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Le 24 septembre 2009, un article du journal La Presse rapportait qu’un projet d’exploitation d’une mine de niobium dans la région d’Oka inquiétait les Mohawks de Kanesatake en raison des déchets radioactifs qui seraient produits par cette exploitation minière et de l’impact environnemental éventuel sur le réseau hydrographique et le potentiel agricole de la région. L’article relevait aussi que le site convoité pour la mine était situé sur des terres revendiquées par les Mohawks de Kanesatake (Presse canadienne 2009). À la lumière des récents jugements de la Cour suprême du Canada (CSC) et de la Cour supérieure du Québec concernant l’obligation de consultation et d’accommodement des peuples autochtones dans le cadre de projets d’exploitation des ressources naturelles sur les terres qu’ils revendiquent, nous visons à identifier la nature des obligations de consultation et d’accommodement du gouvernement du Québec envers la nation mohawk de Kanesatake dans le cas du projet de mine de niobium sur les terres revendiquées par celle-ci.

Nous donnerons d’abord un aperçu du contexte historique des revendications territoriales des Mohawks de Kanesatake. Puis, nous verrons sommairement en quoi consiste le projet de mine de niobium de la compagnie Niocan dans la région d’Oka, sur les terres revendiquées par les Mohawks de Kanesatake. En troisième lieu, nous relèverons quelques éléments importants qui caractérisent le mouvement de protestation de la nation mohawk de Kanesatake contre le projet Niocan et les recours intentés en justice pour contrer ce projet. Finalement, nous analyserons les jugements des tribunaux pertinents qui permettent de donner l’heure juste sur les derniers développements juridiques en matière d’obligation du gouvernement de consulter et d’accommoder des peuples autochtones. Avec tous ces éléments rassemblés, nous tenterons d’amorcer l’analyse de la nature des obligations du gouvernement de consulter et d’accommoder la nation mohawk de Kanesatake dans le cadre spécifique du projet de développement de la mine de niobium sur les terres revendiquées par celle-ci.

Contexte historique des revendications territoriales des Mohawks de Kanesatake

La nation mohawk, qui compte plus de 16 200 membres, est la plus populeuse des nations autochtones du Québec (SAA, s.d.). La Première Nation de Kanesatake est une nation autochtone composée des Mohawks de Kanesatake, lesquels sont membres de la bande de Kanesatake, une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Kanesatake, qui compte une population d’environ 2000 personnes, est située à Oka, sur la rive nord du lac des Deux Montagnes, à 53 kilomètres à l’ouest de Montréal (AINC, s.d.). Le territoire de Kanesatake ne constitue pas une réserve au sens de la Loi sur les Indiens. Il s’agit plutôt de terres fédérales réservées pour les Indiens selon l’article 91 (24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (Trudel 2001 : 102).

Le litige territorial de Kanesatake dure depuis près de trois siècles. La situation foncière particulière des Mohawks de Kanesatake remonte à la concession, par le roi de France, de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes [ci-après « la seigneurie »] à l’Ordre des Sulpiciens en 1717. Les Sulpiciens devaient y établir une mission pour servir et protéger la population autochtone de la région. Selon l’historien Gilles Boileau, les ancêtres des Mohawks de Kanesatake qui se sont établis dans la mission créée en 1721 étaient convaincus que ces terres leur appartenaient. Ils y retrouvaient « une terre occupée jadis par de nombreux groupes d’Iroquois » (Boileau 1991). Un site archéologique a d’ailleurs été découvert dans les années 1930 à Oka, à proximité de l’emplacement originel de la mission du Lac-des-Deux-Montagnes. Les fouilles ont permis de constater la présence d’autochtones à Kanesatake bien des siècles avant l’arrivée des colons français. Il a aussi été établi que les Mohawks y étaient en 1721, lorsque les Sulpiciens installèrent leur mission (ibid. : 241-247).

En 1735, le territoire de la seigneurie fut augmenté par une deuxième concession accordée en vue de donner aux autochtones une plus grande assise territoriale. Dans les deux cas, la terre concédée aux Sulpiciens devait être utilisée au bénéfice des autochtones et devait être retournée à la Couronne si ceux-ci quittaient la mission.

Dès 1763, les dossiers d’archives font état de fréquents désaccords entre les Sulpiciens et les Mohawks à propos de la propriété des terres de la seigneurie. Les Mohawks ont toujours considéré que ces terres leur appartenaient, avant, pendant et après ces concessions. Au fil des ans, les Sulpiciens ont peu à peu vendu des terres, y compris la pinède communautaire où s’est déroulé l’affrontement communément appelé « crise d’Oka » en 1990 (Hurley 2001 ; Canada 1996 ; voir aussi Boileau 1991).

Les Mohawks de Kanesatake ont tenté de résister à la dépossession graduelle de leurs terres et ont cherché à régler le litige territorial de différentes façons : par leurs pétitions à Lord Elgin en 1848 et 1851 de même qu’au gouverneur général du Canada en 1868 et 1870, par leur visite au roi d’Angleterre en 1909 et dans un recours porté devant le Conseil privé à Londres en 1912. Le gouvernement fédéral a considéré comme définitive la décision rendue en 1912 par le Comité judiciaire du Conseil privé, qui concluait que les Mohawks avaient le droit d’occuper et d’utiliser la terre de la seigneurie jusqu’à ce que les Sulpiciens exercent leur droit de la vendre (Canada 1996). Le Comité judiciaire ne s’est cependant pas prononcé sur l’obligation des Sulpiciens à l’égard des autochtones.

