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Introduction

Quelles sont les attributions de la traductologie littéraire dans ses relations avec la littérature comparée[1] ? Cette question délicate donne lieu à de vifs débats dans certains cercles traductologiques, notamment. L’apparition de la discipline de la traductologie étant récente (les années 1980), elle est en position de nouvel intrant qui doit jouer du coude pour légitimer son propre discours. Du point de vue des contenus et des objets visés, il est possible qu’il y ait entre les deux disciplines un conflit de juridiction, mais il est possible aussi qu’en réalité ce conflit ne soit qu’apparent, artificiel ou factice. À l’usage, les deux disciplines peuvent se révéler trop étroitement imbriquées l’une dans l’autre pour comporter des enjeux distincts. Il se peut en effet que la façon dont la traductologie se développe recoupe des questions qui se sont déjà posées à la littérature comparée et que leurs enjeux entretiennent des rapports étroits. Il se peut également que la traductologie permette de poser des questions que la littérature comparée ne souhaite pas envisager. Pour tenter d’éclairer la question, nous nous placerons du point de vue de la traductologie en examinant les déterminants traductifs source et cible du roman policier américain dans la culture/langue française à partir des années 1945. Nous analyserons quelles sont les interactions des deux champs en nous plaçant dans l’optique de leurs rapports traductifs. Ainsi, nous verrons concrètement si l’objet de la traductologie peut être spécifique.

Enjeu de la traductologie

L’enjeu de la réflexion traductologique sur la littérature concerne tout particulièrement, nous semble-t-il, la traduction en tant que pratique. Cette réflexion s’insère dans une traductologie générale dont l’objet est la traduction définie dans le moment de la pratique et non pas de façon abstraite, coupée de cette dernière. Mais convenons tout de suite que définir la pratique de la traduction ne va pas de soi et c’est même là l’un des principaux objets de la traductologie[2]. Cette formulation qui ressemble beaucoup à une lapalissade en réalité n’en est donc pas une. En tant que science humaine, la traductologie procède à la définition de son objet de connaissance et cet objet concerne la traduction, à savoir la production d’un texte (quel qu’il soit) dans une langue/culture à partir d’un texte (quel qu’il soit) dans une autre langue/culture. Une telle définition consensuelle dit peu sur ce qui détermine la traduction. On s’approche des questions traductologiques lorsqu’on cherche à savoir ce qui est dans la nature pratique de la traduction, de toute traduction, de sorte qu’on ne demandera à la traduction plus qu’elle ne peut donner. Ainsi, l’enjeu de la traductologie est de cerner ce qui est du domaine du possible et ce qui est du domaine du nécessaire ou de l’inévitable[3] en traduction. L’objet de la traductologie est la connaissance des transformations textuelles occasionnées par la production plurilingue des textes et la connaissance de ce qui est transposable en traduction, au-delà ou en deçà des transformations subies par les textes. Car, si tout n’est pas par définition transposable en traduction, la traduction permet de faire passer quelque chose d’un texte d’une langue à un autre texte d’une autre langue. Antoine Berman le réaffirme en rappelant que toute traduction est un tant soit peu ethnocentrique (1984) et Henri Meschonnic (1973, p. 308), en envisageant la traduction comme un décentrement. Cependant la traduction remplit son rôle lorsque, toute décentrée qu’elle est, elle permet une forme d’universalisation (certes conflictuelle) des points de vue. Le décentrement en traduction est cependant si radical que son statut est celui d’un impensé de la traduction. Sur quoi repose-t-il ? Il est possible de le décrire comme une déshistoricisation/réhistoricisation (Gouanvic, 2007, pp. 23-24). Tout texte traduit est par nature déshistoricisé par rapport au texte primaire, puis réhistoricisé dans la langue/culture d’accueil. C’est pourquoi, entre parenthèses, une éthique de la traduction ne peut se penser ni avec le texte source, ni avec le texte cible en vue, mais dans un effort de co-penser les deux instances.

