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Dans cet ouvrage, sept articles ethnographiques traduisent les réalités contemporaines des jeunes autochtones dans le monde : en Océanie (Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande) et dans les Amériques (Équateur, Mexique, Québec). L’ensemble ouvre des panoramas pertinents et des réflexions importantes sur les groupes autochtones étudiés. Je souligne d’abord l’excellente contribution de Sylvie Poirier qui, dans l’introduction, permet de situer les articles dans plusieurs contextes et processus globaux : la transformation des milieux autochtones par l’entremise des institutions occidentales dont l’école, la transformation des relations intergénérationnelles, la création de la jeunesse comme catégorie sociale, ainsi que les relations entre les discours antinomiques de la tradition et de la modernité. Elle prend le temps de mentionner les difficultés liées à l’utilisation du concept de « jeune » dans le cadre de la transformation des sociétés autochtones.

L’article de Marie-Pier Girard nous transporte à Quito en Équateur. Dans ce milieu urbain, elle analyse la situation des enfants quechua, âgés entre sept et quatorze ans et vivant de la rue. La participation de ces enfants dans l’interprétation des droits de l’enfance tels que promus par l’Unicef permet d’observer les limites du discours universel de l’enfance dans le contexte latino-américain. Seule réserve : l’auteure ne précise pas le nombre d’enfants ayant participé à la recherche. Sophie Barnèche s’interroge sur la construction de l’identité mélanésienne (ou kanak) chez les jeunes de la Nouvelle-Calédonie âgés entre douze et vingt-cinq ans appartenant à la culture urbaine de Nouméa. Elle analyse l’utilisation de l’espace (le quartier-tribu) comme principale ressource dans la construction d’une identité permettant d’assurer momentanément une cohérence durant cette tranche de vie. Marie Salaün explore la situation des jeunes parents kanak âgés entre vingt-cinq et quarante ans et ayant des enfants de quatre à six ans. Tout en illustrant la présence de discours sur les jeunes vivant une double exclusion – le marché du travail et la vie en tribu – l’auteure scrute les capacités des jeunes parents à transmettre les langues kanak ainsi que le français. Natacha Gagné examine la situation des jeunes Maoris qui entrent dans le milieu universitaire de la Nouvelle-Zélande et elle décrit comment ces étudiants s’approprient socialement, politiquement et symboliquement des espaces universitaires pour fonder les assises de leur identité. Cela donne lieu à l’élaboration de discours – diversifiés et hétérogènes – des universitaires dans leurs relations tant avec les Blancs qu’au sein de leur propre communauté. Cependant, peu de précision est apportée quant à l’échantillonnage d’étudiants liés au monde maori même si l’auteure mentionne ne pas disposer de statistiques sur la répartition des étudiants en fonction de l’âge et du sexe.

Dans un tout autre contexte, Laurent Jérôme s’intéresse aux innovations musicales dans la pratique du tambour (tewehikan) réalisées par la nouvelle génération d’atikamekw de la communauté de Wemotaci en Haute-Mauricie, au centre du Québec. L’auteur explore – dans un dialogue constant avec ses informateurs – la transformation d’un groupe musical animé par des jeunes adultes âgés entre vingt et trente-cinq ans. Depuis l’influence de l’anglais – le groupe originalement dénommé Maskopirecic pour devenir Wemotashee Singers ou l’incorporation de cette langue dans les paroles – jusqu’au processus de professionnalisation du groupe à travers les powwows de compétition ou des contrats professionnels en participant à des festivals culturels, le groupe musical autochtone devient l’espace dynamique de négociation entre tradition et innovation.

Pour sa part, Marie-France Labrecque analyse la situation des jeunes Mayas dans le contexte de l’avènement de l’industrie des maquiladoras dans le nord rural du Yucatan au Mexique. Elle porte attention à plusieurs dimensions de la réalité juvénile : les relations de genre, la transformation de la notion de jeune et la perte de la référence à l’identité ethnique maya au profit d’une culture délocalisée. Elle conclut que « les conditions pour que se déclenche au Yucatan le processus de construction d’une jeunesse rurale de plus en plus coupée de son identité ethnique maya semblent avoir été réunies dès les années 1970 » (p. 160). Enfin, Sabrina Melenotte discute de la représentation de la jeunesse occidentale du mouvement zapatiste au Mexique ainsi que de l’autoreprésentation des jeunes zapatistes de la municipalité autonome de San Pedro Polho dans l’État du Chiapas. Cela donne lieu à une analyse des interactions entre ces deux groupes de jeunes ainsi que de la transformation interne du mouvement zapatiste. Bien que l’auteure relate avec détails et précisions les défis du mouvement (exode des jeunes, divisions internes, etc.), on reste tout de même sur sa faim en ce qui a trait au membership autochtone zapatiste.

Il manque à cet ouvrage une conclusion permettant d’approfondir certains thèmes récurrents et stimulants dans les articles et la préface (par exemple, le défi des jeunes ayant une double appartenance culturelle) ou de revenir sur des thèmes spécifiques tels que les relations de genre ou l’adoption de nouvelles formes de consommation de biens matériels et symboliques provenant des sociétés occidentales. Enfin, elle aurait permis aux éditeurs d’approfondir la notion d’« agencéité » vaguement esquissée dans leur présentation.