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Auteur négligé en sciences sociales et peu connu des nouvelles générations de chercheurs au Canada francophone et au Québec, Philippe Garigue a pourtant laissé sa marque dans les débats sur le Canada français[1]. Né à Manchester en Angleterre en 1917 d’une famille anglo-française, il entre dans les forces armées britanniques en 1939 et prend part aux campagnes d’Afrique et d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Il est démobilisé en 1948, après quoi il reprend le chemin de l’université. Il obtient, en 1951, un baccalauréat en économie de la London School of Economics, puis un doctorat en anthropologie de l’Université de Londres en 1953. En 1954, il devient professeur à l’Université McGill et ensuite, en 1957, à l’Université de Montréal où il est nommé doyen de la Faculté des sciences sociales. À ce titre, il est responsable de la réorganisation de cette faculté, y créant successivement de nombreux départements. Il est doyen de la faculté jusqu’en 1972. En 1980, il quitte Montréal et occupe, jusqu’en 1987, la fonction de principal du Collège universitaire Glendon, rattaché à l’Université York, à Toronto. Il y enseigne à temps partiel jusqu’en 1997, l’année où il prend sa retraite à l’âge de 80 ans.

Garigue a produit plus d’une soixantaine de textes, incluant des ouvrages et des articles scientifiques, sur la société canadienne-française. Ses travaux ont été publiés dans de grandes revues canadiennes, françaises et américaines. Il a aussi écrit de façon régulière dans les quotidiens de langue française comme Le Devoir et L’Express (le journal francophone de Toronto). Nous estimons qu’il a consacré plus de 60 pour cent de son oeuvre à l’étude de sa société d’accueil, ses autres travaux portant sur la pratique des sciences sociales (Garigue, 1958b et 1961a), sur l’éducation (Garigue, 1972), sur l’humanisme (Garigue, 1973), sur la religion (Garigue, 1970c), sur la métastratégie (Garigue, 1992), en plus de quelques recueils de poésie (Garigue, 2002).

Nous avons identifié quatre moments dans l’oeuvre de Garigue sur le Canada français. Dans un premier temps, en 1958, quatre ans après son arrivée au Québec, il publie un ouvrage liminaire, Études sur le Canada français (Garigue, 1958a), dans lequel il présente un portrait d’ensemble de la société canadienne-française. Dans un deuxième temps, il met en chantier une étude sur la famille canadienne-française, dont il publie une partie des résultats en 1962 dans La vie familiale des Canadiens français (Garigue, 1970a). Pendant la même période, en 1964, il est nommé président du Conseil supérieur de la famille par le gouvernement du Québec, poste qu’il occupe jusqu’en 1971[2]. En 1969, pendant sa présidence du Conseil supérieur, il devient aussi président de l’Union internationale des organismes familiaux, une organisation non gouvernementale des Nations unies. Il est l’un des directeurs-fondateurs de l’Institut Vanier de la famille, créé en 1965[3]. Dans un troisième temps, en 1963, Garigue étudie le nationalisme canadien-français dans un ouvrage intitulé L’option politique du Canada français (Garigue, 1963). Dans un quatrième temps, en 1985, Garigue dresse un bilan de ses travaux dans un texte intitulé « Mythes et réalités dans l’étude du Canada français (30 ans après) » (Garigue, 1985).

Garigue s’est fait connaître en raison des controverses qu’il a contribué à lancer sur la supposée nature rétrograde du Canada français d’avant les années 1960 comme cause de la difficulté des Canadiens français à voir à leur avancement[4]. S’il a beaucoup fait réagir, rares sont alors ceux qui reconnaissent le caractère inédit de ses idées et suggestions. Marcel Fournier (2002) et Jean-Philippe Warren (2003) font quelques références aux débats dans lesquels il s’est inscrit à l’époque. Plusieurs voient dorénavant chez Garigue un éclaireur comme le soulignait récemment Gilles Paquet (2008 ; voir aussi Couture et Denis, 1994 ; Choquette, 2001). Ainsi, Denise Lemieux (2003 ; Lemieux et Comeau, 2002) reconnaît que Garigue a été un pionnier dans la diffusion de l’idée d’une politique familiale pour le Québec. Richard Sarrasin (1990 et 2004) le présente comme ayant été le premier à mener un exercice sérieux de recherche des éléments fondamentaux d’une politique familiale. En 2006, Guy Rocher se rappelle aussi que l’homme s’était « acquis une réputation d’homme bouillant et exigeant »[5]. Rocher reconnaît aussi combien Garigue a contribué à l’Université de Montréal et à l’étude du Canada français, en particulier pour ce qui est de la vie familiale des Canadiens français.

