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L’eau consommée à Munich vient des Alpes. Elle est naturellement d’une bonne qualité. Toutefois, avant d’arriver dans la ville, elle traverse les Préalpes, qui se caractérisent par une activité agricole soutenue[1]. Dès la fin du xixe siècle, la Ville de Munich a adopté une politique de protection de l’eau potable. Munich avait d’abord acquis des terres agricoles et des forêts dans les aires de drainage des prises. Elle a ensuite établi une lagune pour purifier l’eau grâce aux capacités filtrantes des plantes. Les terres[2] acquises au fil des siècles sont aujourd’hui exploitées de façon biologique par des métayers. Parallèlement à la politique d’acquisition de terres, la Ville a mis en place une politique de contractualisation. En effet, l’activité agricole des autres exploitations situées entre Munich et les Alpes avait entraîné une augmentation de certains polluants[3]. Ainsi, de 1953 à 1991, la teneur en nitrates des eaux captées dans la vallée du Mangfall est passée de 0,8 à 14,2 mg/l[4], tandis que la teneur en pesticides s’élevait, en 1991, à 0,065 µg/l[5]. L’entrée en vigueur de la directive « nitrates »[6], qui impose une limitation des polluants, a obligé la Ville à agir, et cela, d’autant plus qu’il était difficile de prévoir s’il y aurait une stabilisation, et à quel niveau. Il ne faut pas oublier que cette ville ne doit pas seulement une eau de bonne qualité à ses habitants, mais aussi à ses brasseries, qui se prévalent à juste titre de l’Édit de pureté bavarois de 1516[7].

La Ville de Munich a donc opté pour une politique de contractualisation. Ce choix n’était pas insolite. Traditionnellement, la doctrine administrative des ordres juridiques issus du droit romain considère que l’action publique s’exerce par l’acte unilatéral[8]. Toutefois, d’autres formes de l’action publique ont été développées pendant le xxe siècle, aussi bien au sein des États européens que de l’Union européenne[9]. Il s’agit de la concertation, de la contractualisation et, finalement, du partenariat[10], qui aboutissent à ce qui peut être qualifié de « droit négocié ». Ces nouvelles techniques de l’exercice de la puissance publique sont appréciées pour leur efficacité, leur souplesse, car elles permettent un traitement individualisé de situations différentes. L’administré joue alors un rôle actif, plus ou moins important selon les circonstances. À noter que le contrat implique l’accord, non la contrainte. En plus, « le contrat permettrait de remédier aux dysfonctions d’un système administratif cloisonné ou au contraire éclaté en de multiples centres de pouvoirs[11] ».

D’ailleurs, la reconnaissance à l’individu de différentes libertés rend parfois le recours au contrat quasiment inévitable. C’est la liberté d’entreprendre[12] qui est en cause dans le cas à l’étude, qui interdit d’imposer aux agriculteurs, propriétaires de leurs terres, un certain mode d’exploitation. Un auteur[13] met bien en lumière que le recours au contrat dans la mise en oeuvre de la politique de l’environnement est justifié par le but d’intérêt général à atteindre.

De nos jours, le cas de la Ville de Munich n’est plus un cas isolé. La Ville de New York est passée en 1997 à une gestion similaire de son eau potable[14]. Un exemple d’une technicité juridique moins complexe est constitué par l’action de la Société générale des eaux de Narbonne : elle rembourse à certains viticulteurs la différence de prix entre un désherbant polluant et un désherbant qui le serait moins[15].

L’objectif de notre étude est de montrer à partir d’un exemple qu’il est possible, au niveau local, de promouvoir des objectifs environnementaux. En l’espèce, le soubassement du montage juridique est constitué par le droit communautaire. La Ville de Munich s’en sert en y ajoutant un ensemble contractuel que nous allons à présent examiner.

Le distributeur d’eau potable propose aux agriculteurs dont l’exploitation se situe en tout ou en partie dans la zone de protection de l’eau une compensation financière, à condition qu’ils adoptent des procédés de production qui limitent leurs effets néfastes sur l’eau. Le contrat prévoit aussi l’adhésion obligatoire des agriculteurs à une association d’agriculture biologique. L’agriculteur qui accepte ce contrat est donc lié par un double lien[16] : d’une part, il doit satisfaire aux obligations imposées par le distributeur d’eau potable dans le but de préserver la pureté de l’eau ; d’autre part, il doit répondre aux exigences de l’association d’agriculture biologique, dans le but d’accéder au marché du « bio ». Des négociations ont eu lieu en 1992 entre ces associations, le Service de distribution d’eau potable et la Ville de Munich : cette dernière mentionne ces associations sur son site web, mais aucun lien contractuel ne semble exister entre elles et la Ville.

L’agriculteur constitue ainsi le pivot d’un ensemble contractuel, destiné à améliorer la qualité de l’eau. Comme l’agriculteur est au centre de ce dispositif, nous verrons d’abord le contrat qu’il conclut avec la Ville de Munich (1). Ensuite, nous verrons le lien qui le lie à l’association d’agriculture biologique (2). Enfin, nous nous interrogerons sur la nature juridique de ce montage (3).