Le champ source : les pulps américains

Nous allons le voir sur un exemple, en analysant les relations entre le champ du roman policier américain et sa traduction dans le champ du roman policier français. Les romans publiés à partir de 1945 dans la Série Noire par Marcel Duhamel ont paru à partir des années 1920 aux États-Unis dans le pulp Black Mask. Les pulps[4] voient le jour en 1896 avec la décision de Frank A. Munsey de transformer son magazine pour garçons Argosy pour en faire un magazine au papier très bon marché à la suite de la récession économique grave de 1893, qui oblige les revues à baisser leurs tarifs. Le nouvel Argosy appelé All-Story Magazine aura 500 000 lecteurs en 1907. Les magazines de luxe (les slicks) subsistent grâce à la publicité (en particulier celle destinée aux femmes), alors que les pulps ne comptent que sur le contenu et les lecteurs pour prospérer. Passons rapidement, et pêle-mêle, sur la misère des villes américaines, sur les inégalités, l’industrialisation ultra-rapide, l’immigration massive, l’espérance de vie très basse (47,3 ans), les maladies endémiques (diphtérie, typhoïde, malaria). Les pulps offrent un divertissement et une évasion tout en présentant une critique sociale. En 1915 est fondé par Street and Smith le premier pulp policier, Detective Story Magazine avec la série de Nick Carter. C’est à partir de cette date que les pulps se spécialisent sur le modèle policier. L’industrialisation ultra-rapide crée pendant la Première Guerre mondiale une situation extrêmement violente. Pendant les six premiers mois de 1916, on compte 2000 grèves et lockouts. Les valeurs traditionnelles de travail et de confiance dans l’avenir ne suffisent plus. Au début des années 1920, on assiste à une courte période de prospérité. En même temps, sont appliquées les lois prohibitionnistes[5] qui contribuent à l’extension du gangstérisme. En ce qui touche les récits publiés dans les pulps, ils sont rapides, innocents et violents à la fois, puritains, héroïques et dépourvus de sexualité. Car la censure veille : en particulier, les pulps doivent, pour subsister, bénéficier du tarif postal de 2e classe et pour y avoir droit ils ne doivent pas dépasser les limites de la bienséance. C’est dans ces conditions que H.L. Mencken et George Jean Nathan fondent en 1920 Black Mask, qu’ils revendront la même année à Warner et Crowe. En octobre 1922, George W. Sutton[6] est nommé rédacteur en chef. Il publie Daly et Hammett la même année et ce sont eux qui seront à l’origine du roman policier hard-boiled. Black Mask est la plaque tournante du genre jusqu’en 1951, date de l’arrêt du pulp au numéro 340. Il aura publié quelques grands noms du roman policier noir américain, tels que Daly, Hammett, Gardner, Whitfield, McCoy, Cain et Chandler.

Les cas Hammett et Chandler

Black Mask a hérité des pulps familiaux et généraux des règles et des obligations, des valeurs et des mentalités : des règles et des obligations morales relayées, on l’a vu, par le service des postes, mais aussi depuis la fin du 19e siècle par la Parent-Teacher Association, organisme extrêmement puissant; hérité aussi des valeurs et des conceptions héroïques et des dénouements heureux, valeurs qui conviennent tout particulièrement au cinéma d’Hollywood, qui s’impose alors, notamment aux écrivains qui sont attirés par la scénarisation tels que Hammett et Chandler. Mais le roman noir crée aussi ses valeurs, l’idée d’une culpabilité diffuse généralisée que le shamus (le détective privé) est chargé de démêler. C’est le cas de Dashiell Hammett, dont nous avons montré ailleurs (Gouanvic, à paraître)[7] sur quels éléments reposait l’habitus. Prenons le cas d’un roman pour examiner comment est transposé l’habitus de Hammett dans un texte littéraire. Dans The Glass Key, Ned Beaumont découvre que son ami, le puissant agent électoral Madvig, est à l’origine du meurtre du fils du Sénateur Henry, lequel ferme les yeux parce qu’il a besoin de Madvig pour être élu. En outre, le Sénateur a promis sa fille à Madvig pour le remercier de son aide. Beaumont est devant une situation inextricable, car lui aussi profite de Madvig : il lui fournit l’argent dont il a besoin pour jouer aux courses et aux dés. Beaumont et le lecteur prennent conscience de cet imbroglio de responsabilités et de dépendances réciproques; Beaumont choisit de dénoncer Madvig et, ce faisant, il fait s’écrouler l’édifice mis en place par le Sénateur pour se faire élire.

