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Introduction

Malgré la forte attention portée aux systèmes de mesure de la performance au cours des dernières années, les pratiques des entreprises dans ce domaine semblent à la fois disparates et souvent insatisfaisantes (Germain, 2005). À ce titre, le cas des PME[2] apparaît particulièrement intéressant dans la mesure où l’insuffisance de leurs ressources les conduit le plus souvent à adopter des procédures partielles et dispersées d’évaluation de la performance (Chapellier, 1994 ; Germain, 2005). Si les PME démontrent le plus souvent une grande expertise concernant les aspects techniques de leur métier, elles souffrent néanmoins très fréquemment de la persistance de pratiques managériales insuffisamment formalisées (Marchesnay, 1993 ; Garengo, Biazzo et Bititci, 2005), du faible recours à un système formel de contrôle et de gestion de la performance et de la nature informelle et ad hoc du processus conduisant à la prise de décision (Nayak et Greenfield, 1994). En outre, les objectifs des PME ne se limitent pas à la maximisation de la richesse et sont très étroitement liés à la personnalité du propriétaire-dirigeant (Marchesnay, 1993). En effet, les propriétaires-dirigeants poursuivent aussi des objectifs non pécuniaires qui ne sont pas révélés par les seuls éléments financiers (Bahri et St-Pierre, 2008). De ce fait, ces éléments de nature personnelle et interpersonnelle complexifient encore l’appréhension de la stratégie de la PME et l’évaluation de sa performance (Torrès et Guéguen, 2008 ; Guéguen et Pellegrin-Boucher, 2008).

Au final, les pratiques des PME en matière d’évaluation de la performance apparaissent à la fois incomplètes, dispersées et partielles et les difficultés auxquelles se heurtent ces entreprises sont souvent issues de l’insuffisance de ces procédures de suivi et de pilotage de la performance (Gaskill, Van Auken et Manning, 1993 ; Liesz, 2002). En outre, l’absence ou l’insuffisance d’outils d’évaluation de la performance accentue l’asymétrie informationnelle existant entre les dirigeants et les parties prenantes de la PME (actionnaire, prêteur, fournisseurs, etc.). Les conflits d’agence qui peuvent en résulter pénalisent alors la capacité de financement de l’entreprise et ses perspectives de croissance. La PME est ainsi confrontée à une insuffisance des outils de pilotage qui tiendraient compte à la fois de son expertise et de ses ressources (Bahri et St-Pierre, 2008) et qui lui permettraient, d’une part, de mesurer et de suivre sa performance et, d’autre part, de communiquer sur cette performance.

C’est pourquoi il apparaît pertinent de proposer aux PME un outil constitué d’indicateurs concrets et actionnables qui soit à la fois facile d’accès et facile d’utilisation et qui offre une vision globale et synthétique de la performance. Cet outil vise à mieux visualiser les leviers de performance (en termes de coût et de valeur) et les pratiques qui y sont associées ; il vise également à améliorer la capacité de réaction de l’entreprise (en prenant notamment en compte les évolutions de son environnement et le comportement de ses concurrents) ; il a enfin pour objectif d’identifier les liens entre la mesure de la performance et les objectifs stratégiques de l’entreprise (Löning, 2008). Autant d’éléments mobilisables par le dirigeant et les professionnels du conseil, dont l’action auprès des PME est en constant développement (Plane et Torrès, 1998) tant dans une perspective interne de pilotage de la performance que dans une perspective externe de signalisation de la performance.

L’objet de cet article est donc de proposer un système d’évaluation et de pilotage de la performance adapté à la PME susceptible d’être utilisé par le propriétaire-dirigeant ou ses conseils, d’une part, comme outil de gestion active de sa performance et, d’autre part, en tant qu’outil de négociation et d’échange avec les différentes parties prenantes. Cependant, conscients du fait que chaque PME est différente, nous n’avons pas ici l’ambition de proposer un modèle universel, applicable à toutes les entreprises, quel que soit le contexte, mais de fournir aux dirigeants, à ses conseils et à ses partenaires, un outil constituant la base d’une analyse ad hoc ouvrant la voie à des interprétations contingentes. Pour cela, nous nous appuyons sur le « modèle DuPont » initialement développé dans les années 1920. D’une part, nous l’enrichissons et nous le complétons par une série d’indicateurs complémentaires permettant d’éclairer les dimensions de la performance. D’autre part, nous mettons en avant les implications issues des résultats du point de vue de l’analyse stratégique de l’entreprise comme du point de vue de l’analyse concurrentielle. Dans cette perspective, l’apport attendu ressort à la fois d’une dimension académique par le biais de l’enrichissement quantitatif et qualitatif du « modèle DuPont » et d’une dimension managériale à travers la proposition d’un outil de pilotage et de communication directement actionnable par les PME. Ainsi, après avoir fait le constat de l’insuffisance des pratiques des PME en termes de pilotage de la performance et relevé les besoins spécifiques des PME en termes de système de mesure et de gestion de la performance (SMGP) dans la première section, cet article propose dans la deuxième section un système d’évaluation de la performance construit sur la base d’un « modèle DuPont enrichi », soulignant les implications stratégiques de cette évaluation de la performance et illustrant le modèle par son application au secteur des PME de la fabrication textile.