1 Le lien entre le distributeur d’eau potable et les agriculteurs

La mise en place du système actuel, en 1992, a commencé par des réunions publiques destinées à informer les agriculteurs visés et à les inciter à adopter la formule proposée. Après une période dominée par le scepticisme, les agriculteurs se sont peu à peu convertis : actuellement, plus de 100 agriculteurs gèrent leurs fermes selon les principes de l’agriculture biologique. Ils exploitent ensemble au-delà de 2 500 hectares de terrain. C’est la plus grande superficie exploitée de façon biologique en Allemagne. Avant d’examiner le contrat proposé à l’agriculteur (1.2), nous verrons la structure du distributeur d’eau (1.1). Puis, nous détaillerons les mécanismes de contrôle auxquels l’agriculteur est soumis (1.3).

1.1 La structure juridique du distributeur d’eau

La Ville de Munich gère la production, le transport et la distribution de l’eau potable par l’intermédiaire d’un groupe de sociétés chapeauté par une société holding[17] qui lui appartient et qui regroupe différentes sociétés de service. Ce groupe fournit à la Ville de Munich et à quelques communes limitrophes de l’eau potable, tout en assurant d’autres activités de service public. Le groupe en question n’est pas structuré en fonction de ses activités, sauf pour les services de télécommunications et les transports. Chacune des autres branches d’activité relève de plusieurs filiales. Il existe ainsi une filiale « infrastructures », une filiale « services » et une filiale « communication ». Cette organisation entraîne une certaine opacité, probablement voulue, dans les comptes publiés du groupe. La société holding est l’associée unique de la plupart de ses filiales. Sa forme sociale est celle d’une Gesellschaftmit beschränkter Haftung (GmbH), qui peut se traduire par « société à responsabilité limitée ». Sa dénomination sociale est « Stadtwerke[18] München GmbH ». Elle a un directoire[19] et un conseil de surveillance. Ce dernier est présidé par le maire de Munich et composé de conseillers municipaux, de représentants des salariés et d’experts techniques. L’administration municipale n’intervient donc que dans les décisions les plus importantes, la gestion courante étant assurée par un directoire, composé de quatre personnes, des dirigeants dont les compétences respectives sont fixées précisément.

Quelles que soient les raisons qui ont amené la Ville de Munich au choix retenu, il lui permet d’échapper a priori aux contraintes du droit administratif : les contrats conclus entre la société gestionnaire de l’eau et les agriculteurs sont, formellement, des contrats de droit privé.

1.2 Le contrat conclu entre le distributeur d’eau et les agriculteurs

Nous verrons ci-dessous à quoi les parties s’engagent et pour combien de temps (1.2.1 et 1.2.2). Ensuite, nous soumettrons ce contrat à une appréciation juridique (1.2.3).

1.2.1 Les obligations des parties

Les contrats conclus entre le distributeur d’eau potable et les agriculteurs imposent à ces derniers certaines obligations et restrictions. Ils obtiennent en contrepartie une compensation financière.

1.2.1.1 Les obligations de l’agriculteur

L’agriculteur est soumis à plusieurs catégories d’obligations. Il doit tout d’abord respecter certaines normes de production. Il est ainsi soumis à des restrictions en ce qui concerne la fertilisation des sols exploités. L’utilisation de l’engrais chimique est interdite.

Par ailleurs, l’agriculteur ne peut pas épandre plus de 20 m3 de lisier par hectare et par récolte ; ce lisier ne doit pas provenir de l’agriculture traditionnelle.

Enfin, l’agriculteur doit limiter l’apport en engrais organique à 1,3 Dungeinheiten par hectare exploité, dont au moins 0,8 Dungeinheiten doit venir de sa propre exploitation. Il peut acheter à l’extérieur jusqu’à 0,5 Dungeinheiten d’engrais par hectare exploité, mais il ne peut s’agir que du fumier de moutons, de bovins ou d’équidés. Il ne semble pas être nécessaire que ce complément d’engrais provienne d’une agriculture biologique.

Le terme Dungeinheiten a été créé par les associations d’agriculture biologique. Il tient compte du fait que chaque animal élevé donne lieu à une certaine quantité d’effluents d’élevage. Cette quantité est mesurée par la teneur de ces effluents en azote et en anhydride phosphorique, aussi appelé « acide phosphorique (P2O5) ». En Allemagne, une Dungeinheit correspond à 80 kg d’azote ou à 70 kg d’anhydride phosphorique. Cette unité de mesure a ensuite été utilisée pour limiter l’importance du cheptel par rapport à la surface exploitée. L’engrais utilisé pour fertiliser les sols provient du cheptel élevé sur l’exploitation même et la totalité de l’engrais organique provenant de l’élevage des animaux sert à augmenter le rendement des cultures. Ainsi, l’apport au sol de fertilisants est limité aux Dungeinheiten prévues par la norme applicable. Le sol n’est donc pas surchargé d’engrais.