Tant dans ses travaux sur la famille que sur la société canadienne-française, Garigue a jeté les bases d’une réflexion sur le caractère nord-américain du Canada français qui se distingue de l’idée reçue à l’époque selon laquelle la société canadienne-française constitue une société d’Ancien Régime, rurale et rétrograde par surcroît. Nous tenterons de mettre à jour ces idées dans ce texte en nous intéressant de façon particulière aux propos de Garigue sur l’École de Chicago et la notion de folksociety appliquée à l’étude du Canada français par les sociologues québécois. De façon plus précise, Garigue a critiqué vigoureusement les thèses de l’École de Chicago sur le développement de la société canadienne-française ainsi que son influence sur plusieurs sociologues québécois, dont Jean-Charles Falardeau (1953) qui affirmait, à l’époque, que certaines formes de la civilisation urbaine et américaine étaient antinomiques à l’identité religieuse et culturelle des Canadiens français. Par surcroît, Falardeau dénonçait le nationalisme canadien-français pour « son credo exagérément ethnocentrique, dogmatique et emmêlé de notions religieuses » (1953, p. 247) alors que Garigue s’en prenait plutôt à l’interprétation néonationaliste des problèmes des Canadiens français popularisée tant par Marcel Rioux que Guy Rocher. Ces derniers voient dans le Québec une société globale qui doit devenir indépendante et préparer l’avènement du socialisme (Fournier, 1980, p. 22-23), alors que Garigue oppose une conception universaliste du nationalisme canadien-français au néonationalisme québécois qu’il associe à du particularisme. Si sa conception du nationalisme semble avoir mal vieilli, nous soutiendrons, dans ce texte, que ses inspirations au sujet de l’identité nord-américaine des Canadiens français le placent parmi les précurseurs d’un débat qui ne cesse d’interpeller les chercheurs (Bouchard, 1996 et 2000 ; Lamonde, 2001 ; Lamonde et Bouchard, 1995 ; Couture, 2008).

Dans un premier temps, nous procéderons à un examen des considérations méthodologiques et théoriques de Garigue eu égard à l’étude du Canada français. Dans un deuxième temps, nous tenterons de présenter son approche de rechange de façon plus détaillée. Dans un troisième temps, nous examinerons les fondements épistémologiques de sa démarche.

Le Canada français à l’épreuve de la sociologie

Garigue publie ses premières analyses sur le Canada français à un moment où l’influence de l’École de Chicago en sociologie est de plus en plus importante en sciences sociales, incluant le Québec. En bref, cette école sociologique américaine, qui comprend d’influents chercheurs dont Ernest W. Burgess et Robert E. Park, privilégie la recherche empirique dans le domaine de l’étude des communautés et des processus et réseaux sociaux qui les traversent. Sur le plan théorique, elle estime qu’il est impossible de comprendre la vie sociale sans prendre en compte les arrangements entre les acteurs sociaux dans un temps et un lieu particuliers, car tout fait social est situé (Abbott, 1997). Ces idées contribuent à la professionnalisation de la sociologie à l’époque et ont façonné une part importante de la recherche sur la société canadienne-française (voir Fournier et Houle, 1980). Elles inspirent ceux qui constitueront l’École de Laval (Fournier et Houle, 1980 ; Warren, 2003), dans la foulée du Programme de recherches sociales pour le Québec préparé par Everett C. Hughes (1943) de l’École de Chicago durant son séjour à l’Université Laval. Parmi les membres de l’École de Laval, mentionnons Jean-Charles Falardeau ainsi que Fernand Dumont et Gérald Fortin pour ne nommer que les plus connus. Selon Warren (2003, p. 280-292), les deux écoles ont quatre préoccupations en commun : leur souci de la documentation empirique, leur intérêt pour le milieu urbain comme laboratoire social, leurs idées sur l’adaptabilité aux changements sociaux (dans lesquelles s’inscrivent les travaux sur la folk society) et la préséance qu’elles accordent aux méthodes qualitatives.

Pour sa part, Garigue pose les jalons de son programme de recherche sur le Canada français au même moment que les membres de l’École de Laval préparent et concrétisent le leur. S’il partage avec eux un même intérêt pour la recherche empirique, il s’en prend à la méthode des types idéaux sur laquelle va reposer une part importante des travaux de ses collègues sur le Canada français. En simplifiant, un type idéal correspond à une formalisation de certaines caractéristiques que l’on érige en un modèle ou un guide pour l’analyse des sociétés. Il permet d’établir des hypothèses. Ainsi, les types idéaux de la société traditionnelle et de la société moderne ont été construits en vue de permettre aux sociologues d’étudier les dynamiques à l’oeuvre au sein des changements en cours dans des sociétés dites « traditionnelles » comme le Canada français. L’important est de tenter de mieux comprendre la capacité de ces sociétés à « assimiler » les exigences de la vie moderne et démocratique. Selon Rioux, qui défend l’utilisation du concept à l’époque, le type idéal type a une valeur heuristique. L’École de Chicago a proposé le type idéal de la folksociety ou du spectre folk-urbain pour tenter de préciser l’incidence de la modernisation sur la réalité sociale canadienne-française.

Dans son avant-propos à Études sur le Canada français[6], Garigue s’en prend à la façon dont les principaux chercheurs américains du Canada français au sein de l’École de Chicago, dont Everett C. Hughes (1963) et Horace Miner (1985) ainsi que Robert Redfield (1947), appliquent le type idéal de la folk society à la société canadienne-française. Il écrit :

Redfield désigne sous le nom de Folk Society, une petite communauté isolée, illettrée, que caractérisent une forte solidarité sociale et le primat du religieux sur le profane. Là, le comportement revêtirait une allure traditionnelle et spontanée, les principaux domaines d’expérience seraient en fonction des liens de parenté et des institutions qui en dérivent ; le groupement familial serait le centre de toute activité.