1. L’insuffisance des pratiques d’évaluation et de signalisation de la performance dans les PME

1.1. L’inadaptation des pratiques d’évaluation et de pilotage de la performance dans les PME

L’insuffisance de ressources, le manque de temps disponible, la structure de l’entreprise ou le profil des dirigeants constituent un contexte défavorable à la mise en place de méthodes élaborées de pilotage de la performance (Smith et al., 1996 ; Chapellier, 1994 ; Germain, 2005). Confrontées à la complexité d’utilisation de SMGP sophistiqués du type « balanced scorecard » (Kaplan et Norton, 1992 ; Garengo, Biazzo et Bititci, 2005), au manque de compétences requises pour mettre en oeuvre ces outils et à la difficulté d’accéder aux informations nécessaires pour les utiliser de manière optimale, les PME limitent le plus souvent leur analyse à une série d’indicateurs financiers (Laintinen, 1996 ; Hussein, Gunasekaran et Laitinen, 1998 ; Garengo, Biazzo et Bititci, 2005 ; Perera et Baker, 2007). En outre, le plus souvent, les indicateurs mobilisés sont traités de manière dispersée, ce qui n’offre pas la possibilité d’une véritable appréhension globale de la performance. Les entreprises concentrent principalement leur attention sur des mesures financières historiques telles que le chiffre d’affaires, la marge, la trésorerie, le profit, le résultat d’exploitation ou la valeur ajoutée (Germain, 2004 ; Perera et Baker, 2007). Le caractère dispersé de l’approche ne leur permet pas ainsi de construire une vision d’ensemble indispensable à l’exploitation du SMGP dans le cadre du pilotage stratégique de l’entreprise (Germain, 2005). Enfin, seule une part minoritaire des entreprises intègre des indicateurs exogènes à leur analyse et la comparaison avec les concurrents est ainsi très souvent négligée (Monnier, 2004).

Au final, les difficultés éprouvées par ces entreprises trouvent souvent leur origine dans l’inadaptation des méthodes de suivi et de contrôle de la performance mises en oeuvre. L’insuffisance des pratiques d’évaluation de la performance apparaît ainsi comme l’une des principales causes de l’échec des entreprises dans le contexte de petites et moyennes entreprises (Bruno, Leidecker et Harder, 1987 ; Gaskill, Van Auken et Manning, 1993 ; Liesz, 2002 ; Perera et Baker, 2007). De nombreux auteurs soulignent ainsi la nécessité pour les PME d’un changement culturel visant à rationaliser les systèmes de management et à assurer les conditions du succès dans un environnement à la fois plus complexe et plus concurrentiel (Bernardi et Biazzo, 2003 ; Garengo, Biazzo et Bititci, 2005 ; Bahri et St-Pierre, 2008). Dans ce cadre, la mise en place d’un système de reporting financier (sous la forme d’un SMGP) permet de fournir de manière rapide, grâce à une série d’indicateurs, des informations fiables et précises afin de suivre et d’analyser la performance passée et présente, d’établir l’origine de cette performance et de déterminer les événements qui peuvent influencer cette performance dans le futur (Germain, 2005). Certaines études soulignent d’ailleurs l’association existant entre l’amélioration du système de suivi et de pilotage financier et l’efficacité du management de la PME (McMahon, 2001). En ce sens, la mise en oeuvre d’un système de reporting financier élaboré semble contribuer très largement à assurer une utilisation optimale des ressources ainsi qu’un alignement sur les objectifs stratégiques de l’entreprise (McMahon, 2001).

1.2. Les insuffisances des systèmes de communication et de signalisation de la performance dans les PME

Outre les problèmes évoqués ci-dessus liés à l’insuffisance des pratiques des PME en matière d’évaluation et de pilotage de la performance, la difficulté d’un certain nombre de PME à disposer d’un système de production d’informations financières fiables et précises, rendant problématique la présentation de leur situation à diverses parties prenantes (l’actionnaire, le prêteur ou le bailleur de fonds), est génératrice de risques relatifs aux conflits d’agence (St-Pierre, 1999, 2004 ; Bouslama, 2008). En effet la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976) présente deux relations d’agence : la relation actionnaire-dirigeant et la relation actionnaire-prêteur. Les phénomènes d’asymétrie informationnelle entre ces agents et l’existence d’intérêts contradictoires de même que les risques de comportement opportuniste qui y sont attachés (risque moral ou antisélection) induisent alors conflits et coûts d’agence (issus des pertes supportées par les actionnaires et les prêteurs, dans l’hypothèse d’un comportement opportuniste des managers ou des propriétaires).

En raison des phénomènes d’asymétrie d’information importants entre le propriétaire-dirigeant, d’une part, et l’actionnaire, le prêteur ou le bailleur de fonds, d’autre part, et en raison du manque de crédibilité attaché aux informations diffusées, les PME doivent faire face à des difficultés importantes pour accéder à des fonds externes leur permettant de financer leurs projets (Berger et Scott Frame, 2007). La taille des PME, le manque d’informations crédibles disponibles et la concentration fréquente des pouvoirs entre les mains du propriétaire-dirigeant sont autant d’éléments qui augmentent les phénomènes d’asymétrie informationnelle. Cette situation empêche la PME d’accéder au financement à des conditions avantageuses (Ang, 1992 ; Petersen et Rajan, 1994 ; Riportella et Cazorla-Papis, 2001) et d’atteindre son objectif de croissance (Vos et al., 2007 ; Gregory et al., 2005). Les problèmes de liquidités récurrents de même que l’incapacité à obtenir du financement externe à des conditions acceptables apparaissent d’ailleurs comme des faiblesses répandues chez les PME (McMahon et al., 1993). L’existence de ces conflits d’agence conduit ainsi notamment à un rationnement du crédit (Stiglitz et Weiss, 1988). Dans ce contexte, les états financiers des PME, considérés comme trop complexes (Maingot et Zeghal, 2006) ou ne reflétant pas toujours la réalité et le potentiel de ces entreprises (St-Pierre, 1999) se révèlent insatisfaisants pour réduire l’asymétrie informationnelle existant entre le propriétaire-dirigeant et les parties prenantes. En l’absence de transparence de l’information (c’est-à-dire en situation « d’opacité informationnelle »), les PME sont dans l’incapacité d’envoyer un signal crédible aux apporteurs de fonds, aux banques ou aux partenaires d’affaires (Vos et al., 2007). Les parties prenantes sont ainsi en attente d’éléments qui soient à la fois plus simples, plus faciles à utiliser, moins coûteux à traiter et plus pertinents (Maingot et Zeghal, 2006). Initialement établie pour évaluer la réaction des investisseurs face à une modification de la structure du capital, la théorie du signal (Ross, 1977 ; Leland et Pyle, 1977) peut être ici mobilisée pour analyser la situation des PME. La PME est en effet en attente d’outils lui permettant d’envoyer un signal clair, pertinent et crédible dans le but de réduire l’asymétrie d’information entre le propriétaire-dirigeant et ses partenaires externes. Ce type d’outil permettrait de faciliter l’évaluation par les parties prenantes des décisions prises par la firme, générant ainsi une indication sur la performance actuelle et future de la PME (Ross, 1977 ; Leland et Pyle, 1977). À cet égard, un SMGP susceptible d’être utilisé par le propriétaire-dirigeant ou ses conseils, en tant qu’outil de communication, de négociation et d’échange avec ses partenaires, construit dans le but de donner l’image la plus fiable de la situation financière et stratégique de la PME, apparaît comme un élément central du développement et de la performance de l’entreprise.