D’ailleurs, la directive « nitrates »[20] a imposé, elle aussi, une limitation de la « densité de peuplement » pour les exploitations agricoles qui se situent dans des « zones vulnérables ». Il s’agit de zones dans lesquelles les eaux sont d’ores et déjà atteintes par la pollution, ou qui sont susceptibles de l’être en l’absence de mesures appropriées. Cette directive prévoit une quantité maximale d’azote de 170 kg par an et par hectare. Elle est donc nettement plus permissive que le contrat conclu entre la société de distribution d’eau et les agriculteurs biologiques, puisque ce contrat prévoit une quantité maximale d’azote de 104 kg par an et par hectare. Le règlement d’application[21] du règlement relatif à la production biologique[22] se réfère à la directive « nitrates » pour fixer la quantité d’azote. Le règlement (CE) 889/2008[23] et les cahiers des charges des différentes associations d’agriculture biologique contiennent des listes très précises indiquant à combien de Dungeinheiten correspond chaque catégorie d’animaux. Là aussi, le contrat qui nous intéresse est plus strict : il prévoit 1,95 pièce de gros bétail par hectare, tandis que le règlement prévoit 2,00 pièces par hectare pour les bovins mâles âgés de 2 ans ou plus et les vaches laitières. La différence n’est pas grande, mais c’est la limite inférieure. Pour d’autres animaux, qui peuvent être qualifiés de « gros bétail », la quantité admise par le règlement peut aller jusqu’à 3,30 pièces par hectare.

En ce qui concerne les aliments pour le bétail, au moins 70 p. 100 de ces aliments doivent être produits de façon biologique sur l’exploitation même. L’agriculteur doit donc adapter la taille de ses troupeaux aux capacités fourragères de sa ferme. L’élevage hors sol[24] est impossible. Le reste des aliments (30 p. 100) peut être acheté à l’extérieur, mais il doit provenir de l’agriculture biologique[25]. Toutefois, lorsque ces aliments « ne sont pas disponibles en quantité suffisante[26] », l’agriculteur a le droit de compléter la nourriture de son cheptel par certains aliments non biologiques. Ils sont limitativement énumérés dans le contrat : il s’agit de la drêche de brasserie, du moût de malt, des tourteaux de colza et de graines de lin, de la levure de bière, des protéines de maïs, de pommes de terre et des produits laitiers. La nutrition des animaux a une influence certaine sur la composition chimique de leurs déjections[27], et donc sur l’engrais organique utilisé sur la ferme. Le contrat prévoit un autre cas qui permet à l’agriculteur de se soustraire à l’engagement de n’utiliser que de la nourriture biologique. C’est la survenance d’une catastrophe naturelle. Toutefois, pour pouvoir bénéficier de cette exception, l’agriculteur doit adresser une demande expresse à son cocontractant. En plus de ces conditions, le contrat prévoit que, pendant l’été, les bovins doivent être surtout nourris avec du fourrage. En fait, dans la région visée, le gros bétail est généralement mis en pâturage durant la saison estivale.

Ces règles concernant l’alimentation du bétail et les engrais contiennent un des principes philosophiques de l’agriculture biologique, communément admis par les différents courants : l’exploitation doit en grande partie être autosuffisante.

Le contrat prévoit ensuite que les pratiques d’élevage doivent être respectueuses des particularités de chaque espèce d’animal élevée. En ce qui concerne plus particulièrement les vaches, les entraîneurs de vache sont expressément interdits[28].

La rotation pluriannuelle des cultures est prévue : à une plantation en prairie ou de luzerne suit une plantation de céréales, de maïs ou de pommes de terre. Cette pratique amende le sol en lui apportant des nutriments et limite le développement de bioagresseurs[29]. Les légumineuses ne pouvant pas être plantées isolément, un ensemencement doit donc en comporter différentes sortes. Les prairies et les champs de luzerne sont labourés avant l’ensemencement. Le labour en vue de planter du blé d’hiver doit avoir lieu en octobre au plus tard, celui qui précède la plantation de l’orge et du seigle d’hiver doit avoir lieu au plus tard en septembre. Enfin, le labour qui précède l’ensemencement des cultures de céréales d’été peut avoir lieu à partir du mois de mars. Le contrat impose ainsi à l’agriculteur des règles strictes quant à la durée du cycle des cultures. Dans le même ordre d’idées, la dernière récolte doit avoir lieu au plus tard le 15 octobre.

L’importance de la rotation pluriannuelle des cultures, de la culture de légumineuses et du labour était aussi reconnue par le premier règlement communautaire concernant le mode de production biologique de produits agricoles[30] et les cahiers des charges des associations biologiques. Cependant, ces textes n’imposaient pas de calendrier précis à l’agriculteur. Le plus récent règlement communautaire, applicable depuis le 1er janvier 2009[31], ne mentionne plus le labour, mais il reste imposé aux agriculteurs sous contrat.

À noter que le contrat ne traite pas de l’utilisation de pesticides. Toutefois, celle-ci est strictement réglementée par les associations d’agriculture biologique[32].

1.2.1.2 Les obligations du distributeur d’eau potable

En contrepartie des engagements pris, l’agriculteur reçoit une prestation compensatoire[33]. C’est une incitation économique destinée à compenser la moindre productivité de l’agriculture biologique et les investissements nécessaires à la conversion. Par exemple, la productivité d’une vache laitière « bio » serait d’un tiers inférieure à la productivité d’une vache soumise aux exigences de l’agriculture intensive[34]. Selon la Ville de Munich, le montant de cette prestation compensatoire a été négocié entre elle, l’État de Bavière, la société Stadtwerke München GmbH et les organisations paysannes. Pendant les six premières années civiles, elle s’élève à 281,10 euros par hectare exploité et par an. Pour les années civiles suivantes, elle est réduite à 230,08 euros. Ces sommes sont complétées par une aide de l’État de Bavière de 150 euros par an et par hectare exploité[35].