Garigue, 1958a, p. 7

Ainsi, la notion de folk society contribue à instituer une représentation des sociétés traditionnelles au sein desquelles les individus sont fortement attachés à leur groupe qui, lui, est perçu comme étant isolé et replié sur lui-même alors que les sociétés modernes sont perçues comme étant davantage caractérisées par une cohésion sociale moins forte et un individualisme, valorisé. Relativement au Canada français, les chercheurs ont largement souscrit à l’idée selon laquelle nous serions en présence d’une société traditionnelle qui peinerait à se moderniser[7].

Or, pour Garigue, l’approche esquissée par l’École de Chicago a plutôt toutes les caractéristiques d’une interprétation mythologique-idéologique du monde[8]. Il considère que le concept de folk society n’est étayé « sur aucune donnée empirique ; en tant qu’il est une catégorie mentale, de ‘type idéal’, il revêt une signification métasociologique qui ne saurait manquer de défigurer l’analyse de la réalité sociale qu’il est censé clarifier » (Garigue, 1958a, p. 7). Garigue affirme aussi que la construction de le type idéal de la folk society au Québec repose sur une mauvaise compréhension des travaux de Léon Gérin (1898) sur le ruralisme des Canadiens français comme cause explicative de leur survivance[9]. Gérin a étudié l’organisation sociale dans une petite localité de la Mauricie, Saint-Justin, pour montrer que la survivance du fait français depuis la Conquête avait été rendue possible à cause du repli des Canadiens français sur l’agriculture. Or, selon Garigue, les membres de l’École de Chicago auraient trop rapidement accepté ces conclusions et ignoré la contribution sur cette question d’historiens comme Guy Frégault, dont les données auraient été plus fiables. Non seulement a-t-il critiqué le trop grand intérêt des sociologues de Chicago pour l’oeuvre de Gérin, Garigue a aussi choisi de reproduire l’étude de ce dernier sur Saint-Justin pour démontrer, à la différence de son prédécesseur, que les fermes ne réussissaient pas à être transmises de père en fils pendant plus de deux générations comparativement à ce que supposerait l’existence d’une société paysanne ou rurale d’Ancien Régime. Garigue considère que Gérin a eu tort de faire du lien entre la terre et la famille un lien essentiel de l’organisation sociale canadienne-française. Il puise aussi dans les propos d’Errol Bouchette qui, dès 1832, « parlait du très grand morcellement des terres, occasionné par la répartition de l’héritage en parts égales » (cité par Garigue, 1958a, p. 14).

Garigue considère que la conception du Canada français qui s’échafaude sous l’influence de l’École de Chicago sert à affirmer « que la vie traditionnelle canadienne-française est non seulement d’origine rurale, mais est restée sans grand changement pendant au moins deux siècles (Garigue, 1970a, p. 18). Par surcroît, il reproche à ses collègues de l’École de Laval « d’avoir appliqué au Québec, sans le relativiser ou le critiquer, un concept biaisé et d’avoir déformé la réalité en plaquant sur le Québec les schèmes d’analyses de l’École de Chicago » (Warren, 2003, p. 289). Il s’en prend notamment à Falardeau (1953, p. 252), qui opère une distinction fondamentale entre le mode de développement du Canada français, « américain par nature » et l’idéologie de la survivance qui y perdure et le contraint à se replier sur un nationalisme dogmatique et ethnocentrique. Garigue soutient le contraire, soit que le Canadien français est de type nord-américain (Garigue, 1960b), qu’il n’est pas réfractaire à la vie moderne et que ses difficultés ne sont pas le produit d’une mentalité particulière. Pour leur part, les chercheurs de l’École de Laval ne tardent pas à lui répliquer. Mais ils ne furent pas les seuls. De son côté, Marcel Rioux, veut se « laver de l’accusation de penser que la culture canadienne-française est simple et archaïque » (Rioux, 1957, p. 149) et reproche à Garigue d’avoir mal compris la nature et la fonction du continuum folk-urbain. Il estime que Garigue l’entrevoit comme une typologie empirique qui doit être directement vérifiable, alors que cette typologie est plutôt heuristique, permettant « d’en dériver des hypothèses et de les mettre à l’essai dans l’étude d’une situation donnée » (Rioux, 1957, p. 157). Une fois cette distinction comprise, il affirme que « l’on peut discuter des travaux qui ont été faits dans le Québec, mais qu’on aurait mauvaise grâce à imputer les erreurs qu’on croit y découvrir au concept de folk-société » (Rioux, 1957, p. 158). Pour Rioux, il ne faut pas chercher à vérifier empiriquement ce concept ou à lui donner un contenu normatif, mais l’appréhender comme un outil permettant de faire avancer les connaissances sur une société en particulier.