En 1945, le gouvernement fédéral acheta aux Sulpiciens les terres que les Mohawks occupaient encore, c’est-à-dire environ le centième du territoire original de la seigneurie (ibid.). Comme les Mohawks n’ont pas été consultés à propos de cette entente, ils n’ont jamais considéré qu’elle réglait définitivement leurs revendications. Les terres visées par la transaction de 1945 étaient constituées d’une série de parcelles sur le territoire d’Oka, séparées les unes des autres par des lots privés. Les acquisitions ultérieures par le gouvernement fédéral dans les années 60 et au début des années 80 ne firent qu’ajouter à cette mosaïque. Le fait que les propriétés des Mohawks n’étaient pas contiguës empêchait la création d’une réserve au sens de la Loi sur les Indiens et posait des problèmes d’ordre pratique en ce qui a trait à l’utilisation des terres et aux décisions de gestion par les collectivités mohawks et les non-autochtones, ainsi qu’à la coordination des politiques entre les deux groupes (Hurley 2001).

En 1974, le gouvernement du Canada s’est doté d’un processus de règlement des revendications territoriales et a créé le Bureau des revendications des Autochtones (BRA) au sein du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC). Le gouvernement reconnaissait désormais deux types de revendications territoriales : les revendications globales et les revendications particulières. À ce moment, le BRA avait cependant un double rôle, qui était à la fois d’étudier les revendications autochtones découlant de l’omission du gouvernement d’honorer ses obligations juridiques et de représenter le gouvernement dans les négociations avec ceux-ci (Butt et Hurley 2006). La politique de règlement des revendications territoriales, qui n’avait pas été le fruit de consultations et de négociations avec les autochtones, comportait des éléments inacceptables pour les organisations autochtones, particulièrement en ce qui concerne les critères d’acceptation des revendications pour fins de négociation. Par exemple, selon la politique relative aux revendications territoriales globales, il fallait démontrer que la revendication émanait d’un groupe organisé ayant occupé le territoire en question de manière exclusive et continue depuis des temps immémoriaux, c’est-à-dire avant le contact avec les Européens, jusqu’à aujourd’hui. Il fallait aussi démontrer que les requérants étaient les descendants légitimes des premiers occupants et qu’ils les représentaient (Miller 2004 : 156-157). Ces critères étaient défavorables aux Mohawks de Kanesatake puisque ceux-ci n’ont pas été le seul peuple autochtone à résider sur la seigneurie. En effet, les historiens rapportent que parmi les sept cents autochtones qui habitaient sur la seigneurie en 1743, bien que la plupart fussent des Iroquois et des Hurons, il y avait aussi des Algonquins et des Nipissings (ibid. : 143).

C’est donc dans ce contexte que la revendication territoriale globale déposée conjointement en 1975 par les Mohawks de Kanesatake, de Kahnawake et d’Akwesasne et alléguant leur possession d’un titre ancestral sur les terres de la seigneurie fut refusée quelques mois plus tard au motif que les Mohawks n’avaient pas possédé ces terres de façon continue depuis des temps immémoriaux et que leur titre autochtone, s’il avait déjà existé, était désormais éteint (Hurley 2001). Selon J.R. Miller, les Mohawks ont été pris malgré eux dans une procédure de revendication territoriale globale qui avait été créée unilatéralement et opérée largement par le gouvernement du Canada. Étant donné qu’historiquement les diverses instances (religieuse, gouvernementale, juridique) qui ont voulu contrôler les Mohawks ont toujours agi de manière paternaliste, Miller soutient qu’il n’est pas étonnant que la revendication territoriale de ceux-ci ait été refusée en 1975 (Miller 2004 : 160).

En 1977, les Mohawks de Kanesatake ont déposé une revendication territoriale particulière, qui a été, elle aussi, rejetée, en 1986, parce qu’elle ne répondait pas aux critères établis en 1982 pour ce genre de revendication (ibid.). En effet, le gouvernement canadien a publié en 1982 une nouvelle politique sur les revendications des autochtones qui « obligeait les requérants à prouver l’existence de l’une des quatre “obligations légales” en souffrance : non-respect d’un traité ou d’un accord ; manquement à une obligation découlant de la Loi sur les Indiens ou d’une autre loi relative aux Indiens ; manquement à une obligation découlant de l’administration des fonds ou d’autres biens appartenant aux Indiens ; aliénation illégale de terres indiennes » (ibid.). Selon le gouvernement, aucune obligation légale de sa part n’a été démontrée par les Mohawks de Kanesatake dans le cadre de cette revendication. Ayant toutefois reconnu l’existence de la base historique des revendications des Mohawks de Kanesatake liées aux concessions territoriales datant du xviiie siècle, le gouvernement se disait disposé à considérer d’autres moyens pour répondre aux griefs des Mohawks de Kanesatake (ibid. : 161). Bien qu’il ait soutenu que les Mohawks de Kanesatake ne détenaient aucun droit de propriété à l’extérieur des terres que le fédéral avait achetées et qu’il leur destinait, le gouvernement canadien s’est tout de même engagé à se porter acquéreur d’autres parcelles afin de fournir un territoire uni aux Mohawks (Hurley 2001).

