Corps de l’article

1. Introduction et problématique

Justine étudie sans enthousiasme en vue de son examen de mathématiques. Dans son for intérieur, elle se dit qu’elle n’a jamais été bonne dans cette matière, puisqu’elle est une fille ; elle est meilleure en français. Par conséquent, Justine n’est pas très motivée ni intéressée par les mathématiques, et elle se retrouve à rêvasser durant la préparation de son examen plutôt que de s’y investir pleinement. Le lendemain, son examen de mathématiques n’est pas un succès... Cet exemple tiré du monde scolaire (McGarty, Yzerbyt et Spears, 2002) illustre bien comment l’adhésion à des stéréotypes, qui sont des conceptions attribuées à des individus fondées sur leur appartenance à un groupe, peut affecter les attitudes et les comportements des élèves. En contexte scolaire, des stéréotypes de genre étudiés depuis les années 1970 véhiculent que les garçons, simplement parce qu’ils sont des garçons, sont plus doués que les filles en mathématiques (Fennema et Sherman, 1977 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Halpern, Benbow, Geary, Gur, Hyde et Gernsbache, 2007 ; Jacobs et Eccles, 1992 ; Schmader, Johns et Barquissau, 2004 ; Steele, 2003). Selon un autre stéréotype largement répandu dans les milieux scolaires, les filles possèdent de meilleures habiletés que les garçons en langues (Chatard, Guimond et Selimbegovic, 2007 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Plante, Théorêt et Favreau, 2009a ; Rowley, Kurtz-Costes, Mistry et Feagans, 2007). Puisque ces stéréotypes concernent spécifiquement la compétence des élèves à l’égard des mathématiques et des langues, ils sont susceptibles d’avoir des effets non négligeables sur la réussite et la persévérance scolaires des élèves.

Ainsi, le présent article vise à synthétiser les connaissances sur les stéréotypes de genre en mathématiques et en langues, afin de documenter leurs effets sur divers indicateurs de la réussite et du cheminement scolaires. Les résultats obtenus seront ensuite interprétés et discutés en regard des stéréotypes de genre dans les milieux scolaires québécois. Cette analyse devrait permettre d’éclairer notre compréhension des facteurs en jeu dans la réussite des garçons et des filles, et de réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre afin de favoriser des chances égales de succès chez les uns et les autres.

2. Contexte théorique

Afin de répondre à notre objectif général, il importe d’abord de circonscrire les stéréotypes de genre à l’égard des mathématiques et des langues, en définissant les concepts liés à ces stéréotypes. Dans un deuxième temps, nous dresserons un bref portrait de la réussite selon le genre masculin ou féminin en mathématiques et en langues, en faisant état du rendement des garçons et des filles dans ces disciplines, ainsi que de leur choix de poursuivre leurs études dans des programmes connexes.

2.1 Les stéréotypes de genre : définition et clarification des concepts

Au cours des dernières décennies, de nombreux chercheurs se sont intéressés aux stéréotypes sociaux (Allport, 1954 ; Leyens, Yzerbyt et Schadron, 1992 ; Tajfel, 1981), qui consistent en un ensemble de représentations ou d’impressions attribuées à un individu selon son appartenance à un groupe (McGarty et collab., 2002). Une conception largement répandue des stéréotypes est issue des travaux de Tajfel (1981), selon lesquels les stéréotypes prennent appui sur un processus de catégorisation. Lorsque le processus de catégorisation s’applique aux humains, on parle alors de catégorisation sociale. La catégorisation sociale mène à accentuer les différences entre les membres des différents groupes et à amplifier les ressemblances des membres appartenant à un même groupe (Fiske et Taylor, 1991). Le problème avec les stéréotypes est qu’ils consistent en des généralisations qui gomment les différences individuelles entre les personnes appartenant à un groupe, ce qui mène souvent à des interprétations erronées de la réalité (Lyons et Kashima, 2001 ; McGarty, 1999). Selon plusieurs théories, les stéréotypes favorisent également les groupes dominants en maintenant leurs avantages économiques et sociaux, contribuant ainsi à maintenir les inégalités sociales (Crocker et Quinn, 2000 ; Jacklin, 1994 ; Sidanius, 1993 ; Tajfel, 1981).

Lorsque les stéréotypes concernent des croyances à propos des garçons et des filles fondées sur leur appartenance à ce groupe, il s’agit de stéréotypes de genre. Il est toutefois à noter que l’appellation choisie pour référer à ces stéréotypes peut varier selon les auteurs. Parmi les écrits francophones à ce sujet, certains auteurs (Bouchard et St-Amant, 1996 ; Dalcourt, 1996 ; Deslandes et Lafortune, 2001) utilisent l’appellation stéréotypes sexuels ou de sexe ou stéréotypes de rôles sociaux de sexe pour évoquer des stéréotypes sociaux qui concernent les garçons et les filles, alors que d’autres (Chatard, 2004 ; Gollac et Volkoff, 2002 ; Guimond et Roussel, 2002) préfèrent l’expression stéréotypes de genre pour y référer. Dans cet article, nous avons choisi d’utiliser le qualificatif de genre. En outre, certains chercheurs (Caplan et Caplan, 2005 ; Galambos, 2004 ; Siann, Callaghan, Glissov et Lockhart, 1994), bien qu’ils soient anglophones, mentionnent que le terme stéréotype de genre est généralement employé, plutôt que de sexe ou sexuels, puisque ces derniers termes font référence aux différences biologiques entre hommes et femmes. À l’inverse, le terme genre renvoie plutôt à des différences culturelles fondées sur l’appartenance sexuelle.

Les stéréotypes de genre identifiés sont nombreux (Eagly et Wood, 1991 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Levine et Ornstein, 1983 ; Nosek, Banaji et Greenwald, 2002 ; Siann et collab., 1994). Sandra Bem (1974) a été parmi les premiers chercheurs à s’y intéresser. Elle a entrepris une vaste étude qui visait à identifier les vingt caractéristiques les plus souvent évoquées pour caractériser les garçons et les filles (Bem, 1981), qu’elle a regroupées sous l’appellation Bem Sex Role Inventory (BSRI). Parmi les caractéristiques féminines, on retrouve : affectueuse, enjouée, aimant les enfants, compatissante, féminine, douce, sensible aux besoins des autres et sympathique, alors que l’on retrouve, comme caractéristiques masculines, les attributs suivants : agit comme un leader, agressif, ambitieux, athlétique, compétitif, dominant, masculin, indépendant et prêt à prendre des risques. Par la suite, les études employant le Bem Sex Role Inventory (BSRI) pour mesurer les stéréotypes de genre se sont multipliées (Auster et Ohm, 2000 ; Holt et Ellis, 1998 ; Prentice et Carranza, 2002), et leurs résultats ont permis de constater que la majorité des stéréotypes de genre associés aux hommes et aux femmes étaient encore entretenus par des enfants du même âge, plus de vingt ans plus tard.

Parmi les stéréotypes de genre étudiés, certains concernent directement les habiletés des garçons et des filles. Ainsi, selon certains stéréotypes de genre, les garçons possèdent de meilleures capacités que les filles en mathématiques (Eccles, 1987 ; Fennema et Sherman, 1977 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Halpern et collab., 2007 ; Jacobs et Eccles, 1992 ; Schmader et collab., 2004 ; Steele, 2003), mais ces dernières sont plus douées que les garçons pour les langues (Eccles, 1987 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007). Dans ces conditions, on pourrait s’attendre à ce que la réussite et l’orientation professionnelle des garçons et des filles reflètent ces stéréotypes. Il convient donc de résumer le portrait de la réussite selon le genre, en mathématiques et en langues.