L’aide est plus importante pendant les premières années en raison des contraintes de la conversion de l’agriculture traditionnelle vers l’agriculture biologique. Les sols exploités en agriculture traditionnelle restent contaminés pendant plusieurs années[36]. L’organisme des animaux stocke les substances qui leur ont été administrées, mais qui sont proscrites en agriculture biologique. C’est pour cette raison que les labels des associations d’agriculture biologique ainsi que le logo communautaire[37] ne peuvent être utilisés qu’au bout de deux à cinq ans. Cette durée dépend de plusieurs facteurs : le type de cultures, la contamination antérieure, le choix entre une reconversion totale ou par étapes[38]. L’agriculteur subit donc pendant un certain temps les contraintes de l’agriculture biologique sans pouvoir faire valoir son effort sur le marché.

Les prestations compensatoires deviennent exigibles à la fin de chaque année civile, à condition que l’organisme de contrôle fournisse le certificat de conformité. Le coût de ce contrôle est assuré par le distributeur d’eau. Il se réserve le droit de refuser le paiement de la prestation compensatoire s’il apprend le non-respect des conditions techniques d’exploitation ou de contrôle. Il s’arroge ainsi un pouvoir important. C’est au juge d’en fixer les limites, en cas de besoin.

1.2.2 La durée du contrat

Le contrat est conclu pour une durée de 18 ans (années civiles complètes). Il prévoit comme seule cause de résiliation anticipée la cessation de l’exploitation des terrains qui y sont mentionnés. Il inclut la possibilité de reprise d’un contrat antérieur. La cession des terres des agriculteurs sous contrat semble ainsi permettre à l’acquéreur de maintenir le lien contractuel qui liait le cédant au distributeur d’eau. Ce contrat se transmet à l’acquéreur des terres agricoles, en tant qu’élément ou actif de l’exploitation. Il faut toutefois noter que ce distributeur ne s’engage pas expressément à renouveler le contrat avec l’acquéreur. Il se ménage ainsi une part de liberté et le contrat semble être conclu intuitu personae.

1.2.3 L’appréciation juridique du contrat

Nous examinerons ci-dessous la nature juridique de ce contrat (1.2.3.1) avant de nous interroger sur sa conformité avec les principes concurrentiels (1.2.3.2). Enfin, nous le confronterons à un principe pivot du droit de l’environnement, celui du pollueur-payeur (1.2.3.3).

1.2.3.1 La nature juridique du contrat

L’agriculteur qui signe un contrat avec la société Stadtwerke München GmbH contracte une obligation de faire ou de ne pas faire : suivre positivement les prescriptions prévues dans le contrat ou s’abstenir de faire ce que ce même contrat lui interdit. Il doit fournir une prestation de service. La société Stadtwerke München GmbH, de son côté, prend comme engagement de verser la somme promise.

Le droit allemand connaît, d’une part, le Werkvertrag[39], contrat par lequel l’une des parties s’oblige à produire un objet[40] pour le cocontractant. Toutefois, l’objet du contrat peut aussi consister en une prestation de service. Les possibilités concernant l’objet de la prestation sont ainsi larges, ce qui compte étant le fait que le cocontractant est soumis à une obligation de résultat. Cependant, nous ne pouvons ranger le contrat analysé dans cette catégorie, le succès, le résultat, étant trop difficile à appréhender. Le droit allemand prévoit, d’autre part, le Dienstvertrag[41], contrat à exécution successive qui renferme une obligation de moyen et qui a pour objet la fourniture d’une prestation. En principe, ce contrat peut être conclu entre deux agents économiques indépendants. Toutefois, les paragraphes suivants[42] se réfèrent, tantôt explicitement, tantôt implicitement, au contrat de travail. Le contrat conclu entre l’agriculteur et le distributeur d’eau ne semble pas non plus appartenir à cette catégorie.

Enfin, le droit allemand connaît le Geschäftsbesorgungsvertrag, que la jurisprudence a découvert au paragraphe 675 du Code civil allemand, qui dispose qu’il peut s’agir d’un Werkvertrag ou d’un Dienstvertrag. Ce paragraphe se situe dans un titre intitulé « Mandat »[43]. Le Geschäftsbesorgungsvertrag est donc une forme de mandat. Dans le contrat qui nous intéresse, l’agriculteur fait bien quelque chose pour son cocontractant, il lui rend effectivement un service. Pouvons-nous dire qu’il est mandaté par son cocontractant pour limiter la pollution de l’eau, pour en préserver la pureté naturelle ? À noter que le coeur de l’activité de l’agriculteur est la production agricole, et non la prestation de ce service. L’obligation que l’agriculteur s’engage à exécuter porte sur la façon dont il exerce son activité traditionnelle et principale. En effet, la prestation que vise l’agriculteur concerne la pureté de l’eau. Cependant, cette eau n’appartient ni à la Ville de Munich ni à l’agriculteur. « Res communes », richesse nationale[44] selon certains, l’eau ne peut pas donner lieu à une appropriation individuelle. De quel droit le distributeur d’eau pourrait-il alors mandater l’agriculteur pour prendre soin d’une chose qui n’appartient ni à l’un ni à l’autre ?

