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Ce livre est d’une brûlante actualité. Culture ou cultures ? Universalité ou identités ? Éducation ou formation ? En ces temps de diversités culturelles et de néolibéralisme, le rôle de l’école est questionné, orienté, voire nourri ou discrédité, c’est selon. L’auteur discute avec aplomb la problématique de la diversité culturelle qui érode, selon lui, l’idée même de l’école républicaine française laïque. Il est ici question de la nature et de la mission de l’école, vues comme des épistémès contemporaines (au sens foucaldien de phénomènes de rapport entre sciences et discours) qui semblent être érigées en doxa, en convictions, allant à l’encontre de l’idée première et fondamentale de l’école. L’auteur aborde le sujet par l’analyse de différents facteurs, souvent inter-reliés. Effectivement, l’argumentation ne peut faire l’économie des présupposés philosophiques, ethnoculturels, pédocentriques, sociologiques, entrepreneuriaux et populaires sous-jacents à l’émergence et l’appréhension de l’idée actuelle d’école et des revendications diverses dont elle est l’objet ou le vecteur. Question vaste s’il en est !

Sans trop de risque, l’ouvrage pourrait se résumer grossièrement ainsi : en centrant l’école sur l’individu, on perd de vue… l’école, qui est affaire d’État (au sens large d’agent de civilisation). Ainsi, se produit un phénomène, à terme, de dévalorisation de la culture scolaire, qui est une réalité abstraite particulière et normalement légitimée par l’idée même d’école. Avec force citations et contre-argumentations, l’auteur identifie, présente et critique divers facteurs qui, depuis en particulier l’émergence du relativisme culturel des ethnologues américains relayés par les structuralistes français et certaines épistémologies (entre autres, Marcuse, Lévi-Strauss, Feyerabend), ont amené un glissement vers une valorisation d’un rôle pragmatique de l’école de nature contraire à son rôle civilisateur de transmission de repères et de savoirs universels. L’argumentation traite aussi, çà et là, du problème souvent mésestimé du langage comme obstacle épistémologique nécessaire et propre à l’école. Le langage apparaît comme le premier moteur d’une enculturation de la rationalité, cette dernière ne pouvant émerger que dans un processus de désethnicisation de l’individu.

À travers les neufs chapitres de l’ouvrage, tous bien étayés, le lecteur prend conscience de phénomènes souvent occultés : le rôle subversif de l’école par rapport aux sociétés traditionnelles, le rappel des causes sociales de l’échec scolaire – plutôt que proprement culturelles –, le rôle prépondérant de l’appropriation de contenus, le caractère éminemment aporétique du relativisme culturel, c’est-à-dire le fait que ce dernier porte en lui des contradictions qui font que cette approche ne tient pas la route… Bien que l’ensemble soit très convaincant, on regrettera certains passages sous forme de raccourcis – quand l’auteur, par exemple, affirme plutôt rhétoriquement que le relativisme culturel aboutit à une position intenable où tout est permis : cela ne nous semble guère conforme à la réalité, qui est soumise à toutes sortes de balises. Également, que l’auteur décrive le nécessaire phénomène de la transposition didactique comme une relativisation des contenus ne nous semble pas correspondre à la réalité scientifique de la chose, mais plutôt à une certaine récupération argumentative. Cependant, loin d’être un pamphlet, cet excellent ouvrage est fidèle à son épigraphe qui stipule que l’école doit être conforme à l’Idée de l’humanité et à sa destination totale (Kant).