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Prolifique, Jacques Lacoursière l’est certainement. Communicateur volubile et plein d’entrain, aussi. Il a sur le Québec des connaissances encyclopédiques qu’il nous transmet depuis bon nombre d’années maintenant. Cependant, à chaque fois que je le lis ou que je l’entends, son récit me laisse perplexe. Je me suis donc mise à la tâche de lire attentivement le dernier volume de son Histoire populaire du Québec, qui traite des années 1960-1970, pour tenter de déceler les raisons de mon manque d’enthousiasme.

Je ne comprends pas les choix qui ont été faits pour produire ce livre. Pourtant, quelle période intéressante, et quelle effervescence dans tous les domaines : social, économique, culturel et politique ! Bien sûr, la proximité dans le temps, un recul de 50 ans, rend difficile le choix des sujets à traiter, de déterminer ce qui, dans une perspective de plus longue durée, sera significatif. Par exemple, les activités du Front de libération du Québec (FLQ) font l’objet de tout un chapitre. Si les actions terroristes du FLQ avaient fait toutes les manchettes du pays, surtout lors de la « crise d’Octobre », le groupe n’a jamais réussi à obtenir l’appui de la population. Ce qui m’amène à la deuxième raison qui suscite la critique : le choix des sources. Lacoursière – et l’éditeur – puise abondamment dans les journaux qui, dit-il, « permettent de retrouver un certain climat que ne laissent pas transparaître les documents officiels » (p. 443). Or, les journaux font des choix, ils vendent de la nouvelle, et surtout de la nouvelle politique. Ainsi, Lacoursière, à son tour, retient presque exclusivement les sujets politiques. C’est probablement justifiable lorsque l’on croit que la société se construit à partir du haut.

Mais pour comprendre les gestes politiques, il faut avoir des données sociales. Par exemple, entre 1960 et 1970 la population québécoise augmente de plus de 26 %, passant de 4 à 5 millions et, selon le recensement de 1961, plus de 44 % ont 19 ans ou moins ; le taux d’urbanisation est de 74 % ; les salaires augmentent plus rapidement que le taux d’inflation et le Québec vit, depuis la fin de la Deuxième Guerre, une ère de prospérité relative, du moins jusqu’en 1968 ; etc. Ces informations indiquent que le mot qui décrit le mieux le Québec de l’époque est « jeunesse », cette jeunesse qui permet de comprendre la présence d’une contre-culture, d’une liberté sexuelle, d’un important changement de mentalité, et qui nécessite des investissements importants dans les écoles, les universités et les hôpitaux. Ensuite, l’importante augmentation de la population – due non pas à une hausse du taux de fécondité, mais au plus grand nombre de femmes qui ont des enfants, à un taux de mortalité infantile moindre et à une longévité plus importante – explique l’expansion urbaine, la création des banlieues, la nécessité d’avoir au moins une voiture par ménage, et la mise en place d’un important réseau routier métropolitain. Finalement, parce que plus prospère, il est possible de faire des études plus poussées, et ce, non plus nécessairement dans les sphères habituelles que sont les professions libérales. La nouvelle élite sera formée d’économistes, de psychologues, d’ingénieurs, de comptables, de journalistes, de professeurs et de syndicalistes. Ils seront tous des acteurs de premier plan lors de la mise en place de l’État-providence.

Heureusement que quelques chapitres, ou parties de chapitres, se présentent ainsi. Par exemple, le chapitre 5 qui porte sur les Autochtones du Québec. Ici, on présente d’abord la population amérindienne et inuite dans sa complexité, la réalité de ces peuples à partir du XVIIe siècle, leur territoire, leur mode et leur qualité de vie, avant de passer au politique, que ce soit au niveau fédéral ou provincial. Le chapitre 12, intitulé « Le Québec se laïcise », est aussi bien présenté et permet de comprendre les changements qui interviennent sur les plans religieux, familial et le nouveau rôle qu’entendent jouer les femmes dorénavant.

Jacques Lacoursière est un historien qui est beaucoup lu et souvent invité dans les médias et les diverses sociétés historiques. De toute évidence, il relate les faits du passé comme les gens veulent les entendre. Il transmet des connaissances, mais, à mon avis, il ne nous permet pas de comprendre le passé et, finalement, de nous l’approprier.