1.3. Vers un modèle d’évaluation et de signalisation adapté à la PME

Ainsi, les PME sont souvent pénalisées par un déficit d’outil d’évaluation et de suivi de la performance, qui affecte tant l’aide à la prise de décision (dans une perspective de pilotage stratégique) que la communication avec les parties prenantes externes (dans une perspective de croissance et de financement, notamment). Dans le but de construire un SMGP adapté à la PME et susceptible de satisfaire à la fois un objectif de pilotage (interne) et de communication (externe), plusieurs critères doivent être retenus. Tout d’abord, la simplicité, la clarté, le coût de mise en place et la facilité d’utilisation de ce type d’outil sont considérés comme les caractéristiques à privilégier dans la construction d’un SMGP, notamment lorsqu’il est destiné à la PME (Bierbusse et Siesfield, 1997 ; Schneiderman, 1999 ; Garengo, Biazzo et Bititci, 2005 ; Bahri et St-Pierre, 2008). De plus, la crédibilité et la pertinence de l’information diffusée constituent des éléments indispensables pour réduire les coûts d’agence. Par ailleurs, afin d’ouvrir la voie à une interprétation et à une réflexion en termes de pilotage stratégique et d’aide à la décision, cet outil doit également poursuivre un objectif d’intégration. Pour cela, il doit être capable de proposer une vision globale de la performance, offrant un ensemble d’indicateurs synthétiques et incluant une identification quantitative et qualitative des leviers de création ou de destruction de valeur. Enfin, ce type d’outil doit, pour être pleinement efficace, intégrer des indicateurs exogènes à l’analyse, notamment sous la forme de comparaison avec les concurrents. En effet, les pratiques de benchmarking permettent d’améliorer de manière significative la performance financière et opérationnelle des PME, et constituent de ce fait un outil d’évaluation à privilégier (Delisle et St-Pierre, 2006).

Dans cette optique et sur la base du « modèle DuPont », nous proposons un modèle d’analyse de la performance en cinq étapes permettant de présenter une évaluation de la viabilité économique et financière de la firme ainsi que les implications stratégiques induites. Ce modèle s’appuie sur un enchaînement de ratios financiers visant à mettre en oeuvre une analyse de l’origine de la rentabilité de l’entreprise. Il utilise des données issues du bilan et du compte de résultat de l’entreprise qui constituent une base intéressante pour le développement d’un SMGP dans les PME (Bahri et St-Pierre, 2008). En effet, ces éléments mesurent la performance et la situation de la firme sur une période déterminée ; ces données sont les informations les plus mobilisées (et généralement les plus facilement compréhensibles) par les PME dans leur évaluation de la performance ; ces éléments sont accessibles et peu coûteux à produire ; enfin, ils sont suffisamment crédibles du fait de la certification qui y est attachée (St-Pierre, 1999 ; Bahri et St-Pierre, 2008), à condition d’être validés par un organe certificateur et hors les degrés de liberté laissés par les lois comptables nationales. Par ailleurs, compte tenu de la facilité d’accès aux données requises, ce modèle autorise une analyse comparée portant sur l’évaluation de la situation des concurrents ainsi qu’une analyse longitudinale. Il constitue alors un puissant outil de benchmarking et fournit une interprétation dynamique de la position concurrentielle de l’entreprise. Enfin, ce modèle propose une approche globale et synthétique de l’analyse de la performance en mettant en lumière les leviers de profit présents au sein des activités de l’entreprise (à la fois en termes de coût et de valeur) et en pointant les leviers d’amplification de la performance. En ce sens, il constitue également la base d’une analyse stratégique globale de l’entreprise permettant de questionner les pratiques de la PME et de vérifier l’alignement de l’organisation avec ses objectifs stratégiques.

Ce modèle ne prétend aucunement remplacer la mise en oeuvre d’une évaluation plus globale de la performance nécessitant de compléter l’analyse par des indicateurs non financiers, du type « balanced scorecard ». Il ne cherche pas à se substituer aux mesures financières de la création de valeur du type EVA (Economic Value Added), TBR (Total Business Return) ou encore MVA (Market Value Added) (Montis et Ponssard, 2000), d’autant plus que ces mesures incluent implicitement ou explicitement le coût des ressources mobilisées par l’entreprise et notamment, le coût du capital, ce que ne fait pas le modèle DuPont[3]. Il vise uniquement à proposer une base d’analyse à la fois simple (car fondée sur un nombre limité d’indicateurs financiers caractérisés par leur facilité d’accès) et complète (car fondée sur une étude intégrée des leviers et des amplificateurs de performance ainsi que de leurs implications stratégiques), adaptée à la situation de certaines PME ne disposant pas de moyens suffisants pour mettre en oeuvre de manière systématique une approche plus sophistiquée. Pour ces raisons, ce modèle peut être utilisé comme un outil d’aide à la décision pour les PME ou leurs conseils de même que comme un outil d’échange et de négociation avec les partenaires externes de l’entreprise (investisseurs, prêteurs ou fournisseurs).