2.2 La réussite des garçons et des filles en mathématiques et en langues

De nombreux pays utilisent des épreuves standardisées afin d’évaluer le niveau de maîtrise des connaissances de leurs élèves. Ces épreuves permettent notamment de comparer le rendement des élèves selon le sexe et la matière. En mathématiques, contrairement aux stéréotypes traditionnels selon lesquels les garçons réussissent mieux que les filles, les statistiques internationales les plus récentes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), établies en 2003 par l’Organisation de coopération et de développement économiques, indiquent que le rendement des garçons et celui des filles de 15 ans ne diffèrent pas de façon significative (OCDE, 2005). De plus, les résultats de la plus récente enquête internationale du Trends in International Mathematics and Science Study (Mullis, Martin et Foy, 2008) révèlent que le rendement des garçons et celui des filles de 4e année sont similaires, alors les filles de 8e année réussissent légèrement mieux que les garçons. Au Québec, ces enquêtes révèlent que le rendement des garçons dépasse légèrement celui des filles en 4e année du primaire (Mullis et collab., 2008), tandis que le rendement des élèves ne diffère pas significativement selon le genre en 8e année (Mullis et collab., 2008) ou à 15 ans (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005). En ce qui a trait au contexte de la langue d’enseignement, le rendement des garçons et des filles est conforme aux stéréotypes qui véhiculent que les filles sont plus compétentes que les garçons en langues. En effet, les filles obtiennent généralement un rendement significativement plus élevé que les garçons, et ce, tant au Québec (Programme d’indicateurs du rendement scolaire - PIRS du Conseil des ministres du Canada, 2006) que dans la plupart des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (Kirsch, Jong, Lafontaine, McQueen, Mendelovits et Monseur, 2002 ; Organisation de coopération et de développement économiques, 2001).

Malgré de faibles différences entre les deux genres en ce qui a trait au rendement en mathématiques, les garçons demeurent toujours plus enclins que les filles à se diriger vers des disciplines scientifiques ou mathématiques, comme le génie ou les mathématiques (Foisy, Godin et Deschênes, 1999 ; Organisation de coopération et de développement économiques, 2005). De plus, toujours selon cette organisation, une telle disparité en défaveur des femmes en mathématiques et en sciences, que l’on retrouve dans la plupart des pays membres, persiste malgré la présence massive de celles-ci à l’université et malgré leur degré d’obtention d’un diplôme de niveau secondaire plus élevé que chez les garçons. Quant au rendement accru des filles dans la langue d’enseignement, il semble se refléter dans le choix de carrière des élèves. En effet, au Québec (Foisy et collab., 1999) comme sur le plan international (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005), les filles sont plus nombreuses que les garçons à entreprendre des études universitaires dans des disciplines liées aux langues, comme la littérature ou l’enseignement du français.

À la suite de ce bref portrait de la réussite scolaire dressé ici en fonction du genre, la prégnance ainsi que l’effet potentiel des stéréotypes de genre sur la réussite apparaissent incertains. En conformité avec les faibles différences de rendement des garçons et des filles en mathématiques, certains chercheurs (Jacobs, Lanza, Osgood, Eccles et Wigfield, 2002 ; Stevens, Wang, Olivarez et Hamman, 2007) sont maintenant d’avis que les élèves adhèrent moins qu’auparavant aux stéréotypes de genre favorisant les garçons en mathématiques. D’autres avancent plutôt que ces stéréotypes font toujours partie des conceptions des élèves (Halpern et collab., 2007 ; Watt, 2008), et qu’ils les incitent à effectuer des choix de carrière en lien avec les stéréotypes traditionnels favorisant les garçons en mathématiques. De son côté, le rendement accru des filles dans la langue d’enseignement semble refléter des stéréotypes qui avantagent les filles dans les langues.

Ces écrits nous amènent à nous questionner quant à l’adhésion actuelle des élèves aux stéréotypes de genre en mathématiques et en langues. En outre, plusieurs chercheurs en éducation et en sociologie se sont fondés sur les attitudes et la réussite scolaire différenciée des garçons et des filles pour déduire la présence de stéréotypes de genre, en particulier ceux qui favorisent les garçons en mathématiques et en sciences (Duru-Bellat, 2003 ; Duru-Bellat, 2004 ; Eccles, 2005 ; Gallagher et Kaufman, 2005 ; Halpern et collab., 2007 ; Jacobs et collab., 2002 ; Lafortune, Deaudelin, Doudin et Martin, 2003 ; Lafortune et Kayler, 1992 ; Mura, 1985 ; Solar et Lafortune, 1994 ; Stevens et collab., 2007 ; Watt, 2008). Cependant, ces chercheurs n’ont pas directement mesuré les stéréotypes de genre entretenus par les élèves. La mesure de ces construits relève davantage de la psychologie sociale. Par ailleurs, puisque les stéréotypes dont il est question concernent directement la compétence des garçons et des filles en mathématiques et en langues, ils sont susceptibles d’avoir des répercussions non négligeables sur la réussite et le cheminement scolaire des élèves dans ces matières scolaires. Afin de bien cerner l’état des stéréotypes de genre et leur effet sur la réussite et le parcours scolaires, nous avons ciblé les trois objectifs spécifiques suivants :

  1. dresser le portrait de l’état actuel des stéréotypes de genre en mathématiques et en langues, en distinguant les modes de mesure utilisés pour les évaluer ainsi que les résultats qui en découlent ;

  2. effectuer une synthèse des répercussions des stéréotypes de genre sur divers indicateurs liés à la réussite et au parcours scolaire des garçons et des filles ;

  3. évaluer la possibilité de généraliser les résultats aux milieux scolaires québécois.

3. Méthodologie

Afin de répondre à ces objectifs, nous avons mené une recherche documentaire à l’aide des moteurs de recherche ERIC, PsycINFO et Francis, dont nous avons retenu les documents qui comportaient au moins deux des trois mots clés suivants : stereotypes / stéréotypes ; gender / genre ; mathematics / mathématiques, ou au moins deux des trois mots clés suivants : stereotypes / stéréotypes ; gender / genre ; language / langue. En excluant la redite pour les articles repérés dans plus d’un moteur de recherche, un peu moins de 500 documents correspondaient à nos critères de recherche. Parmi ceux-ci, moins de 70 abordaient plus spécifiquement la problématique des stéréotypes de genre en mathématiques ou en langues des élèves.

4. Résultats et discussion

L’examen des 70 articles de recherche retenus pour l’analyse a permis de dégager deux grands types de mesure des stéréotypes de genre en mathématiques et en langues. Le premier type de mesures, les mesures dites explicites, consistent à questionner directement les participants au sujet de leur adhésion aux stéréotypes. Pour le second type, les mesures dites implicites supposent que l’on mesure de façon indirecte les stéréotypes et, contrairement aux mesures explicites, elles sont réputées échapper au contrôle des participants (Dambrun et Guimond, 2004 ; Wilson, Lindsey et Schooler, 2000). Les tableaux 1, 2 et 3 présentent la liste des caractéristiques des études qui ont permis de mesurer les stéréotypes de genre en mathématiques et en langues en fonction du type de mesure utilisé. Afin de mieux synthétiser l’évolution des stéréotypes de genre dans les milieux scolaires, nous avons adopté une perspective historique qui distingue les types de mesure adoptés par les chercheurs.