Hubert Guindon répliquera lui aussi aux propos de Garigue sur l’évolution sociale du Québec. Il rejette l’affirmation de Garigue selon laquelle Léon Gérin, Everett C. Hughes et Horace Miner n’ont pu appliquer le concept de folk society au Québec qu’en ignorant les contributions des historiens sur l’organisation sociale et économique de la société canadienne-française d’avant la Conquête. Il considère plutôt que c’est Garigue qui erre en occultant d’autres travaux de ces auteurs qui font état de cette période, notamment ceux de Gérin dans lesquels il précise que la Nouvelle-France est une société où l’agriculture prédominait. Il ajoute aussi que les travaux de Garigue visant à infirmer les contributions de Gérin, Hughes et Miner ne sont pas convaincants et qu’ils dévient des modèles logiques de relations causales (Guindon, 1960). Garigue répond directement à ce texte et suggère que la synthèse de Guindon sur la direction de l’évolution sociale du Québec est invalide en raison, entre autres, de son adhésion sans distance critique aux hypothèses de l’École de Chicago et à la conception du Canada français qui en découle, c’est-à-dire celle d’une société dont les institutions ont une origine essentiellement rurale (Garigue, 1961b). L’impasse semble totale !

Une approche de rechange

Garigue est lui aussi à la recherche de la « cause explicative de la continuité des facteurs défavorables » (Garigue, 1963, p. 10) à l’émancipation des Canadiens français dans la notion de survivance ou de tradition. Toutefois, il considère que le type de sociologie alors prôné au Québec par l’École de Laval a besoin « d’une réorientation théorique » (Garigue, 1958a, p. 15). Au lieu de puiser sa source d’inspiration dans un autre type idéal, il propose d’étudier le supposé traditionalisme canadien-français en s’appuyant sur une description plus fine des caractéristiques sociales et culturelles du Canada français. Il veut ainsi tenter d’approfondir en quoi ce traditionalisme constitue une contrainte à la modernisation du Canada français et puise dans les travaux de Frégault en particulier les bases empiriques de sa théorisation alternative de la culture dite traditionnelle du Canada français. Ainsi, il opère le renversement théorique qu’il appelle de ses voeux et dont il esquisse une approche de rechange davantage sociohistorique et contextuelle en vue d’un travail qu’il souhaite plus objectif sur le Canada français.

C’est surtout dans un texte publié en 1962, « Organisation sociale et valeurs culturelles canadiennes-françaises », que Garigue esquisse son approche de rechange inspirée principalement des travaux de Frégault (1954). Il y conçoit « les traditions culturelles canadiennes-françaises [comme] le résultat de trois grandes orientations produites à la suite des changements dans la totalité de l’organisation sociale canadienne » (Garigue, 1962, p. 202). Ainsi, la première orientation s’élabore au moment de l’installation des colons en Nouvelle-France. Garigue formule l’hypothèse, qu’il reprend de Frégault, selon laquelle « la culture qui se construit en Nouvelle-France est tout à fait distincte de celle de la souche française dont [elle] est sorti[e] » (Garigue, 1962, p. 202). La première orientation culturelle qui fonde les traditions canadiennes-françaises est donc de type nord-américain au lieu de prendre une forme empruntée à l’Ancien Régime. Elle fait d’emblée du Canadien français un Nord-Américain. En 1954, dans une brochure de la Société historique du Canada, Frégault affirmait que les habitants de la Nouvelle-France s’installaient dans des villes plutôt que dans les campagnes et qu’ils travaillaient à la traite des fourrures. Dans cette société qui se développe de façon concomitante à l’expansion du monde atlantique, le milieu rural n’avait rien d’un monde d’Ancien Régime. Paquet et Wallot (1987 et 1988) ont également soutenu cette idée, reprise et approfondie par Leslie Choquette (2001) plus récemment[10].

La deuxième orientation culturelle du Canada français est née après la Conquête. Elle est caractérisée par le sentiment de différence que les Canadiens français vont développer en regard des autres groupes du continent américain (Garigue, 1960a). Garigue affirme qu’à partir de ce moment, la société canadienne-française se préoccupe de plus en plus de sa situation culturelle. Ses membres développent un sentiment d’isolement et de persécution lié à leur peur de l’assimilation à l’anglais, mais leur situation n’inhibe pas complètement leur capacité d’action. Ils prennent conscience collectivement de la réalité qu’ils ont en partage, celle d’appartenir à une même nation, la nation canadienne-française, laquelle leur confère une unité, mais également une capacité d’innovation. La culture canadienne-française qui se constitue dans l’après-Conquête n’a donc rien d’archaïque. Le nationalisme canadien-français qui s’y élabore sert à socialiser une élite à ce que Garigue conçoit comme étant les « valeurs universelles » du Canada français. Celles-ci prennent appui dans la religion catholique et sont aussi caractérisées par un idéal d’autonomie qui se concrétisera dans la mise en place de nouvelles institutions comme la paroisse.

Finalement, Garigue identifie une troisième orientation dans le contexte de l’industrialisation et de l’urbanisation du Canada. Celle-ci correspond à la prise de conscience toujours plus grande du statut d’infériorité des Canadiens français à l’intérieur de leur propre pays. Cette prise de conscience donne lieu à une volonté d’action au sein de la population canadienne-française qui se donne pour objectif de surmonter les contraintes qu’elle subit. Elle exige un statut d’égalité pour ses membres et pour la nation canadienne-française au sein du Canada afin de permettre aux Canadiens français de poursuivre leur développement économique et d’améliorer leurs conditions de vie.