2. Le « modèle DuPont enrichi » : vers un outil intégré de mesure de la performance et de pilotage de l’entreprise adapté à la PME

Dans cette seconde partie, le modèle élaboré est présenté, commenté et illustré par son application au secteur de la fabrication d’articles textiles en France (code NAF 174). Sur les 852 entreprises de ce secteur figurant dans la base DIANE, ont été retenues les entreprises de moins de 250 salariés dont les comptes sociaux 2008 étaient disponibles, soit un nombre total de 208. Le modèle présenté dans cet article a été appliqué à cette base d’entreprises par le biais d’une série d’analyses typologiques afin de tester la pertinence et le caractère discriminant de l’outil eu égard à la situation des firmes de ce secteur. Ces typologies ont été réalisées en ayant recours à la méthode de classification hiérarchique (méthode de Ward) et à l’aide du logiciel SPSS.

Développé dans les années 1920 au sein du département de gestion de la trésorerie de DuPont Corporation (Ekoka, 2003), le « modèle DuPont » établit initialement une relation entre un taux de marge nette et un taux de rotation du total des actifs. Le produit de ces deux ratios permet d’obtenir un taux de rentabilité économique. Cependant, au cours des années 1970 et 1980, du fait des mutations des modes de financement de l’économie, l’objectif de rentabilité financière passe au premier plan des objectifs de l’entreprise (Gitman, 1997 ; Liesz, 2002). Le modèle initial de DuPont à deux leviers est alors complété pour intégrer le concept d’effet de levier financier (Liesz, 2002 ; Montebello, 2004). À la fin des années 1990, le modèle est à nouveau amendé afin d’isoler l’impact de la politique financière et des opérations exceptionnelles sur le résultat, d’une part, et de mieux comprendre la contribution des décisions opérationnelles sur la performance, d’autre part (Hawawini et Viallet, 1999 ; Liesz, 2002).

Ces différents apports sont repris, modifiés, adaptés et enrichis dans la suite de cet article afin de proposer un SMGP permettant de mettre l’accent sur six déterminants de la performance (cf. équation 1). Le modèle offre ainsi la possibilité d’une vision synthétique de la performance de l’entreprise et d’un approfondissement des origines de cette performance. Cette synthèse permet également d’évaluer la pertinence des choix stratégiques de l’entreprise (structure de financement des activités, poids des charges financières, type de stratégie générique retenue, recours à la sous-traitance, efficacité des immobilisations, positionnement dans la filière, etc.) et d’envisager les voies d’actions possibles pour améliorer la performance.

Ce modèle se construit en cinq équations successives visant à approfondir la compréhension de la dynamique de la performance de la PME en lien avec son positionnement stratégique. Ces cinq équations sont détaillées dans la suite de l’article.

2.1. Rentabilité financière, rentabilité économique et politique financière

La première équation considérée concerne la rentabilité pour les associés (ou rentabilité financière) :

Ce ratio donne une indication de l’enrichissement des associés à la suite de leur investissement dans l’entreprise dans le cas où le résultat net leur est attribué en totalité sous forme de dividendes (taux de rémunération maximal théorique). L’étude de la politique de dividendes est souvent inadaptée à la PME car la distribution de dividendes dépend essentiellement du style de vie de l’entrepreneur, de ses besoins monétaires ou de la volonté d’optimiser la taxation fiscale de ses revenus (St-Pierre, 1999). Souvent, le propriétaire-dirigeant préfère d’ailleurs se rémunérer sous forme de salaires qui sont alors disproportionnés par rapport au travail fourni (Watson, 1990). En revanche, l’indicateur de RCP offre également une mesure de la capacité de la PME à financer sa croissance, dans le cas où le profit est réinvesti (Montebello, 2004). En ce sens, la comparaison du RCP et du taux de croissance de l’activité donne une indication du caractère « soutenable » de la performance et de la position concurrentielle, c’est-à-dire de la capacité à l’atteindre sans obérer sa capacité à la reproduire (Higgins, 1977 ; Herriau, 1999). Cette information se révèle particulièrement critique pour les PME pour lesquelles le financement de la croissance est souvent une difficulté majeure, voire une source de perte de compétitivité ou d’échec (Jullien et Paranque, 1995 ; Belletante, Levratto et Paranque, 2001 ; St-Pierre, 2004). En témoignent d’ailleurs les nombreux programmes mis en place par les pouvoirs publics et visant à faciliter la croissance des PME. Souvent confronté à la prudence des banques dans leur politique d’octroi de crédit aux PME (Bouslama, 2008), le propriétaire-dirigeant dispose ici d’un outil permettant d’analyser sa capacité à maintenir sa position concurrentielle et de formaliser les enjeux de la politique de financement des investissements. Par ailleurs, il obtient une indication sur ses capacités à mettre en oeuvre une stratégie de croissance « agressive » et notamment sa capacité à initier un développement géographique (internationalisation par exemple) de son activité (St-Pierre, 2004). Ce renseignement apparaît d’autant plus intéressant que le propriétaire-dirigeant manifeste le plus souvent une préférence pour l’autofinancement. La théorie de l’ordre hiérarchique ou « pecking order theory » (Myers, 1984 ; Norton, 1991 ; Vos et al., 2007) pose l’hypothèse d’un ordre de préférence entre les modes de financement ; le manager privilégie tout d’abord le réinvestissement de ses profits puis le financement par emprunt, le financement par obligations, avant d’ouvrir le capital à de nouveaux investisseurs par émission d’actions. Les propriétaires-dirigeants, attachés à conserver le contrôle sur leur entreprise, souhaitent empêcher tout investisseur externe d’interférer dans les décisions managériales en privilégiant un financement interne (St-Pierre, 1999 ; Bouslama, 2008). En ce sens, ce ratio offre une indication sur la faisabilité des orientations stratégiques de croissance retenues par l’entrepreneur tout en considérant son mode de raisonnement et ses impératifs d’indépendance.

Sur l’échantillon d’entreprises considéré, trois groupes se distinguent de manière statistiquement significative[5] (cf. annexe I) en fonction de leur performance financière. En effet, le groupe 1 présente la rentabilité la moins satisfaisante (avec un RCP moyen de 2,9 %) ; le groupe 3 affiche en revanche la meilleure performance avec un RCP moyen de 85,7 % ; enfin, le groupe 2 présente une rentabilité intermédiaire pour les actionnaires avec un RCP moyen de 23,1 %[6].

