne renferment pas suffisamment de situations reflétant des enjeux sociaux en lien avec les sciences et technologie comme la santé humaine, l’alimentation et l’agriculture, la terre, l’eau et les ressources minérales, les ressources énergétiques, l’industrie, l’éthique et la responsabilité sociale (Hodson, 1999). En effet, comment politiser l’éducation de l’élève quand il est invité à analyser une situation et que ce n’est pas son point de vue qui compte, mais celui des sources médiatiques :

Analyser, du point de vue de la durabilité de l’environnement, comment une question d’ordre local, national ou international reliée aux ressources hydrographiques est abordée par diverses sources médiatiques (par exemple, distribution adéquate d’eau dans les endroits à climat sec; projet à grande échelle de détournement d’un cours d’eau [digue, canalisation]; tentatives pour minimiser les dommages créés aux habitants des zones côtières menacées par une hausse du niveau de l’eau; stratégies de gestion des éléments nutritifs sur une ferme, qualité de l’eau sur les collectivités de Premières nations. (MEO, 2007, p. 145)

L’analyse comparée montre que le contenu des deux programmes français de sciences et technologie de la 1re à la 8e année n’a pas véritablement changé, malgré la rhétorique d’une éducation équitable et inclusive. Au lieu de s’y reconnaître, nous croyons que les élèves membres des groupes culturels minoritaires réalisent vite qu’ils sont plutôt exclus du contenu qu’ils étudient. Ce qui n’est pas sans conséquence sur leur rendement qui selon le MEO (2009, p. 2) s’améliore lorsque les élèves sont respectés et se reconnaissent dans leur apprentissage. Le programme actuel de la 1re à la 8e année serait alors contreproductif sur le rendement en sciences et technologie des élèves ethnoculturels. Y a-t-il lieu d’espérer que les programmes de la 9e à la 12e année tiennent mieux compte de la diversité? Une étude similaire s’impose afin d’apprécier les modifications apportées aux programmes de 1999 et 2000 révisés en 2008.

Conclusion et suivi

Notre étude avait pour objectif de comparer deux programmes français de sciences et technologie de l’Ontario de la 1re à la 8e, celui de 1998 et celui révisé en 2007. La comparaison porte sur la place réservée à la diversité ethnoculturelle dans ces programmes. S’inscrivant dans une perspective d’éducation scientifique multiculturelle, notre analyse prend appui sur les approches contributionniste, additive, transformationnelle et d’action sociale de Banks (1989). L’analyse révèle que la place de la diversité ethnoculturelle dans les programmes français de sciences de l’Ontario (1998 et 2007) est négligeable dans les attentes et les contenus d’apprentissage alors que leurs fondements, surtout ceux du programme révisé, sont ancrés dans la reconnaissance et la valorisation de la diversité. Une étude longitudinale s’impose, surtout avec la mise en oeuvre depuis septembre 2009 d’un nouveau curriculum français de sciences en Ontario pour la 9e à la 12e année. Par ailleurs, d’autres dimensions méritent d’être examinées, dont la formation initiale et continue des enseignants francophones de sciences face à la diversité ethnoculturelle, les pratiques enseignantes dans les salles de classe, les manuels de cours obligatoires dans les écoles et conseils scolaires de langue française et autres mesures d’appui, afin de s’assurer que les élèves d’aujourd’hui de toutes origines et citoyens de demain puissent recevoir une éducation scientifique à la hauteur de leurs besoins, intérêts, attentes et ambitions. Et comme le fait remarquer Shujah (1999), offrir aux élèves une éducation scientifique qui fait fi de la diversité socioculturelle revient de nos jours à compromettre carrément leur avenir.