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Voici une petite contribution, presque énigmatique, à l’oeuvre de l’historien Yvan Lamonde, trois fois Prix du gouverneur général (notamment en 2004 pour L’histoire sociale des idées au Québec).

Signé Papineau est en quelque sorte le catalogue raisonné d’une collection de documents que nous ne verrons pas, assemblée – comme le signale Lamonde lui-même en introduction – par « Georges Aubin, Renée Blanchet, François Labonté et d’autres, appuyés par divers éditeurs (Varia, Bibliothèque nationale du Québec, Septentrion, Fides, Comeau & Nadeau, Lux, Écrits des Hautes-Terres, Éditions Nota bene, Michel Brûlé, Éditions Trois-Pistoles) ».

En cela, c’est un texte qui est à la fois frustrant et intéressant. Si le lecteur aura l’impression d’être titillé de bribes d’une correspondance qu’il lirait avec plus de satisfaction dans son entièreté, il y verra tout de même se déployer quelques idées familières de Lamonde avec une belle parcimonie et une remarquable limpidité, à une vitesse qui plaira à ceux qui sont agacés par l’histoire un peu tatillonne, ne s’élevant guère au-dessus de la documentation primaire. Signé Papineau est donc une bonne introduction à la correspondance de Papineau et surtout aux travaux de Lamonde. Six chapitres sont organisés selon des catégories qui ne sont pas exclusives les unes des autres, selon une chronologie poreuse, qui accentue nettement l’impression que ce n’est pas de Papineau lui-même dont il est question ici, mais des idées de Lamonde sur Papineau. C’est l’essayiste et non pas l’historien qui a divisé ainsi les chapitres de Signé Papineau : le premier commente ses « Lettres à sa famille », le second ses « Lettres à divers correspondants », le troisième discute de « Conscience coloniale et conscience internationale dans les écrits publics (1815-1839) », le quatrième de son « L’exil dans l’exil à Paris (1839-1845) », le cinquième de ses « Lectures domestiques, d’exil et de retraite (1825-1871) », et le dernier de « Mémoires partiels ». L’annexe 1 met à jour la liste des études de Lamonde sur Papineau depuis 1978, l’annexe 2 présente une bibliographie des sources.

Signé Papineau, c’est aussi une tentative de resituer Louis-Joseph Papineau comme créature d’exil, marqué par « l’éloignement de sa famille et de ses compatriotes, dans des exils plus ou moins lointains, plus ou moins longs ». Dans les écrits de Papineau tels que présentés par Lamonde – qui les cite longuement –, l’intime côtoie l’universel, sans que la continuité de l’expérience personnelle – la « structure des sentiments » aurait dit Raymond Williams – ne soit jamais rompue. L’amour d’un homme pour sa femme, le souci paternel des enfants, l’importance du lieu (soit le jardin, soit la bibliothèque, ou le pays), y font surface tels qu’en eux-mêmes, presque sans intervention de l’auteur. L’historien appréciera certainement la modestie de Lamonde, qui laisse à cette universalité sa part de concrétude. Il appréciera aussi que Signé Papineau soit une bonne chronique – ni trop didactique ni trop relâchée – des événements et idées (républicaines, libérales, nationalistes, abolitionnistes, etc.) du monde atlantique, qui apparaissent ici non pas comme des objets abstraits, mais tissés dans la quotidienneté. Le sociologue déplorera tout de même que l’idée de l’exil, énormément travaillée depuis une vingtaine d’années, n’ait pas été ici plus qu’un prétexte organisationnel. Si Lamonde avait reconnu à cette idée la rigueur qu’elle mérite, et si donc ses interventions avaient été mieux informées et plus conséquentes, Signé Papineau, si bien éclairé d’une si grande connaissance des sources et du contexte, aurait été un meilleur essai. Libéré des contraintes de son métier, sensible à toute la fragilité et à tout l’engagement des exilés de partout, qu’aurait reconnu Lamonde dans la correspondance de Papineau ? De Thucydide à Virgile à Machiavel à Gramsci à Brecht à Saïd, n’est-ce pas de l’exil que vient la lucidité de voir les formations sociales pour ce qu’elles sont ? C’est dans l’intimité que l’éloignement se joue avec plus de sens, et d’elle que vient la lucidité. Qu’aurait pu nous apprendre Yvan Lamonde, lecteur informé de la correspondance intime de Papineau, de ce moment de l’histoire anticoloniale du Québec ?