Tableau 1

Caractéristiques des études ayant mesuré les stéréotypes de genre en mathématiques à l’aide de questionnaires unidirectionnels évaluant l’adhésion au stéréotype Math = DMa

Caractéristiques des études ayant mesuré les stéréotypes de genre en mathématiques à l’aide de questionnaires unidirectionnels évaluant l’adhésion au stéréotype Math = DMa

a = Domaine : masculin

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Tableau 2

Caractéristiques des études ayant mesuré les stéréotypes de genre en mathématiques et en langues à l’aide de questionnaires bidirectionnels évaluant l’adhésion au stéréotype Maths / Langues = DMa ou DFb

Caractéristiques des études ayant mesuré les stéréotypes de genre en mathématiques et en langues à l’aide de questionnaires bidirectionnels évaluant l’adhésion au stéréotype Maths / Langues = DMa ou DFb

a = Domaine : masculin ; b = Domaine : féminin ; c = Domaine : neutre

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Tableau 3

Caractéristiques des études ayant mesuré les stéréotypes de genre en mathématiques et en langues à l’aide de mesures implicites

Caractéristiques des études ayant mesuré les stéréotypes de genre en mathématiques et en langues à l’aide de mesures implicites

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4.1 La mesure explicite des stéréotypes de genre en mathématiques et en langues

Les premiers outils développés pour mesurer les stéréotypes de genre à l’égard des mathématiques consistaient en des mesures explicites ou directes, telles que des questionnaires à réponses auto-rapportées. Ces outils présentent notamment l’avantage de mesurer l’adhésion des élèves aux stéréotypes de manière standardisée. Ainsi, l’échelle Les mathématiques comme domaine masculin (Mathematics as a male domain), comprise dans le Mathematics Attitude Scale (Fennema et Sherman, 1976), a été abondamment utilisée. Cette échelle permettait aux participants d’évaluer jusqu’à quel point ils adhéraient aux stéréotypes de genre favorisant les garçons en mathématiques. Cet instrument a permis de révéler que les élèves états-uniens de la 9e à la 12e année concevaient que les garçons soient naturellement plus doués que les filles pour les mathématiques (Fennema et Sherman, 1977). Par la suite, une méta-analyse des études ayant utilisé le Mathematics Attitude Scale (MAS) a montré qu’au cours des années 1980, ces stéréotypes étaient moins fortement entretenus par les élèves, mais faisaient toujours partie de leurs conceptions (Hyde, Fennema, Ryan, Frost et Hopp, 1990). Cependant, Forgasz, Leder et Gardner (1999) ont remarqué que l’échelle Les mathématiques comme domaine masculin ne permettait plus de discriminer les participants selon leurs stéréotypes. En effet, la moyenne des réponses rapportées dans les études les plus récentes fondées sur cet instrument se trouvait à proximité du seuil indiquant le rejet complet des stéréotypes.

Plus récemment, quelques études fondées sur des instruments auto-rapportés similaires à l’échelle Les mathématiques comme domaine masculin ont également révélé que la majorité des élèves n’entretenaient plus de stéréotypes de genre selon lesquels les garçons sont plus compétents que les filles en mathématiques. Ainsi, Schmader et ses collaborateurs (2004) ont montré que, parmi les étudiantes universitaires américaines de leur échantillon, plus de 75 % rejetaient les stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques. Les résultats de Blanton, Christie et Dye (2002) vont dans le même sens. En effet, ces chercheurs ont observé que, même si la majorité de leurs participantes (étudiantes universitaires américaines inscrites en psychologie) n’adhéraient que peu ou pas aux stéréotypes de genre avantageant les garçons en mathématiques, une minorité d’entre elles reconnaissait qu’il y avait au moins un peu de vrai dans ce stéréotype. Ainsi, selon ces résultats, bien que les stéréotypes selon lesquels les garçons sont plus doués que les filles en mathématiques soient entretenus par certains étudiants, la majorité d’entre eux n’y adhèrent que très peu ou pas du tout. Or, les instruments utilisés dans ces études ainsi que l’échelle Les mathématiques comme domaine masculin sont susceptibles de comporter un biais méthodologique de suggestibilité. En effet, ces questionnaires contribuent à suggérer aux participants un stéréotype traditionnel favorisant les garçons en mathématiques, stéréotype auquel ils n’auraient peut-être pas songé spontanément (Forgasz et collab., 1999). En outre, ces questionnaires n’évaluent que l’adhésion aux stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques et omettent de mesurer la croyance inverse stipulant que les filles sont plus compétentes que les garçons en mathématiques.

En prenant cette critique en considération, Leder et Forgasz (2002) ont conçu un questionnaire novateur qui semble échapper au biais de suggestibilité. Ainsi, ces chercheurs ont développé et validé un instrument de mesure, en se fondant sur le Mathematics Attitude Scale (MAS) de Fennema et Sherman (1976), mais avec trois échelles distinctes. Ainsi, l’échelle Les mathématiques comme domaine masculin (Mathematics as a male domain) permet de mesurer l’adhésion des participants aux stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques, tout comme l’échelle originale issue du Mathematics Attitude Scale. Cependant, contrairement à l’échelle originale, leur questionnaire évalue également l’adhésion à la croyance inverse, qui favorise les filles en mathématiques, à l’aide de l’échelle Les mathématiques comme domaine féminin (Mathematics as a female domain). Finalement, leur questionnaire comporte une troisième échelle, Les mathématiques comme domaine neutre (Mathematics as a neutral domain) qui permet de vérifier jusqu’à quel point les élèves adhèrent à l’idée que les garçons et les filles possèdent des capacités équivalentes en mathématiques. Les résultats obtenus à partir de cet instrument de mesure indiquent que les élèves australiens, états-uniens ou suédois de 9e et de 12e année adhèrent fortement à l’idée que les garçons et les filles possèdent des capacités équivalentes en mathématiques, ce qui amène Leder et Forgasz à conclure que la plupart des élèves n’entretiennent plus de stéréotypes de genre en mathématiques. En contrepartie, les scores obtenus aux deux autres échelles (Les mathématiques comme domaine masculin et Les mathématiques comme domaine féminin) indiquent que les participants adhèrent faiblement à l’idée selon laquelle les filles sont favorisées en mathématiques, et qu’ils adhèrent encore moins à l’idée que les garçons sont favorisés dans cette discipline. Ainsi, bien que les élèves disent adhérer à l’idée que les mathématiques conviennent aussi bien aux garçons qu’aux filles, ils affichent un certain degré d’adhésion aux stéréotypes qui favorisent les filles en mathématiques, d’une part, et les garçons en mathématiques, d’autre part. Ces résultats, qui peuvent sembler contradictoires, sont peut-être en fait la conséquence d’un biais méthodologique de réponse, réputé amener les participants à varier leurs réponses selon l’échelle fournie (Schneider, 2004). La comparaison des scores obtenus aux échelles Les mathématiques comme domaine masculin et Les mathématiques comme domaine féminin aurait permis, d’une part, de contourner ce biais, susceptible de se produire pour les deux échelles, et, d’autre part, de vérifier si l’une de ces croyances s’avérait statistiquement plus prégnante que l’autre.

