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1. Introduction

Les principaux constituants du révélateur photographique sont des agents de développement, des additifs, une substance alcaline et un antivoile. L’hydroquinone (VAN ZEE et NEWMAN, 1977) est la molécule la plus répandue des agents de développement, mais aussi les polyphénols (KITAJIMA et al., 1977), les aminophénols simples et substitués (MINA, 1980), les diaminophénols, les diamines aromatiques et les hétérocycles azotés. Les additifs sont utilisés pour éviter la transformation, au contact de l’air, de l’hydroquinone en quinone (ABRIBAT et al., 1949; GLAFKIDES, 1986; LUVALLE et al., 1949). Cette réaction induit au bout d’un temps suffisamment long, une diminution, voire une disparition du principe actif du révélateur. Pour éviter l’oxydation, une quantité importante de sulfite de sodium est ajoutée à la solution (JAMES et WEISSBERGER, 1939). Celui-ci réagit en présence de l’oxygène de l’air sur l’hydroquinone pour donner l’hydroquinone monosulfonate et l’hydroquinone disulfonate.

Hydroquinone - Hydroquinone monosulfonate - Hydroquinone disulfonate.

Pour l’amélioration de la qualité des images et l’accroissement du nombre de clichés, la quantité de produits chimiques utilisée a augmenté. Ainsi, les produits provenant soit des bains épuisés, soit des eaux de rinçage ou de lavage, ne sont pas bénins pour l’environnement et peuvent constituer dans certains cas un apport non négligeable à la pollution des eaux de surface (TREFFRY et GILRON, 1993) (Figure 1).

Figure 1

Structure chimique de l'hydroquinone, hydroquinone monosulfonate et de l'hydroquinone disulfonate.

Chemical structure of hydroquinone, hydroquinone monosulfonate and hydroquinone disulfonate.

Structure chimique de l'hydroquinone, hydroquinone monosulfonate et de l'hydroquinone disulfonate.

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Les rejets peuvent être classés en deux catégories suivant leur origine. Soit ils proviennent de bains de fixateur et présentent un caractère minéral marqué. Ils peuvent être épuisés relativement facilement car ils contiennent des sels d’argent valorisables (DUVAL et PARENT, 1990; MARCH, 1978; MECKL, 1985). Soit ils proviennent de bains de révélateur et les polluants sont essentiellement d’origine organique (hydroquinone, phénidone, glutaraldéhyde). Dans ce cas, ils présentent une demande chimique en oxygène (DCO) élevée (5 à 30 g•L‑1) et une toxicité non négligeable.

Il existe plusieurs procédés pour traiter les solutions résiduaires provenant de l’industrie photographique (HASSINI, 1993; HELLEC, 1996; KITAJIMA et al., 1977; MAUREL, 1998; MINA, 1980). On notera les procédés physico-chimiques (précipitation, coagulation, floculation, décantation, filtration.), l’adsorption, l’échange d’ions, l’oxydation (biologique, chimique, électrochimique), l’extraction et les procédés membranaires. Ces derniers sont des techniques encore peu utilisées. Lorsqu’elles ont été mises en oeuvre, elles le furent soit en traitement d’appoint, soit en vue de recycler des substances actives. Elles permettent d’opérer à une température ambiante sans changement de phase réduisant ainsi la consommation énergétique. D’autre part, elles assurent une filtration sans ajout de réactifs chimiques, diminuant les problèmes de pollution (Maurel, 1998). Elles permettent en effet de minimiser les rejets industriels, et donc d’apporter une solution aux exigences de plus en plus sévères de la réglementation en matière d’environnement. Depuis quelques années, l’utilisation des procédés membranaires s’est considérablement développée dans de nombreux secteurs industriels. La nanofiltration est la plus récente de ces techniques et connaît un essor important (AHN et al., 1998; ALKHATIM et al., 1998; BENBRAHIM, 1994; BHATTACHARYYA et al., 1989; MANDRA et al., 1993; MEHIGUENE, 1999; MOREL et al., 1994; TANGHE et al., 1992; TREFFRY GOATLEY et GILRON, 1993; TSURU et al., 1991).

