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Cet ouvrage est un recueil d’articles de plus de trente collaborateurs invités par la Fondation autochtone de guérison à faire part de leur expérience et de leurs réflexions aux commissaires de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada. Cette dernière constitue l’aboutissement du règlement judiciaire, l’Accord de règlement relatif aux pensionnats indiens, conclu en 2006 par les représentants légaux des survivants ayant subi les mauvais traitements au sein des pensionnats établis au Canada par les Églises et le gouvernement fédéral, qui ont été les principaux administrateurs de ces institutions. Cet accord assure des compensations financières aux survivants de même qu’il contribue aux financements d’initiatives de guérison et au fonctionnement de la Commission de vérité et de réconciliation, dont le mandat est d’une durée de cinq ans. Les tribunaux nationaux ayant rarement été en mesure de traiter le nombre important de réclamations faisant suite aux violences à grande échelle, les commissions de réconciliation constituent des modes de règlement extrajudiciaire, élaborant les principes de relations justes entre les parties concernées, selon les contextes politiques et sociaux dans lesquels elles agissent.

Dans le contexte colonial du Canada, la Commission de vérité et de réconciliation a été chargée d’établir un tableau complet de la situation de maltraitance qui a sévi sous le régime des pensionnats. Déjà, en 1998, le Canada publiait une déclaration de réconciliation en réponse officielle au Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, celle-ci ayant mis au grand jour les effets dévastateurs de ce programme d’éducation des populations autochtones orchestré au nom de la supériorité coloniale.

L’accord de règlement appuyé par les survivants, les Églises et le gouvernement du Canada témoigne d’une volonté commune de partir sur de nouvelles bases et de vivre sur les principes d’un respect mutuel. La tâche est ardue, compte tenu des conflits dont sont entachés les rapports entre la société canadienne et les sociétés autochtones causant la perte d’équilibre de ces dernières. Mais, comme l’indique le titre de l’ouvrage, De la vérité à la réconciliation, l’exercice consistera moins à faire le constat des séquelles laissées par plus de trois cents ans de conflits qu’à faire l’examen des conditions d’un cheminement qui permette aux uns et aux autres de passer de la vérité à la réconciliation et d’envisager les mesures les plus adéquates à la guérison.

L’ouvrage se divise par conséquent en quatre grandes sections. Dans la première, « Partage de la vérité », les intervenants sont invités à mettre de l’avant le cadre historique et la dure réalité que certains d’entre eux ont dû vivre au sein des pensionnats. La seconde section, intitulée « Persistance de l’héritage∈», réunit des textes qui révèlent la persistance des préjudices subis dans le passé. La troisième, « Exploration des chemins vers la réconciliation∈», présente des analyses et des travaux prometteurs au Canada et ailleurs qui permettent d’envisager concrètement les voies d’une réconciliation possible. La section quatre constitue un aboutissement optimiste puisque, sous l’intitulé « Cheminement de l’esprit∈», les intervenants mettent leur parcours douloureux à l’épreuve d’initiatives de guérison issues de traditions autochtones, prenant ainsi le contre-pied de ce qui a été inculqué au sein des pensionnats.

Restaurer la vérité constitue donc un premier impératif. Il s’agit pour les intervenants de témoigner des préjudices qu’ils ont vécus de près ou de loin au sein des pensionnats et, inévitablement, d’étendre le débat sur le champ de la colonisation puisque, comme certains le notent, ces institutions ne furent qu’un des ressorts d’une stratégie globale visant à assimiler les autochtones à la société générale.

De nombreux articles de l’ouvrage font état du dispositif idéologique et punitif de ces institutions éducatives mises en place par le gouvernement fédéral dans les années 1880, administrées par l’Église et les gouvernements provinciaux jusqu’en 1996 et qui avaient pour objectif de refaçonner l’identité et la conscience des enfants des Amérindiens, des Inuits et des Métis. En 1920, certaines modifications de la Loi sur les Indiens donnaient l’autorisation aux autorités religieuses d’enlever de force les enfants âgés entre sept et quinze ans de la garde de leurs parents pour les envoyer dans les pensionnats sans que ces derniers puissent s’y opposer, et ce, à cause de leur statut restrictif de simple « pupille de l’État ». Exclusifs dans leurs croyances et dogmatiques dans leurs principes, ces établissements, administrés par des prêtres ou des religieuses, assistés d’un personnel intendant et de jeunes auxiliaires, interdisaient aux jeunes enfants toute expression de la culture autochtone, dont la langue, l’accoutrement, les accoutumances, qui puisse rappeler leur univers originel. Ce sont aussi dans ces institutions religieuses que se sont perpétrés des abus physiques longtemps tenus secrets sous la menace du chantage et de la culpabilité.