Ces trois orientations étant établies, une caractéristique de la démarche de Garigue est d’affirmer que l’étude de chaque moment dans le développement du Canada français exige une compréhension de la réalité sociale et culturelle reposant sur des faits. Il rejette donc l’idée selon laquelle le changement social correspondrait au « passage d’un stade à un autre selon le principe d’une ligne de continuité entre une société de type traditionaliste à une société de type industriel » (Garigue, 1962, p. 202). Il considère que ce schéma ne permet pas de saisir ce qu’il considère être la principale caractéristique de la culture canadienne-française, soit sa préoccupation envers sa survivance. Celle-ci n’est compréhensible que dans sa totalité sociologique, c’est-à-dire « que lorsque l’analyse s’établit au niveau des phénomènes fondamentaux : ceux qui structurèrent le Canada pendant la période de la Nouvelle-France et après la Conquête de 1760 » (Garigue, 1962, p. 202). Il se propose donc d’étudier trois dimensions structurantes du Canada français au moment de la Nouvelle-France, soit son développement démographique, ses méthodes de colonisation et son organisation familiale. Il veut montrer que ces trois éléments de base structurent le Canada et lui donnent sa personnalité, plutôt que de s’en tenir à des valeurs fondées sur la construction d’un idéal type abstrait. Ils constituent, à ses yeux, la clé de l’explication de l’importance accordée par les Canadiens français à l’idée de survivance[11]. L’approche de rechange de Garigue vise surtout à montrer que la notion de survivance n’est pas une expression de la folk society. Elle est plutôt liée à la nature de l’insertion du Canada français dans le monde nord-américain. Dit autrement, chez Garigue, la volonté de continuité des Canadiens français n’a rien d’une pathologie liée à un supposé ruralisme. Elle correspond davantage à une façon « conservatrice » de s’insérer dans la modernité nord-américaine. Ainsi, pour Garigue, à l’époque, le Canada français se comparait tout à fait à la Nouvelle-Angleterre, que personne n’oserait associer à une folk society.

Les idées de Garigue sur l’insertion « conservatrice » du Canada français dans la modernité nord-américaine ou la notion de survivance semblent avoir un certain écho dans le débat en cours sur l’identité. Joseph Yvon Thériault a rappelé que le conservatisme des Canadiens français ne s’était pas développé à l’extérieur de la modernité, mais en son sein (Thériault, 2005 ; voir aussi Thériault et Meunier, 2008 ; Bock, 2008). Selon lui, le clérico-nationalisme est tout à fait compatible avec la modernité. Comme il l’explique, « [p]our ceux croyant que la modernité n’a pas été que soumission à la rationalité des choses et de l’histoire, mais déploiement de la subjectivité dans l’histoire, l’idée de la vocation spirituelle des nations est la forme qu’a prise à un moment donné dans l’histoire de la modernité la quête d’un fondement terrestre à l’intention de l’histoire » (Thériault, 2005, p. 270). Toutefois, chez Thériault cette modernité n’a rien à voir avec l’américanité ou l’identité nord-américaine du Canada français alors que Garigue ne serait pas allé aussi loin. Dans ce débat, les propos de Claude Couture (2008) sur les États-Unis pourraient s’avérer plus près de ceux de Garigue malgré des approches théoriques distinctes et des appréciations différentes de la religion. Selon Couture, les États-Unis forment un pays dans lequel « une majorité de la population est profondément religieuse, traditionnelle, autoritaire et communautaire » (Couture, 2008, p. 50). Et d’ajouter que loin d’être un modèle associé à la liberté individuelle et entrepreneuriale, la « modernité américaine est ‘enchantée’ et sa démocratie religieuse, au sens où l’Amérique est actuellement politiquement dominée par une droite pour qui la religion est essentielle » (Couture, 2008, p. 49). Comme le rapporte Couture, c’est aux États-Unis que l’on s’oppose le plus à la théorie de l’évolution.

Le conservatisme associé traditionnellement au projet de survivance du Canada français d’avant les années 1960, loin de reposer sur un rejet de la modernité comme l’ont suggéré les néonationalistes des années 1950 ou sur un refus des États-Unis comme le prétend Thériault aujourd’hui, serait plutôt en phase avec ce que Couture appelle « la norme de l’américanité conservatrice du dernier siècle et de l’actuel » (Couture, 2008, p. 51). Dit autrement, si l’on inverse la représentation de l’américanité telle que véhiculée par l’interprétation néonationaliste du Canada français depuis les années 1950 jusqu’à Thériault qui l’incorpore dorénavant à un néonationalisme canadien-français, il n’est pas nécessaire de penser l’idée de survivance ou le conservatisme canadien-français comme un repoussoir d’une Amérique individualiste qui, elle, serait « naturellement » moderne[12]. Selon Couture, à l’instar de Garigue 40 ans avant lui, le Québec s’insère pleinement dans une américanité largement bien que non exclusivement conservatrice.

