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La paternité au XXIe siècle, ouvrage imposant, est le fruit de quinze années de travail de recherche, d’action et d’intervention au sein de l’équipe ProsPère[1]. Avec la contribution d’une douzaine d’auteurs provenant de divers horizons, le livre dresse une synthèse des connaissances pluridisciplinaires portant sur la paternité et des différentes questions soulevées par ce thème en ce début de XXIe siècle.

En posant un regard critique sur la paternité, les auteurs soulignent les grands enjeux politiques, sociaux, culturels et scientifiques — en mettant l’accent tant sur leurs dimensions théoriques, méthodologiques que pratiques — liés aux rôles, à l’implication et à l’engagement des pères dans la société québécoise, ainsi qu’à l’intervention auprès de ces derniers..

Divisé en quatre sections et en 13 chapitres, l’ouvrage forme un tout fort bien structuré. Intitulée « Connaissances générales sur la paternité », la première section est composée de cinq chapitres qui permettent de mieux comprendre le rôle et la place du père dans la société québécoise. Le premier chapitre présente un survol historique de l’évolution et de la construction de la paternité au Québec, du temps de la Nouvelle-France jusqu’à nos jours. Les auteurs retracent les différents changements sociaux et contextes structurels ayant contribué à la transformation et à la redéfinition du rôle du père et de la paternité à travers les époques. En conclusion, ils exposent les défis actuels de la paternité dont celui, qui se traduit également en voeu pour les auteurs, de voir la question de la paternité dépasser les discours antagonistes père/mère pour s’arrimer à celle plus englobante de la famille et du bien-être des enfants. Le deuxième chapitre de cette section porte sur les déterminants de l’engagement paternel selon les différents niveaux de l’approche écosystémique. À partir d’une analyse documentaire portant sur un corpus de recherche empirique, les auteures produisent une synthèse des conditions favorables et des obstacles à l’engagement des pères. Les résultats sont regroupés sous trois grands domaines influençant l’engagement paternel, soit les caractéristiques du père, celles du contexte familial et celles de l’environnement social. Cette recension d’écrits est d’un apport fort original pour ce qui est des liens théorie-pratique, puisque les constats tirés de cette étude ont été mis à profit dans l’élaboration des projets d’intervention auxquels ont participé des membres du groupe ProsPère. Ces interventions seront présentées dans la deuxième section du livre. En continuité avec le précédent, le troisième chapitre se penche sur le concept de l’engagement paternel. Loin de se cantonner dans une discussion autour des différentes définitions du concept, les auteurs proposent une analyse qui s’appuie sur une approche de triangulation fort pertinente. Ainsi, on y aborde l’engagement paternel sous l’angle des dimensions méthodologiques (recherche quantitative ou qualitative) et disciplinaires (sociologie, psychologie, etc.) en démontrant l’influence de ces dimensions sur la définition du concept. Les auteurs soulignent en conclusion que les pères ne constituent pas un groupe homogène et invitent les chercheurs à mieux circonscrire le concept d’engagement paternel en tenant compte des caractéristiques propres aux différents sous-groupes. Intitulé « Les pères ont-ils une influence spécifique sur le développement des enfants? », le quatrième chapitre interroge les particularités de l’engagement paternel sur le développement des enfants dans une optique de complémentarité des rôles du père et de la mère au sein des familles. Le cinquième et dernier chapitre de cette section aborde la question de la coparentalité à partir d’une recension d’écrits portant sur l’engagement relatif du père et de la mère et de la relation entre les conjoints dans l’exercice de leurs rôles parentaux. Les auteurs présentent différents modèles de conceptualisation de la coparentalité en prenant en compte divers contextes familiaux, tels que la famille séparée, recomposée ou homoparentale. Enfin, cette première partie se termine sur un regard externe, celui de Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS de Paris, qui propose ses réflexions, notamment sur le plan des contrastes entre les contextes canadiens et français quant à la question de la paternité.