Les récits sur lesquels s’appuient les témoignages accablants évoquent les nombreuses déchirures auxquelles ont dû faire face ces jeunes enfants qui sont aujourd’hui adultes et, pour certains, des aînés respectés dans leur communauté occupant des fonctions importantes au sein d’organes de décision. Outre les dysfonctionnements affectifs au sein des familles et la dislocation de celles-ci, d’anciennes rivalités tout autant que l’idéologie du secret perdurent dans certaines communautés. Il résulte aussi de ces traumatismes une fragilisation des segments de la société autochtone dont sont victimes ces centaines de femmes disparues ou encore ces enfants qui rejoignent en grand nombre les services de protection et d’aide à l’enfance ou les familles d’adoption.

La colonisation et les relations difficiles entre les premières nations et la société canadienne se déclinent en toile de fond dans l’ouvrage. Certains articles font le simple mais nécessaire rappel d’un continent peuplé de sociétés saines tirant leur sagesse, leurs pratiques et leurs modes de subsistance d’un milieu dont elles ont été évincées par la stratégie des lois chrétiennes et des nécessités récurrentes de la productivité qui ont mené à leur dépendance.

Ce réquisitoire consiste pourtant moins à incriminer qu’à chercher les conditions d’un dialogue constructif dans la continuité de l’examen du passé. La réconciliation consisterait avant toute chose à corriger les erreurs et à prévenir les maux tenaces d’un héritage commun mal négocié et dont résultent des stéréotypes faussement véhiculés. La prise de conscience, la reconnaissance des injustices du passé et un engagement envers l’établissement d’une relation de respect mutuel et d’équité de la part de la société canadienne sont d’autres conditions évoquées. Au risque de voir apparaître de nouvelles formes de déni, ou devant la crainte d’une nouvelle expérience paternaliste qu’expriment certains intervenants, le partage du pouvoir des parties concernées a ici son importance. La confrontation des nombreux contextes coloniaux en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud que cet ouvrage a le mérite d’exposer, montre que la reconnaissance des événements du passé par un processus du partage de la vérité, l’acceptation de l’interdépendance et de la nécessité d’une coexistence pacifique malgré les différences et les divergences, constituent les éléments clés d’une réconciliation. Pour qu’elle se réalise, la réconciliation implique un certain nombre d’instruments dont l’éducation constitue un véhicule essentiel pour permettre à chacune des parties de mieux se comprendre et se reconnaître.

Les écueils sont nombreux puisque, comme le note J. Llewellyn, il faudra recueillir l’adhésion du plus grand nombre au sein des parties concernées et leur consentement quant à la conformité des principes du mandat de la Commission (p. 233). Car la réconciliation ne fait pas toujours l’unanimité. Au regard du lourd passif de la société colonisatrice et de l’utopie qu’ont démontrée les ententes successives, un leader inuit recommande d’abord la conciliation, pour ne pas brûler les étapes (p. 109).

Même s’ils ont vécu l’épreuve des pensionnats, les survivants témoignent de l’importance de leur culture initiale, dont ils s’inspirent dans leur existence post-traumatique. L’approche holistique prônée et qui vise à guérir le corps, la pensée, le coeur et l’esprit est, cela dit, d’abord le fruit d’une réconciliation personnelle qui consiste à reconquérir sa propre identité. D’un point de vue collectif, les stratégies diffèrent d’une communauté à l’autre : certaines ont recours à des praticiens extérieurs ou à des rites chrétiens ; d’autres font appel à des pratiques traditionnelles de guérison, dont l’utilisation de la tente tremblante, les sueries, le calumet sacré, les tambours et les chants. Les centres de guérison dont il est fait mention dans l’ouvrage, comme ceux de Muskrat Dam ou Hollow Water au Manitoba, constituent des réussites encore trop rares.

Si la réconciliation vise essentiellement le rétablissement de relations, le développement de la confiance, elle ne peut se résoudre à coups de dollars versés et d’indemnisations, au risque de n’être qu’un palliatif de plus et de gâcher les efforts entrepris. En réponse à l’aspect un peu trop utopique de certains passages, les auteurs Brian Ryce et Anna Snyder, inspirés par les propos de John Paul Lederach (spécialiste des processus de pacification entre les États et les populations), font remarquer que la véritable réconciliation est un jeu de prudence qui, dans le cadre d’un tel chantier, consiste justement à ne pas pardonner et à ne pas oublier pour envisager, cette fois-ci, des changements en profondeur (p. 54).