La politique de 1982 fut dénoncée par les premières nations, en raison du conflit d’intérêts apparent qui perdurait étant donné que le gouvernement continuait d’être partie à la procédure de règlement des revendications. Enfin, ce n’est qu’avec la crise d’Oka de 1990 que le débat pour réformer la procédure de règlement des revendications fut relancé (Butt et Hurley 2006). Au moment où la crise d’Oka a éclaté, le gouvernement tentait de négocier une entente portant sur le regroupement et l’administration future des terres des Mohawks de Kanesatake, qui étaient toujours morcelées en parcelles de terres séparées les unes des autres (Hurley 2001). Depuis la crise d’Oka, environ deux cent cinquante propriétés et terres ont été achetées par le gouvernement fédéral en vue d’agrandir le territoire de Kanesatake. De plus, le gouvernement fédéral accepte désormais de négocier des revendications territoriales qui tirent leur origine d’avant la Confédération de 1867 (Trudel 2000). Une entente politique et territoriale provisoire entre les autorités élues de Kanesatake et le gouvernement fédéral s’est réalisée en 2000 (Trudel 2001 : 100). L’Entente concernant l’exercice de pouvoirs gouvernementaux par Kanesatake sur son assise territoriale provisoire fut signée le 21 décembre 2000 (AINC 2000). Le projet de loi S-24, qui a pour objet de mettre en oeuvre cette entente, a reçu la sanction royale le 14 juin 2001 et est ainsi devenu la Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake.

Le préambule de l’entente stipulait que « les Mohawks de Kanesatake soutiennent qu’ils ont des droits ancestraux, un titre aborigène et des droits issus de traités protégés par la Proclamation royale de 1763 sur les terres qui forment la Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes » (AINC 2000). Ce passage n’apparaît toutefois pas dans la Loi sur le gouvernement du territoire de Kanesatake. Le gouvernement fédéral ne s’est jamais prononcé sur la nature des droits des Mohawks de Kanesatake sur leurs terres, et la question des revendications territoriales de la seigneurie n’est à ce jour toujours pas réglée (Trudel 2001 : 100 ; Canada 1996).

Le 12 juin 2007, le gouvernement fédéral a mis à jour sa politique sur les revendications particulières et a publié un document intitulé La Justice, enfin : Plan d’action relatif aux revendications particulières, qui « vise à assurer l’impartialité et l’équité du processus de règlement, une transparence accrue, l’accélération du traitement des revendications et un meilleur accès à la médiation » (AINC, s.d.[b]). Un des éléments importants de ce plan d’action est la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, qui est entrée en vigueur le 16 octobre 2008. Toutefois, selon le gouvernement, les principes fondamentaux de la politique de 1982 sur les revendications particulières sont toujours les mêmes (ibid.).

Le 14 avril 2008, le gouvernement du Canada a accepté la revendication particulière du Conseil mohawk de Kanesatake concernant leur allégation de possession d’un titre ancestral sur les terres de la seigneurie (AINC 2009). Une offre de négociation a été faite au Conseil mohawk de Kanesatake le 16 octobre 2008, date de la création du Tribunal des revendications particulières du Canada. Selon le gouvernement, si le Conseil mohawk de Kanesatake accepte son offre de négociation, le processus pourrait commencer. Le 15 janvier 2009, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien Chuck Strahl a nommé un représentant fédéral en chef dans le dossier de la revendication particulière de la seigneurie du Lac-Des-Deux-Montagnes. Le représentant en chef qui aura ce rôle, Me Michel de Grandpré, a le mandat de négocier avec le Conseil mohawk de Kanesatake et d’essayer de parvenir à un accord de règlement sur leur revendication particulière sur les terres de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes (ibid.). En annonçant cette nomination, le gouvernement n’a toutefois donné aucun détail sur les motifs qui l’ont poussé à vouloir négocier avec les Mohawks de Kanesatake. La revendication territoriale du Conseil mohawk de Kanesatake est-elle devenue admissible en raison de la révision de la politique sur les revendications particulières ? L’offre de négociation du gouvernement correspond-elle aux demandes du Conseil mohawk de Kanesatake ? Ces questions demeurent pour l’instant sans réponse. Selon le rapport d’étape du gouvernement dans ce dossier, le processus de négociation est présentement inactif et toujours en attente d’une résolution du Conseil mohawk de Kanesatake acceptant de négocier (AINC, s.d.[d]).

Le projet de mine de niobium de la compagnie Niocan inc.

La compagnie Niocan planifie l’exploitation, pour une période de vingt et un ans, d’un gisement de niobium près de l’ancien site de la mine de la compagnie St. Lawrence Columbium (SLC), qui a exploité une mine à ciel ouvert de 1960 à 1976 à Oka (Niocan, s.d.). Le niobium (dont l’ancien nom était le columbium) est un métal utilisé principalement dans les alliages d’acier inoxydable, dans l’industrie aérospatiale et dans le domaine médical. L’extraction du niobium produirait des déchets radioactifs (BAPE 2002).