Épistémologie et engagement

Garigue s’est opposé de façon vigoureuse aux idées reçues sur le Québec pour des raisons méthodologiques et théoriques, mais également à cause de ses préoccupations d’ordre moral et épistémologique. Dans leur ouvrage, Sociologie et valeurs. Quatorze penseurs québécois du XXe siècle, Gilles Gagné et Jean-Philippe Warren (2003) ont commenté brièvement l’épistémologie à la source de sa démarche sociologique, soit son engagement envers une connaissance de la société fondée sur des valeurs « objectives ». Garigue veut non seulement étudier le Canada français en s’appuyant sur des faits « objectifs », mais il souhaite également revoir les fondements moraux ou normatifs du projet sociologique alors en plein essor au Québec. S’il croit en l’existence de valeurs universelles devant guider la connaissance sociologique, les approches fonctionnalistes et marxistes qui s’imposent de plus en plus à son époque subordonnent l’idée d’une totalité sociale à ses particularités cautionnant ainsi le relativisme et l’idéologie au détriment de l’universalisme. Comme nous l’avons vu, pour Garigue, il faut plutôt privilégier la démarche contraire, c’est-à-dire d’abord cerner la totalité, les orientations culturelles et les structures pour ensuite les utiliser afin de comprendre le particulier. Ainsi, il peut aussi reprocher aux théoriciens marxistes de ne pas comprendre qu’une société ne peut être réduite à des luttes d’intérêts entre groupes particuliers. Garigue, qui se range du côté des conservateurs chrétiens, a aussi une conception morale du social et des valeurs collectives qui influence ses positions à l’égard de l’interprétation néonationaliste qui s’échafaude alors au Québec.

De façon plus précise, l’insistance de Garigue sur le caractère universel de la religion a marqué sa compréhension de la nation canadienne-française. À l’instar de la droite intellectuelle à l’époque telle que décrite par Xavier Gélinas (1999 et 2007), il veut que le Canadien français s’épanouisse comme un catholique à l’intérieur de son milieu. Il ne souhaite pas dépouiller le Canada français de ce qu’il est ou a été, mais veut bien le réformer afin de voir à son avancement. Comme l’explique Gélinas au sujet de la droite au Québec, « [c]’est cette vision de l’homme qui explique le nationalisme des droitistes. Puisque l’homme d’ici naît dans un milieu canadien-français et catholique, il faut que tout, dans l’ordre social, lui permette de s’épanouir en tant que Canadien français catholique » (Gélinas, 1999, p. 103). Selon ce type de nationalisme, « la nation représente le milieu humain par excellence » (Gélinas, 1999, p. 103) plutôt que d’être ramenée à sa plus simple expression territoriale ou civique comme le feront les néonationalistes.

Le parti pris de Garigue pour la culture canadienne-française s’inscrit dans cette démarche propre à la droite intellectuelle de l’époque qui doit conduire « à l’amélioration de la condition spirituelle de chacun » (Garigue, 1984). Il s’inspire ici des travaux d’Étienne Gilson (1934, 1936, 1960a et 1960b), un philosophe français ayant écrit sur la théologie, de qui il reprend la priorité à accorder aux valeurs humaines sur la technique, même si cette dernière peut nous être utile afin de mieux comprendre la réalité sociale. Il veut ainsi faire apparaître la réalité du divin inscrite dans le monde du social, en utilisant les moyens mis à sa disposition par la science (Garigue, 1964 et 2002).

Garigue reconnaît aussi s’inspirer des idées de Jean Guitton, un philosophe chrétien, Français également. Guitton identifie l’amour humain comme étant un facteur permettant d’analyser les relations humaines. Une telle méthode permet d’éviter le relativisme dans l’étude des valeurs et d’établir des normes dans la définition des relations entre humains en ce sens que l’amour humain ne se maintient qu’en s’adaptant. C’est d’ailleurs ainsi que Guitton voit la famille : « Je dirai que la vie de famille doit être située dans la durée de la vie humaine : les relations qui la constituent sans cesser d’être ce qu’elles sont, se transforment avec le temps qui passe » (Guitton, 1971, p. 56).

Guitton expose aussi ce que devrait être le rôle du laïc dans l’Église. Celui-ci doit s’engager dans la société en s’inspirant des valeurs chrétiennes et l’Église doit reconnaître l’importance de cet engagement ainsi que son caractère essentiel au maintien de la religion (Guitton, 1963). Ce type d’engagement rejoint l’esprit du personnalisme, un courant important au moment où Garigue écrit sur le Canada français. Comme l’expliquent Warren et Meunier, « clercs et laïcs devaient dorénavant se faire plus entreprenants et travailler ensemble non seulement à la rénovation de l’Église, mais à la réforme des institutions sociales pour que celles-ci incarnent, dans leurs fondements comme dans leurs pratiques, les vertus d’un christianisme libérateur » (Warren et Meunier, 1999, p. 362).

