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Depuis des années, Léo Chartier, descendant de la famille de l’abbé Boileau, glane et collige les écrits du prêtre patriote. Il s’est associé à Gilles Boileau, ex-professeur de géographie à l’Université de Montréal, pour mettre cette documentation en forme et proposer une compréhension des idées et des actes d’Étienne Chartier (1798-1853), figure atypique du milieu clérical, avec le curé de Saint-Denis-sur-Richelieu, Augustin-Magloire Blanchet (voir www.biographi.ca). On comprend, d’entrée de jeu, que le personnage est complexe et que ses actions peuvent requérir maintes explications et nuances.

L’ouvrage suit chronologiquement la correspondance de Chartier avec les évêques sous « l’autorité » desquels il s’est trouvé. L’image qui se dessine de Chartier, ordonné en décembre 1828, est celle du curé de l’époque, mais d’abord et avant tout, celle des déboires du curé imprévisible avec les paroissiens des différentes paroisses qu’on lui confie et retire, et avec les évêques, Mgr Lartigue en tête. L’auteur cite abondamment les lettres de Chartier qui ne peut pas ne pas paraître querelleur et procédurier, lui qui a fait des études de droit avant d’opter pour la prêtrise, proposant même que l’évêque éteigne ses dettes comme condition à son choix. On aura compris que la vie du personnage – car c’en est un – est touffue, ce que l’ouvrage rend à souhait et, jusqu’à un certain point, à l’excès. Le point de vue est collé aux lettres qui déterminent la narration des événements sans trop contextualiser les idées et les activités de Chartier. Il s’ensuit un ouvrage où le souci de l’explication est plutôt absent, lacunaire.

Car il faut comprendre ce personnage que l’ouvrage s’acharne à dédouaner de quelque représentation négative ou critique. L’auteur épingle avec raison le conflit entre Chartier et Mgr Lartigue – paradigme de tous les conflits du curé avec presque tout le monde, de Papineau aux Patriotes radicaux en exil – en chargeant davantage l’évêque qu’en présentant non pas tant les raisons de leur contentieux que sa signification pour la compréhension du personnage de Chartier. Le lecteur ira lire la biographie de Chartier par Richard Chabot dans le Dictionnaire biographique du Canada (www.biographi.ca) pour saisir ce qu’est un essai d’explication sociologique du curé patriote, indiquant qu’on peut comprendre Chartier sans tomber dans un certain psychologisme, ce que n’offre même pas la présente étude.

Il importe de comprendre l’homme car il infléchit immanquablement l’image et la réputation de ceux qu’il croise dans sa vie mouvementée aux vicissitudes constantes. L’exemple le plus à conséquence est peut-être celui de sa fameuse lettre à Papineau de novembre 1839, reproduite en annexe, qui sera le point de départ, à moyen terme, de la campagne de dénigrement que Wolfred Nelson, La Minerve puis les Mélanges religieux de l’évêché de Montréal alimenteront à propos de « la fuite » de Papineau en novembre 1837. L’analyse de l’auteur tourne court : « De Chartier ou de Papineau, l’histoire jugera du plus loyal ! » On s’attend de l’analyse historique qu’elle mène à autre chose qu’à des jugements et qu’elle ne s’en remette pas à « l’histoire ».

On s’attend aussi à ce qu’une étude historique fournisse ses sources pour que le lecteur puisse y retourner et valider la lecture qui est faite d’une question. Faire le point sur une question c’est aussi faire le point sur les sources. Si les historiens et les éditeurs ne l’exigent plus, qui le fera ? Surtout, si dans certains cas, l’attribution d’un texte dans un journal à tel individu peut être discutable. Il est regrettable et aberrant que le travail unique de collecte d’une vie ne soit pas consigné publiquement quelque part pour la suite de la recherche. Du matériel nouveau, abondant, colligé est dorénavant là, grâce aux auteurs, pour une entreprise vraiment analytique et explicative de la vie haute en couleurs du curé-patriote inconstant.