La mine de niobium de Niocan affecterait les terres situées dans une zone agricole sur le territoire traditionnel des Mohawks de Kanesatake. Le gisement de niobium de Niocan n’est pas sur le territoire de Kanesatake, mais est inclus dans les revendications territoriales du Conseil mohawk de Kanesatake auprès du gouvernement (Niocan 2007). En 1995, Niocan a commencé son exploration du territoire et, en 1999, la compagnie a acquis des droits de surface du ministère des Ressources naturelles du Canada (MRN). À la fin de l’an 2000, la compagnie a soumis une étude d’impact environnemental au ministère de l’Environnement afin d’obtenir un certificat d’autorisation pour procéder à l’exploitation des gisements de niobium (Conseil mohawk de Kanesatake c. Commission de protection du territoire agricole du Québec [2003]). Pour obtenir ce certificat d’autorisation, Niocan devait d’abord obtenir un permis municipal et un permis de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ). La CPTAQ a pour fonction d’assurer la protection du territoire agricole et elle doit baser sa décision d’autoriser ou de refuser l’utilisation d’un lot à d’autres fins que l’agriculture sur les effets de l’utilisation projetée sur le territoire et les activités agricoles. Le 6 mars 2001, une audience publique de la CPTAQ a eu lieu sur la demande de Niocan d’utiliser 9,4 hectares pour les infrastructures de mise en exploitation. Toujours en mars 2001, le MRN a autorisé l’utilisation du site de la compagnie SLC comme parc pour les résidus miniers. Le 2 avril 2001, le MRN a autorisé Niocan à construire son usine. Le 26 juin 2001, Niocan a reçu l’autorisation de la CPTAQ pour l’implantation des infrastructures de mise en exploitation de la mine (ibid. ; Niocan 2003 : 2). Le projet minier comporte certains aspects qui ne nécessitent pas d’autorisation de la CPTAQ. Ainsi, l’utilisation du site de l’ancienne mine de la compagnie SLC comme parc à résidus miniers n’est pas assujettie à une autorisation de la CPTAQ, mais relève plutôt du MRN, puisque ce site se trouve à l’extérieur de la zone agricole (Conseil mohawk de Kanesatake c. Commission de protection du territoire agricole du Québec [2003] : 124-125).

Aujourd’hui, Niocan doit toujours obtenir un certificat d’autorisation du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) afin de poursuivre son projet de mine à Oka. Étant donné la vive opposition de la population locale et la revendication territoriale du Conseil mohawk de Kanesatake, il n’y a aucune assurance que le MDDEP émettra ce certificat d’autorisation ou que ce certificat d’autorisation sera émis dans un avenir rapproché (Niocan 2009 : 12-13).

La compagnie Niocan prétend que ses dirigeants ont largement consulté les résidents locaux et les Mohawks. La direction de Niocan estime aussi qu’elle a apporté des réponses à toutes les craintes et préoccupations formulées par la communauté d’Oka. De plus, elle prétend que le projet de Niocan aura peu d’impacts sur l’environnement et qu’il aura même un effet bénéfique puisque l’ancien site de la mine à ciel ouvert de la compagnie SLC sera restauré (Niocan, s.d.).

Mouvement de protestation et recours en justice

La décision de la CPTAQ d’autoriser Niocan à implanter des infrastructures pour la mise en exploitation de la mine fut contestée par le Conseil mohawk de Kanesatake[1] devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) en décembre 2001 (Niocan 2002 : 2). Le Conseil mohawk de Kanesatake invoquait principalement, dans sa contestation, les craintes de répercussions sur le territoire et les activités agricoles des matières radioactives qui seront manipulées lors de l’exploitation de cette mine et les dangers de contamination de l’eau, du sol, des plantes et de l’air par ces matières radioactives (Conseil mohawk de Kanesatake c. Commission de protection du territoire agricole du Québec [2003] : 8-9).

Le 14 février 2002, le Conseil mohawk de Kanesatake a adopté une résolution visant à protéger son territoire traditionnel contre l’exploitation d’une mine de niobium qui aurait des effets néfastes sur leurs cours d’eau et sur leurs terres. Le Conseil exigeait que le projet de la compagnie Niocan fasse l’objet d’une étude environnementale complète et détaillée de la part des gouvernements provincial et fédéral (CNW Telbec 2009). Toutefois, les études réalisées à ce jour sur le projet minier et ses impacts potentiels sur l’environnement et sur la santé des habitants de la région ne sont que partielles.

Le 18 mars 2002, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a analysé le projet de Niocan et a conclu qu’aucune évaluation environnementale n’était requise en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (Canada 2007). À la suite du tollé que cette situation a soulevé auprès de la population locale, le ministre de l’Environnement du Québec de l’époque, André Boisclair, a demandé une étude du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), mais uniquement sur l’aspect de la radioactivité (ibid.). Dans son rapport d’enquête rendu à la fin de 2002, bien que le BAPE considère de façon générale que l’exploitation de la mine de Niocan aura peu d’impacts sur l’environnement et la santé publique, il émet toutefois certaines réserves, estimant qu’il faudra exiger des analyses plus poussées avant d’accepter le projet (BAPE 2002). Aux fins de son enquête, le BAPE rapporte avoir tenu deux rencontres avec les représentants du Conseil mohawk de Kanesatake et ses experts en mai et en juin 2002 (ibid. : 92). Toutefois, le mandat du BAPE dans ce dossier était restreint à réaliser une enquête et non à consulter la population ou à procéder à des audiences publiques.

Le 16 juin 2003, le TAQ rend une décision dans laquelle il constate que les émissions de radon générées par l’exploitation de la mine de niobium ne modifieront pas les possibilités d’utilisation du lot visé et des lots avoisinants à des fins d’agriculture et seront sans conséquence sur les activités agricoles de ce secteur (Conseil mohawk de Kanesatake c. Commission de protection du territoire agricole du Québec [2003] : 112-114). À la suite de cette décision favorable pour le projet, Niocan n’attendait plus que la fin du processus d’obtention des certificats d’autorisation du MDDEP pour commencer l’exploitation de la mine (Niocan, s.d.).