Située entre l’osmose inverse et l’ultrafiltration, la nanofiltration permet l’élimination des substances chargées et des substances organiques dissoutes de petites tailles. Les membranes de nanofiltration ont des pores de l’ordre du nanomètre et un seuil de coupure de 350 daltons environ (MOUCHET, 1993). Le rejet des espèces de poids moléculaire inférieur à cette valeur est dépendant de leur taille, de la charge ionique, de l’affinité avec la membrane (WATSON et HORNBURG, 1989) et du pH du milieu (SIMPSON et al., 1987).

L’objet de ce travail est d’étudier l’influence du pH sur le taux de rétention lors de la nanofiltration des solutions d’hydroquinone, d’hydroquinone monosulfonate et d’hydroquinone disulfonate seules ou en mélange, qui sont présents dans les bains révélateurs photographiques.

2. Matériel et méthodes

2.1 Matériel expérimental

Le pilote de nanofiltration utilisé est un appareil commercial MILLIPORE PROSCALE équipé d’une pompe volumétrique, d’un échangeur de chaleur, d’un bac d’alimentation d’une capacité de 10 L, de deux vannes pour évacuer les solutions après nanofiltration, de deux capteurs de pression permettant d’obtenir une pression transmembranaire moyenne dont la valeur est ajustée manuellement à l’aide de deux vannes de régulation (Figure 2). (Les différents capteurs sont couplés à des afficheurs numériques). Le module de filtration peut accueillir des membranes spiralées de diamètre 4,54 10‑2 m et de longueur 30,5 10‑2 m. Le pilote fonctionne à température régulée à 20 °C et en mode discontinu avec retour total du rétentat et du perméat dans le bac d’alimentation afin de conserver constante la concentration pendant la période de filtration. La membrane utilisée est une membrane composite organique de forme spiralée de type Nanomax 50, commercialisée par Millipore de surface filtrante de 0,37 m2 de seuil de coupure de 350 daltons composée d’une surface active en polybenzamide portant des groupements chargés négativement (0,1 à 0,5 µm) d’une couche en polysulfone microporeux (40 µm) et d’un tissu poreux en polyester d’épaisseur 120 µm qui lui confère sa résistance mécanique.

Figure 2

Pilote de nanofiltration

Nanofiltration pilot.

Pilote de nanofiltration

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La concentration des solutions étudiées a été fixée à 500 mg•L‑1. Le pH des solutions est ajusté soit par H2SO4 (0,5 M), soit par NaOH (1 M).

L’efficacité de la nanofiltration est fonction des propriétés de la membrane et des conditions opératoires fixées par l’utilisateur (pression, concentration de la solution filtrée, pH, débit). La sélectivité d’une membrane est définie par le taux de rétention (TR) :

où Cp désigne la concentration du soluté dans le perméat et Co la concentration du soluté dans l’alimentation.

L’ensemble des essais pour l’étude de l’influence du pH est effectué pendant un temps de filtration d’une heure pour atteindre l’équilibre en boucle fermée, et à une pression et un débit d’alimentation égal à 2,5 bars et 250 L•h‑1 respectivement. Par conséquent, le taux de conversion est égal à 12 %.

2.2 Méthodes d’analyse

HPLC : Les chromatogrammes ont été enregistrés sur une chaîne de HPLC Waters Millipore comprenant une pompe Waters 501 dont le débit est réglé à 0,7 mL•min‑1 un dispositif d’injection équipé d’une boucle de 100 µL, un détecteur UV, modèle 484, dont la longueur d’onde a été fixée à 190 nm, une colonne en acier Resolv TV, C18, de 15 cm de longueur et de 3,9 mm de diamètre, remplie de silice greffée avec des groupements de diméthyloctadécylsilyl de granulométrie 5 µm et de porosité 90Å. La phase mobile est une solution de KH2PO4 (dihydrogénophosphate de potassium) à 0,2 mol•L‑1dont le pH est ajusté à 3,5 par de l’acide phosphorique. L’ensemble est piloté par un micro-ordinateur utilisant le logiciel MAXIMA 820 permettant l’acquisition et l’exploitation des résultats.

