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Le titre de cet ouvrage indique bien son sujet : il s’agit d’une monographie portant sur la scierie de la famille Ramezay, située sur la rivière des Hurons, un affluent de la rivière Richelieu, combinée à une analyse de la gestion des affaires familiales et des siennes par Louise de Ramezay, après la mort de ses parents. Le premier et le second chapitres sont respectivement consacrés à l’administration de l’entreprise forestière d’abord par Claude de Ramezay jusqu’à sa mort en 1724, puis par sa veuve Charlotte, jusqu’en 1742. On y relate des événements comme la construction de la scierie par un prisonnier d’origine américaine[1], les associations avec divers partenaires pour son exploitation, les procès et conflits occasionnés par l’exploitation forestière des Ramezay. L’auteur s’attarde volontiers à l’aspect anecdotique des choses. Ainsi, le récit de l’assassinat d’un esclave noir travaillant à la scierie court sur près de 8 pages et le procès opposant Charlotte de Ramezay à Clément Sabrevois de Bleury occupe près de 14 pages. Après un tel luxe de détails, l’auteur conclut que Charlotte « aime écrire et argumenter » (p. 56), « [qu’]elle bouille [ait] d’impatience d’entretenir le débat » (p. 57) mais qu’elle finit par « sombre[r] dans la dépression » (p. 62). Voilà le jugement peu flatteur de l’auteur sur Charlotte. Que pense-t-il de Claude ? Après avoir cité certaines sources ne lui permettant pas de se prononcer sur la rentabilité de l’entreprise, il conclut néanmoins que Claude laisse un bel héritage mais sans doute réduit, en raison de ses goûts de luxe.

Le jugement de l’auteur est-il plus clément au sujet de Louise de Ramezay ? La réponse se trouve dans les deux chapitres suivants. Spécifions que, dans l’introduction de l’ouvrage, l’auteur pose une hypothèse : contrairement à ce qu’en dit l’historiographie, Louise de Ramezay ne serait pas une femme d’affaires hors pair car « quelques sources sembl[ai]ent m’indiquer qu’au contraire son obstination à vouloir exploiter coûte que coûte le moulin familial l’aurait lentement entraînée dans un gouffre financier sans fond » (p. 11). Et de fait, l’analyse que l’auteur fait de certains contrats de société ou d’association montre que Louise, plus qu’optimiste, accepte parfois de payer davantage que la juste part des investissements par rapport à la répartition des profits. Les nombreux procès qui semblent être la conséquence inévitable des associations d’affaires de cette famille révèlent aussi une administratrice souvent négligente. Mais, ici, il faudrait s’interroger sur la « logique de la source ». Pour tant de bévues administratives révélées par les procès, combien de gestes invisibles, posés au quotidien, pour assurer la bonne marche de l’entreprise ? La question vaut la peine d’être posée. Il n’en demeure pas moins qu’en 1763, Louise est incapable de rembourser à un marchand une importante dette datant de 1754. À partir de ce moment, les affaires de Louise vont de mal en pis. Il faut dire, et l’auteur le souligne, que les circonstances de la Conquête n’ont pas aidé la cause de Louise. Quant à la scierie, elle disparaît, du moins dans les sources, en 1782.

En conclusion, l’auteur examine les raisons de l’échec apparent de Louise de Ramezay. C’est le seul lieu où l’auteur entretient un dialogue avec l’historiographie, sans toutefois le préciser ouvertement. Ainsi, il rejette l’explication féministe voulant que Louise de Ramezay ait été victime de son sexe. Mais, il souligne que « la politique coloniale de la France restreignait les initiatives des colons » (p. 159). Cette affirmation passe-partout est étonnante dans le cadre d’une étude où les faits exposés sont loin de la soutenir. Au final, cependant, l’explication demeure de nature psychologique. Si Louise a accepté d’engloutir de fortes sommes pour l’entretien du moulin de la rivière des Hurons, « est-ce parce que […], durant son enfance, elle avait rêvé de poursuivre l’oeuvre de son père ? » (p. 164). Et un peu plus loin, soulignant la diversité des activités dans lesquelles Louise a investi : « On a l’impression que le succès des premières années l’a enivrée de façon telle qu’elle ait voulu multiplier ses entreprises trop rapidement » (p. 164).

Reflétant une attitude vieillie au sujet de l’histoire, l’ultime message du livre est que, malgré ses insuccès, il vaut la peine de se souvenir de Louise de Ramezay car « un pays a besoin de personnes téméraires qui […] se lancent dans des aventures avec détermination » (p. 164).