Cependant, l’analyse de la rentabilité des capitaux propres reste insuffisante si l’on ne distingue pas les trois composantes qui en sont à l’origine. En effet, la RCP est la résultante de l’impact conjoint des éléments financiers et exceptionnels, de la rentabilité économique et du levier financier :

Le premier ratio (RN/RE) permet d’évaluer l’importance de trois types d’influences : le poids des charges financières (c’est-à-dire des charges d’intérêt), l’impact des produits financiers et l’effet des éléments exceptionnels (charges et produits exceptionnels) et de l’impôt sur les sociétés.

Le deuxième ratio (RE/AEN) renvoie à la notion de rentabilité économique, utilisée en stratégie pour mesurer la performance économique de l’exploitation de la PME, c’est-à-dire la pertinence ou la cohérence de son modèle économique. Le terme de modèle économique (ou « business model ») est utilisé ici pour désigner le processus par lequel l’entreprise génère du profit sur la base des moyens économiques investis. La rentabilité économique renvoie de ce fait à la capacité qu’a la PME de dégager du profit avec son métier, sur son activité et sur la base des capitaux investis. Même s’il n’intègre pas la notion de risque, ce ratio est fondamental puisqu’il mesure l’efficacité de l’activité de l’entreprise d’un point de vue économique (Quiry et Le Fur, 2005). Pour l’améliorer, il est souhaitable de privilégier l’augmentation du résultat, mais il est souvent plus facile de diminuer les capitaux investis. Cette dernière option est louable lorsqu’il s’agit, par exemple, de réduire des immobilisations considérables, superfétatoires, sans véritable rapport avec l’activité ou la mission de l’entreprise (un parc immobilier, par exemple). De même, l’intérêt de la poursuite d’un objectif de stock minimal, voire de fonctionnement en flux tendus a depuis longtemps été reconnu. Ce ratio permet, en ce sens, de formaliser le poids des stocks dans la performance ; or, les pratiques des PME restent encore insuffisantes dans ce domaine et la majorité de ces entreprises n’ont pas, par exemple, recours à des techniques quantitatives de gestion des stocks, les commandes étant le plus souvent déclenchées sur la base du stock disponible ou de l’opportunité ponctuelle d’obtenir une remise de la part du fournisseur (Burns et Walker, 1991 ; St-Pierre, 1999). En outre, les PME n’exercent pas, la plupart du temps, de contrôle strict des stocks (St-Pierre, 1999). Enfin, cet indicateur attire l’attention du gestionnaire de PME sur l’amélioration nécessaire du cycle de trésorerie lié au décalage « créances-dettes ». Cette information est d’autant plus intéressante que certaines études soulignent que, dans leur majorité, les PME financent plus leurs clients qu’elles ne se financent auprès de leurs fournisseurs (Burns et Walker, 1991 ; St-Pierre, 1999).

Le troisième ratio (AEN/CP) désigne l’effet de levier financier. Lorsque la rentabilité économique est supérieure au coût de l’endettement, l’augmentation de l’endettement permet aussi d’augmenter la rentabilité des capitaux propres. À l’inverse, lorsque la rentabilité économique est inférieure au taux de la dette, l’effet de levier dégrade la rentabilité des capitaux propres. Cependant, si ce ratio permet d’évaluer l’effet multiplicateur du recours à l’endettement (c’est-à-dire « l’effet volume » de l’effet de levier), il est impératif de le mettre en perspective avec « l’effet coût » de l’effet de levier, révélé par le poids des charges financières. Dans le cas des PME, ce ratio doit être interprété avec prudence. En effet, l’analyse doit prendre en considération la préférence des propriétaires-dirigeants pour un financement interne qui leur assure la préservation du contrôle de leur entreprise et, à défaut, pour un financement par dette aux dépens d’un financement par émission de parts sociales (Myers, 1984 ; Norton, 1991). Ainsi, l’examen d’une PME dont l’endettement est plus élevé (notamment comparé à certains de ses concurrents), du fait de la volonté du dirigeant de conserver le contrôle, ne doit pas conduire à conclure obligatoirement à un profil de risque plus élevé (St-Pierre, 2004). Ce taux d’endettement doit fondamentalement être comparé à la capacité de la firme à assumer le poids des charges financières[7] et être associé à l’analyse de la capacité du dirigeant à mobiliser le cas échéant du « capital amical » au sein de son réseau relationnel (St-Pierre, 2004). En outre, cette analyse doit prendre en considération la spécificité des PME en termes de « quasi-fonds propres », c’est-à-dire d’avances en comptes courants ou de prêts des dirigeants à l’entreprise, souvent considérés à tort comme des dettes (St-Pierre, 1999 ; Ang, 1992). Dans ce cadre, une PME peut sembler sous-capitalisée et son endettement, considéré comme trop important alors même que ce taux d’endettement est issu du recours à ces quasi-fonds propres.

L’analyse typologique réalisée sur la base de ces trois ratios (cf. annexe II) met en évidence cinq groupes distincts de manière statistiquement significative. Ainsi le groupe 5 présente la meilleure rentabilité financière (30,7 %) grâce à un effet « mixte » permettant de potentialiser la rentabilité économique (RE/AEN = 20,2 %) et l’effet de levier (AEN/CP = 3,3). En outre, il semble bien que le poids des charges financières lié à la dette ne pénalise pas de manière excessive la rentabilité des capitaux propres (RN/RE = 63 %). Le groupe 3 présente la deuxième meilleure rentabilité financière (19,6 %) malgré une rentabilité économique très faible (2,5 %) et un recours modeste à l’effet de levier financier (AEN/CP = 1,1). En revanche, les entreprises de ce groupe profitent d’un effet positif résultant de l’impact des produits financiers et/ou des éléments exceptionnels (RN/RE = 510 %). Le groupe 2 fonde sa bonne performance financière (RN/CP = 19,6 %) sur un fort levier économique de création de richesse (30,9 %) ; il témoigne d’un modèle économique sain et d’une dette limitée (AEN/CP = 0,9) qui ne lui permet pas de profiter d’un effet de levier ; la rentabilité financière de ce groupe n’est guère pénalisée par l’effet des charges financières ou exceptionnelles. Le groupe 4 est constitué des entreprises en difficultés. En effet, avec un résultat d’exploitation négatif (RE/AEN = – 1,6 %) et un endettement assez prononcé (AEN/CP = 1,8), ces entreprises ne présentent une rentabilité financière légèrement positive (3,5 %) qu’en raison d’un effet positif de l’impact des produits financiers et/ou des éléments exceptionnels (RN/RE = – 192 %). Enfin, le groupe 1 présente un profil moyen caractérisé par une rentabilité économique proche des 12 % et un effet de levier assez prononcé (1,7) mais voit sa rentabilité financière dégradée par l’impact des charges financières et/ou des éléments exceptionnels (RN/RE = 35 %)[8].

