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Ce magnifique ouvrage a été publié à l’occasion du 400e anniversaire de la fondation de Québec par Champlain. Il traduit le souci de laisser un témoignage écrit que le 300e anniversaire n’avait pas produit, dans un contexte historique, il est vrai, différent. Un hommage vibrant doit être rendu au sénateur Serge Joyal, le concepteur de ce projet éditorial original, parfaitement orchestré et dirigé par un historien québécois de talent, Paul-André Linteau, qui interprète ou reinterprète une symphonie harmonieuse où convergent des voix diverses. Dans un souci d’équilibre, sept Québécois et six Français, pour la plupart historiens, présentent la synthèse de leurs découvertes scientifiques les plus récentes et actualisent une lecture figée de l’histoire des relations entre la France, le Canada et le Québec depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours.

Ce projet commémoratif a l’ambition de laisser une trace durable là où fêtes, festivités et spectacles ne laisseront au mieux que de beaux souvenirs. Il nous interpelle sur ce que retient la mémoire collective des événements du passé et sur les images qu’elle construit autour des héros fondateurs. L’on aura remarqué que le titre du livre place le Québec sur le même plan que le Canada, tant il est vrai que la naissance d’une ville en 1608 est avant tout celle de tout un peuple issu de la colonisation française. Il est même question de « quasi-égalité entre le Québec et le Canada » (p. 251). Pour autant, si le Québec est privilégié, l’ouvrage n’oublie pas les francophones hors Québec et le rôle joué, dans la francophonie polycentrée actuelle, par cet établissement humain qui a survécu avec sa langue et son identité propres.

Le principal mérite de ces contributions présentées au cours de deux colloques (organisés en 2008, l’un à Paris en mai et, pour respecter le parallélisme des formes, l’autre à Ottawa en novembre) est de renouveler le discours convenu sur les liens transatlantiques entre la France et la Nouvelle-France puis avec son ancienne colonie après 1763. Malheureusement les clichés et les visions stéréotypées perdurent. Tout un courant historique, par exemple, a longtemps surprivilégié les ruptures et les cassures, tout particulièrement à l’occasion de la guerre de Sept Ans et de la cession de 1763, au détriment des liens qu’ont continué d’entretenir la France et le Canada grâce à une diversité de réseaux privés de toutes sortes, qu’il s’agisse notamment des Églises ou des milieux culturels. Malgré l’indifférence attestée des gouvernants français et les innombrables difficultés, les liens n’ont jamais été rompus. De même, le discours sur les Autochtones est renouvelé en privilégiant la stratégie d’alliance et en insistant sur le rôle des nations amérindiennes dans le maintien de l’Empire français. L’histoire peut déformer la réalité quand elle privilégie excessivement le politique et la gouvernance, sans prendre en compte la dimension des faits démographiques, religieux, économiques, culturels. La richesse et la qualité de ce livre montrent parfaitement ce que l’histoire nous apporte lorsqu’elle devient science historique. La plupart des conclusions présentées ici sont nourries et étayées par le retour systématique aux sources premières et aux documents d’archives.

Les échanges transatlantiques de toute nature ont tissé une relation particulière, d’exception, au fil de quatre siècles. L’apport de la France est patent au niveau de la démographie, de la langue, du droit et de la religion et ce sont ces éléments qui ont permis la survivance d’un territoire devenu autonome et avec lequel les relations ont pu s’accélérer, ces dernières pouvant d’autant plus s’intensifier depuis plusieurs décennies que les politiques publiques et les initiatives privées vont dans la même direction. Le triangle Paris-Ottawa-Québec, ce ménage à trois difficile, est devenu « serein, paisible et très productif » (p. 261). Pour conclure, on retiendra que, grâce aux progrès de la recherche historiographique, ce livre bouscule les visions figées pour mettre en relief, avec nuances, l’évolution de ces relations transatlantiques. On se réjouit de constater que, dans le contexte de mondialisation dominé par le risque de la pensée unique, nos sociétés ont en partage des valeurs humanistes valorisant la diversité culturelle et un monde multipolaire (p. 13).

Cet ouvrage scientifique, rédigé de façon claire et intelligible pour un grand public, imprimé sur papier glacé, est de surcroît illustré en couleurs et présente 150 oeuvres d’art et artefacts dont plusieurs inédits. On doit la richesse de cette publication à l’aide financière du gouvernement canadien et de Power Corporation du Canada, ce qui ne saurait nous laisser oublier que Serge Joyal, spécialiste de l’histoire de l’art, et Paul-André Linteau, historien reconnu, ont choisi leurs collaborateurs parmi les meilleurs spécialistes de la question. Le prix de l’Assemblée nationale du Québec a été décerné en 2009 à cet ouvrage. Le pari de ce projet commémoratif est une entreprise incontestablement réussie.