Quelques études ont évalué les stéréotypes des élèves en comparant leurs croyances quant à la masculinité et à la féminité des mathématiques ou des langues. Conformément aux résultats obtenus par Leder et Forgasz (2002) exposés précédemment, trois études récentes ont montré que des élèves du primaire et du secondaire québécois (Plante et collab., 2009a), français (Martinot et Désert, 2007) et états-uniens (Rowley et collab., 2007) se disaient davantage en accord avec l’idée selon laquelle les filles sont plus compétentes que les garçons en mathématiques qu’avec l’idée inverse favorisant les garçons en mathématiques. Cependant, après avoir questionné les élèves sur leur perception de la compétence des garçons, d’une part, et des filles, d’autre part, à l’égard des mathématiques, Guimond et Roussel (2001) ont montré que les élèves de 12e année et les étudiants français adhéraient aux stéréotypes selon lesquels les garçons possèdent de meilleures capacités que les filles en mathématiques. Plus récemment, l’utilisation du même instrument de mesure a permis de répliquer ces résultats auprès d’étudiants universitaires français (Bonnot et Croizet, 2007) et d’élèves français de 15 ans (Chatard et collab., 2007). Des instruments de mesure similaires adaptés au contexte des langues ont, pour leur part, révélé que les élèves entretenaient fortement l’idée selon laquelle les langues conviennent mieux aux filles qu’aux garçons (Chatard et collab., 2007 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007).

Selon la plupart des résultats récents fondés sur des mesures explicites, les élèves entretiennent moins fortement que dans le passé des stéréotypes de genre qui favorisent les garçons en mathématiques (Blanton et collab., 2002 ; Leder et Forgasz, 2002 ; Schmader et collab., 2004), ou perçoivent même que les filles sont plus douées que les garçons en mathématiques (Martinot et Désert, 2007 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007). Les données empiriques disponibles quant aux stéréotypes de genre en langues montrent que les élèves adhèrent toujours à la croyance selon laquelle les filles possèdent de meilleures habiletés que les garçons dans la langue d’enseignement (Chatard et collab., 2007 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007).

Cependant, au cours de la dernière décennie, plusieurs chercheurs ont remis en question les résultats obtenus à l’aide d’instruments explicites, en critiquant le fait que les mesures directes sont sous le contrôle des participants et donc susceptibles d’être altérées par la désirabilité sociale (Dambrun et Guimond, 2004 ; Wilson et collab., 2000). Ainsi, le rejet explicite des stéréotypes de genre en mathématiques reflèterait un désir des participants de répondre en fonction de ce qui est acceptable plutôt que selon ce qu’ils croient vraiment. De la même manière, la forte adhésion des élèves au fait que les garçons et les filles ont des capacités équivalentes en mathématiques, observée par Leder et Forgasz (2002), pourrait provenir d’un biais de désirabilité sociale.

4.2 Des mesures explicites aux mesures implicites des stéréotypes de genre en mathématiques

Afin de pallier les biais de désirabilité sociale, plusieurs chercheurs se sont tournés vers des mesures indirectes des stéréotypes de genre en mathématiques, telles que la menace du stéréotype (stereotype threat) (Brodish et Devine, 2009 ; Delgado et Prieto, 2008 ; Good, Aronson et Harder, 2008 ; Grimm, Markman, Maddox et Baldwin, 2009 ; Huguet et Régner, 2007 ; Jamieson et Harkins, 2007 ; Johns, Inzlicht et Schmader, 2008 ; Keller, 2007 ; Muzzatti et Agnoli, 2007 ; Nguyen et Ryan, 2008 ; Osborne, 2007 ; Rivardo, Rhodes et Klein, 2008 ; Rosenthal, Crisp et Suen, 2007 ; Rydell, McConnell et Beilock, 2009 ; Spencer, Steele et Quinn, 1999 ; Steele, Reisz, Williams et Kawakami, 2007 ; Thoman, White, Yamawaki et Koishi, 2008 ; Vick, Seery, Blascovich et Weisbuch, 2008 ; Wout, Danso, Jackson et Spencer, 2008). Suivant cette approche, ces chercheurs ont observé que le fait d’évoquer la supériorité d’un genre pour réussir une tâche de mathématiques procurait une diminution du rendement des filles. Par exemple, Spencer et ses collaborateurs (1999) ont mentionné à un groupe expérimental composé de garçons et de filles qui avaient un rendement antérieur similaire en mathématiques que l’épreuve de mathématiques qu’ils allaient effectuer était reconnue comme mieux réussie par les élèves d’un sexe, sans préciser lequel. En ce qui a trait aux sujets du groupe contrôle, composé de garçons et de filles comparables à ceux du groupe expérimental sur le plan de leur rendement antérieur en mathématiques, les expérimentateurs ne leur ont rien mentionné quant aux différences de performance reliées au sexe des élèves. Les résultats de cette étude ont montré que les filles du groupe expérimental ont obtenu des scores significativement moins élevés que les garçons et que les filles du groupe contrôle, alors que le rendement des filles du groupe contrôle était similaire à celui des garçons. Pour les chercheurs utilisant les mesures indirectes, et plus précisément la menace du stéréotype, les effets observés sont issus des stéréotypes intégrés chez les participants, ceux-ci adhérant implicitement à la croyance selon laquelle les garçons sont plus doués que les filles en mathématiques. Par ailleurs, la seule étude fondée sur la menace du stéréotype dans le contexte des langues a montré que cette manipulation expérimentale n’affectait pas le rendement de garçons universitaires américains (Rosenthal et collab., 2007). Selon Rosenthal et ses collaborateurs (2007), ces résultats suggèrent que les stéréotypes de genre favorisant les filles dans les langues sont moins prégnants que ceux favorisant les garçons en mathématiques.

Une seconde approche de mesure indirecte qui a servi à mesurer des stéréotypes de genre à l’égard des matières scolaires est le test d’association implicite (Implicit association test) (Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Nosek et collab., 2002). Ce type de mesure, fondé sur des temps de réponse, consiste à demander à des participants d’associer le plus rapidement possible une série de mots relatifs à des concepts plus ou moins différents les uns des autres. L’interprétation des tests d’association implicite prend appui sur l’idée que chaque individu possède des réseaux sémantiques qui lui permettent de relier des mots relatifs à des concepts connexes, hôpital et médecin par exemple, plus rapidement que ceux reliés à des concepts plus éloignés, hôpital et fleur par exemple. Lors de tests d’association implicite, les concepts les plus étroitement liés seront donc plus rapidement associés que ceux qui le moins. À l’aide d’un test d’association implicite, des chercheurs (Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Nosek et collab., 2002) ont montré que, lorsqu’on demande à des étudiants d’associer des mots se rapportant aux mathématiques (par exemple, équation, calculs, nombres) ou aux langues (grammaire, poésie, lettres) avec des mots qui évoquent la féminité (soeur, mère, elle) ou la masculinité (frère, père, lui), leurs temps de réponse différaient. En effet, les garçons comme les filles ont associé plus rapidement les mots à connotation masculine que les mots à connotation féminine aux mathématiques. À l’inverse, ils ont associé plus rapidement les mots à connotation féminine que masculine aux langues. Selon ces chercheurs, ces résultats révèlent que les stéréotypes selon lesquels les mathématiques sont un domaine masculin, alors que les langues constituent un domaine féminin, sont intégrés dans les schèmes cognitifs des participants.

