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L’intérêt de ce collectif de 48 auteurs qui ont rédigé 14 chapitres tient à ce qu’il fournit une abondante bibliographie en anglais et en français autour de la « parentalité ». La plupart de ces chapitres sont essentiellement construits sur des recensions de textes qui portent sur des aspects reliés à la « parentalité » dans les domaines de spécialisation de leurs auteurs. Ceux-ci couvrent avant tout la psychologie, la psycho-éducation et le travail social. L’ouvrage est divisé en trois parties : « Qu’est-ce qu’un parent aujourd’hui ? », « L’influence des contextes familiaux sur l’exercice de la parentalité » et « Le droit et les politiques familiales en lien avec la parentalité ». Son insertion dans la collection « Problèmes sociaux et interventions sociales » correspond adéquatement à l’angle sous lequel cette notion est abordée dans la plupart des chapitres. Le plus souvent, au problème social identifié (appartenance à une « minorité » ; violence ; maladie ; négligence, etc.) sont proposées des interventions sociales destinées à l'atténuer.

En tant que sociologue invitée à rédiger un compte rendu de ce livre pour une revue de sociologie, il m’est difficile de taire mon étonnement quant à l’absence d’un chapitre qui aurait retracé l’historicité de l’apparition de cette notion de « parentalité ». Elle n’était guère convoquée tant que la famille correspondait à la structure qu’avait identifiée Parsons dans les années 1950 et aux fonctions qu’il lui reconnaissait encore. Il n’est pas improbable que ce terme soit d’abord apparu, en sociologie, non pas en lui-même : « parentalité », mais composé du préfixe : « mono », avec « monoparentalité ». Si ce terme était destiné à neutraliser le stigmate de la « fille-mère » de sinistre mémoire, son usage sociologique était pourtant immédiatement empreint d’ambiguïté, puisque la « monoparentalité », au féminin, désignait moins la situation d’une femme « séduite et abandonnée » devenue mère, que celle d’une femme astreinte à élever seule un enfant légalement reconnu par son père. Avec l’usage de la « monoparentalité », la voie était tracée pour faire place à l’« homoparentalité ». Notion dans laquelle le préfixe « homo » prime sur le terme de « parentalité ». L’élaboration de la loi québécoise instituant l’union civile et instaurant de nouvelles règles de filiation en 2002 en constitue une démonstration inégalée, comme le rappellent Andréanne Malacket et Alain Roy dans le chapitre 13 de la 3e partie de ce livre. Si « monoparentalité » (peut-être passée de mode : elle n’affleure guère dans cet ouvrage), puis « homoparentalité » ont fait florès, il est intéressant de constater que la notion d’ « hétéroparentalité » reste largement inexploitée de manière générale dans la littérature sociologique sur la famille. Quant à la notion de « pluriparentalité », qui commence à faire son apparition dans cette littérature, elle n’est pas abordée, si je ne m’abuse, dans cet ouvrage consacré aux « visages multiples de la parentalité ». Autrement dit, et surtout trop vite dit, il est généralement fait appel à « parentalité » précédée d’une pré-identification (grâce à un préfixe), quand cette identification renvoie à un in-attendu (mono, homo, pluri) face à ce qui reste le plus attendu et le plus répandu : l’innommée « hétéroparentalité ».

Cet ouvrage innove donc puisqu’il aborde la « parentalité » sans préfixe. Mais, même si elles l’intitulent « La parentalité sous la loupe des chercheurs », l’avant-propos de Claudine Parent et Michèle Brousseau éclaire très peu cette innovation. Elles justifient son usage – renvoyé à ses multiples visages – en se référant à un commun dénominateur qui renverrait à sa « neutralité » (p. xiii) : « le terme ‘parentalité’ apparaît plus neutre que celui de ‘parent’ pour parler des adultes qui prennent soin des enfants » (p. ix). Certes. Mais en quoi, en cette occurrence qui confond fonction (« parentalité ») et statut (« parent »), la « neutralité » fait-elle avancer une question théorique à peine formulée ? Leur réponse s’inscrit précisément dans l’air du temps et dans l’économie du livre qu’elles codirigent : « En fait, il [le terme de parentalité] permet de sortir de l’impasse représentationnelle dans laquelle le parent est nécessairement un père ou une mère biologique, pour entrer dans l’espace de la parentalité où parents biologiques, beaux-parents, parents d’accueil, parents gais ou lesbiens et parents adoptifs peuvent avoir leur place. » Elles ont absolument raison « en fait ». Rares sont pourtant les sociologues, et plus rares encore les anthropologues, qui font du « biologique », en l’occurrence du « génétique », le fondement de la parenté. Ils n’ignorent pas la fiction instituée par la règle qui veut depuis des siècles et à travers l’espace, sous une forme ou sous une autre, que « le père est le mari de la femme » ou encore que « le père est celui que les noces désignent », pour utiliser des expressions du droit moderne occidental.

Même si les préfacières elles-mêmes considèrent que « dans un volume portant sur la parentalité, il est essentiel de définir d’abord ce que représentent les notions de ‘parentalité’, de ‘parenté’ et de ‘filiation’ en distinguant ce qui est propre à chacun de ces termes » (p. ix), on peut regretter que leur effort de clarification des définitions se limite pour la « parenté » au recours au Dictionnaire Larousse (2000, p. 748). Sans remonter aux Structures élémentairesde la parenté de Claude Lévi-Strauss (1967), ni à L’exercice de la parenté de Françoise Héritier (1981), on ne peut manquer d’enregistrer, grâce à la parution récente, et coup sur coup, des Métamorphoses de la parenté de Maurice Godelier (2004), de La parenté de Laurent Barry (2008) et de Figures de la parenté de François Héran (2009), pour n’en citer que quelques-uns, combien cette définition reste théoriquement problématique et ne peut être résumée en quelques mots d’un dictionnaire qui sème à tout vent.

Nul doute pourtant que, grâce à la richesse bibliographique proposée dans cet ouvrage, il constitue un outil stimulant pour les psychologues et les travailleurs sociaux auxquels il semble destiné, mais aussi pour les sociologues. Il devrait inciter ces derniers à creuser, à la suite d’Anne Cadoret (2002), la ligne de partage entre « parentalité » et « parenté ». Elle n’est pas « neutre » pour saisir les transformations de la famille contemporaine.