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J’attire tout de suite l’attention du lecteur sur une double particularité du titre. Premièrement, marketing prend ici un « s », ce pluriel évoquant justement la pluralité des aspects couverts. Ce n’est plus de marketing classique dont il est question ici, mais de marketing d’applications particulières, comme celui des arts et de la culture[1], des produits biologiques, de l’économie solidaire ou des petites communes pour ne citer que ces exemples. Le pluriel se justifie donc de cette façon.

La deuxième particularité du titre est que l’adjectif « contextuels » pourrait s’écrire au féminin pluriel en raison de la contribution de femmes spécialistes à divers degrés du marketing. On aurait pu jouer sur les mots en écrivant « contextuelles », ce que l’éditeur n’a pas risqué. Enfin, un point commun unit l’ouvrage en ce sens que les auteures sont toutes du Sud-Ouest de la France. Dix femmes donc pour 10 chapitres, voilà l’équation posée. Une onzième pour préfacer et un homme, moi en l’occurrence, pour faire la critique de cet ouvrage.

J’aimerais reprendre les propos de Sacha Guitry qui disait, en parlant des femmes : « Les femmes, je suis contre, tout contre elle », mais ce n’est pas le cas. Je ne suis ni contre le livre, encore moins contre les auteures. Trêve de plaisanterie, passons à l’analyse de l’ouvrage.

Le premier chapitre s’ouvre donc sur une question remettant en cause le marketing traditionnel et son évolution à travers le temps (le marketing sur le Web 2.0 est-il différent des 4P de McCarthy au fond ?) et s’interrogeant sur l’existence d’un marketing spécifique dans des secteurs ou des contextes particuliers. La réponse semble positive, car dans la négation, le livre n’aurait pas été écrit. On y parle également du cadre conceptuel utilisé pour la rédaction de cet ouvrage, à savoir la sainte trinité « valeur économique, valeur de lien et valeur sociétale », dont il faut comprendre qu’elle se fonde sur une approche « gagnant-gagnant » des acteurs en cause.

On évoque ensuite le marketing international de la sous-traitance industrielle, une application spécifique. En effet, on traite volontiers de marketing international et les livres ne manquent pas sur le sujet, mais lorsqu’il est question de PME, car ce sont elles qui reçoivent des commandes des donneurs d’ordres, la littérature est plus avare. Désormais, les gestionnaires, comme les théoriciens auront matière à réflexion. En alliant caractéristiques d’une petite entreprise et spécificités de l’exportation, on y découvre comment les PME peuvent choisir des marchés étrangers pas très éloignés et comment elles peuvent profiter des réseaux de leurs donneurs d’ordres pour faire des affaires à l’étranger.

De l’international au Web, il n’y a qu’un pas puisque le Web outrepasse les frontières du temps et de l’espace. Ainsi, la deuxième génération de Web, arrivée quelque 10 ans après le lancement grand public de cet outil formidable (servant à la communication, à la distribution, au paiement, au partage…), nécessite une remise en cause du modèle marketing traditionnel. Désormais, l’internaute est le héros et sans lui, point de marketing. Le Web 2.0 prend pour prémices que l’internaute donne son accord[2] pour recevoir des lettres d’information, des promotions, participer à des échanges, voire pour concevoir des produits (voir, par exemple, les sites Web de Kraft ou de Procter & Gamble). Le Web 2.0 offre aussi la possibilité de réseauter. Les Twitter, Facebook, Youtube, Montuyau, Second Life et autres permettent au consommateur de se dévoiler plus ou moins pudiquement sur la place publique, sans savoir à qui il s’adresse réellement.

Le chapitre consacré au marketing du distributeur examine la relation distributeur-consommateur et propose quelques pistes pour valoriser cet acteur final. En développant des marques de distributeurs (MDD), le client en a plus pour son argent, du moins paie davantage pour le produit et moins pour sa mise en marché. La mutation de la petite épicerie de quartier en grande surface en libre-service a poussé le client inactif et muet en acteur responsable, créateur de sa propre expérience en grande surface. Chez Auchan et Carrefour, entre autres, le client utilise des caisses en libre-service ; chez IKEA, le client se sert lui-même dans l’entrepôt avant de monter ses meubles. Le chapitre nous apprend également quelques rudiments du positionnement et si certains continuent d’axer leurs stratégies sur les prix bas (Leclerc, Intermarché, mais aussi Maxi au Québec ou Wal-Mart), d’autres font du sur-mesure grâce au géomarketing, cher à mon ancien professeur, J.P. Douard[3], ou se différencient par le service.

