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À l’heure de la mondialisation, la question du multiculturalisme occupe une place croissante dans nos sociétés où les spécificités culturelles de communautés entières sont menacées d’extinction. La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Unesco (2005) arrivait donc à propos. Cependant, elle n’a pas fait l’unanimité – adoptée par 148 voix contre 2 (États-Unis et Israël), avec 4 abstentions – et son application pose de nombreux problèmes. Deux ouvrages collectifs, parus au Québec en 2008, y sont consacrés.

Le recueil de Guy Lachapelle contient les réflexions présentées lors d’un symposium organisé en 2006 à Montréal par l’Association internationale de science politique. Cette manifestation avait pour but d’identifier les enjeux de la convention qui devait donner aux États un outil leur permettant de mieux protéger leur identité culturelle. Dans la préface, Clément Duhaime fait référence à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui avait déjà introduit la garantie des spécificités culturelles dans le droit international ; il rappelle que c’est un groupe franco-québécois, rejoint par le Canada, qui a très tôt dénoncé l’uniformisation culturelle qui devait accompagner la mondialisation. Après une brève introduction de Guy Lachapelle, l’ouvrage s’articule autour de quatre grandes parties. La première débute par un essai de Jacques Paquette sur l’élaboration et la future mise en oeuvre de la convention et sur l’influence que le Canada a exercée sur plusieurs pays. Jacques Chagnon parle ensuite des succès de la campagne diplomatique du Québec en vue de l’adoption et de la ratification de la convention. Guy Lachapelle et Bruno Maltais démontrent que la mondialisation et l’interdépendance globale ont forcé certains États-nations à réorganiser leurs relations politiques aux dépens des intérêts intranationaux. Stéphane Paquin poursuit la réflexion sur le nationalisme et la paradiplomatie identitaire développée par le Québec pour justifier le rôle de cette province sur le plan international. La deuxième partie commence par un essai de Gilbert Gagné qui souligne le danger des négociations commerciales pour la diversité culturelle. Jacinthe Gagnon et Anne-Marie Robert expliquent ensuite que l’harmonisation des traités internationaux pourra encourager la modification des législations nationales. Justine B. Laurier jette un regard critique sur la convention et insiste sur le besoin de donner aux cultures les moyens de s’exporter. Lydia Deloumeau, enfin, recommande que l’UNESCO établisse des indicateurs pour mesurer la diversité culturelle. Dans la troisième partie, Nina Beatriz Stocco Ranieri montre d’abord comment le droit international des traités peut influencer le droit national. Anja Brunner considère ensuite les initiatives de l’Allemagne pour protéger la diversité des expressions culturelles sur son territoire. Cem Utku Duyulmus aborde la situation des pays, comme la Turquie, où subsistent des problèmes concernant les droits des minorités ethniques et la liberté d’expression. John Coakley commence la quatrième partie en expliquant comment l’emploi d’une langue particulière peut revêtir une valeur symbolique et avoir des incidences politiques dans les pays multilingues. Micheline Labelle met en évidence les enjeux qui accompagnent la reconnaissance de la diversité par rapport au passé colonial alors que Jean Laponce se demande s’il vaudrait mieux homogénéiser ou hétérogénéiser pour préserver la diversité linguistique. Ahmed Djoghlaf affirme que la diversité biologique est étroitement liée à la diversité linguistique et culturelle et que l’érosion des langues entraînera l’extinction des communautés concernées.

Le recueil d’Yves Théorêt présente les réflexions de quinze chercheurs de l’Université du Québec à Montréal, issus de disciplines différentes, et s’articule en trois grandes parties. Après l’introduction, la première s’ouvre sur une contribution d’Yves Théorêt qui récapitule les étapes qui ont contribué à la promotion de la diversité des expressions culturelles. Puis Marc Ménard passe en revue les conséquences économiques de la diversité culturelle – une grande diffusion malgré les effets néfastes de la marchandisation de la culture. André Mondoux et Jean-Guy Lacroix reconnaissent que le texte de la convention n’est pas clair sur la manière de protéger les cultures non dominantes de l’homogénéisation culturelle. Serge Proulx étudie les discours sociaux qui ont contribué à forger un modèle de société s’appuyant sur la mondialisation. La deuxième partie débute par une réflexion de Catherine Dumais sur les raisons qui ont poussé les États-Unis à ne pas adhérer à la convention. Antoine Char aborde ensuite le sujet du Nouvel Ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) revendiqué par les pays du Tiers-Monde pour faire respecter leur identité culturelle. Moïse Piuze explique comment les nouvelles technologies contribuent à accentuer l’écart entre pays pauvres et pays riches. Robert Laplante s’étend sur le besoin de clarifier la convention et ses limites au regard de la musique populaire et du world beat. Enfin, Carmen Rico de Sotelo, avec la collaboration de Leila Ben Rhouma, offre une réflexion sur les façons de concevoir la culture et la diversité culturelle en Uruguay. La troisième partie s’ouvre sur un essai d’Éric George qui s’interroge sur l’avenir de la notion de « contenu canadien » à l’ère de la « diversité culturelle » dans le contexte de la mondialisation. Noémie Dansereau-Lavoie déplore le fait que les « dérives » médiatiques tendent à favoriser les critères marchands plutôt que la diversité culturelle. Puis Magda Fusaro se demande s’il faut se préoccuper de la diversité des expressions culturelles et propose quelques réponses avec l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC). En conclusion, René-Jean Ravault fait appel à l’étude de la communication interpersonnelle ; il préconise de promouvoir l’altermondialisation et de stimuler les capacités de décryptage des produits culturels.

Les idées exprimées dans ces deux excellents ouvrages se recoupent et les exemples se complètent. Ils permettent au lecteur de prendre connaissance des considérations qui entourent la convention de 2005, de ses limites et des enjeux relatifs à certains pays en particulier. Celui de Lachapelle insiste davantage sur le rôle de l’OIF dans la prise en compte de la diversité culturelle et contient le texte de la convention. Le recueil de Théorêt propose des « Repères chronologiques » qui retracent les étapes ayant mené à la rédaction du document ; les essais de cet ouvrage usent d’un ton plus critique, notamment à l’égard des États-Unis qui n’ont pas ratifié la convention. Dans les deux livres, chaque chapitre s’accompagne d’une bibliographie qui permettra au lecteur d’approfondir les questions soulevées. Ces deux recueils présentent l’intérêt de proposer des pistes pour améliorer la préservation de la diversité culturelle dans divers contextes.