Voici un autre exemple, celui de Raymond Chandler. Il est possible de remonter à l’habitus primaire de Chandler en examinant ses études au collège de Dulwich en banlieue de Londres où il est formé selon les règles de l’éducation classique (dont il sera fier plus tard) et de l’éthique chrétienne : acceptation loyale des règles, sens chrétien du devoir, honnêteté, franchise, altruisme. Ce seront les qualités principales de son détective Philip Marlowe[8]. Mais l’essentiel de sa personnalité a été formée à partir de sa double appartenance : américain de naissance, anglais d’éducation, américain de profession. Il a six ans aux États-Unis lorsque son père alcoolique quitte le foyer familial et sa mère doit retourner en Angleterre. À 23 ans il émigre à Los Angeles où il ne se plaît pas. Il ne se dit ni anglais, ni américain[9], comme on vient de le voir; son identité est indécise et son habitus est construit sur une distance par rapport à son milieu, distance qui est facilement repérable dans ses romans. Mais son habitus spécifique d’écrivain, il le tient d’une attitude ambivalente qui se retrouve fortement exprimée chez Philip Marlowe : d’une part, il est « romantique » et sentimental, d’autre part il est critique et intransigeant. Marlowe se détache de l’action, en est le témoin, ne porte pas de jugement, mais c’est lui qui raconte l’histoire et qui dénoue les fils de l’intrigue et des combines. Ce type de récits, on le trouve chez Dashiell Hammett, qu’il admirait et qui constituera un modèle pour Chandler en 1939 dans The Big Sleep et dans ses romans à venir.

À partir de 1945, Marcel Duhamel extraira des romans policiers américains publiés à partir de 1922 ce qu’il considère comme correspondant à la ligne éditoriale de la Série Noire. Ce faisant, il déshistoricise les récits de leur contexte social d’origine pour les réhistoriciser dans le champ du roman policier français. Ce qui passe dans et par l’opération de traduction, c’est l’histoire qui est contée, et qui est aux antipodes du roman policier traditionnel à énigme, et cette histoire est fondée sur une vision du monde où la culpabilité, comme on l’a vu, est diffuse dans la société. Seulement cette culpabilité n’est pas ressentie comme elle est ressentie dans la société source, elle n’est pas l’objet d’une critique sociale aussi puissante, une critique sociale qui porte. Si les récits sont appréciés, c’est surtout parce qu’ils sont aventureux et qu’ils ont une dimension ludique, que Duhamel accentue dans les traductions publiées dans la Série Noire, notamment par le langage argotique qu’emploient les personnages en français.

On constate en Série Noire le même phénomène qu’en science-fiction : l’innovation des Daly, Hammett, Cain, McCoy, Chandler a son pendant dans l’innovation de la science-fiction américaine, à savoir la thématisation de l’altérité pour ce qui concerne la science-fiction. En traduction façon Série Noire, la société américaine est donnée à voir sous une forme humoristique qui la mythifie tout en critiquant le capitalisme sauvage, le laissez-faire du système économique et politique, ses inégalités criantes, son règne tout-puissant de l’argent. Lorsqu’un Français s’essaie à la même époque au roman noir, cela donne Touchez pas au grisbi d’Albert Simonin. Ce récit est certes attachant, mais il est caractérisé par une langue argotique tournée vers le passé, un univers indigent où évoluent des prostituées vieillies avant l’âge, la petite pègre sans le sou qui se rencontre dans les tapis (c’est-à-dire les troquets miteux des quartiers pauvres); les caïds commandent à des amateurs et les policiers (les roussins) sont pris dans l’engrenage de l’administration. Par contre, dans le roman noir américain, les gangs évoluent dans l’opulence, ils font des casses quand ils le souhaitent pour se procurer de l’argent, ils sont organisés; les femmes sont toutes belles et rares sont les vraies prostituées de profession, les policiers et les truands passent des accords entre eux, et ces accords sont souvent financiers. Il existe un personnage essentiel au roman noir américain, le détective privé (le private eye ou shamus), alors qu’il est rare sous la plume des auteurs français. Le public français, à travers le roman noir, s’enthousiasme pour des histoires menées tambour battant, avec des personnages manichéens, même chez Hammett et Chandler, d’un côté les truands, de l’autre le détective privé au grand coeur. Et c’est la société américaine que l’on admire à travers des récits qui finissent bien pour la plupart, les méchants étant châtiés et les bons échappant aux règlements de compte. Le roman policier de Série Noire cultive l’optimisme malgré le cadre cafardeux dans lequel il a lieu.