En parcourant l’un des rayons de ces magasins de la grande distribution, on tombe sur les produits biologiques. C’est justement le chapitre qui suit. Le marketing des produits biologiques se situe dans un secteur en croissance fulgurante (10 % par année en Europe depuis 1999, rappelle le livre) en plus d’attirer de grandes entreprises de l’agroalimentaire comme Kraft. La complexité des relations d’affaires dans ses filières incite les acteurs à utiliser à bon escient les « 4P » du marketing-mix, mais aussi à faire un effort particulier pour répondre à la demande.

Dans le cadre du marketing des organisations sportives, c’est la contribution du e-marketing qui est retenue. Avec de nombreux pratiquants en France, de nombreux licenciés, de nombreux clubs, de nombreux sportifs de haut niveau, une infrastructure médiatique couvrant la plupart des événements (journal l’Équipe par exemple, mais aussi les émissions spécialisées sur France 2, M6, Canal + ou sur le Web avec sport24.com), et des distributeurs parmi les plus gros d’Europe (Décathlon, Go Sport), on comprend que tous les ingrédients du marketing sont réunis. Dès lors, le marketing interactif (ou électronique, encore appelé e-marketing) constitue une façon peu onéreuse et efficace de diffuser information, de servir de canal de distribution, de réunir des partisans au sein d’une même croyance, d’une même pratique : des clubs de football aux petites associations locales, le site Web fait figure de référence.

Le chapitre sur les arts et la culture est moins nouveau en soi, car d’autres ouvrages plus conséquents ont traité de ce sujet. Il en relève néanmoins les principes de base. En rappelant l’hétérogénéité des activités culturelles (spectacle de musique, théâtre, disque ou livre…), l’auteure évoque la spécificité de ce secteur, développé sous forme de réseau, dans lequel de nombreuses parties prenantes s’imbriquent (ministère et organismes associés, grand public, mécènes, artistes, associations…). Bref, la solution marketing dans ce secteur semble revenir à la segmentation pour toucher différemment ces publics et partir d’une démarche inverse (bottom-up en ciblant le créateur) plutôt que de s’inscrire dans une logique de distribution pure et viser le consommateur final.

Enfin, les deux derniers chapitres font référence au marketing de l’économie solidaire et au marketing des municipalités de petite taille. Ici, c’est l’approche du marketing fondée sur les valeurs éthiques, sociales et sociétales qui prime. Quant au marketing des municipalités, avec plus de 36 000 communes en France, regroupées en département puis en région, le découpage administratif est on ne peut plus hiérarchisé. On comprend donc la multiplicité des parties prenantes et des rivalités qui peuvent naître pour attirer des investissements, développer des activités, mettre en place des infrastructures (salles communes, gymnase, lotissement…) et inciter de nouvelles entreprises et de nouveaux résidents à s’établir dans la commune, gage de sa vitalité. L’approche classique en marketing s’impose ici, en partant du principe que le maire est à la fois le produit et la force de vente et que le consommateurs-électeur a les pleins pouvoirs : élire, destituer, être fidèle à la paroisse ou la quitter, travailler ou se divertir en son sein ou à l’extérieur… Le marketing des petites communes doit donc focaliser sur la création de valeurs sociales, comme le souligne l’auteure dans sa conclusion.

En résumé, un livre sérieux, utile, pragmatique et pratique, doté d’un glossaire, avec des schémas pratiques, des mises en situation, de nombreux exemples et des questions à se poser pour appliquer le marketing en contextes spécifiques. Un livre à mettre dans les mains des professeurs de marketing, dans les bibliothèques des universités et dont les belles histoires sont à raconter dans les cours de la discipline.