En mars 2005, à la demande du nouveau ministre de l’Environnement du Québec Thomas J. Mulcair, le BAPE effectua une deuxième enquête, cette fois-ci exclusivement sur l’eau. Le rapport d’enquête traita spécifiquement des effets potentiels du projet d’exploitation de la mine et de l’usine de niobium sur les eaux de surface et sur les eaux souterraines ainsi que sur leurs utilisations. Cette enquête a permis au BAPE de constater que l’emplacement du projet de mine faisait l’objet de revendications territoriales, qu’une large partie de la population locale était très préoccupée par le projet minier et s’y opposait et « que plusieurs groupes environnementaux et associations de citoyens n’[avaient] pas participé aux travaux de la commission en raison de la portée limitée du mandat d’enquête qui lui a été confié » (BAPE 2005 ; BAPE, s.d).

L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones

Les arrêts Haïda et Taku River

En 2004, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu deux décisions dans les affaires Haïda (Nation Haïda c. C.-B. [2004]) et Taku River (Taku River c. C.-B. [2004]), dans lesquelles elle devait déterminer si la Couronne avait une obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones avant de prendre une décision qui pourrait avoir un effet préjudiciable sur leurs revendications non encore prouvées de droits et de titres ancestraux. Dans ces arrêts, qui concernaient l’exploitation des ressources naturelles sur des terres revendiquées par des premières nations, la CSC détermine à la fois la source de l’obligation de consulter et d’accommoder et le moment où celle-ci prend naissance, ainsi que son étendue et son contenu. Elle précise également la nature des obligations qui incombent aux provinces et aux tiers.

La source de l’obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones et de tenir compte de leurs intérêts vient du principe de l’honneur de la Couronne. En vertu de ce principe historique, la Couronne doit agir honorablement dans tous ses rapports avec les peuples autochtones afin de concilier sa souveraineté avec la préexistence de leurs sociétés sur le territoire avant l’arrivée des Européens (Nation Haïda c. C.-B. [2004] : 16-17). Les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones, même lorsqu’ils n’ont pas encore été prouvés, sont protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans un esprit de réconciliation et en vertu des obligations qui découlent de l’honneur de la Couronne, la CSC a établi que ces droits doivent être déterminés, reconnus et respectés (ibid. : 19). Ainsi, « [t]ant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones » (ibid. : 18).

Le moment où l’obligation de consulter et d’accommoder prend naissance est « lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci » (ibid. : 24). La connaissance d’une revendication crédible mais non encore établie suffit à faire naître l’obligation de consulter et d’accommoder, bien que celle-ci puisse varier selon les circonstances tout en demeurant compatible avec l’honneur de la Couronne (ibid. : 24-26). Dans l’arrêt Taku River, la CSC affirme « qu’il n’est pas nécessaire qu’un groupe autochtone soit admis à participer au processus de négociation de traités pour que la Couronne ait l’obligation de le consulter » (Taku River c. C.-B. [2004] : 21). Même si l’existence potentielle de droits ancestraux ou d’un titre ancestral, ainsi que les éventuels préjudices, devront clairement être exposées par la nation autochtone concernée, « l’obligation de la Couronne de consulter naît non seulement lorsque la Couronne a connaissance de la revendication, mais aussi lorsqu’elle aurait dû en avoir connaissance » (Boivin et Green 2005 : 85). La CSC clarifie également dans l’arrêt Taku River que

on s’attend à ce que, à chacune des étapes (permis, licences et autres autorisations) ainsi que lors de l’élaboration d’une stratégie d’utilisation des terres, la Couronne continue de s’acquitter honorablement de son obligation de consulter [la nation autochtone intéressée] et, s’il y a lieu, de trouver des accommodements aux préoccupations de cette dernière.

Taku River c. C.-B. [2004] : 4

L’étendue et le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder varient selon les circonstances. La nature de cette obligation « dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre » (Nation Haïda c. C.-B. [2004] : 26). L’obligation de consulter existe dans un continuum qui peut aller de la simple obligation d’informer et de discuter avec les autochtones jusqu’à l’obligation d’obtenir le consentement du peuple autochtone concerné. Lorsque la revendication repose sur une preuve qui semble solide, que le droit et l’atteinte potentielle sont très importants pour les autochtones et que le risque de préjudice non indemnisable est élevé, la consultation approfondie peut être nécessaire afin de trouver une solution provisoire acceptable (ibid. : 28). Lorsqu’il y a consultation, « celle-ci doit être menée de bonne foi, dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu » (ibid. : 26). Il n’y a pas d’obligation de parvenir à une entente, mais bien de réaliser un véritable processus de consultation (ibid. : 27). L’obligation d’accommoder est le fruit des consultations, mais ne constitue pas pour autant un droit de veto pour les peuples autochtones (ibid. ; Boivin et Green 2005 : 86). Elle apparaît lorsque les consultations menées de bonne foi font ressortir que la politique de la Couronne doit être modifiée, par exemple pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences subies par les peuples autochtones jusqu’à ce qu’il y ait un règlement définitif de leurs revendications (Nation Haïda c. C.-B. [2004] : 30). Les peuples autochtones doivent eux aussi faire preuve de bonne foi en ne faisant pas échouer délibérément les efforts de la Couronne et en ne tenant pas de position déraisonnable visant à bloquer les décisions gouvernementales (Boivin et Green 2005 : 85). Le but de ce processus est avant tout de chercher à établir un équilibre entre les intérêts des autochtones et ceux de la société (ibid. : 86).