2.2. Performance commerciale et rotation des actifs

Au même titre que la RCP, le ratio de rentabilité économique est un résultat qui doit donner lieu à un approfondissement de l’analyse. Il est possible de décomposer le ratio de rentabilité économique afin de trouver deux origines possibles de la performance de l’activité de la PME.

Le premier ratio (RE /CA) est un taux de performance commerciale (ou taux de marge d’exploitation). Il offre une indication de l’efficacité commerciale de l’entreprise exprimée en termes de marge, c’est-à-dire de la capacité de l’entreprise à optimiser la gestion conjointe de ses coûts et de ses prix. De ce fait, cet indicateur témoigne de la capacité de la PME à se mettre en phase avec les attentes de ses clients (et à leur proposer une offre créatrice de valeur) afin que ceux-ci acceptent un prix permettant de générer une marge satisfaisante, une fois assumé le coût des facteurs de production (Van Caillie et al., 2006). Ce ratio est alors représentatif de la capacité de la PME à mener à bien sa stratégie de différenciation (Porter, 1982), à identifier clairement les attentes des clients, à créer une relation de proximité avec ces derniers et à dynamiser la valeur perçue attachée à son offre (Van Caillie et al., 2006). En outre, la comparaison avec les données moyennes du secteur permettra de guider la compréhension de la nature de l’environnement concurrentiel dans lequel évolue l’entreprise (BCG, 1982) et ainsi de distinguer une faible marge commerciale due à l’échec de la stratégie de différenciation ou résultant de l’impossibilité de mener à bien une telle stratégie dans le système concurrentiel considéré.

Le second ratio (CA/AEN) est un taux de rotation des actifs ; il mesure l’efficacité commerciale en termes de volume de ventes. Ce ratio évalue en effet la capacité de l’entreprise à optimiser l’utilisation de ses actifs ; il constitue ici un amplificateur du taux de marge. Dans le cas des PME, ce ratio peut se révéler inadapté. En effet, il témoigne traditionnellement de la capacité à réaliser des économies d’échelle, des économies d’expérience ou à bénéficier d’effet de taille dans sa relation avec les fournisseurs ; autant d’éléments qui permettent un abaissement des coûts et justifient l’augmentation de la taille de l’entreprise à la recherche d’une plus forte compétitivité. Cependant, certaines technologies ont considérablement réduit le rôle des économies d’échelle (Torrès, 1999) et contribué à diminuer la taille efficiente. Dans le contexte de la PME, en témoignant de l’efficacité de l’utilisation des actifs, ce ratio donne une indication de la capacité de l’entreprise à réduire ses coûts par le biais de technologies de production avancées telles que l’automation, l’informatique ou les techniques de production flexible (Torrès, 1999 ; Bahri et St-Pierre, 2008).

L’analyse typologique réalisée sur la base de ces deux ratios (cf. annexe III) dévoile quatre groupes distincts de manière statistiquement significative[9]. Le groupe 3 présente la meilleure rentabilité économique (57,1 %), générée par un effet « mixte » combinant différenciation, maîtrise des coûts et efficacité de l’utilisation des actifs, comme en témoignent la forte performance commerciale (14,9 %) et le fort taux de rotation des actifs (4,6). Ce groupe s’apparente possiblement à des entreprises ayant non seulement adopté une politique de marque à fort contenu marketing pour commercialiser des textiles « techniques » à forte valeur ajoutée, mais aussi opté pour une politique d’innovation technologique leur permettant de dynamiser la productivité. Le groupe 2 se caractérise par une faible performance commerciale (1,4 %) contrebalancée par une forte efficacité des actifs (6,8), possiblement fondée sur l’optimisation de ses techniques de production. Cette situation permet à ce groupe de PME d’atteindre une performance économique satisfaisante (8,3 %). Le groupe 4 est composé d’entreprises en situation « d’échec stratégique », présentant une rentabilité commerciale négative (– 6,1 %) et une efficacité des actifs très faible. Cette situation s’apparente probablement au cas de firmes incapables de maîtriser leurs coûts, de générer une différenciation dans l’esprit des consommateurs (entreprises traditionnelles à faible valeur ajoutée et centrées sur la sous-traitance) et/ou affrontant un environnement concurrentiel particulièrement hostile (environnement d’impasse du textile traditionnel en France). Enfin, le groupe 1 s’apparente à la situation « moyenne » du secteur considéré et génère une rentabilité économique satisfaisante fondée sur une bonne rentabilité commerciale (5,9 %) alliée à une efficacité modérée des actifs (3.1).

2.3. Maîtrise des charges d’exploitation, productivité des immobilisations et intensité capitalistique

À ce stade, il est encore nécessaire de pousser l’analyse en décomposant le ratio de performance commerciale de l’exploitation :

La valeur ajoutée traduit le supplément de valeur donné par l’entreprise, dans son activité, aux biens et aux services en provenance des tiers (Quiry et Le Fur, 2005). Ces consommations intermédiaires se composent, notamment, des achats de matières premières ou de marchandises, du coût de la sous-traitance, des charges liées à l’énergie, au transport, aux assurances, etc.

