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Certains historiens traitent de sujets inhabituels, comme Stéphanie Tésio qui vient de publier une histoire comparative de la pharmacie en France (avec des données provenant principalement de Basse-Normandie) et en Nouvelle-France au 18e siècle. L’historiographie canadienne et ses archives incomplètes n’a cette fois-ci pas à rougir devant les données concernant la France. En comparant des données inédites (revenus, vente de drogues, apprentissages), l’auteure parvient à dresser un remarquable portrait du monde médical en Nouvelle-France. L’histoire de la pharmacie n’est pas que celle des remèdes et des saignées : c’est également une histoire sociale. L’ouvrage contient ainsi trois sections : le métier d’apothicaire, sa pratique, puis son réseau social. Bien que les deux premières parties soient essentielles à la compréhension générale du métier, c’est surtout la dernière partie sur les relations entre la profession et le reste de la société coloniale qui suscite notre intérêt. Cette étude comparative vise à cerner la transmission du modèle pharmaceutique de la métropole à la colonie, à en saisir les différences et les similitudes ; on assiste ainsi à la naissance d’un système de soins et de santé qui très tôt se différencie de celui de la France.

De fait, en compilant salaires, formations, origines sociales et géographiques, l’étude dresse un portrait de ces hommes qui ont choisi le métier d’épicier, de médecin, de chirurgien, d’apothicaire et parfois plusieurs de ceux-ci. À une époque où même l’épicier pouvait fournir certains remèdes et ainsi se faire pharmacien, Tésio montre comment se forment peu à peu la réglementation et le travail de pharmacien. En relevant les attributs de cette profession en développement, l’auteure analyse même les filiations et les rapports maritaux (endogamie et exogamie) pour constituer le profil social du pharmacien canadien et illustrer l’évolution de la profession. De plus, à travers le prix des drogues chez certains apothicaires, la comparaison de leurs revenus à ceux des médecins et des chirurgiens, et l’inventaire des remèdes les plus administrés, les plus chers et les plus populaires, on parvient à la description claire d’une pratique et d’une économie orientées vers la thérapeutique et l’administration des drogues.

Cet ouvrage s’inscrit dans une plus grande histoire, celle des soins et bien sûr dans la sociologie de la pratique médicale.