COT : Les dosages du Carbone Organique Total (COT) ont été effectués avec un analyseur de Carbone Bioritech « modèle 1010 OI-analytical ». La quantification du COT d’un échantillon se fait grâce à une oxydation humide. Le dioxyde de carbone est détecté par infra-rouge. L’étalonnage de l’appareil se fait avec une solution d’hydrogénate de potassium (C8H5KO4) à 10 mg•L‑1 de carbone. Cette solution est préparée à chaque utilisation avec de l’eau ultra pure à partir d’une solution mère à 400 mg•L‑1 de carbone conservée à 4 °C (Norme AFNOR NF T90-102).

2.3 Solutions

Au laboratoire, nous ne disposons que du sel d’hydroquinone monosulfonate et de celui d’hydroquinone disulfonate, les formes acides de ces produits n’étant pas commercialisées. Afin de déterminer les valeurs des pKa de ces composés, nous avons modifié ces sels en acide. Pour effectuer cette transformation, on mélange un très large excès d’une résine échangeuse d’ions (Amberlite IR120) avec le sel. Ainsi, l’on passe d’un pH égal à 4 pour une solution d’hydroquinone monosulfonate à un pH égal à 2,75 pour l’acide correspondant. De même, le pH qui était égal à 5,26 pour une solution d’hydroquinone disulfonate, devient égal à 2,52 pour l’acide correspondant. L’exploitation des courbes de dosage des acides par NaOH conduit à déterminer le pKa pour l’hydroquinone sulfonique acide comme étant égal à 2,82. Les deux acidités de l’hydroquinone disulfonique acide sont caractérisées par pKa= 2,28 et pKa= 2,44.

On peut schématiser la dissociation de l’hydroquinone et de l’hydroquinone disulfonate par ces équilibres :

À chaque équilibre correspond une constante de dissociation (Ka) définie respectivement par :

On définit également des coefficients de dissociation :

α0, correspond au pourcentage de molécules non ionisée.α1, correspond au pourcentage de molécules ayant subies la première ionisation.α2, correspond au pourcentage de molécules ayant subies la deuxième ionisation.

En combinant les expressions (3) et (4), on obtient de nouvelles relations qui vont permettre de calculer les coefficients de dissociation de chaque espèce à partir de la connaissance du pH :

La dissociation de l’hydroquinone monosulfonate se schématise comme ci dessous :

Il lui correspond un Ka :

et deux coefficients de dissociation :

α0 correspond au pourcentage de molécules non ionisées.α1 correspond au pourcentage de molécules ionisées.

Comme précédemment, la combinaison de (7) et de (8), permet de déduire ces nouvelles expressions et de calculer les coefficients de dissociation de l’espèce :

3. Résultats et discussion

3.1 Nanofiltration des produits seuls

Sur les figures 3, 4 et 5, nous avons représenté la variation du taux de rétention et les coefficients de dissociation de l’hydroquinone monosulfonate, l’hydroquinone disulfonate et l’hydroquinone respectivement. On constate que lorsque 2 < pH < 8, la rétention de l’hydroquinone demeure constante et faible et augmente lorsque pH se trouve au voisinage de pKa= 10. Un nouveau saut se produit au-delà de la valeur du pKa2, mais de manière moins marquée que précédemment. Le coefficient de dissociation de l’hydroquinone α1 augmente lorsque le pH se trouve au voisinage du pKa1. En effet, α1 est égal à 0 jusqu’à pH ˜ 8, puis aux alentours de pH = 9, augmente. À pH = 11, α1 commence à diminuer. α= 0 jusqu’à pH = 10 et augmente ensuite rapidement. On peut déduire de ces résultats que le taux de rétention et le taux de dissociation de l’hydroquinone sont liés. Quand il n’existe aucune forme ionisée, le taux de rétention reste faible. Dès l’apparition d’une ionisation, alors le taux de rétention augmente considérablement. À l’apparition de A2-, le taux de rétention subit une nouvelle augmentation. Lorsque pH < pKa1, l’hydroquinone est sous forme moléculaire, la rétention est liée à la taille de la molécule. Les taux de rejet sont faibles. Lorsque pH > pKa1 et pH > pKa2, la molécule est ionisée. La rétention est en relation avec la répulsion des charges négatives de la membrane. Les taux de rejet deviennent importants.