Le contrat conclu entre la Ville de Munich et l’agriculteur ne semble donc pas entrer dans la catégorie des contrats nommés[45]. Il nous paraît au contraire être un bon exemple de l’ingénierie juridique, qui conçoit des contrats innommés non seulement pour faire échapper un contrat aux effets que la loi attribue à tel ou tel contrat nommé, mais aussi pour répondre aux nécessités économiques, sociales et environnementales. Encore convient-il de se demander s’il n’est pas plutôt question d’un contrat sui generis. Si le contrat innommé résulte de la combinaison de plusieurs contrats nommés, le contrat sui generis ne relève d’aucun contrat spécial[46].

1.2.3.2 La confrontation entre le contrat et le droit de la concurrence

L’octroi de la prestation compensatoire procure un avantage concurrentiel non négligeable à l’agriculteur biologique situé dans la zone protégée, dont ne bénéficie pas son voisin, malchanceux, qui a son exploitation en dehors de cette zone. Au nom de l’avantage concurrentiel dont bénéficient les destinataires d’aides publiques, l’Union européenne a strictement encadré ces dernières. L’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[47] pose une interdiction de principe : « sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Toutefois, l’article 42 du même traité[48] prévoit des aménagements à ce principe pour les produits agricoles, et toute une série de mesures qui permettent certaines aides, prévues notamment pour la préservation de l’environnement[49]. Le droit communautaire admet ainsi des aides jusqu’à 900 euros par hectare.

Au-delà de ce jeu d’exceptions et de dérogations, la prestation compensatoire est-elle vraiment une « aide d’État » ? Il n’y a une telle aide que lorsque deux conditions cumulatives sont réunies : elle doit être financée au moyen de ressources d’État[50] ; elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence en faveur de certaines entreprises ou de certaines productions[51]. Or, dans le cas de la Ville de Munich, la prestation compensatoire n’est pas financée au moyen de ressources d’État, mais elle est intégrée dans le prix de l’eau potable facturé aux usagers. Elle s’élève à 0,005 euros par m3. Si l’atteinte à l’égalité des concurrents paraît en revanche avérée, il faut remarquer qu’elle résulte indirectement de la situation géographique des exploitations visées. Or, tous les agents économiques sont aux prises avec les avantages et les inconvénients de leur lieu d’implantation. À notre connaissance, aucun contentieux concurrentiel n’a été intenté.

1.2.3.3 La confrontation entre le contrat et le principe du pollueur-payeur

La politique contractuelle de la Ville de Munich s’inscrit à contre-courant du principe du pollueur-payeur[52]. Selon ce principe communautaire, les dépenses relatives aux mesures de prévention et de lutte contre la pollution, arrêtées par les pouvoirs publics pour que l’environnement soit dans un état acceptable, incombent au pollueur. Ici, l’agriculteur ne doit pas réparation à la collectivité pour les dégâts qu’il cause par son activité, mais il est payé pour les limiter. Plus précisément, il est payé pour changer ses pratiques de production ainsi que pour adopter des méthodes plus favorables à l’eau et, d’une façon générale, à l’environnement. Malgré la position de principe des instances européennes, selon laquelle « [r]ecourir aux aides d’État dans le cadre du [principe du pollueur-payeur] reviendrait à libérer le pollueur de la charge de payer le coût de sa pollution[53] », une telle politique n’est pas inédite[54]. Certains auteurs la qualifient d’incitation financière positive[55]. L’Europe elle-même prévoit des exceptions. Ainsi, les mêmes lignes directrices précisent que l’application du principe peut être écartée lorsque la hausse trop brutale du « prix de toute une série de produits (industriels) afin d’internaliser le coût de la pollution, peut constituer un choc extérieur et créer des perturbations dans l’économie. Les États peuvent donc estimer plus souhaitable d’avancer avec modération vers l’intégration du prix total de la pollution dans certains procédés de production[56] ». De même, le règlement de développement rural[57] prévoit l’octroi d’aides aux agriculteurs qui doivent changer de pratique en raison de l’évolution de la réglementation environnementale[58]. En outre, la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne en 2003 conditionne les aides agricoles au respect de l’environnement[59]. La Commission, de son côté, tolère ce type d’aides versées au titre de la directive-cadre « eau »[60], lorsque trois conditions sont remplies : l’aide doit être exceptionnelle, dégressive et temporaire[61]. Dans le cas de la Ville de Munich, la prestation compensatoire remplit sans doute les deux dernières conditions.

En fait, l’usager, qui « subventionne », dans le cas munichois, l’agriculture biologique et bénéficie d’une eau de bonne qualité, ne paie pas de supplément de prix[62]. L’agriculteur, de son côté, rend un service bien précis à la Ville de Munich et à ses habitants, service pour lequel il est rémunéré.

1.3 Les mécanismes d’un contrôle multiple

Deux logiques de contrôle du respect de ses obligations par l’agriculteur se conjuguent, soit le contrôle étatique (1.3.1) et le contrôle social (1.3.2).

1.3.1 Le contrôle étatique

Selon la première logique, l’exploitation est contrôlée au moins une fois par an par un organisme de contrôle privé indépendant. Ces organismes ont été créés en application du premier règlement sur l’agriculture biologique[63] et ils sont agréés par les États membres[64]. Le contrôle a lieu par l’intermédiaire de l’association d’agriculture biologique à laquelle l’agriculteur a adhéré. Le distributeur d’eau reçoit un certificat attestant que le contrôle a eu lieu, avec les résultats détaillés à cet égard. Il procède ainsi à une délégation du contrôle, puisque le premier contrôle est initié par l’association d’agriculture biologique. Le distributeur se réserve toutefois le droit de procéder à des contrôles complémentaires[65]. L’État de Bavière reçoit également les résultats détaillés du contrôle effectué[66]. Il a d’ailleurs créé un organisme administratif public qui peut effectuer des contrôles supplémentaires directement sur les fermes d’agriculture biologique, mais aussi auprès des organismes de contrôle indépendants.