Le champ cible : les collections françaises

Les pulps sont l’équivalent des collections françaises apparues dans le champ policier[10] naissant en 1916 chez Ferenczi (collection Le Roman Policier), en 1927 avec la collection Le Masque d’Albert Pigasse, en 1929 avec la 2e série des chefs-d’oeuvre du roman d’aventures (chez Gallimard), L’Empreinte fondée en 1932, Le Scarabée d’or en 1936 (chez Gallimard), Police-Roman chez Offenstadt en 1938, Série Noire en 1945 et Un Mystère en 1949 aux Presses de la Cité. Le phénomène des collections spécialisées est typique du champ français. Le regroupement des romans dans des collections permet une division des biens symboliques s’adressant à un public précis, à ses goûts et créant un fandom qui peut retrouver de façon immédiate les récits qui ont sa prédilection. Lorsque des éditeurs prennent position dans le genre policier en ayant des lignes éditoriales similaires, ils entrent en concurrence directe. C’est ce qui s’est déroulé avec la Série Noire et la collection Un Mystère des Presses de la Cité. Les Presses de la Cité sont fondées en 1944 par Sven Nielsen et, après des essais d’édition en roman policier, lancent en 1949 la collection Un Mystère en marchant sur les plates-bandes de Marcel Duhamel. Sans directeur attitré à ses débuts puis sous la direction de Maurice-Bernard Endrèbe, la collection a des tirages supérieurs à ceux de la Série Noire, ce qui attire les auteurs, y compris américains par l’intermédiaire de leurs agents français, et paie mieux également. Voici deux exemples qui vont montrer comment la concurrence entre Les Presses de la Cité et la Série Noire conditionne de façon déterminante la traduction dans le champ cible[11]. Premier exemple : en octobre 1955, Duhamel écrit à Claude Gallimard :

Il m’est de plus en plus difficile d’assurer de bons livres à la “Série Noire”. D’abord parce que les représentants des Presses de la Cité à New York raflent depuis quelque temps tout ce qui sort d’intéressant là-bas, en épreuves [italiques de nous]. Durant ce seul mois d’octobre, cinq ouvrages que j’avais demandés aux agents (dont deux auteurs à nous) sont allés chez eux. À mes objections, les agents français rétorquent que les Presses de la Cité paient 630 000 Francs dans l’ensemble, dont 250 000 comptant environ (tirage 30 000 ex.).

Entre parenthèses, selon toute apparence, Gallimard payait à cette époque 100 000 Francs d’avance et 6 % par la suite, ce qui est inférieur à ce que donne Les Presses de la Cité aux auteurs. Deuxième exemple : en décembre 1957 Marcel Duhamel envoie une note de service à Claude Gallimard où il exprime son inquiétude au sujet du livre de John MacPartland No Down Payment, qui selon l’agent français va être acheté par Les Presses de la Cité et « sûrement faire un succès chez eux ». Duhamel souhaite publier ce livre qui a reçu « deux excellentes notes de lecture », une « mauvaise » de Queneau et une quatrième « très moyenne » de Michel Mohrt. Il souhaite publier le livre pour les raisons suivantes : « a) une réussite commerciale probable, b) le fait que “Les Presses de la Cité” vont s’en saisir, c) non seulement de celui-là, mais très probablement de toute la production de l’auteur […] ». Ces exemples sont loin d’être les seuls : dans les notes de service et les lettres de Duhamel à Claude Gallimard, les références aux Presses de la Cité sont constantes, ce qui désigne Les Presses de la Cité comme le concurrent direct de la Série Noire.