4.3 Les mesures implicites et explicites : des résultats divergents

En résumé, les récents résultats de recherche issus de questionnaires auto-rapportés (Tableaux 1 et 2) semblent, pour la plupart, en opposition avec les résultats obtenus à l’aide des mesures implicites, comme la menace du stéréotype et les tests d’association implicite (Tableau 3). En effet, les données provenant des questionnaires les plus récents indiquent que peu d’élèves adhèrent toujours aux stéréotypes de genre favorisant les garçons en mathématiques (Blanton et collab., 2002 ; Schmader et collab., 2004) ou qu’ils entretiennent explicitement la croyance selon laquelle les garçons et les filles ont des compétences similaires pour les mathématiques (Leder et Forgasz, 2002). Des études récentes révèlent même que les élèves du primaire et du secondaire perçoivent que les mathématiques conviennent mieux aux filles qu’aux garçons (Martinot et Désert, 2007 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007). Seules quelques études indiquent que les élèves français adhèrent toujours aux stéréotypes de genre avantageant les garçons en mathématiques (Bonnot et Croizet, 2007 ; Chatard et collab., 2007 ; Guimond et Roussel, 2001). À l’inverse, les mesures implicites suggèrent plutôt que les élèves entretiennent encore des stéréotypes de genre traditionnels en faveur des garçons en mathématiques (Brodish et Devine, 2009 ; Delgado et Prieto, 2008 ; Good et collab., 2008 ; Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Nguyen et Ryan, 2008 ; Rydell et collab., 2009). En ce qui a trait aux stéréotypes de genre en langues, il est d’abord frappant de constater le faible nombre d’études empiriques menées sur le sujet. Les quelques études empiriques qui ont porté sur l’adhésion des élèves à ces stéréotypes (Chatard et collab., 2007 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007) indiquent que les élèves entretiennent explicitement la conception selon laquelle les filles possèdent de meilleures capacités que les garçons en langues. Le test d’association implicite (Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Nosek et collab., 2002) va d’ailleurs dans le même sens. Cependant, la seule étude menée à l’aide du paradigme de la menace du stéréotype en langues semble plutôt indiquer que les stéréotypes favorisant les filles dans ce domaine sont peu prégnants (Rosenthal et collab., 2007).

Il apparaît pour le moins étonnant de constater que les mesures explicites et implicites procurent des résultats aussi distincts en mathématiques. Comment expliquer ces divergences ? Selon les tenants des techniques implicites, ces différences s’expliquent principalement par le fait que, contrairement aux mesures directes, les mesures indirectes contournent les biais de désirabilité sociale (Dambrun et Guimond, 2004 ; Wilson et collab., 2000). Par contre, cette interprétation ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté des chercheurs intéressés par cette problématique. En effet, plusieurs attribuent plutôt les disparités de résultats au fait que ces deux types de mesure ne reflètent pas les mêmes structures cognitives sous-jacentes (Devine, 1989 ; Dovidio, Kawakami, Johnson, Johnson et Howard, 1997 ; Greenwald, McGhee et Schwartz, 1998 ; Schneider, 2004). Ainsi, si les adeptes des tests d’association implicite avancent que les résultats issus de cette technique reflètent des conceptions intégrées, mais inconscientes, ou dont les individus ne veulent pas révéler l’existence (Banaji, Nosek et Greenwald, 2004), d’autres chercheurs (Devine, 1989 ; Karpinski et Hilton, 2001) doutent qu’une telle approche permette de détecter l’adhésion personnelle aux stéréotypes de genre. Pour Devine (1989), Karpinski et Hilton (2001), les tests d’association implicite mesurent les stéréotypes socialement transmis et partagés par une culture, alors que les mesures explicites, telles que les questionnaires, évaluent l’adhésion personnelle des participants aux stéréotypes. En d’autres termes, si les tests d’association implicite révèlent que les participants sont conscients du fait que les stéréotypes favorisant les garçons existent et font partie de leur environnement social, cette approche ne permet pas de déterminer s’ils y adhèrent personnellement ou pas.

Bien que cette explication convienne bien aux tests d’association implicite, où les résultats reflèteraient des stéréotypes socialement transmis plutôt que l’adhésion personnelle des individus à ces conceptions, elle semble moins bien expliquer les effets de la menace du stéréotype. En effet, dans la plupart des études menées à partir de cette approche, le sens de la supériorité du genre (garçons meilleurs que les filles ou inversement) n’est pas évoqué explicitement par les chercheurs. Ainsi, le faible rendement des filles en condition de menace du stéréotype donne à penser que les participantes ont intégré des stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques (Steele, 2003). Par contre, si les effets observés peuvent nous convaincre que certaines filles sont affectées par la menace du stéréotype, cette manipulation ne nous permet pas de savoir si d’autres ne le sont pas. En effet, les résultats consignés et rapportés sont toujours des effets de groupe, si bien que l’on ignore s’ils sont représentatifs de la majorité des filles de ce groupe, ou si seuls les résultats de certaines filles affectent ceux de l’ensemble des participantes. D’ailleurs, Blanton et ses collaborateurs (2002) ainsi que Schmader et ses collaborateurs (2004) ont montré que certaines étudiantes adhèrent toujours explicitement aux stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques, bien qu’elles ne soient pas représentatives de la majorité. De plus, pour Schmader et ses collaborateurs (2004), seules les étudiantes adhérant fortement à ces stéréotypes sont affectées par la menace du stéréotype. Ainsi, les différences de résultats provenant des questionnaires auto-rapportés et de la menace du stéréotype pourraient s’expliquer par le fait que les résultats obtenus à partir de l’approche de la menace du stéréotype ne découlent que d’une minorité de participantes adhérant aux stéréotypes. À l’inverse, les questionnaires auto-rapportés permettent d’évaluer l’adhésion aux stéréotypes de l’ensemble de l’échantillon, incluant les participantes qui n’adhèrent que peu ou pas aux stéréotypes.

À la lumière de ces résultats, certaines conclusions méritent d’être dégagées. D’abord, bien que les techniques explicites et implicites contribuent toutes deux à une meilleure compréhension des stéréotypes à l’égard des matières scolaires, il apparaît que ces deux approches ne donnent pas accès au même type d’information. En effet, les questionnaires, délaissés au cours des dernières décennies au profit des mesures implicites, sont les seuls à permettre la mesure de l’adhésion personnelle des élèves aux stéréotypes de genre. Une mesure de l’adhésion personnelle des stéréotypes – si elle n’est pas altérée par les biais de mesure – permet de dresser un portrait des stéréotypes dans les milieux scolaires ou de vérifier les liens entre les stéréotypes et d’autres indicateurs connus, tels que le degré de motivation ou le rendement scolaire. En contrepartie, si les tests d’association implicite procurent des informations quant aux stéréotypes socialement transmis, ils ne peuvent révéler l’adhésion personnelle des individus à ces stéréotypes (Devine, 1989). Par ailleurs, les résultats obtenus à partir de l’approche de la menace du stéréotype suggèrent que certaines filles adhèrent toujours aux stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques, mais semblent surtout refléter les effets des stéréotypes sur le rendement obtenu dans une tâche cognitive particulière. Cependant, le caractère généralisable de ces résultats à la réussite en contexte scolaire reste à démontrer.

4.4 Les liens entre les stéréotypes de genre à l’école et les indicateurs de réussite et de persévérance scolaire

Puisque le contenu des stéréotypes recensés concerne spécifiquement les compétences des élèves, il est raisonnable de penser que ces stéréotypes agissent sur divers indicateurs de la réussite scolaire, comme la motivation et le rendement à l’égard des langues et des mathématiques, ainsi que sur le choix de carrière envisagé. Pourtant, avec l’essor des études utilisant des techniques implicites, particulièrement celles fondées sur la menace du stéréotype, seules quelques recherches empiriques permettent d’évaluer la nature des liens possibles entre les stéréotypes et divers comportements et attitudes des élèves. La figure 1 expose les liens entre les stéréotypes et les comportements et attitudes scolaires.