En application du droit européen, l’agriculteur pourrait se faire contrôler directement par l’un des organismes de contrôle indépendants, sans passer par une association d’agriculture biologique et donc sans lui payer de cotisation[67]. Il suffirait qu’il notifie son activité aux autorités compétentes et qu’il soumette son exploitation au système de contrôle[68]. En l’absence d’un tel contrôle, l’agriculteur n’a pas le droit de qualifier ses produits de « biologiques » ni d’utiliser le logo européen[69]. L’encadrement par une association d’agriculture biologique est beaucoup plus contraignant qu’un simple contrôle ponctuel. De même, il ne faut pas oublier que la Ville de Munich a pris cette initiative dans le but de convertir des agriculteurs traditionnels à l’agriculture biologique. Ils sont donc a priori novices sur ce terrain. Le savoir-faire des associations d’agriculture biologique, dont un gestionnaire d’eau potable ne peut disposer, paraît alors primordial pour assurer le succès de la reconversion.

1.3.2 Le contrôle social

La seconde logique fait intervenir ce que le contrat appelle le « contrôle social[70] ». L’agriculteur doit apposer à l’entrée de son exploitation un panneau, fourni par son association d’agriculture biologique, indiquant qu’il s’agit d’une exploitation biologique. Cette pratique permet donc une certaine publicité pour l’association d’agriculture biologique et pour l’agriculteur, mais, selon le contrat, elle permet aux tiers — clients, fournisseurs, touristes, concurrents — qui constatent des pratiques incompatibles avec l’agriculture biologique d’en avertir l’association d’agriculture biologique visée.

L’activité du cocontractant de la société Stadtwerke München GmbH est donc strictement encadrée dans le but de préserver la pureté naturelle de l’eau qui vient des Alpes. Cependant, elle l’est aussi par le lien qui lie l’agriculteur à l’association d’agriculture biologique, et qui a pour objectif de donner le statut « bio » à sa production, autrement dit de la rendre apte à conquérir une niche particulièrement prometteuse du vaste marché alimentaire. Le contrat conclu entre le distributeur d’eau et l’agriculteur stipule que ce dernier fait son affaire de la commercialisation de ses produits. Toutefois, le site des SWM[71] vante les bienfaits des aliments biologiques, produits dans les environs de Munich grâce à ses contrats. Cette initiative s’accompagne d’une campagne de sensibilisation, notamment à l’intention des Munichois et des touristes[72], sur les bienfaits de l’agriculture biologique sur la santé, l’agriculture et l’eau de Munich[73].

2 Les liens entre l’agriculteur et l’association d’agriculture biologique

En obligeant les agriculteurs sous contrat à adhérer à une association d’agriculture biologique, la société Stadtwerke München GmbH facilite leur accès au lucratif marché du « bio ».

Aux prescriptions contenues dans le contrat souscrit et à celles qui sont imposées par l’association d’agriculture biologique s’ajoutent celles du règlement européen[74]. L’activité de l’agriculteur est ainsi soumise à une cascade de règles. En fait, la signature — volontaire — du contrat avec la société Stadtwerke München GmbH oblige l’agriculteur à signer un ou plusieurs autres contrats. Pour ces derniers, sa liberté de choix quant au cocontractant est limitée par le premier contrat : trois cocontractants possibles sont à sa disposition, c’est-à-dire les associations Bioland, Naturland et Demeter. Celles-ci sont organisées en associations régionales, dont chacune correspond généralement à un des États fédéraux[75] de l’Allemagne, et qui sont chapeautées par une union fédérale[76]. En plus de la formation et des conseils donnés à l’agriculteur, les associations sont très actives dans la promotion de l’agriculture biologique. Elles font du lobbying, surtout à l’échelle de l’Europe, et elles organisent des colloques et soutiennent la recherche[77] dans le but d’augmenter la productivité de l’agriculture biologique et de mettre en lumière les effets néfastes de l’agriculture traditionnelle sur l’environnement et la santé. Les associations entretiennent des liens contractuels avec des entreprises de transformation et de commercialisation de la matière première produite sur l’exploitation agricole et elles disposent de signes distinctifs[78] permettant à leurs adhérents de commercialiser leurs produits sous le signe de l’association choisie. Comme la capacité commerciale des associations est limitée en Allemagne, elles ont recours à des filiales créées sous forme de sociétés commerciales[79].

Nous verrons maintenant les liens entre l’agriculteur et l’association d’agriculture biologique choisie (2.1), puis nous reviendrons au problème du contrôle de l’activité de l’agriculteur (2.2).

2.1 L’engagement de l’agriculteur

Le contrat principal conclu entre l’association d’agriculture biologique et l’agriculteur semble appartenir à la catégorie des contrats de conseil[80], tandis que le contrat qui permet à l’agriculteur d’utiliser le label de cette association s’apparente au contrat de licence de marque. Il faut toutefois souligner le lien étroit entre ces deux contrats : si l’agriculteur ne respecte pas le contrat principal, il n’a pas le droit d’utiliser ledit label. Après avoir vu le lien contractuel et statutaire auquel l’agriculteur est soumis (2.1.1), nous examinerons la durée de la relation entre l’agriculteur et l’association d’agriculture biologique (2.1.2).

