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C’est avec un véritable enthousiasme et une grande curiosité que nous avons entamé la lecture du plus récent ouvrage de la professeure Andrée Lajoie, intitulé Le rôle des femmes et des aînés dans la gouvernance autochtone au Québec et paru en 2009 aux Éditions Thémis. Le sujet choisi, très emballant, semble fort pertinent dans un contexte où, avec raison, les Premières Nations et la nation inuite revendiquent une plus grande autonomie dans tous les aspects de leur vie collective.

Le principal objectif poursuivi par l’auteure est de vérifier si la place qu’occupent les femmes et les aînés dans les institutions gouvernementales autochtones contemporaines est le reflet de la tradition et de l’appartenance de leur nation respective à une famille linguistique particulière. L’analyse de l’auteure s’inscrit dans la poursuite de ses travaux antérieurs, notamment des modèles de gouvernance présentés dans un ouvrage publié précédemment1, modèles qu’elle cherche ici à raffiner et à valider. Mentionnant son hypothèse de travail dès les premières pages de l’ouvrage, l’auteure l’énonce comme suit :

Compte tenu de l’absence historique de l’État en milieu autochtone, on se trouve évidemment en présence d’une importance inversement proportionnelle des autres sources de normativité de caractère coutumier : appartenance citoyenne, histoire, langue, culture, qui constituent le fondement normatif premier de ces sociétés. Au surplus, au contraire des lois étatiques et des décisions exécutives des pays colonisateurs, ces sources normatives coutumières se transmettent par la tradition orale, d’où l’importance du rôle des aînés dans ces collectivités, et l’intérêt que j’y attache dans cette étude. Le rôle des femmes, également différent dans certaines communautés autochtones de ce qu’il est dans le reste du Québec, ne paraît pas par ailleurs au premier abord aussi clairement relié à la transmission des coutumes, mais pourrait résulter, du moins dans les communautés iroquoiennes, du fait que, selon certains anthropologues, ces nations autochtones nomades auraient été en contact avec les conquérants espagnols de l’Amérique du Sud et appris d’eux à domestiquer les chevaux, entrainant ainsi les hommes loin des communautés, où les femmes, restées seules, assumaient les rôles politiques.

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En dépit de la définition de la normativité qu’elle adopte, l’auteure s’attache principalement à présenter le rôle des aînés et des femmes dans les institutions politiques. Ainsi, le rôle des femmes et des aînés dans la transmission des connaissances culturelles, linguistiques et historiques, et donc des normes suivant la définition qu’en donne l’auteure, n’est pas étudié dans l’ouvrage. L’auteure procède tout d’abord à une analyse statistique, laquelle présente le nombre de femmes et d’aînés dans chacun des organismes gouvernementaux autochtones (à l’échelle communautaire, nationale et intercommunautaire), regroupe ensuite ces données par familles linguistiques et présente finalement une synthèse de ces données.

Le premier chapitre donne une très succincte mais fort efficace introduction aux institutions autochtones contemporaines qui sont, d’une part, créées par l’État (ex. : conseils de bande, conseils tribaux) et, d’autre part, créées par les communautés et par les nations (ex. : longhouses, conseils des aînés, conseils des sages, mères de clan). À cet égard, l’auteure relève que le consentement des membres des communautés a permis à la grande majorité des Premières Nations et à la nation inuite de mettre sur pied des organismes prenant leur source dans les traditions de chaque nation, et cela, même si la création de ces organismes peut avoir été entérinée officiellement par la suite, notamment par règlement du conseil de bande (ex. : Cercle des Sages de la Nation huronne-wendat). L’auteure présente aussi le statut, le mandat et la composition des principaux organismes englobants (ex. : Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador (APNQL), Femmes autochtones du Québec, centres d’amitié autochtone), dont certains sont des organismes hybrides, car non incorporés par le droit étatique, comme nous l’avons appris à la lecture de l’ouvrage (c’est le cas notamment de l’APNQL). Enfin, nous avons apprécié le choix qu’a fait l’auteure de présenter un organisme en émergence, soit le Conseil des femmes autochtones élues du Québec / Labrador.

