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Le livre de Gilles Paquet figure parmi un nombre croissant de critiques sévères des sciences sociales. Il devrait être d’un grand intérêt pour tous ceux qui travaillent dans ce domaine universitaire. À une attaque en règle dirigée vers les disciplines des sciences sociales, le comportement des universitaires et leurs méthodologies, l’auteur jumelle une vive critique des méthodes et des processus de la gouvernance. Les faiblesses épistémologiques des sciences sociales sont par conséquent à la racine des insuffisances de la gouvernance dans nos sociétés, ce qui constitue un lien entre les deux sujets du livre.

Pour Paquet, le problème des sciences sociales, c’est qu’elles sont passées d’une concentration originale sur la nature de la société à une obsession pour la méthode. Essentiellement, cette méthode est le scientisme, avec comme résultat que les sciences sociales actuelles génèrent une conscience fausse, une forme de connais-sance qui est tronquée, biaisée et défectueuse, donc peu utile pour comprendre la société. La deuxième partie du livre est consacrée à une analyse critique des failles dans les modes de gouvernance des sociétés et des organisations. Une gouvernance qui inclurait tous les participants serait l’antidote aux formes de gouvernement hiérarchiques et centralisées. Dans sa critique, Paquet a mis l’accent sur les faiblesses infrastructurelles d’information, d’évaluation, de responsabilité et de dessein. Plusieurs chapitres présentent des cas pratiques au Canada portant sur le processus de responsabilité et les politiques scientifiques et étrangères.

Paquet propose des remèdes qu’on pourrait qualifier de radicaux. Il faut surmonter les biais causés par le réductionnisme qui limite d’une façon simpliste les aspects de la réalité et des motivations prises en compte par la recherche. Tout comme des guildes médiévales fermées, il faut sortir les universitaires de leurs prisons mentales qui les empêchent d’avoir une juste perception des suppositions erronées qu’ils avancent. Cette ouverture viendra d’une expérimentation plus large reliée à une collaboration menant à un apprentissage social. Paquet endosse la méthode « phronétique » (d’Aristote en passant par Bent Flyvberg) qui se fonde sur la réalité, porte une attention aux circonstances contextuelles (p. ex. historiques, psychosociales), exige l’organisation de l’action collective nécessaire et reconnaît la centralité d’un dialogue significatif entre tous les participants. Il faut aussi une approche réflexive qui permet à un groupe d’apprendre de sa propre expérience. De plus, il faut une capacité d’analyse critique, une philosophie de sources ouvertes, et la coordination de la collaboration pour que chaque citoyen devienne un producteur potentiel de gouvernance – mettant fin ainsi au mythe centralisateur qui veut que quelqu’un doit être au contrôle.

Le livre est assurément érudit. Tellement, qu’on aurait voulu qu’il y en ait deux, un sur les épistémologies et un autre sur la gouvernance. Tel qu’il est, les deux thèmes n’y sont pas pleinement exploités, le lien entre les deux est superficiel et souvent on ne sait pas de quel sujet il s’agit. La critique des sciences sociales, que je partage, ne reçoit pas le plein développement qu’elle aurait mérité. Souvent les thèmes ne sont que nommés et les solutions proposées sont minimes en comparaison avec celles avancées sur la gouvernance. Dans les deux cas, les solutions – les formes alternatives de recherches et de gouvernance proposées – sont trop complexes. Au niveau analytique, on a seulement besoin du degré de complexité requis pour refléter les problèmes à résoudre.

Si l’on peut signaler une faiblesse particulière du livre, il en est une qui est reconnue par l’auteur lui-même. Il constate que, pour changer les orientations d’un groupe, on ne peut souvent pas y aller directement ou par confrontation (p. 239). Cependant, l’invective utilisée par Paquet contre les disciplines et les universitaires me semble peu apte à les conduire sur le chemin des réformes. Ce qui est, après tout, l’objectif souhaité.