2.1.1 Le lien contractuel et statutaire

Un contrat est signé entre l’association d’agriculture biologique et l’agriculteur. Cependant, comme ce dernier devient aussi membre de cette association, il est donc expressément[81] lié par un lien statutaire et un lien contractuel. Les droits et les obligations de l’agriculteur découlent ainsi de deux engagements différents mais complémentaires. Les différents documents signés ne font pas toujours la distinction entre ces deux qualités. Bien sûr, tout ce qui concerne l’adhésion même à l’association d’agriculture biologique, ainsi que les droits qu’elle procure d’un point de vue institutionnel, comme le droit de vote, le droit d’être élu et de faire partie de différents comités, est contenu dans les statuts, mais ces derniers reprennent aussi souvent les obligations prévues dans le contrat. En fait, les différentes prescriptions concernant la culture des terres et l’élevage sont consignées dans des cahiers des charges, auxquels aussi bien le contrat que les statuts se réfèrent. En tant que membre de l’association d’agriculture biologique, l’agriculteur peut éventuellement influer sur le contenu du cahier des charges, comme d’ailleurs sur les modalités du contrat qui le lie à l’association en question. Toutefois, en tant que cocontractant de cette dernière, l’agriculteur ne peut que se soumettre ou se démettre en cas de modification du contrat. En effet, les associations d’agriculture biologique se réservent le droit de modifier le contrat unilatéralement. L’agriculteur dispose alors d’un certain délai[82] pour accepter tacitement le contrat modifié ou pour le dénoncer.

L’agriculteur s’engage à respecter le cahier des charges de l’association d’agriculture biologique. Nous n’en allons pas détailler ci-dessous le contenu. Précisons tout de même que tous ces cahiers prévoient le respect du règlement européen, mais vont souvent plus loin. Par exemple, le règlement[83] permet une exploitation biologique partielle : l’agriculteur peut donc, en respectant certaines conditions, faire à la fois de l’agriculture biologique et de l’agriculture traditionnelle dans le cas d’une même ferme. En réalité, cette pratique est expressément interdite par les associations visées. Les associations d’agriculture biologique insistent d’ailleurs bien sur le fait que les conditions qu’elles imposent aux agriculteurs sont plus restrictives que celles du règlement européen. C’est pour elles aussi un élément de différenciation, élément qui peut orienter le choix du consommateur.

Les cahiers des charges, comme le règlement, touchent aussi des domaines qui ne sont pas abordés dans le contrat conclu entre l’agriculteur et le distributeur d’eau, comme l’interdiction d’utiliser des pesticides[84], la provenance des semences et des animaux d’élevage, ainsi que les médicaments qui peuvent être administrés aux animaux. Si un animal a besoin d’un traitement incompatible avec le cahier des charges, il faut le lui administrer, mais ses produits ne peuvent alors plus être commercialisés sous le label « bio » de l’association d’agriculture biologique. Là aussi, le règlement semble être plus souple : il n’admet l’administration de certaines substances que dans des cas exceptionnels, mais cela ne semble pas faire obstacle à l’utilisation du logo communautaire.

L’obligation de payer une cotisation est prévue dans les statuts, parfois aussi dans le contrat type[85]. Toutefois, son montant, ou les modalités de calcul à cet égard, n’est pas prévu dans les statuts ni dans le contrat type. Il semble qu’il varie entre 200 et 2 000 euros, selon la taille de l’exploitation. Les statuts de Demeter prévoient sa fixation par l’assemblée générale.

2.1.2 La durée de l’engagement

Les contrats de Bioland et de Naturland sont conclus à durée indéterminée, tandis que le contrat de Demeter vaut pour une durée de cinq ans. La résiliation est toujours possible, en respectant un préavis de trois mois. Il y a, en principe, un décalage entre la fin de la relation contractuelle et le départ de l’association d’agriculture biologique. En effet, les statuts des trois associations considérées ici stipulent que l’agriculteur ne peut quitter l’association qu’à la fin de l’année civile. Toutefois, les statuts de Bioland, par exemple, précisent que l’agriculteur qui n’est plus lié par un lien contractuel est exclu de cette dernière[86].

Qu’en est-il de la situation de l’agriculteur exclu par rapport au distributeur d’eau ? Le contrat ne prévoit rien. Comme l’agriculteur ne doit justifier de son adhésion à une association d’agriculture biologique qu’une fois par an, il doit pouvoir solliciter son adhésion à une autre association. Ce ne sera pas sans difficulté puisqu’il devra rendre compte en détail de sa situation antérieure. Par contre, s’il a quitté ladite association de son plein gré, il peut trouver un avantage concurrentiel à en changer. Il nous semble que c’est aussi pour préserver la liberté de mouvement de l’agriculteur que le contrat proposé par le distributeur d’eau est muet sur ce point. En fait, le droit de la concurrence et le droit communautaire sont hostiles aux engagements trop longs et trop contraignants.

2.2 La discipline associative

Le respect de ses obligations par l’agriculteur est étroitement surveillé (2.2.1). De façon prévisible, les négligences commises par lui entraînent des sanctions (2.2.2).