Selon la CSC dans l’arrêt Haïda, en vertu du principe de l’honneur de la Couronne, celle-ci est la seule responsable légalement des conséquences de ses actes et de ses rapports avec des tiers qui ont une incidence sur des intérêts autochtones. Toutefois, « [e]lle peut déléguer certains aspects procéduraux de la consultation à des acteurs industriels qui proposent des activités d’exploitation ; cela n’est pas rare en matière d’évaluations environnementales » (Nation Haïda c. C.-B. [2004] : 33). Mais, en vertu du principe de l’honneur de la Couronne, c’est la Couronne qui a la responsabilité juridique de consulter et d’accommoder et non les tiers, qui ne peuvent être tenus responsables d’avoir omis de consulter ou d’accommoder les peuples autochtones (ibid.). En légiférant sur le sujet, la Couronne pourrait cependant obliger les tiers à participer aux consultations et à respecter les conditions qui en découlent (Boivin et Green 2005 : 86).

Dans l’arrêt Haïda, la CSC affirme que les provinces ont aussi l’obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones. En fait, la CSC explique que les pouvoirs que les provinces ont acquis sur leurs terres lors de l’union des colonies britanniques demeurent subordonnés à l’obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones, qui découle de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne sur le territoire avant l’union (Nation Haïda c. C.-B. [2004] : 34). Le gouvernement fédéral et les provinces ont donc l’obligation légale de consulter et, si nécessaire, d’accommoder les peuples autochtones (Boivin et Green 2005).

Dans l’arrêt Taku River, il fut démontré que la Couronne avait l’obligation de consulter la Première nation tlingit de Taku River (PNTTR). La province était au courant des revendications en raison de la participation de la PNTTR au processus de négociation de traités, et elle savait que la décision de rouvrir la mine Tulsequah Chief pouvait avoir un effet préjudiciable sur le fond des revendications de la PNTTR (Taku River c. C.-B. [2004]). Par contre, dans cet arrêt, la CSC a considéré que la PNTTR avait joué un rôle suffisant dans l’évaluation environnementale pour qu’il soit possible de conclure que la province s’était comportée honorablement et qu’elle s’était acquittée de son obligation, même si les parties n’étaient pas arrivées à une entente (ibid.).

Les arrêts Haïda et Taku River démontrent que la transgression de l’obligation de consulter les peuples autochtones peut entraîner la nullité des permis d’utilisation du territoire ou de prélèvement des ressources qu’une entreprise privée aurait obtenus du gouvernement. D’ailleurs, lorsque ces jugements ont été rendus, les peuples autochtones s’attendaient à ce qu’il y ait des répercussions juridiques directes pour les administrations fédérale et provinciale (Boivin et Green 2005 : 86). Selon le Chef du Conseil des Innus de Pessamit, l’obligation constitutionnelle de consulter et d’accommoder qui a été confirmée dans les arrêts Haïda et Taku River pourrait mener à une forme de cogestion du territoire entre les gouvernements et les premières nations ainsi qu’à l’élaboration de normes plus sévères en matière de protection de l’environnement et de développement des ressources naturelles (Pessamit 2006 : 1-2).

En développant la notion juridique de l’honneur de la Couronne dans les arrêts Haïda et Taku River, la CSC a confirmé que l’obligation de fiduciaire du gouvernement, qui consiste à protéger les droits des peuples autochtones reconnus de manière formelle, pouvait aller plus loin et protéger également les droits ancestraux potentiels. Dans les arrêts Haïda et Taku River, la CSC a donc clairement confirmé l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder les premières nations avant de délivrer des permis visant l’exploitation des ressources naturelles sur des terres où elle a connaissance de l’existence potentielle d’un titre ou de droits ancestraux, afin de protéger les intérêts des peuples autochtones jusqu’à ce qu’il y ait un règlement de leurs revendications (ibid. : 15).

Le jugement Grenier de la Cour supérieure du Québec

En 2005, le Conseil des Innus de Pessamit s’est adressé à la Cour supérieure du Québec (CSQ) pour faire arrêter les récoltes de bois dans la forêt de l’Île-René-Levasseur qui avaient été autorisées dans le cadre de contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) octroyés à la compagnie Kruger inc. par le gouvernement du Québec. Dans son jugement, la juge Danielle Grenier a tenu compte des droits ancestraux des Innus sur leurs terres, même si ces droits n’avaient pas encore été définis et reconnus formellement (Trudel 2005 : 91-92). La juge a reconnu le caractère potentiel du titre ancestral des Innus en affirmant que, dans cette affaire, « compte tenu de la solidité de la preuve étayant l’existence de droits ancestraux et d’un titre, l’honneur de la Couronne commandait des mesures d’accommodement substantielles » (Première nation de Betsiamites c. Canada [2005]). La juge Grenier s’est inspirée des arrêts Haïda et Taku River pour émettre son jugement, en rappelant par exemple que « [d]ans l’arrêt Haïda, la juge McLachlin souligne que s’il ressort des consultations que des modifications à la politique de la Couronne s’imposent, il faut alors passer à l’étape de l’accommodement » (ibid.).