Figure 3

Variation du taux de rétention et de coefficient de dissociation de l'hydroquinone monosulfonate en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1 , 20 °C, 2,5 bars).

Retention and dissociation coefficient variation of monosulfonate hydroquinone as a function of pH. ([••] = 500 mg•L‑1, 20°C, 2.5 bars).

Variation du taux de rétention et de coefficient de dissociation de l'hydroquinone monosulfonate en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1 , 20 °C, 2,5 bars).

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Figure 4

Variation du taux de rétention et de coefficient de dissociation de l'hydroquinone disulfonate en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1 , 20 °C, 2,5 bars).

Retention and dissociation coefficient variation of disulfonate hydroquinone as a function of pH. ([••] = 500 mg•L‑1, 20°C, 2.5 bars).

Variation du taux de rétention et de coefficient de dissociation de l'hydroquinone disulfonate en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1 , 20 °C, 2,5 bars).

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Figure 5

Variation du taux de rétention et de coefficient de dissociation de l'hydroquinone en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1, 20 °C, 2,5 bars).

Retention and dissociation coefficient variation of hydroquinone as a function of pH. ([••] = 500 mg•L‑1 , 20°C, 2.5 bars).

Variation du taux de rétention et de coefficient de dissociation de l'hydroquinone en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1, 20 °C, 2,5 bars).

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3.2 Nanofiltration du mélange

Sur la figure 6 nous avons représenté la variation du taux de rétention du mélange des trois composés en fonction du pH. D’une manière générale, on constate que le taux de rétention du mélange augmente avec le pH. On remarque également l’existence de plusieurs sauts qu’on peut attribuer de la manière suivante :

  • le premier saut correspond à l’augmentation des taux de rétention de l’hydroquinone monosulfonate et de de l’hydroquinone disulfonate.

  • le deuxième saut, un peu plus faible, correspond à l’augmentation du taux de rétention de l’hydroquinone sulfonate seulement.

  • le troisième saut, très significatif, correspond au saut de l’hydroquinone.

Figure 6

Variation du taux de rétention des trois composés dans le mélange et le mélange en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1, 20 °C, 2,5 bars).

Retention variation of the mixture and of three compounds in the mixture as a function of pH. ([••] = 500 mg•L‑1, 20°C, 2.5 bars).

Variation du taux de rétention des trois composés dans le mélange et le mélange en fonction du pH. ([••] = 500 mg•L‑1, 20 °C, 2,5 bars).

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Bien que les taux de rétention de l’hydroquinone, l’hydroquinone sulfonique acide et l’hydroquinone disulfonique acide, suivent la même évolution lorsque le composé est seul ou en mélange, on notera un petit décalage entre les courbes du composé en mélange et du composé seul. Nous attribuons ceci aux propriétés chimiques de la solution, à savoir mobilité, concentration, etc. Une étude relative à l’influence de ces paramètres serait donc envisageable afin de confirmer ces suppositions.

4. Conclusion

Le mécanisme de transfert de soluté est basé sur des interactions de types stérique et ionique entre la membrane et les solutés eux-mêmes. Les expériences réalisées ont pu nous montrer que lorsque le pH < pKa, la molécule n’étant pas ionisée, la rétention ne dépend que de la taille et du poids moléculaire. Les taux de rétention sont d’autant plus élevés que le poids moléculaire est important. En revanche, lorsque pH > pKa, la molécule se trouve sous forme ionisée, elle est donc plus retenue. En effet, la membrane chargée négativement retient fortement les co-ions.