Figure 1

Effets des stéréotypes sur les attitudes et comportements. Les stéréotypes affectent le rendement et l’orientation professionnelle par l’entremise des variables motivationnelles et émotionnelles

Effets des stéréotypes sur les attitudes et comportements. Les stéréotypes affectent le rendement et l’orientation professionnelle par l’entremise des variables motivationnelles et émotionnelles

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Selon plusieurs chercheurs utilisant le paradigme de la menace du stéréotype, l’adhésion aux stéréotypes de genre en mathématiques dissuade les filles de se diriger vers des domaines liés aux mathématiques. En effet, les tenants de cette approche expérimentale (Bergeron, Block et Echtenkamp, 2006 ; Cadinu, Maass, Lombardo et Frigerio, 2006 ; Quinn et Spencer, 2001 ; Spencer et collab., 1999 ; Steele et collab., 2007) se fondent sur les statistiques nationales ou internationales (présentées précédemment dans le cadre théorique) à propos de l’effectif universitaire selon le domaine et le genre pour expliquer les effets des stéréotypes en mathématiques sur les choix professionnels des filles en mathématiques. Pour ces chercheurs, le simple fait que les filles soient conscientes d’un stéréotype qui les désavantage les amènerait à obtenir un rendement moindre. Selon cette théorie initialement proposée par Steele (1997), lorsqu’une idée négative à propos des membres d’un groupe est rendue saillante, les individus membres de ce groupe deviennent anxieux, ce qui les amène à obtenir un rendement inférieur et à confirmer cette idée (Figure 1). Cette situation de menace inhiberait le plein potentiel des individus, surtout lors de tâches jugées difficiles (Croizet, Despres, Gauzins, Huguet, Leyens et Meot, 2004 ; Inzlicht et Ben-Zeev, 2003 ; Quinn et Spencer, 2001 ; Schmader et Johns, 2003). Suivant ce raisonnement, les effets de la menace du stéréotype qui ont été observés constituent non seulement la preuve que les élèves entretiennent des stéréotypes, mais ils révèlent également que les stéréotypes affectent à la fois le rendement scolaire des élèves et leur désir de poursuivre dans des disciplines relatives aux mathématiques. Cela dit, une validation de cette interprétation serait fort utile, puisque l’on ignore si les filles qui obtiennent un moins bon rendement scolaire en mathématiques ou qui se dirigent moins vers des carrières relatives à ce domaine sont effectivement celles qui adhèrent le plus à ces stéréotypes. En outre, bien que l’on puisse croire que le phénomène de la menace du stéréotype a réellement lieu dans la vie courante, le lien entre cette manipulation expérimentale et le rendement scolaire ou le choix de carrière ne peut être établi à l’aide de ce protocole.

Par ailleurs, quelques études ont permis d’évaluer les liens entre l’adhésion aux stéréotypes de genre et diverses variables associées à la réussite scolaire. Ainsi, dans le contexte de l’apprentissage des mathématiques, Schmader et ses collaborateurs (2004) ont montré que les filles qui entretiennent explicitement des stéréotypes avantageant les garçons en mathématiques montrent moins de confiance en leur capacité à réussir en mathématiques ; ces faibles perceptions de compétence en mathématiques permettent de prédire le désir d’effectuer une carrière dans un domaine non relié aux mathématiques. Ces auteurs ont également montré que les filles qui adhèrent explicitement aux stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques affichent un plus faible rendement en mathématiques que celles qui rejettent ce stéréotype. De plus, les résultats de Nosek et ses collaborateurs (2002) ainsi que ceux de Kiefer et Sekaquaptewa (2007) indiquent que plus les filles sont d’accord avec le stéréotype véhiculant que les garçons sont naturellement meilleurs que les filles en mathématiques, moins elles sont intéressées par les mathématiques. Parallèlement, dans le contexte d’apprentissage des langues, il apparaît que plus les garçons sont d’accord avec le stéréotype selon lequel les filles sont plus douées que les garçons en français, moins leurs perceptions de compétence dans cette matière sont élevées. À l’inverse, plus les filles adhèrent à ce stéréotype, plus elles se disent elles-mêmes compétentes en français (Guimond et Roussel, 2001). Plus récemment, des recherches ont montré que les variables motivationnelles agissent en tant que médiatrices dans la relation entre les stéréotypes et la réussite scolaire. Ainsi, Bonnot et Croizet (2007) ont observé que l’adhésion aux stéréotypes affecte indirectement le rendement en mathématiques d’étudiants universitaires français, par l’entremise de leur sentiment de compétence. L’étude de Plante, Théorêt et Favreau (2009b) auprès d’élèves québécois de 6e année du primaire et de 2e secondaire a présenté des résultats similaires. En effet, ces chercheuses ont observé que l’adhésion aux stéréotypes influence le sentiment de compétence et la valeur que les élèves attribuent aux apprentissages, qui en retour affectent leur rendement et leur choix de carrière. Ces liens sont exposés dans la figure 1.

Il apparaît donc que les stéréotypes sont susceptibles d’avoir des conséquences non négligeables sur la carrière scolaire. Bien que peu d’études empiriques aient porté sur les liens entre les stéréotypes et le rendement, les études fondées sur la menace du stéréotype indiquent que les stéréotypes de genre qui stipulent que les garçons sont meilleurs que les filles en mathématiques affectent négativement le rendement des filles lors de tâches cognitives, tout en augmentant leur anxiété (pour une méta-analyse, voir Nguyen et Ryan, 2008). Par ailleurs, des chercheurs ont observé que chez les filles, les stéréotypes de genre favorisant les garçons en mathématiques sont liés à de moins bonnes perceptions de leurs compétences dans cette matière (Schmader et collab., 2004), à un plus faible intérêt (Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Nosek et collab., 2002), ainsi qu’à un plus faible rendement (Schmader et collab., 2004). Les perceptions négatives des filles en mathématiques sont, pour leur part, associées à un moins grand désir de poursuivre des études dans des disciplines mathématiques (Schmader et collab., 2004). À l’inverse, les garçons qui adhèrent aux stéréotypes de genre favorisant les filles en langues rapportent de moins bonnes perceptions de leurs capacités en français que ceux qui rejettent ce stéréotype (Guimond et Roussel, 2001). Plus récemment, des chercheurs ont observé que l’adhésion aux stéréotypes influençait indirectement la réussite scolaire des élèves, par l’entremise de leur sentiment de compétence (Bonnot et Croizet, 2007 ; Plante et collab., 2009b) et de la valeur qu’ils attribuent aux apprentissages (Plante et collab., 2009b).

À la lumière de cette synthèse, il apparaît d’abord étonnant de constater que relativement peu d’études empiriques ont porté sur l’évaluation des liens qui unissent l’adhésion aux stéréotypes et la réussite scolaire des élèves. À notre avis, deux principales hypothèses permettent d’expliquer cette lacune. D’abord, il apparaît que l’adhésion aux stéréotypes a souvent été supposée sans pour autant que les chercheurs l’aient directement mesurée. En effet, comme nous l’avons mentionné au préalable dans cet article, de nombreux auteurs se sont penchés sur la réussite scolaire dans les matières stéréotypées et ont souvent interprété des différences de genre comme étant la conséquence de stéréotypes (Duru-Bellat, 2003 ; Duru-Bellat, 2004 ; Eccles, 2005 ; Gallagher et Kaufman, 2005 ; Halpern et collab., 2007 ; Jacobs et collab., 2002 ; Lafortune et collab., 2003 ; Lafortune et Kayler, 1992 ; Mura, 1985 ; Solar et Lafortune, 1994 ; Stevens et collab., 2007 ; Watt, 2008). Le peu d’études empiriques sur les liens entre l’adhésion aux stéréotypes de genre et le rendement ou le cheminement scolaire pourrait également résulter de l’engouement des chercheurs pour les techniques de mesure implicites des stéréotypes, notamment à l’égard du paradigme de la menace du stéréotype. Pourtant, bien que ce paradigme expérimental reflète les effets potentiels des stéréotypes sur le rendement, l’étude des liens entre l’adhésion aux stéréotypes et la réussite en contexte scolaire nécessite l’emploi de techniques de mesure explicites, qui sont actuellement les seules à permettre une mesure de l’adhésion individuelle aux stéréotypes.