Enfin, la juge Grenier se demande dans ce jugement « [c]omment le gouvernement québécois peut […] sérieusement plaider qu’il ne connaissait pas l’existence potentielle d’un droit ou titre ancestral qui, à la lumière des nombreux écrits versés au dossier, dépasse largement en nature et en étendue ce que ce gouvernement a admis reconnaître […] » (ibid.). La juge Grenier relève aussi que la « documentation indique que le gouvernement québécois était engagé dans un processus qui allait le mener à la reconnaissance de l’existence de droits ancestraux […] » (ibid.). Dans ce jugement, le tribunal déclare que

le Procureur général du Québec a violé son obligation constitutionnelle de consulter au préalable les Innus de Betsiamites et de les accommoder en regard de leurs droits ancestraux et de leur titre indien revendiqués avant que les CAAFs P-2 ne soient octroyés ou renouvelés, ou que toute autre forme d’autorisation de coupe forestière ou d’aménagement forestier ne soit consentie à Kruger inc. sur [les terres qu’ils revendiquent].

La juge Grenier ordonne également à la compagnie Kruger inc. « de cesser immédiatement toute coupe forestière ou autres travaux forestiers accessoires sur l’île René-Levasseur ainsi que toute forme d’aménagement forestier » (ibid.). Le jugement de la juge Danielle Grenier du 17 juin 2005 a été infirmé par la Cour d’appel du Québec le 28 avril 2006. Toutefois, les juges de la Cour d’appel ne se sont pas prononcés sur l’obligation de consultation en tant que telle, mais seulement sur la requête pour ordonnance de sauvegarde contre la compagnie Kruger inc., qu’ils ont jugée non nécessaire, même dans l’éventualité où il y avait obligation des gouvernements fédéral et provincial de consulter la Première Nation de Betsiamites (Kruger inc. c. Première Nation de Betsiamites [2006]).

Le Protocole de consultation des Premières Nations

L’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador (IDDPNQL) a élaboré un Protocole de consultation des Premières Nations du Québec et du Labrador. Ce document vise à outiller les communautés pour qu’elles puissent mieux répondre aux nombreuses demandes de consultation qui proviennent de différents ministères et de particuliers ou lorsque celles-ci exigent d’être consultées. Ce document, sans être un document juridique, permet de mieux comprendre le point de vue des premières nations sur la consultation. Il établit « une démarche étape par étape montrant comment le processus de consultation et d’accommodement devrait se dérouler » (IDDPNQL, s.d. : 4). On y apprend qu’aux yeux des premières nations, le simple fait de respecter les mécanismes généraux de consultation, comme les régimes d’évaluation environnementale, aux niveaux provincial et fédéral, ne suffit pas, dans la plupart des cas, à libérer les gouvernements fédéral et provincial de leur obligation de les consulter et de les accommoder (ibid. : 5). Bref, le protocole, adopté par l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) le 18 juin 2003 et révisé en 2005 à la suite des jugements Haïda et Taku River, établit, pour les premières nations, « la norme minimale adéquate pour un processus valide » de consultation (ibid. : 9). L’IDDPNQL constate que les communautés « sentent que les gouvernements qui initient [des] consultations et les promoteurs intéressés au développement des ressources ne les écoutent pas, les manipulent et les comprennent mal » (ibid. : 8). Il est aussi relevé que « les consultations sont imposées avec des échéanciers trop rigides, le matériel de consultation ayant été élaboré sans la participation active des Premières Nations » (ibid.). Cette situation fait que « plusieurs Premières Nations se sentent bousculées par l’empressement de divers ministères, entreprises et groupes qui veulent les consulter pour obtenir leur consentement et conclure des ententes » (ibid.).

Chose certaine, le rapport de force inégal entre l’État et les peuples autochtones au Canada marque profondément leurs rapports politiques tout comme les actions en justice. Cette inégalité se manifeste de différentes façons. L’IDDPNQL relève dans son Protocole que les peuples autochtones n’ont pas les ressources nécessaires pour répondre adéquatement à toutes les demandes de consultation qui leur sont faites. Toutefois, « le fait que la Première Nation ne réponde pas à une demande de consultation est erronément interprété comme un renoncement à ses droits ou comme un consentement à l’action envisagée par les gouvernements fédéral et provincial » (ibid.). Les peuples autochtones se retrouvent aussi en position d’infériorité par rapport au gouvernement en ce qui concerne l’accès à l’information, à l’expertise et aux ressources. Le manque de ressources financières et humaines pour analyser et répondre aux demandes de consultation représente un obstacle majeur à la réalisation de consultations et d’accommodements qui soient valides et significatifs (ibid. : 9).

Des changements bien timides ont été apportés aux politiques des gouvernements à la suite de jugements rendus par les tribunaux en faveur des autochtones. La façon arbitraire que les gouvernements ont de donner suite aux arrêts de la CSC est évidemment mal perçue par les peuples autochtones. Le Québec s’est doté en 2006 d’une politique de consultation des peuples autochtones sous forme de Guide intérimaire en matière de consultation des peuples autochtones (Québec 2008), mais pour l’APNQL ce guide « n’est pas une réponse adéquate » au Protocole de consultation dont se sont dotées les premières nations (APNQL 2007 : 3).

L’obligation du gouvernement de consulter les Mohawks de Kanesatake dans le cadre du projet de mine de niobium à Oka

Lorsqu’on analyse les événements entourant le projet de mine de niobium à Oka, il est possible de faire des liens avec les arrêts Haïda et Taku River de la CSC et avec le jugement Grenier de la CSQ. En tenant compte des preuves historiques concernant le fait que les Mohawks de Kanesatake revendiquent les terres de la seigneurie depuis de nombreuses années, les gouvernements du Québec et du Canada ne peuvent prétendre qu’ils ne sont pas au courant de ces revendications. Les Mohawks de Kanesatake ont intenté des recours dès le milieu du xixe siècle, donc bien avant que le gouvernement du Québec octroie le premier permis à la compagnie Niocan pour son projet de mine de niobium à Oka. De plus, la nomination par le ministre Strahl d’un représentant fédéral en chef pour négocier avec le Conseil mohawk de Kanesatake au sujet de leur revendication particulière sur les terres de la seigneurie confirme le fait que le gouvernement est au courant des revendications des Mohawks sur ce territoire.