2.2.1 Le contrôle du respect des obligations des agriculteurs

Les contrôles effectués par l’organisme de contrôle indépendant, mandaté par l’association d’agriculture biologique, sont, ou ne sont pas, annoncés. Le contrat Bioland stipule qu’ils doivent avoir lieu « aux heures d’ouverture habituelle »[87], tandis que les contrôleurs de Naturland peuvent venir à tout moment, même en dehors des heures « normales ». Le contrôle est très étendu : contrôle des livres comptables, du « journal » dans lequel l’agriculteur doit consigner tous les événements d’une certaine importance qui concernent son exploitation : les achats, les ventes, les visites du vétérinaire, les produits prescrits et administrés au bétail, le traitement des plantes. Des échantillons peuvent être prélevés. Le cahier des charges de Naturland prévoit que cette association peut exiger une analyse du sol. Le contrôle porte aussi sur les contrats que l’agriculteur a pu signer avec ses clients, qu’il s’agisse des distributeurs ou des entreprises de transformation. L’association Bioland compte également sur le « contrôle social » : ses membres doivent lui signaler toute utilisation irrégulière de la marque[88].

2.2.2 Les sanctions encourues

Lorsqu’une violation du cahier des charges est constatée, l’agriculteur s’expose à des sanctions : Naturland et Bioland ont établi un « catalogue d’amendes »[89], que nous n’avons pas pu obtenir. Pour sa part, Demeter prévoit que l’amende peut atteindre 1 000 euros. Les associations considérées ici se réservent, en plus, le droit d’intenter une action en responsabilité civile en cas de préjudice, qui peut être, bien sûr, purement moral. En cas de violation grave du cahier des charges, l’agriculteur peut être exclu de l’association. Bioland prévoit ainsi comme cause d’exclusion sans préavis l’utilisation abusive du signe distinctif, un comportement nuisible à l’association, le non-respect des obligations financières, l’entrave aux contrôles et la violation grave du cahier des charges[90]. Selon les statuts de Bioland, c’est le bureau de l’Union fédérale qui prononce l’exclusion, après avoir donné à l’association régionale la possibilité de prendre position. L’agriculteur visé ne semble pas avoir le droit de présenter sa défense, mais il peut saisir le tribunal arbitral[91] dans un délai de quatre semaines. Les statuts précisent que c’est ce dernier qui décide définitivement.

Les membres de Demeter ont, dans certains cas, le droit de présenter leur défense[92]. Lorsque la cause d’exclusion réside dans un comportement qui viole les objectifs et les stipulations des statuts, l’auteur du trouble reçoit une mise en demeure. Si elle reste sans effet, il sera entendu avant d’être exclu. Lorsque la cause de l’exclusion réside dans le non-paiement de la cotisation ou dans un comportement nuisible à Demeter, l’agriculteur ne semble pas avoir droit à la parole. Si nous pouvons comprendre que le non-paiement de la cotisation est un fait qui peut être constaté objectivement, la distinction entre le « comportement qui viole les objectifs et stipulations des statuts » et le « comportement nuisible à l’association » nous paraît plus difficile à établir, et une discussion sur la catégorie à laquelle il faut attribuer tel ou tel comportement peut s’avérer nécessaire. Quoi qu’il en soit, l’agriculteur dispose d’un délai de deux mois pour contester son exclusion. C’est alors la « conférence des représentants des groupes[93] », soit une réunion des représentants des différents groupes de travail, qui statue définitivement sur son sort.

3 La nature juridique de l’ensemble contractuel constitué par les différents contrats

Les différents contrats conclus par l’agriculteur avec le distributeur d’eau, d’une part, et avec l’association d’agriculture biologique, d’autre part, semblent bien donner lieu à un « ensemble contractuel[94] ». Ces contrats sont en effet conclus pour l’accomplissement d’une « même opération économique[95] », il s’agit d’une « pluralité de contrats tendus vers la réalisation d’une opération unique[96] » qui ont un « dessein économique commun[97] ». Cette définition économique du groupe de contrats paraît s’être imposée après bien des débats doctrinaux[98]. À notre avis, il n’y a pas de doute que les différents contrats dont l’agriculteur est le pivot font partie d’un tel ensemble. L’objectif du contrat conclu entre le distributeur d’eau et l’agriculteur, est de préserver la pureté de l’eau dans la zone de captage. Pour que ce but puisse être atteint, l’agriculteur doit respecter les engagements qu’il a pris concernant la conduite de son exploitation. De son côté, le distributeur d’eau doit verser la prestation promise et promouvoir les produits biologiques des agriculteurs sous contrat. En ce qui concerne le contrat conclu entre l’agriculteur et l’association d’agriculture biologique, l’objectif du contrat est de permettre à l’agriculteur de faire du « bio » dans de bonnes conditions. Pour y parvenir, les obligations des parties sont encore plus enchevêtrées : l’agriculteur doit suivre le cahier des charges, payer sa cotisation, accepter le contrôle. L’association d’agriculture biologique, de son côté, met à la disposition de l’agriculteur son signe distinctif et ses conseils.

Nous espérons avoir pu donner l’exemple d’une articulation heureuse entre une législation supranationale et son application locale. Rappelons, en terminant, que des objectifs environnementaux peuvent être poursuivis à l’échelle locale. Dans le domaine de l’eau, les initiatives locales sont même indispensables, en raison de la répartition inégale de cette ressource vitale.