Corps de l’article

Introduction

Attirées par les opportunités offertes par Internet en matière de différenciation, d’élargissement des marchés et de réduction des coûts de communication et de distribution, les petites et moyennes entreprises (PME) adoptent le commerce électronique (e-commerce) en espérant être plus compétitives (Amabile, 2007 ; Bunker et Yin, 2005 ; Amabile et Gadille, 2005 ; Pflughoeft et al., 2003). Toutefois, la présence sur la Toile n’est pas sans risques et il est impossible d’affirmer que toutes les stratégies d’adoption du e-commerce sont couronnées de succès. Si certaines entreprises affichent des résultats satisfaisants, beaucoup d’expériences soulèvent des incertitudes liées à l’intégration d’Internet dans les activités traditionnelles des firmes (Belvaux, 2006 ; Reix, 2003).

La question de l’impact du e-commerce sur la performance organisationnelle des firmes a été traitée ces dernières années selon la perspective basée sur les capacités (Sanders, 2007 ; Hafeez, Keoy et Hanneman, 2006 ; Zhu et Kraemer, 2005). Plus précisément, le concept de capacité e-commerce (e-commerce capability) a été mobilisé dans certains travaux pour expliquer comment des projets Internet peuvent contribuer à une meilleure compétitivité des firmes (Zhu et Kraemer, 2002 ; Barua et al., 2004 ; Zhu et Kraemer, 2005 ; Saini et Johnson, 2005).

Toutefois, dans ces travaux, la question de la contribution du commerce électronique à l’amélioration de la compétitivité des PME a été très peu étudiée. Pourtant, les petites et moyennes entreprises peuvent avoir des comportements particuliers en matière d’adoption et d’utilisation des innovations technologiques basées sur Internet (Raymond, Bergeron et Ben Hamouda, 2007 ; Amabile, 2007 ; Al-Qirim, 2007 ; Chong et Pervan, 2007 ; Dembla, Palvia et Krishnan, 2007 ; Raymond, Bergeron et Blili, 2005 ; Amabile et Gadille, 2005).

En fait, la petite taille de l’entreprise est un facteur qui peut être associé simultanément à un ensemble d’avantages et de désavantages qui peuvent faciliter ou, au contraire, freiner le succès des projets du commerce électronique. Par exemple, d’un côté, les petites organisations peuvent être plus innovantes dans la mesure où elles sont plus flexibles, possèdent une plus grande capacité d’adaptation et acceptent plus facilement les changements (Damanpour, 1996 ; Dewar et Dutton, 1986). D’un autre côté, elles possèdent moins de ressources financières pour le développement de nouveaux projets, peu de ressources et de compétences technologiques et se caractérisent par un faible degré de contrôle de leur environnement externe (Damanpour, 1996 ; Hitt, Hoskisson et Ireland, 1990 ; Dewar et Dutton, 1986).

Dans ces entreprises, la direction incarne la stratégie, stimule les changements et alloue les ressources nécessaires à l’adoption des technologies nouvelles (Raymond, Bergeron et Blili, 2005 ; Lefebvre, 1991).

Tous ces facteurs font en sorte que l’impact d’adoption du commerce électronique dans les PME peut être différent de celui observé dans les grandes organisations. D’autant plus que les technologies d’Internet permettent de dégager particulièrement la PME de contraintes spécifiques, lui procurant ainsi de nouvelles sources de compétitivité en termes de réduction des coûts et de différenciation (Dembla, Palvia et Krishnan, 2007 ; Amabile, 2007 ; Amabile et Gadille, 2005).

D’après ce qui précède, notre question de recherche se présente comme suit : quand et dans quelles conditions le e-commerce contribue-t-il à la création d’un avantage pour les PME ? Afin d’apporter des éléments de réponse à cette question, la perspective basée sur les capacités organisationnelles a été mobilisée afin de développer un modèle explicatif de l’avantage compétitif du e-commerce appliqué au domaine des petites et moyennes entreprises.

Cette présentation comprend sept sections : la première sera consacrée à l’étude de la relation « capacités organisationnelles – compétitivité » ; la deuxième, aux différents types de capacités du commerce électronique ; la troisième, à l’analyse de la complémentarité des capacités du commerce électronique et des capacités organisationnelles ; la quatrième, à la présentation de notre modèle de recherche et au développement des hypothèses ; la cinquième et la sixième porteront sur la méthodologie et l’estimation du modèle et la septième, sur les discussions des résultats. Enfin, dans la conclusion, nous soulignerons les principales contributions, les limites et les voies de recherche futures.