Cette recension des écrits met également en évidence le fait que la plupart des études menées à ce jour sur les stéréotypes de genre concernent des étudiants universitaires. Une meilleure compréhension des stéréotypes de genre entretenus par les élèves du primaire et du secondaire permettrait de préciser l’étendue actuelle des stéréotypes dans les milieux scolaires, ainsi que de cerner les liens entre ces croyances et la réussite scolaire des garçons et des filles, avant leur orientation professionnelle décisive et leur entrée à l’université. Ainsi, davantage d’études auprès d’élèves d’âges variés seront nécessaires pour vérifier l’étendue et les retombées des stéréotypes de genre. Par ailleurs, il est surprenant de constater le peu d’études sur les stéréotypes de genre dans le contexte des langues. On peut toutefois supposer que les stéréotypes en langues affectent négativement la réussite des garçons. En effet, la manifestation d’un stéréotype favorisant les filles en langues altère la motivation des garçons dans la langue d’enseignement (Guimond et Roussel, 2001 ; Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Plante et collab., 2009b), et on peut croire que ces conceptions agiront également non seulement sur leur rendement dans la langue d’enseignement, mais aussi sur leur réussite scolaire globale. En effet, la nature transversale de la langue principale d’enseignement (Ministère de l’Éducation du Québec, 2006) témoigne de l’utilité des compétences en langues pour les autres matières scolaires. Ces hypothèses mettent en évidence la nécessité d’effectuer plus d’études sur les stéréotypes de genre à l’endroit des langues et sur leurs liens avec divers indicateurs scolaires. Enfin, on peut aussi questionner le caractère généralisable des résultats obtenus, compte tenu de la nature culturelle des stéréotypes de genre (Lyons et Kashima, 2001). La question de savoir si les résultats relatés sont généralisables à d’autres sociétés, notamment au Québec, reste donc à poser.

4.5 Les stéréotypes de genre entretenus par les élèves québécois

Au Québec, seules quelques études apportent des données empiriques fondées sur la mesure de stéréotypes de genre. Ainsi, les études de Bouchard, St-Amant, Bouchard et Tondreau (1999), qui portaient sur les rôles traditionnels de genre, telle que l’image de la femme au foyer ou de l’homme qui n’a pas besoin de diplôme pour réussir dans la vie, ont montré que ces stéréotypes de genre étaient liés à un faible désir de poursuivre les études. Selon ces chercheurs, les stéréotypes seraient plus prégnants dans les milieux modestes, et les élèves y adhéreraient davantage au début de l’adolescence (Bouchard et St-Amant, 1996 ; Bouchard et collab., 1999). Cependant, ces auteurs ne se sont pas attardés à cerner la présence de stéréotypes de genre à l’égard des langues et des mathématiques en particulier. Plus récemment, les études de Plante et de ses collaborateurs (2009a, 2009b), fondées sur des questionnaires auto-rapportés, ont révélé que la majorité des élèves de 6e année du primaire, ainsi que de 2e et de 4e secondaire manifestaient significativement des stéréotypes de genre favorisant légèrement les filles en mathématiques, alors que ces mêmes élèves concevaient que le français convient clairement mieux aux filles qu’aux garçons. Ces résultats sont d’ailleurs conformes à ceux récemment obtenus dans d’autres pays occidentaux (Leder et Forgasz, 2002 ; Martinot et Désert, 2007 ; Rowley et collab., 2007). De plus, les stéréotypes des élèves reflètent adéquatement la disparition de l’écart de rendement favorisant les garçons en mathématiques (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005) ou la faible supériorité des filles dans cette matière (Mullis et collab., 2008), ainsi que le rendement accru des filles dans la langue d’enseignement (Kirsch et collab., 2002 ; Organisation de coopération et de développement économiques, 2001).

Bien qu’aucune étude fondée sur l’approche de la menace du stéréotype ou sur des tests d’association implicite n’ait à ce jour été menée auprès d’élèves québécois, certaines recherches laissent croire que les résultats recensés à cet effet sont généralisables aux milieux scolaires québécois. En effet, on retrouve au Québec un important corpus d’écrits de recherche qui aborde la problématique de la réussite différenciée des garçons et des filles selon la matière. Depuis plus d’une vingtaine d’années, plusieurs chercheurs se sont penchés sur les facteurs en jeu dans la réussite différenciée selon le genre, dans des disciplines traditionnellement réservées aux hommes, telles que les mathématiques, les sciences et les technologies (Lafortune, 1986 ; Lafortune et collab., 2003 ; Lafortune et Solar, 2003 ; Mura, 1985 ; 1986 ; Solar et Kanouté, 2007 ; Solar et Lafortune, 1994). Par exemple, dans l’ouvrage Des mathématiques autrement (Solar et Lafortune, 1994), des chercheurs examinent notamment la question de la véracité des différences de compétence selon le genre en mathématiques (Mongeau, 1994 ; Pallascio, 1994) et proposent divers facteurs sociaux et environnementaux pour expliquer la réussite différenciée des garçons et des filles (D’Amour, 1994). Les travaux de Lafortune (Lafortune, 1986 ; Lafortune et collab., 2003 ; Lafortune et Solar, 2003) et de Solar (Solar et Kanouté, 2007 ; Solar et Lafortune, 1994) ont également alimenté la réflexion au sujet des croyances des élèves à l’égard de ces disciplines et en ce qui a trait à la mise en oeuvre de pratiques visant à favoriser l’équité des chances en éducation.

D’autres chercheurs québécois ont observé des différences de genre quant à la motivation scolaire des élèves qui reflètent les stéréotypes de genre traditionnels en mathématiques et en langues. En effet, ces chercheurs ont montré que les garçons sont généralement plus motivés que les filles en mathématiques, alors que les filles affichent un degré de motivation accru en français (Bouffard, Vezeau et Simard, 2006 ; Chouinard et Fournier, 2002). Plus récemment, des chercheuses oeuvrant dans diverses provinces canadiennes (Gaudet, Mujawamariya et Lapointe, 2008) ont mené une étude qui ciblait des élèves francophones issus de milieu linguistique minoritaire. Bien que cette étude n’ait pas été menée spécifiquement auprès d’élèves du Québec, elle nous fournit des indications quant aux liens entre les variables personnelles de participantes canadiennes francophones et leur orientation professionnelle. Ainsi, selon les observations de Gaudet et de ses collaboratrices (2008), l’intérêt, les valeurs et l’estime de soi des filles peu marqués en regard des disciplines traditionnellement masculines pourraient altérer le désir des filles de s’inscrire dans des programmes d’études universitaires en lien avec celles-ci. Malgré le fait que ces diverses parutions n’apportent pas de données empiriques sur l’adhésion des élèves aux stéréotypes de genre en mathématiques et en langues, elles donnent à penser que, comme dans d’autres pays industrialisés, les stéréotypes traditionnels favorisant les garçons en mathématiques font toujours implicitement partie des croyances des élèves et affectent leurs attitudes et leur orientation professionnelle.