Finalement, la conception morale de la vie sociale chez Garigue puise dans l’épistémologie poppérienne l’attitude nécessaire pour rejeter tout relativisme au plan scientifique. Karl Popper, dont le projet consiste à chercher la vérité de façon critique en testant rigoureusement les théories, considère que la science doit proposer des lois et des théories qui soient universelles et qui permettent d’améliorer la condition humaine (Popper, 1992 et 1998). Pour sa part, Garigue formule la notion de « qualité de vie » et en fait la clé de voûte de sa démarche épistémologique et morale. Il veut ainsi « bâtir une méthodologie de l’enquête et de l’action sociale à partir d’une des plus vieilles traditions de la philosophie, celle de la priorité des valeurs humaines » (Garigue, 1974, p. 171). Il a l’assurance qu’il y a effectivement une vérité, celle de l’humanité de l’homme, une conviction qui donne son sens à sa méthodologie de la connaissance objective.

Combinée à l’engagement moral à droite de Garigue envers l’amélioration spirituelle de chacun, la démarche poppérienne alimente son rejet de la notion de folk society, mais également son attitude critique à l’égard du néonationalisme québécois. En effet, dans L’option politique du Canada français, Garigue théorise essentiellement son opposition au nationalisme. S’il a déjà été mobilisateur, celui-ci serait devenu un « mécanisme idéologique » qui ne sert plus les Canadiens français. Il constitue plutôt un outil rhétorique pour exiger le renouvellement du fédéralisme, le séparatisme ou la création d’une État-nation autonome. Selon Garigue, « il pourrait même donner lieu à l’affaiblissement de sens de l’identité et de l’unité canadienne-française » (Garigue, 1963, p. 77). Leur compréhension de l’identité canadienne-française serait dorénavant une référence imposée par la force des choses plutôt que comme une identité déterminée librement. Les Canadiens français feraient une lecture mythique de leur situation. D’évidence, Garigue vise ici l’historiographie néonationaliste qui associe le Canada français à une société rétrograde – un discours qui inspire les fédéralistes comme les souverainistes.

Comme l’explique Garigue, « depuis le dix-neuvième siècle, un des objectifs principaux de l’élite canadienne-française a été l’obtention d’un statut politique et économique égal à celui des Canadiens anglais » (Garigue, 1962, p. 202). À cette fin, l’élite canadienne-française a joué sur l’importance des symboles culturels canadiens-français. Elle les a valorisés et, en bout de piste, elle a réussi à convaincre la majorité des Canadiens français de la nécessité de leur autonomie culturelle. Ce mouvement a débouché sur un nationalisme culturel au début du XXe siècle et a conduit à l’exigence de reconnaissance de leur société comme une nation et de confirmation de leur statut national. Or, la tension entre le nationalisme pancanadien et le nationalisme « provincial » qui existe au sein du Canada français depuis l’époque de la Confédération mènera, selon Garigue, à un repli sur l’État du Québec. Par surcroît, de nouvelles interprétations tout aussi idéologiques prennent place afin de justifier ce choix. Ainsi, selon Garigue, l’idée que les Québécois seraient les membres d’une classe ethnique formulée par Jacques Dofny et Marcel Rioux (1962) vient cautionner une nouvelle interprétation mythique selon laquelle « la société ou ethnie canadienne-française est une classe pauvre, exploitée par les anglophones qui forment une classe dirigeante[13] » (Garigue, 1985, p. 91).

Garigue ne voit plus aucune dimension mobilisatrice au nationalisme. Le fait que le néonationalisme donne lieu à de nouvelles idées mythiques mais mobilisatrices constitue dorénavant un frein à l’émancipation des Canadiens français. Pour sa part, il propose de faire de l’usage du mot francophone la base d’une nouvelle identité collective ouverte, non arbitraire, libérée « des contraintes du mythe ou de l’idéologie afin de viser l’amélioration de la condition d’existence des individus au sein du Canada et de la nouvelle société mondiale contemporaine » (Garigue, 1985, p. 99). Garigue croit ainsi au « mythe » de la fin des idéologies.

Or, si la force de Garigue a été de remettre en question des idées reçues sur l’identité canadienne-française dont il faudra probablement continuer à faire l’histoire, son analyse du nationalisme nous semble moins résister à l’usure du temps. Ses propos au sujet de la nature mythique du nationalisme ne sont pas faux. L’historiographie néonationaliste n’a fait aucun compromis avec l’idée d’une modernité canadienne-française – et ce, encore aujourd’hui dans le débat sur les accommodements raisonnables. Or, le libéralisme et le socialisme contiennent aussi leurs mythes, ce qui ne les empêche pas d’avoir été des discours mobilisateurs et de continuer à exercer une fascination importante sur les individus et les chercheurs. Un regard impressionniste révélerait plutôt que l’absence de mythe mobilisateur caractérisant de plus en plus le discours nationaliste au Québec – ce que certains ont appelé la trudeauisation du nationalisme québécois – constitue un obstacle à l’amélioration de la situation des Québécois. Par surcroît, en raison de son engagement catholique, Garigue a négligé de voir que les formes que prend le nationalisme ont aussi beaucoup à voir avec la realpolitik et non uniquement avec la représentation de soi. Il a certainement compris l’effet de la Conquête sur le développement du nationalisme canadien-français et l’incidence de la Confédération sur la mise en minorité des Canadiens français au sein du fédéralisme canadien. Mais il semble s’être peu intéressé aux jeux de pouvoirs au sein du fédéralisme canadien, aux conflits entre les nationalismes canadien-français et canadien-anglais et ensuite entre les nationalismes québécois et canadien.