En se référant à ce qui a été affirmé dans les arrêts Haïda et Taku River et dans le jugement Grenier, le gouvernement du Québec avait probablement l’obligation de consulter la nation mohawk de Kanesatake avant de délivrer tout permis à la compagnie Niocan dans le cadre de son projet d’exploitation minière à Oka.

Dans Taku River, la CSC stipule que « la province s’[était] acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement en engageant le processus prévu à l’Environnmental Assessment Act [étant donné que] la PNTTR faisait partie du comité d’examen du projet et [qu’]elle a participé à part entière à l’examen environnemental » (Taku River c. C.-B. [2004] : 4). La situation est différente dans le cas du projet minier à Oka, puisque le Conseil mohawk de Kanesatake demande toujours une étude environnementale indépendante sur les impacts du projet. De plus, les mandats d’enquête du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ne se sont restreints qu’à des études partielles concernant la radioactivité et les impacts du projet minier sur la ressource en eau. Étant donné ces circonstances, un tribunal pourrait-il considérer que les Mohawks de Kanesatake ont participé « à part entière à l’examen environnemental » ?

Comme il a été indiqué plus haut, la compagnie Niocan n’attend plus qu’un dernier certificat d’autorisation du MDDEP pour aller de l’avant avec son projet de mine de niobium à Oka. Si l’on peut démontrer que la preuve du titre ancestral potentiel des Mohawks de Kanesatake sur les terres de la seigneurie est solide, que le préjudice causé par l’exploitation de la mine est important et que la participation du Conseil mohawk de Kanesatake aux enquêtes du BAPE n’était pas suffisante pour acquitter le gouvernement de son obligation de consultation, le droit en vigueur exige que le gouvernement consulte et accommode les Mohawks de Kanesatake avant que le MDDEP puisse octroyer le dernier certificat d’autorisation à Niocan.

Conclusion

Les Mohawks de Kanesatake revendiquent depuis plusieurs années un titre ancestral sur les terres convoitées par la compagnie Niocan pour y exploiter une mine de niobium. Bien que les droits ancestraux des Mohawks de Kanesatake et leur titre ancestral sur l’ancienne seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes n’aient pas encore été prouvés devant les tribunaux ou reconnus dans le cadre d’un règlement des revendications territoriales, les faits historiques, de même que la proposition de négociation du gouvernement au Conseil mohawk de Kanesatake en 2008 et la nomination d’un représentant fédéral pour mener cette négociation en 2009, sont des éléments qui démontrent que le gouvernement connaissait l’existence potentielle du titre ancestral des Mohawks de Kanesatake sur les terres qu’ils revendiquent, et ce, bien avant l’octroi du premier permis à la compagnie Niocan. Toutefois, les obligations de consultation du gouvernement dans le cadre d’un projet comme celui de Niocan n’ont été clarifiées par les tribunaux que depuis 2004. Ainsi, on pourrait affirmer qu’au moins depuis 2004, le gouvernement est en mesure de connaître la nature de son obligation de consulter et d’accommoder les Mohawks de Kanesatake dans le cadre du projet minier de Niocan.

Étant donné les risques considérables rattachés à l’exploitation d’un minerai tel que le niobium, qui produit des déchets radioactifs, le projet minier de Niocan pourrait avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux et le titre ancestral potentiel des Mohawks de Kanesatake sur les terres qu’ils revendiquent et éventuellement nécessiter un accommodement. C’est en effet en raison des risques que représente ce projet pour la santé et l’environnement et parce que les Mohawks de Kanesatake ont des revendications territoriales non réglées sur les terres de la seigneurie que ceux-ci se sont clairement opposés, depuis le début, au projet minier.

Tant que le processus de consultation et d’accommodement ne sera pas intégré à une loi ayant préséance sur les autres lois de la législature, il est possible que les façons de faire des gouvernements concernant leurs obligations envers les autochtones ne changeront pas en profondeur, surtout lorsque les mesures à prendre auraient des répercussions sur le développement économique. Une politique de consultation des peuples autochtones qui serait enchâssée dans la loi assurerait probablement une certaine permanence et une application plus rigoureuse de cette politique (Dionne 2005). Cela permettrait au gouvernement de respecter ses obligations relatives à la protection des titres ancestraux potentiels des peuples autochtones, à condition bien sûr que les premières nations approuvent cette politique de consultation. Une difficulté évidente vient du fait que les gouvernements et l’APNQL ne s’entendent toujours pas sur ce en quoi consiste, dans la pratique, une consultation véritable et significative.

Du côté des Mohawks de Kanesatake, bien que cette nation soit divisée sur bien des enjeux politiques, il semble qu’il existe parmi eux un consensus clair quant à la justesse des revendications territoriales à Oka. Ce consensus marqué a pu être observé dans le passé, notamment concernant l’opposition au projet d’agrandissement du terrain de golf qui fut à l’origine de la crise d’Oka (Trudel 1991 : 5). De plus, cette fois-ci, l’opposition du Conseil mohawk de Kanesatake au projet minier à Oka est appuyée par d’autres groupes de la société civile, dont l’Union des producteurs agricoles et le Comité des citoyens d’Oka.