Par ailleurs, bien que les stéréotypes soient réputés se modifier, notamment en fonction du contexte socioculturel (Twenge, 1997), les résultats de certaines études indiquent que les sociétés occidentales partagent plusieurs similarités en ce qui a trait aux stéréotypes de genre sociaux (Fiske, Kitayama, Markus et Nisbett, 1998 ; Hofstede, 2001 ; Williams, Satterwhite et Best, 1999). Par exemple, les résultats de Williams et Best (1982 ; 1990) indiquent que les stéréotypes de genre des États-Uniens sont fortement corrélés avec ceux des Australiens, des Anglais, des Canadiens et des Néo-Zélandais, mais le sont moins avec les stéréotypes de genre au Pakistan, au Japon et en Italie. De plus, les résultats des études présentées proviennent de divers pays occidentaux, ce qui laisse croire qu’ils reflètent bien les croyances des élèves appartenant aux sociétés occidentales. En effet, l’impact de la menace du stéréotype a été observé aux États-Unis, au Canada et dans divers pays occidentaux (pour une méta-analyse, voir Nguyen et Ryan, 2008), alors que les tests d’association implicite ont été utilisés aux États-Unis (Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Nosek et collab., 2002).

En résumé, à l’instar des élèves scolarisés dans d’autres sociétés occidentales, les élèves québécois ne voient plus les mathématiques comme un domaine plus masculin que féminin, alors qu’ils sont d’avis que les langues conviennent mieux aux filles qu’aux garçons (Plante et collab., 2009a, 2009b). De plus, les élèves québécois semblent toujours manifester des attitudes et des degrés de motivation qui reflètent les stéréotypes de genre traditionnels favorisant les garçons en mathématiques et les filles en langues. Néanmoins, les résultats récents des élèves québécois aux épreuves standardisées suggèrent plutôt, en conformité avec les résultats obtenus à l’aide des questionnaires, que les mathématiques ne seraient plus un domaine masculin, alors que les filles seraient toujours favorisées en langue (Plante et collab., 2009a, 2009b). Étant donné que les informations sur les stéréotypes provenant de ces différents indicateurs sont issues d’échantillons variés, il est difficile de savoir si les différences observées résultent de l’indicateur utilisé ou des caractéristiques de l’échantillon étudié. Des recherches mesurant à la fois l’adhésion aux stéréotypes, la motivation et le rendement au sein du même échantillon seraient nécessaires pour mieux comprendre les liens entre ces différentes variables. Cela dit, il semble raisonnable de croire que les stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques ne soient plus très saillants au Québec, alors que ceux qui favorisent les filles en français semblent bien ancrés dans les conceptions des élèves.

5. Conclusion

L’objectif général de cette analyse des écrits scientifiques était de synthétiser les connaissances ayant trait aux effets des stéréotypes de genre en mathématiques et en langues sur la réussite et le cheminement scolaire des élèves. Nous avons structuré notre synthèse en trois volets. En dressant le portrait de l’adhésion actuelle des élèves aux stéréotypes de genre en mathématiques et en langues, nous avons distingué deux modes de mesure employés : les mesures dites directes ou explicites, et les mesures dites indirectes ou implicites. En mathématiques, la mesure directe des stéréotypes permet d’indiquer 1) que les élèves adhèrent explicitement moins qu’auparavant aux stéréotypes favorisant les garçons dans cette matière (Blanton et collab., 2002 ; Leder et Forgasz, 2002 ; Schmader et collab., 2004) et 2) qu’ils sont d’avis que les mathématiques conviennent mieux aux filles qu’aux garçons (Martinot et Désert, 2007 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007). Par contre, conformément aux résultats obtenus à l’aide du paradigme de la menace du stéréotype et des tests d’association implicite, il semble que certains élèves adhèrent toujours aux stéréotypes favorisant les garçons en mathématiques (Bergeron et collab., 2006 ; Cadinu et collab., 2006 ; Good et collab., 2008 ; Nosek et collab., 2002). Notre recension des écrits nous amène également à conclure que les élèves perçoivent les langues comme un domaine davantage féminin que masculin (Chatard et collab., 2007 ; Guimond et Roussel, 2001 ; Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Plante et collab., 2009a ; Rowley et collab., 2007).

Le second objectif du présent article nous a permis de synthétiser les effets des stéréotypes de genre en mathématiques et en langues sur divers indicateurs de la réussite et du cheminement scolaire des élèves. Le paradigme de la menace du stéréotype révèle que les stéréotypes de genre en mathématiques ont un effet négatif sur le rendement des filles à des tâches cognitives liées à cette matière (pour une méta-analyse, voir Nguyen et Ryan, 2008). Par ailleurs, si les résultats issus de ce protocole ne permettent pas de déduire que les stéréotypes de genre en mathématiques ont un effet en contexte scolaire en particulier, d’autres études empiriques soutiennent cette hypothèse. En effet, selon certains chercheurs, les stéréotypes de genre en mathématiques permettent de prédire des perceptions de compétence moins élevées ainsi qu’un plus faible intérêt des filles pour cette matière (Kiefer et Sekaquaptewa, 2007 ; Nosek et collab., 2002 ; Schmader et collab., 2004). Selon d’autres chercheurs, l’adhésion aux stéréotypes affecte le sentiment de compétence (Bonnot et Croizet, 2007 ; Plante et collab., 2009b) et la valeur attribuée aux apprentissages (Plante et collab., 2009b), qui, en retour, affectent la réussite et le cheminement scolaires. En ce qui a trait aux stéréotypes en langues, l’adhésion aux stéréotypes en français est réputée altérer les perceptions de soi des garçons dans cette matière (Guimond et Roussel, 2001). De leur côté, Plante et ses collaboratrices (2009b) ont observé que l’adhésion aux stéréotypes de genre en français affectait indirectement la réussite scolaire, par l’entremise du sentiment de compétence et de la valeur accordée aux apprentissages.

Finalement, en réponse au dernier objectif de cette recension des écrits de recherche, nous avons évalué le caractère généralisable ou non des résultats consignés aux milieux scolaires québécois. Les études réalisées au Québec (Plante et collab., 2009a, 2009b), fondées sur des questionnaires auto-rapportés, fournissent des résultats similaires à ceux obtenus dans d’autres pays occidentaux (Leder et Forgasz, 2002 ; Martinot et Désert, 2007 ; Rowley et collab., 2007). Les études comparant les stéréotypes sociaux à travers les cultures suggèrent d’ailleurs que le Canada et le Québec sont comparables à d’autres sociétés occidentales (Williams et Best, 1982, 1990). De plus, conformément aux résultats issus de techniques implicites, de nombreuses parutions québécoises à propos de la réussite différenciée des garçons et des filles laissent croire que les stéréotypes traditionnels en mathématiques font toujours partie des croyances implicites des élèves québécois. Par conséquent, on peut penser que les résultats recensés sont généralisables aux milieux scolaires québécois.

À la lumière des conclusions issues de cette analyse des écrits de recherche, il apparaît primordial de poursuivre les études qui visent à mieux comprendre les liens entre l’adhésion aux stéréotypes et les indicateurs de réussite scolaire. Plus particulièrement, davantage d’études menées auprès d’élèves plus jeunes et dans le domaine des langues permettraient d’élargir les connaissances sur le développement et l’impact des stéréotypes dans les milieux scolaires. Mieux comprendre les croyances relatives à la réussite selon le genre est susceptible de fournir des pistes pertinentes pour favoriser des chances égales de succès scolaire aux filles comme aux garçons.