Quatre chapitres composent la deuxième section de l’ouvrage. Ils portent sur les pratiques d’intervention et de recherche-action. Ainsi, le sixième chapitre présente la démarche de mobilisation intersectorielle réalisée au sein de deux collectivités montréalaises et soutenues par des chercheurs de ProsPère dans le cadre d’un projet de recherche-action. Après une brève présentation du contexte dans lequel est née l’idée d’un projet d’intervention visant à soutenir la paternité, des paramètres de cette intervention et des deux sites d’expérimentation, les auteurs exposent les différentes étapes d’implantation du projet. En documentant ces expériences tout au long de leur évolution, les auteurs ont pu identifier certains repères permettant de guider l’élaboration et l’implantation de projet dans le milieu communautaire en général et plus spécifiquement, dans le cadre d’interventions visant à soutenir l’engagement paternel. Le septième chapitre présente les résultats de l’évaluation de ces deux projets d’intervention, tant sur le plan de leur implantation que sur celui des effets des interventions sur l’engagement paternel et de l’implication des pères auprès de leurs enfants. Deux intervenants commentent également les projets depuis leur élaboration jusqu’à leur évaluation. Le huitième chapitre, « Des pratiques exemplaires pour soutenir l’engagement paternel », expose un autre pan de la recherche développé par l’équipe ProsPère. Parallèlement et tout au long du développement des différents projets de recherches, des enquêtes longitudinales ont été réalisées dans le but de recenser les différentes pratiques d’intervention auprès des pères. Réalisées auprès d’organismes montréalais, québécois et canadiens, ces études ont permis d’identifier les meilleures pratiques et les conditions de succès des programmes d’intervention auprès des pères. L’analyse des résultats a également permis de mettre en lumière les défis de l’intervention dans un contexte où les besoins sont tout aussi diversifiés que les pères le sont eux-mêmes. Le neuvième et dernier chapitre de cette section présente une analyse de la recherche-action à partir de l’expérience personnelle de l’auteure. Celle-ci aborde différentes formes de recherche-action en précisant les principes selon lesquels s’est réalisée la recherche-action au sein de ProsPères. Suivent quatre études menées par l’équipe et visant à illustrer les caractéristiques et les fondements de la recherche-action au sein de ce groupe. Un entretien avec Catherine Sellenet, professeure à l’Université de Nantes, vient clore cette section.

La troisième partie du volume s’intitule « Pères en contexte de vulnérabilité » et comporte trois chapitres entourant les réalités, défis et enjeux de la paternité dans trois sous-groupes de pères. On y souligne que la paternité n’est pas une réalité homogène, mais au contraire qu’elle est multiforme, plurielle et complexe. À cet effet, le dixième chapitre propose une lecture des enjeux de la paternité en contexte de vulnérabilité. Avec la collaboration d’entreprises d’insertion québécoises, les auteurs ont mené une étude sur les caractéristiques et les trajectoires de pères vulnérables et sur l’expérience des pères au sein des organismes d’insertion. Le onzième chapitre explore un contexte de vulnérabilité et de marginalisation qui, en regard de la paternité, est méconnu : celui des pères incarcérés. Y sont abordés les réalités et les enjeux particuliers de la paternité en contexte de détention. Et malgré la remise en question de plusieurs quant aux bienfaits de la présence du père dans la vie de l’enfant dans un tel contexte, les auteurs soulignent l’importance de favoriser l’engagement paternel des détenus. Des stratégies d’intervention issues de la recherche-action Grandir sainement avec un père détenu, sont également exposées et représentent un apport précieux et fort original dans le soutien à l’engagement paternel dans un contexte peu familier. Une réflexion sur la paternité en contexte migratoire complète cette troisième section. Par une recension des écrits sur le sujet, les auteurs présentent les défis et les impacts de l’immigration sur l’exercice du rôle paternel. Cette analyse permet de mieux comprendre la situation des pères immigrants et ainsi, de développer un contenu de formation destiné aux intervenants travaillant en contextes interculturels. Pour conclure cette troisième partie, la professeure de psychologie à l’Université de Toulouse-Le Mirail, Chantal Zaouche-Gaudron, commente la notion de vulnérabilité en soulignant les ressemblances et les différences des sociétés française et québécoise quant aux approches développées auprès des pères vulnérables.

La quatrième et dernière section ne comporte qu’un seul chapitre. Il traite du transfert de connaissances. Il s’agit là d’une pierre angulaire de l’engagement et de la mission de ProsPère qui souhaite diffuser son message non seulement auprès de la communauté scientifique, mais également auprès des pères eux-mêmes, des intervenants et des décideurs. À partir d’un cadre de référence de transfert des connaissances, l’auteur analyse les expériences du groupe de recherche dans la diffusion et l’appropriation des connaissances au sein de la communauté. Un entretien avec madame Olga Trotiansky, adjointe au maire et chargée de la petite enfance et de la famille à la ville de Paris vient clore cette section.

Enrichie par plus de quinze années d’expérience de recherche et d’intervention dans le cadre de ProsPère et de l’inestimable contribution des chercheurs et des intervenants qui y ont été impliqués, La paternité au XXIe siècle est une oeuvre phare. Le contenu de cet ouvrage interpelle la recherche et l’intervention autant que les lois et les politiques. Il touche tous les acteurs sociaux, les décideurs gouvernementaux, les universitaires et les intervenants sociaux, sans oublier, bien entendu, les acteurs au coeur de la paternité, c’est-à-dire, les pères eux-mêmes!