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Alors que la région baltique et les trois États « baltes » (Estonie, Lettonie, Lituanie) font l’objet d’une intense production scientifique en anglais, l’histoire et la position internationale de ces États intéressent peu la littérature scientifique francophone. Les publications sur le sujet restent rares, ce qui rend particulièrement intéressant l’ouvrage de Matthieu Chillaud sur les politiques étrangères des pays baltes entre leur détachement de l’urss et leur intégration à l’otan et à l’ue en 2004.

Ouvrage de synthèse établi à partir de la thèse de l’auteur qui se trouve en ligne (http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/28/22/64/PDF/These_Chillaud.pdf), le livre apporte quelques éléments à notre con-naissance des faits. Il se révèle surtout utile à un lectorat francophone en complément de présentations générales ou d’études de relations internationales plus théoriques comme les ouvrages de Nathalie Blanc-Noël ou Suzanne Nies sur la « nouvelle région baltique » (en particulier Nathalie Blanc-Noël [dir.], 2002, La Baltique, une nouvelle région en Europe, L’Harmattan). Comme souvent avec les ouvrages en français sur les États baltes ou nordiques, le livre pose le problème de la place des publications francophones sur ces pays par rapport à une production scientifique anglophone riche et facile d’utilisation pour les personnes intéressées. Il faut reconnaître que les ouvrages en français ont jusqu’ici eu du mal à exister à part entière et non pas juste en complément de cette production en anglais.

Si le livre de Chillaud n’échappe pas à ce problème, l’angle choisi reste intéressant, puisque l’auteur se concentre sur une perspective balte sur l’élargissement de l’otan et de l’ue au début des années 2000. L’ouvrage aborde les stratégies spécifiques de petits États souvent considérés comme passifs mais dont les politiques étrangères apparaissent pourtant très actives. Une perspective qui sera là encore utilement remise dans le cadre de recherches sur l’élargissement et ses mécanismes (voir par exemple Robert Rauchhaus [dir.], Explaining nato Enlargment, Franck Cass 2001).

Préfacé par Alyson Bailes, l’ouvrage commence par un rapide rappel théorique sur le rôle des perceptions et de l’identité en politique étrangère. Chillaud prépare ici le terrain pour un argument faisant des discours des Baltes sur leur identité européenne et occidentale un aspect de leur politique générale de rapprochement avec l’ue et l’otan. De même, l’auteur insiste avec raison sur le rôle des représentations et sur le manque fondamental de confiance entre la Russie et les États baltes, élément déterminant des relations entre ces États.

Chillaud pose ensuite le décor des politiques étrangères baltes dans la fin des années 1990 et au début des années 2000. Ayant réussi à reconquérir leur indépendance après cinquante années passées dans le giron soviétique, les États baltes se retrouvent dans des situations relativement similaires malgré des différences que Chillaud s’applique à souligner. Placés devant certaines contraintes géographiques, les Baltes sont désireux dès le début des années 1990 de trouver des soutiens face à une Russie perçue comme une menace politique mais aussi militaire. Cette « marche vers l’Ouest » stratégique des Baltes s’accompagne d’un intense discours identitaire sur la nature européenne et occidentale des sociétés baltes. La Russie répond à cela en faisant pression contre un élargissement de l’otan aux Baltes mais accepte en revanche un élargissement de l’ue.

Présentant les efforts de ces trois pays pour intégrer l’ue et surtout l’otan malgré cette hostilité russe, Chillaud rappelle les manoeuvres de ces États visant à trouver des appuis avec en ligne de mire surtout leur intégration dans une Alliance atlantique vue comme seule garantie de sécurité valable contre la menace russe. L’auteur met en avant les aspects concrets de cette politique balte, mais aussi les aspects symboliques et la diplomatie de l’image d’États soucieux d’apparaître « européens » et dignes d’intégration dans les organisations européennes et occidentales.

Le fil rouge du livre de Chillaud est donc la recherche de soutien par des États qui se sentent isolés face à une Russie perçue comme une menace. L’intégration dans les organisations occidentales vient aussi d’un désir de reconnaissance du statut symbolique de ces États après une période soviétique vue comme une parenthèse regrettable dans leur développement historique. Cet aspect apparaît comme le plus important du livre, qui insiste sur la façon dont ces sociétés ont joué sur leur image pour se faire accepter, façonnant en même temps une identité propre basée sur le rejet du passé soviétique. Cela implique un processus commun mais aussi des différences entre ces États, l’Estonie par exemple cherchant à se faire symboliquement accepter comme un groupe « nordique », statut plus gratifiant auquel elle aspire avec des arguments culturels et linguistiques parfois à la limite du loufoque.

L’ouvrage de Chillaud a donc le mérite de donner au lecteur francophone une présentation des problèmes géopolitiques pesant sur les États baltes et des stratégies qu’ils élaborèrent dans cet environnement. La partie concernant l’adaptation des sociétés baltes à un standard européen est intéressante pour les liens qu’établit l’auteur entre société, identité et politique étrangère. Le livre reste néanmoins superficiel sur certains aspects, et on le lira en parallèle par exemple avec la série de dictionnaires historiques sur ces États (Éditions Armeline) ou le toujours excellent The Baltic Nations and Europe de Patrick Salmon et John Hiden (Longman 1992). Malgré sa perspective groupée sur les trois États baltes et les éléments qu’il présente sur la recherche par les Baltes de solidarités régionales, la réflexion sur la « construction régionale » présentée par Chillaud reste aussi moins stimulante que celle présentée par Nathalie Blanc-Noël. On lira toutefois le livre de Chillaud comme un éclaircissement utile sur les pays baltes dans les années 1990 et 2000. Une manière de se remettre en tête l’importance de cette région baltique et le test de la politique russe que constituent encore aujourd’hui les relations avec les trois États baltes alors que l’otan vient de publier en février 2010 ses plans concrets de défense dans la région.