Le premier ratio (RE/VA) permet de mettre en évidence la maîtrise des charges internes d’exploitation rattachées au coût du travail et les choix en matière de politique d’amortissement et de dépréciations d’exploitation et de fiscalité d’exploitation. Lorsque ce ratio est élevé, il est possible de faire l’hypothèse d’une bonne maîtrise des charges salariales au sens large. Ce ratio offre ainsi une indication sur les techniques de travail utilisées (systèmes automatisés, technologies de pointe) permettant de réduire le nombre de salariés (et donc les charges qui y sont relatives), mais aussi sur l’utilisation de certaines pratiques de gestion des ressources humaines (formation, évaluation, motivation, rémunération) permettant de dynamiser la productivité (Bahri et St Pierre, 2008). Cependant, il faut souligner que si les pratiques de GRH améliorent la productivité, elles induisent également des coûts de mise en place importants, ce qui explique leur faible popularité au sein des PME (Kok et Uhlaner, 2001 ; Bahri et St-Pierre, 2008). En outre, de faibles charges salariales peuvent également être liées au choix d’un recours à la sous-traitance (cette hypothèse devra être confirmée avec l’analyse du second ratio). Par ailleurs, ce ratio permet d’attirer l’attention du dirigeant de la PME sur le caractère régulier et suffisant de sa politique d’investissement (révélée par le montant d’amortissement). Cette dernière indication apparaît particulièrement critique dans le cas de la PME. En effet, elle peut révéler l’insuffisance d’une véritable stratégie de développement et/ou l’absence d’une stratégie d’innovation intégrant les besoins de ses marchés actuels ou futurs. Or, ces éléments sont reconnus comme des causes majeures de la défaillance des PME (Van Caillie, 2006). Dans cette optique, il est indispensable de compléter l’analyse à la lumière de la comparaison avec les données moyennes du secteur d’activité concerné ou des principaux concurrents.

Le second ratio (VA/CA) met en évidence la maîtrise des charges externes d’exploitation. Ce ratio permet notamment d’évaluer le contrôle des coûts d’achat qui, dans les PME, semblent notamment liés à l’efficacité des outils de planification et de gestion de la production, à la formation du personnel de production ainsi qu’à l’existence de relations partenariales avec les fournisseurs (Culler et Burd, 2007 ; Bahri et St-pierre, 2008). De ce fait, un ratio faible peut certes traduire une mauvaise maîtrise de ces charges externes notamment des frais généraux (et une nécessité de modifier les pratiques), mais il peut également être lié à un recours intensif à la sous-traitance. À l’inverse, un ratio élevé peut être le signe d’une bonne maîtrise des charges externes ou d’une forte intégration de l’activité dans la filière.

L’analyse typologique réalisée sur la base de ces deux ratios (cf. annexe IV) fait apparaître six groupes distincts de manière statistiquement significative[10]. Les groupes 1, 2 et 6 présentent une performance commerciale similaire et modérée (RE/CA entre 3 % et 3,5 %) ; cependant, ce score de performance commerciale est généré de manière très différente selon les groupes. Ainsi le groupe 1 semble montrer une meilleure maîtrise de ses charges internes d’exploitation mais présente la moins bonne performance en termes de maîtrise des charges externes. Cette situation peut s’expliquer, par exemple, par un recours intensif à la sous-traitance. À l’opposé, le groupe 6 présente la situation inverse avec un ratio VA/CA élevé et un ratio RE/VA faible. Ce cas de figure peut s’expliquer par une bonne maîtrise des coûts d’achat et par une forte intensité de main-d’oeuvre ou une politique active d’investissement. Enfin, le groupe 2 présente une situation proche de la moyenne de l’ensemble des groupes même si sa performance commerciale semble pénalisée par sa difficulté à maîtriser ses charges internes. Les groupes 4 et 5 sont formés des entreprises en difficultés avec des taux de performance commerciale situés entre – 4,3 % et – 5,2 %. Dans les deux cas, cette mauvaise performance résulte d’une mauvaise maîtrise des charges internes avec des ratios RE/VA négatifs. Ces groupes sont possiblement composés d’entreprises pénalisées par des charges salariales importantes et ne parvenant pas à réorienter leur production vers des produits plus techniques, à plus forte valeur ajoutée. Pour le groupe 5, une assez bonne maîtrise des charges externes ne suffit pas à compenser l’importance des charges internes. En revanche, pour le groupe 4, c’est la lourdeur des charges externes qui dégrade le chiffre de valeur ajoutée et explique probablement l’incapacité des entreprises à couvrir les charges internes, conduisant à un résultat d’exploitation négatif. Enfin, le groupe 3 est composé des PME les plus performantes, avec une performance commerciale moyenne de 11,5 %, engendrée par une bonne maîtrise à la fois des charges externes et internes.

La cinquième équation proposée permet de décomposer le ratio de rotation des actifs.

Le premier ratio (CA/IMMO) est un taux de rotation des immobilisations. Il constitue un indicateur de la productivité des immobilisations, c’est-à-dire de la capacité de l’entreprise à optimiser l’utilisation de ses immobilisations pour augmenter son volume de ventes. Là encore, il s’agit principalement d’évaluer la pertinence de l’outil de production de la PME. Pour améliorer ce ratio pour les PME industrielles, on peut notamment se tourner vers les techniques d’informatisation de la production (Bahri et St-Pierre, 2008) et/ou envisager la mise en place d’organisations innovantes par le biais de coopération autour d’un outil de production partagé ou de mise en réseau de PME, pour faciliter le transfert technologique, par exemple (Ladame, 2007).

Le second ratio (IMMO/AEN) mesure l’importance de la part des immobilisations dans l’actif économique. Il constitue donc une mesure de « l’intensité capitalistique des immobilisations » (ou de l’outil de production). Cette décomposition met ainsi en lumière les origines de l’efficacité de l’utilisation de l’actif économique net. En effet, cette dernière peut être issue d’une forte productivité des immobilisations ou du recours intensif au capital.

