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Ce livre du géographe Éric Canobbio représente une courageuse synthèse d’un sujet complexe qui est celui de l’évolution du statut politique et de la gouvernance du Nord québécois. Le thème en effet est complexe parce qu’il s’étend sur une aire géographique et une période historique qui sont toutes les deux très vastes. La documentation utilisée est riche et diversifiée, l’écriture est dynamique et la perspective géopolitique autant qu’humaine qui structure l’ouvrage jette un regard tout à fait bienvenu sur la question arctique. Avec l’aboutissement imminent du processus de création d’un gouvernement régional au Nunavik, la parution de ce livre arrive au bon moment. Qui plus est, en contexte de changement climatique, cette région est l’objet d’une mobilisation scientifique peu commune : l’analyse des enjeux politiques qui est présentée ici ne manquera pas d’enrichir la compréhension des défis planétaires liés aux environnements polaires en mutation.

Malgré sa très haute qualité, l’ouvrage accuse certaines faiblesses. Il me semble qu’un travail d’édition plus rigoureux aurait pu être accompli afin de resserrer davantage l’écriture. Si la déclinaison des chapitres paraît procéder de façon logique, la structure se révèle quelque peu éclatée au fil de la lecture. Certains thèmes sont traités avec beaucoup d’attention alors qu’on passe rapidement sur d’autres qui auraient dû mériter une analyse plus approfondie. De même, on saisit mal la logique de la progression historique ou thématique de l’argumentaire. Aucune idée centrale ne semble s’imposer dans les différents chapitres avec le résultat que ceux-ci manquent parfois de cohérence : le fait de rassembler la discussion autour d’un noyau clairement énoncé permettrait à cet ouvrage de livrer ses idées de façon plus efficace. Finalement, certains flottements persistent dans la citation des sources. Vu la qualité de la recherche et l’importance du sujet dont elle traite, on est en droit de s’attendre à une présentation plus soigneuse.

Ce livre soulève de nombreux questionnements et, on l’espère, devrait orienter le débat sur le devenir du Nunavik pour des années à venir. Deux questions particulièrement importantes se dégagent de son contenu. En premier lieu, on pourrait dire que l’ouvrage est en quelque sorte bicéphale. Éric Canobbio traite ici à la fois de l’ambition géopolitique inuite et des enjeux auxquels est confronté le Québec face à son destin nordique. Bien sûr ces deux perspectives territoriales sont intimement reliées et l’analyse est suffisamment complexe pour que le lecteur puisse comprendre les dynamiques qui les unissent. Lorsqu’il traite de l’ambition nordique du Québec, l’auteur doit être félicité d’avoir abordé les questions de représentation et de symbolique territoriale émanant du Québec méridional. Une telle perspective culturelle est moins développée pour ce qui est du vécu et des aspirations culturelles des Inuits face à leur territoire. En effet, l’ambition politique – si on veut la concevoir comme étant unique et inspirée du vécu local – n’est-elle pas inscrite dans un devenir culturel, une territorialité propre aux Inuits ? Le livre est moins volubile sur ce point et ouvre une avenue de recherche qui a déjà été investie par Béatrice Collignon (Les Inuits : ce qu’ils savent du territoire, Paris, L’Harmattan, 1996) mais pourrait être poussée pour intégrer les dynamiques de création d’un gouvernement régional au Nunavik. Car l’analyse s’en tient surtout à la description d’un processus légal et politique sans présenter les perspectives populaires des Inuits. L’auteur lui-même souligne cette limite mais reconnaît l’importance de la parole citoyenne pour la compréhension des événements: « [L]e géographe défendra le concept simple, peut-être simpliste, qu’il ne peut y avoir de démocratie sans lecture citoyenne des territoires et de leurs évolutions politiques » (p. 296). Il est à souhaiter que cette perspective pourra un jour être exprimée, et cela dans le médium qui lui convient.

Le deuxième questionnement est celui de la nature d’exception du cas inuit en matière de statut régional. Dès la présentation du livre sur la couverture arrière, on note que « le Nunavik constitue aujourd’hui un exemple inédit de l’évolution d’un territoire canadien qui semble désormais avoir les garanties d’accéder à un statut régional unique au monde ». Cette idée est reprise à d’autres endroits dans le texte. Quoique la création d’un gouvernement régional au Nunavik soit un événement heureux et qui devrait rejaillir positivement sur d’autres processus semblables dans le monde, on est en droit de se demander en quoi ce cas est unique après la création du Nunavut, l’entente d’autogouvernance signée avec les Nisga’a en Colombie-Britannique ou les nombreux dossiers de revendications globales qui suivent présentement leur cours à Ottawa ou avec d’autres gouvernements provinciaux. Sans manquer de célébrer l’accession des Inuits du Québec à une forme de gouvernance locale mieux adaptée à leurs culture et aspirations pour le futur, on ne peut que se réjouir du fait que des processus tout aussi novateurs et porteurs d’espoir sont en cours au Québec (notamment avec les Innus), au Canada et dans d’autres sociétés au passé colonial.