De plus, en minimisant la question de l’autodétermination des peuples à laquelle était aussi associé le néonationalisme, Garigue a négligé de prendre en compte sa dimension démocratique. Le débat sur l’américanité que Gérard Bouchard et Yvan Lamonde ont lancé au Québec dans les années 1990 a permis de revoir cette dimension occultée dans le débat sur le nationalisme canadien-français/québécois. Pour sa part, en négligeant la dimension autonomiste du néonationalisme québécois qu’il a réduit à la simple expression d’un particularisme, Garigue ne pouvait reconnaître sa portée démocratique et émancipatrice. Il a plutôt vu dans une certaine idée de la francophonie comme langue de communication une voie de sortie du nationalisme, car il ne pouvait plus lui imaginer une fonction au sein de la société contemporaine. Or, il nous semble que ce diagnostic réussisse mal à passer l’épreuve de la réalité. Il paraît utopique de penser que l’on peut faire reposer un idéal collectif sur le seul principe qu’il s’agisse d’un moyen de communication. L’idée d’un plus grand ensemble que pourrait représenter la francophonie ne peut constituer un idéal purement utilitaire. Il a aussi besoin de véhiculer une certaine idée d’autodétermination afin de se faire mobilisateur.

Au moment de leur publication, les recensions des ouvrages de Garigue sont plutôt décevantes (Tremblay, 1959 ; Lemieux, 1963) et peu nombreuses. Dans son appréciation de sa première contribution, Études sur le Canada français, Marc-Adélard Tremblay y voit une monographie difficile à évaluer en l’absence d’études empiriques plus substantielles. Au mieux, il salue l’effort de l’auteur et conclut que « seul le temps nous dira s’il s’agit d’un effort dans la bonne direction »[14]. Personnage bouillant comme l’ont souligné ses contemporains, Garigue a fait oeuvre de pionnier en jetant les bases d’une sociologie du Canada français inédite au plan méthodologique et en porte-à-faux avec l’historiographie néonationaliste. Sa critique de l’idéal type n’a pas été beaucoup commentée sauf qu’elle continue de faire sens dans le débat sur le nationalisme. Par surcroît, les travaux plus récents sur la Nouvelle-France, tout comme le renouveau du débat sur l’insertion du Canada français/Québec dans l’américanité montrent que ses inspirations n’ont pas été inutiles. Garigue a toujours associé le Canada français à une société pleinement insérée dans la modernité nord-américaine, une posture qui ne constitue toujours pas une thèse facile à faire accepter en sciences sociales. Les travaux récents montrent que le débat sur l’idée de survivance est loin d’être terminé. Ceux de Garigue pourront continuer de nous éclairer.

Par contre, l’utopie d’une société sans idéologie à laquelle semble croire Garigue dans ses travaux plus politiques sur le Canada français jurent avec sa sensibilité sur le plan historiographique. Sa compréhension du nationalisme canadien-français, mais aussi du nationalisme québécois comme l’expression d’un mythe, n’a rien de choquant sauf qu’il nous semble peu probable que l’on puisse « transcender l’arbitraire des identités collectives » en vue de nous projeter dans la société mondiale. Pari utopique qui peut lui aussi se transformer en idéologie comme en témoignent les discours sur la mondialisation. Malgré une lecture principalement apolitique du nationalisme, Garigue mérite néanmoins d’être réhabilité et invité à joindre les siens au panthéon de la sociologie québécoise. Non seulement a-t-il fait une contribution à l’étude du Canada français, il a refusé les catégories figées et n’a cessé de se confronter au réel. Cette tâche de chercheur que s’est imposée Garigue nous semble plus nécessaire que jamais. Linda Cardinal est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa où elle occupe la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques. Ses recherches portent sur les minorités et les politiques linguistiques, la politique constitutionnelle, les idées politiques et les débats sur la citoyenneté au Canada et au Québec, les enjeux identitaires en politique comparée et la théorie des mouvements sociaux. Elle a récemment dirigé l’ouvrage Le fédéralisme asymétrique et les minorités linguistiques et nationales (Sudbury, Prise de parole, 2008). Elle dirige présentement l’Alliance de recherche université communauté (ARUC) sur les savoirs de la gouvernance communautaire au sein des minorités linguistiques.Martin Normand est doctorant au département de science politique de l’Université de Montréal. Il détient un diplôme de maîtrise en science politique de l’Université d’Ottawa. Sa thèse, À la recherche d’une « politique » de développement global. Une approche contextuelle pour l’étude du développement des communautés francophones vivant en situation minoritaire, a remporté le prix René-Lupien, qui reconnaît l’excellence d’une thèse rédigée en français et contribuant à la francophonie canadienne. Il fait partie de l’équipe de l’Alliance de recherche université communauté (ARUC) sur les savoirs de la gouvernance communautaire au sein des minorités linguistiques.