L’analyse typologique réalisée sur la base de ces deux ratios (cf. annexe V) met en évidence trois groupes distincts de manière statistiquement significative[11]. Le groupe 3 présente le meilleur score en termes d’efficacité de l’utilisation de l’actif économique net (7,6) ; les entreprises de ce groupe parviennent à ce bon résultat en s’appuyant sur une très forte productivité des immobilisations (55,4) alors même que l’intensité capitalistique des immobilisations est très faible. Le fort taux de productivité des immobilisations peut être expliqué par l’optimisation des processus de conception et de production. La faible intensité capitalistique peut aussi être potentiellement reliée à la forte productivité et s’expliquer par une organisation innovante ou des techniques de production avancée ; une autre hypothèse réside dans un recours intensif à la sous-traitance permettant de générer un CA important avec une faible quantité d’immobilisations. Le groupe 1 présente la situation la plus défavorable (CA/AEN = 3,6) du fait d’une forte intensité capitalistique des immobilisations (IMMO/AEN = 54,2 %) combinée à une très faible productivité (CA/IMMO = 7,5). Ce groupe peut s’apparenter à des sous-traitants du secteur textile, pénalisés par de lourds investissements productifs, connaissant des difficultés pour rentabiliser ces investissements et incapables de réaliser une conversion de leur production vers des textiles à plus forte valeur ajoutée. Enfin, le groupe 2 présente une productivité des immobilisations légèrement supérieure à la moyenne, mais la faible intensité capitalistique des immobilisations ne lui permet pas d’en profiter pleinement en termes de rotation des actifs économiques avec un ratio CA/AEN proche de la moyenne des groupes.

Conclusion

Malgré l’importance souvent soulignée de développer des systèmes de mesures et de pilotage de la performance au sein des entreprises (à la fois à visée interne et externe), de nombreuses études mettent en lumière l’inadaptation ou l’insuffisance des pratiques existantes. Les SMGP restent en effet très souvent insatisfaisants, particulièrement au sein des PME. Celles-ci s’appuient le plus souvent sur des indicateurs financiers partiels et dispersés et renoncent à mettre en oeuvre des approches plus globales, souvent trop complexes compte tenu de leur taille et de leurs moyens. Le « modèle DuPont enrichi » que nous présentons vise à proposer aux PME une solution simple en termes de mesure et de signalisation de leur performance. Il ne prétend pas se substituer à une approche sophistiquée et exhaustive d’analyse de la performance du type « balanced scorecard », mais offre néanmoins une alternative permettant d’établir les leviers et les amplificateurs de performance. Cet outil a pour ambition d’offrir au dirigeant la possibilité de suivre activement la performance de sa PME de même que celle de communiquer sur sa performance actuelle et future auprès des parties prenantes centrales pour l’entreprise. Fondé sur la combinaison d’un nombre restreint d’indicateurs financiers, le « modèle DuPont enrichi » privilégie la simplicité et la clarté et se caractérise par une standardisation qui rend son utilisation facile. En outre, il permet de relier les indicateurs à l’analyse stratégique de l’entreprise et rend compte de l’efficacité de la mise en oeuvre de la stratégie choisie. Par ailleurs, en ouvrant la possibilité de réaliser une analyse longitudinale couplée à une analyse comparée, il offre la possibilité d’inscrire l’action stratégique dans son environnement et dans le temps. De plus, en permettant une mesure de la performance mise en perspective avec la situation des marchés et des concurrents de l’entreprise, il met l’accent à la fois sur l’anticipation et la réactivité.

Cependant, le caractère « standardisé » de cette approche fondée sur une suite de ratios induit plusieurs limites à son utilisation. Une première concerne les spécificités fortes au sein des PME tant en termes de conditions environnementales, de caractéristiques structurelles ou de conceptions de la performance ; même si ces ratios ouvrent la voie à des interprétations contingentes, le caractère standard de l’outil doit inciter à la prudence dans son utilisation. Une autre concerne les difficultés liées à l’utilisation des ratios financiers (Foster, 1986 ; St-Pierre, 1999) et fait référence au problème de proportionnalité, à l’utilisation de méthodes comptables différentes, à la diversification des activités des entreprises ou à la nature du secteur d’activité. Dans notre cas, les ratios sont utilisés à des fins principalement descriptives, ce qui limite l’impact du problème de proportionnalité. En outre, l’application au secteur du textile a montré qu’il n’y avait pas d’influence de la taille sur les ratios considérés. En ce qui concerne les méthodes comptables, il apparaît nécessaire de s’assurer de l’homogénéité des données disponibles afin de mettre en oeuvre l’analyse de manière pertinente. La diversification des activités, susceptibles de fausser les interprétations, ne constitue pas une difficulté majeure pour les PME qui sont peu concernées par ce type de manoeuvre. De plus, l’application comparée de ce modèle à des entreprises appartenant à des secteurs différents devra être réalisée avec prudence du fait de la spécificité des structures d’actifs relatives à leur production. Par ailleurs, une autre limite doit être soulignée qui touche au problème de qualité de l’information. Les états financiers des PME ne reflètent pas toujours la réalité, visant souvent à optimiser pour les dirigeants la situation comptable et fiscale de l’entreprise, avant d’en donner l’image la plus fidèle, dans le respect des principes comptables (St-Pierre, 1999 ; Vos, 1992). Les divergences en termes de formes de présentation ou de contenu[12] doivent en ce sens inciter l’observateur à la prudence dans son interprétation. Enfin, au-delà de l’application de ce modèle à un secteur d’activité, les propositions développées ici demandent à être confrontées au terrain de manière plus qualitative. Une piste de recherche future envisagée vise à présenter ce modèle aux propriétaires-dirigeants de PME du secteur textile dans le but d’analyser leur perception des indicateurs mobilisés et d’approfondir l’analyse typologique présentée ici. Ce travail permettra ainsi d’affiner les implications du modèle proposé et d’offrir des interprétations complémentaires aux résultats obtenus, ouvrant la voie à des développements complémentaires.