Dans les deux chapitres suivants, l’auteure décrit en détail les institutions de chaque communauté et de chaque nation en les regroupant par leurs familles linguistiques respectives de façon à vérifier, suivant en cela son hypothèse de départ, si la place des femmes et des aînés dans les institutions contemporaines subit l’influence de la tradition et de la culture (algonquienne, iroquoienne ou inuite) de la nation ou de la communauté. À ces descriptions, s’ajoute une courte synthèse, dans laquelle l’auteure conclut à une opposition entre « les pratiques de gouvernance des femmes, qui semblent privilégier la participation aux conseils tribaux, aux conseils de bande et aux organismes contemporains transversaux, et n’ont investi que de très rares organismes traditionnels, et les aînés qui, au contraire, favorisent les organismes et les procédés traditionnels plutôt que l’élection aux conseils coloniaux et contemporains transversaux » (p. 120).

Le dernier chapitre permet à l’auteure d’expliquer ses résultats. Les facteurs tels que la démographie, la localisation et le revenu sont, selon elle, soit non concluants, soit peu concluants. L’auteure estime plutôt que des facteurs historicoculturels permettent d’expliquer les résultats de son étude. Ainsi, le cheminement des femmes autochtones dans leur lutte contre la discrimination au cours des années 60 et 70 et l’effet que la sédentarisation aurait eu sur elles (notamment chez les Inuits) entraîneraient, chez les femmes, un type de mobilisation politique mieux adapté aux organismes transversaux et coloniaux. En revanche, les modèles traditionnels de gouvernance (ex. : consultation individuelle) conviendraient mieux aux aînés qu’aux femmes.

En somme, voici un ouvrage original, d’une lecture agréable, qui permettra au lecteur d’avoir une sérieuse initiation à la gouvernance autochtone contemporaine. Bien que l’ouvrage embrasse large en traitant de toutes les communautés autochtones au Québec et donne un portrait sommaire de chacune d’entre elles, il a le mérite d’offrir au lecteur un portrait comparatif et exhaustif de la représentativité des femmes et des aînés dans les institutions de chaque communauté, travail de longue haleine et minutieux qu’il importe de souligner. Cela dit, nous aurions souhaité que l’auteure fournisse davantage de détails quant à sa démarche méthodologique. En effet, l’ouvrage prend appui sur des entrevues non dirigées, méthode encore trop peu utilisée par les juristes, mais malheureusement aucun détail n’est donné à ce propos (ex. : nombre de personnes interrogées, nombre de femmes et d’aînés, méthode pour le choix des individus). L’ajout de ces détails aurait permis, à notre avis, de mieux apprécier la qualité du travail et de l’analyse.

Enfin, nous nous interrogeons sur les conséquences de certains choix faits par l’auteure qui ont, peut-être, pu avoir pour effet de sous-estimer le rôle des femmes dans les institutions politiques autochtones. Ainsi, nous avons été étonnée de lire que la synthèse de l’auteure à l’égard des organismes traditionnels (p. 109) portait uniquement sur les femmes représentant des femmes, alors que ce critère n’avait pas été utilisé pour synthétiser les données concernant les organismes coloniaux – les femmes qui représentent l’ensemble de la communauté comme chef ou conseillère, et ne représentant donc pas uniquement des femmes, étaient considérées. Cette exclusion a-t-elle pu mener l’auteure à conclure que les femmes étaient peu représentées dans les organismes traditionnels ? Dans le même ordre d’idées, le choix de l’auteure d’exclure les femmes de son analyse lorsque celles-ci jouaient le rôle d’aînées a-t-il pu l’amener à conclure que les femmes participaient peu aux organismes traditionnels ? À l’exception de ces quelques réserves, ce court mais riche ouvrage saura instruire autant les néophytes que les initiés.