Dans un addendum à un rapport de Marcel Duhamel à propos de la Série Noire, il écrit sans doute en 1950 :

Sait-on que pour trouver un bon livre, il faut en faire venir 20 d’Amérique, les faire lire par un minimum de 3 et parfois 4 lecteurs différents. Soit, par an, au moins mille livres avec fiches, rapports, correspondance que cela représente. Comptabilité sur tableaux à tenir à jour, renvoi des rendus, etc. Rapports avec agents et auteurs pour contrats. Choix des 20 traducteurs employés en permanence (certains mettent trois mois et plus à traduire un livre). Essais constants de nouveaux traducteurs à revoir. Rapports avec la fabrication. Exécution par mois de 5 à 6 notices biographiques et autant de résumés pour jaquettes. Révision de chaque manuscrit (15 jours de travail en moyenne par manuscrit, quand ce n’est pas un mois). Retapage après corrections, la plupart du temps, – soit 10 à 12 000 francs de frais supplémentaires. Correction des épreuves. Bons à tirer.

Cette description détaillée des tâches à accomplir vaut pour un livre publié, mais quand il y en a 14 par année à partir de 1948, puis huit nouveautés par mois à partir de 1965, le travail d’édition devient colossal. Les éditions Gallimard n’ont pas manqué de faire le reproche à Marcel Duhamel de publier des traductions de l’américain, ce qui non seulement alourdit tout le processus en mettant en branle un nombre supplémentaire de compétences en prospection, en lecture, en traduction et en vérification des résultats, mais obère considérablement la production d’un livre traduit par rapport à un livre non traduit, en augmente les coûts et oblige à en vendre plus pour maintenir la marge bénéficiaire à un niveau convenable. Marcel Duhamel, au moins jusqu’aux années 1960, avait un droit de regard sur tout livre publié et en particulier sur la qualité du texte traduit et révisé, comme l’a corroboré madame Odile Lagay (communication personnelle), secrétaire personnelle de Marcel Duhamel à l’époque.

Quoi qu’il en soit, la Série Noire a connu un succès dont on a peu d’exemples en littérature traduite[12]. Le terme même s’est implanté aux États-Unis et l’on a désigné du vocable de Noir le genre hard-boiled au cinéma. Le nouveau classement s’est imposé, de sorte que la conception de Jacques Prévert[13] et de Marcel Duhamel a tendu à prévaloir aux États-Unis comme elle s’est imposée en France.

Conclusion

On aperçoit, sur l’exemple du roman policier traduit de l’américain à partir de 1945, que les déterminants de la traduction portent autant sur le champ source que sur le champ cible, même si ces déterminants sont par nature d’un ordre différent. La littérature comparée permet-elle de poser les questions sur le passage traductif du sens – ou mieux de la signifiance – de l’oeuvre du champ source au champ cible ? Étudie-t-elle cette signifiance avec les instruments conceptuels de la traductologie ? La scotomisation traductive que l’on observe dans le contact entre cultures est liée à l’impossible importation du contexte de l’oeuvre originale sous une forme pleine et entière. En traductologie sociologique, il y a lieu d’analyser ce qui dans le champ source est à l’origine de l’oeuvre traduite, ce qui relève de l’habitus de l’auteur (comme nous l’avons esquissé pour Dashiell Hammett et Raymond Chandler) et ce qui relève de l’habitus du traducteur et de tous ceux qui collaborent à la prise de décision de traduire (cas de Marcel Duhamel, traducteur et directeur de collection, que nous avons également déjà abordé). À terme, on peut donc se demander laquelle des deux disciplines englobe l’autre, la littérature comparée ou la traductologie ? Doivent-elles subsister en parallèle ? C’est, nous semble-t-il, une position double que l’on peut assumer. Mais, d’un point de vue institutionnel, sont-elles placées sur le même plan ? À l’heure actuelle, la réponse est négative. Quant à l’avenir de l’une et de l’autre disciplines, nous ne nous ferons pas prophète, nous contentant de réaffirmer en traductologie la primauté de la pratique sociale de la traduction et la nécessité d’envisager le paradigme de la traduction dans l’analyse des contacts entre littératures.