1. Capacités organisationnelles et avantage compétitif

Le concept de capacité organisationnelle qui puise son origine dans la théorie des ressources a attiré l’attention des chercheurs dans différentes disciplines ces dernières années. Il reflète l’aptitude à assembler, mobiliser et déployer d’une façon avantageuse des actifs et des compétences considérés comme des ressources organisationnelles (Grant, 1991 ; Amit et Schoemaker, 1993 ; Day, 1994). La capacité organisationnelle se caractérise par un niveau élevé d’hétérogénéité et d’immobilité interorganisationnelle, ce qui rend son imitation par les concurrents difficile et coûteuse. Cette situation permet à l’entreprise de bénéficier d’une position concurrentielle privilégiée sur le long terme (Dierickx et Cool, 1989 ; Barney, 1991 ; Mata, Fuerst et Barney, 1995).

Les capacités organisationnelles (au sens de mobilisation de ressources uniques et/ou des compétences distinctives) procurent un avantage compétitif à la firme sur le plan de la différenciation et/ou de la réduction des coûts (Bharadwaj, Varadarajan et Fahy, 1993). La différenciation reflète la perception par les clients d’une différence significative et valorisable par rapport à l’offre des concurrents. L’avantage de coût se base, quant à lui, sur l’exécution des activités de l’entreprise à un coût plus bas que la concurrence, soit sur sa capacité à offrir un produit à un prix plus bas. Ces avantages concurrentiels, s’ils sont protégés de l’imitation par des mécanismes d’isolation comme l’ambiguïté causale, par exemple, deviennent plus durables et engendrent une amélioration des performances marketing (part de marché, satisfaction client) et financières (retour sur investissement, création de richesse pour les actionnaires).

Les capacités organisationnelles permettent de créer un avantage compétitif dans la mesure où elles permettent une mobilisation efficace des actifs dans des processus créateurs de valeur ou encore une coordination optimale des activités de la firme (Day, 1994 ; Porter et Millar, 1985 ; Porter, 2001).

En mobilisant les travaux pionniers de Day et Wensley (1988), Bharadwaj, Varadarajan et Fahy (1993) et Day (1994) sur la relation « capacités – avantage compétitif » ainsi que de ceux de Porter et Millar (1985) et Porter (2001) sur la relation « TI – avantage compétitif », nous proposons dans ce qui suit d’étudier la relation « capacités e-commerce – capacités complémentaires ». Mais auparavant, nous nous attarderons aux différents types de capacités e-commerce.

2. Capacités e-commerce et compétitivité

La perspective basée sur les capacités a été utilisée dans les travaux en management stratégique et en systèmes d’information pour expliquer comment les firmes peuvent utiliser les technologies d’Internet afin d’améliorer leur performance (Mata, Fuerst et Barney, 1995 ; Bharadwaj, 2000 ; Caldeira et Ward, 2003). C’est ainsi que certains auteurs (Zhu et Kraemer, 2002 ; Barua et al., 2004 ; Zhu et Kraemer, 2005 ; Saini et Johnson, 2005) ont utilisé les capacités e-commerce pour expliquer comment Internet peut contribuer à une meilleure compétitivité des firmes. En se basant sur les travaux de Zhu et Kraemer (2002), Barua et al. (2004) et Zhu et Kraemer (2005), trois types de capacités e-commerce ont été relevés : la capacité électronique, la capacité d’alignement et la capacité d’intégration technologique.

La capacité électronique se base sur l’aptitude de l’entreprise à mobiliser et déployer des actifs et des compétences basées sur la technologie Web. Elle représente la capacité d’accomplir avantageusement des activités électroniques d’échange d’informations, de gestion de la relation client et de transaction. Cette capacité électronique est similaire à la « capacité électronique orientée client » développée par Barua et al. (2004) et rejoint aussi le concept de « front-end functionality » de Zhu et Kraemer (2005) dans la mesure où tous les trois représentent la capacité de la firme d’utiliser la technologie Web pour fournir des informations sur la société et ses produits, assister les clients en ligne, améliorer la relation avec les clients et faciliter les transactions en ligne.

Concernant la capacité d’alignement, elle se base sur l’aptitude de l’entreprise à mobiliser et déployer des actifs et des compétences pour aligner ses activités électroniques avec ses activités traditionnelles dans le cadre d’une stratégie multicanal cohérente. Elle reflète la capacité de la firme d’intégrer efficacement ses activités de commerce électronique à ses activités physiques et sa capacité d’assurer la cohérence entre sa stratégie Internet et sa stratégie d’affaires globale. La capacité d’alignement est proche du concept de « process alignment » de Barua et al. (2004) dans la mesure où tous les deux reflètent l’aptitude de l’entreprise à gérer convenablement et conjointement ses activités liées à sa présence sur le Web et ses activités traditionnelles. Enfin, la capacité d’intégration technologique fait référence à l’aptitude de l’entreprise à mobiliser et déployer des actifs et des compétences lui permettant d’intégrer efficacement ses applications de commerce électronique à ses systèmes et technologies de l’information (applications informatiques, ERP, Intranet, etc.). Le concept de capacité d’intégration technologique rejoint le concept « system integration » utilisé par Barua et al. (2004) et le concept « back-end integration » de Zhu et Kraemer (2005).

3. Complémentarité capacités e-commerce et capacités organisationnelles

La capacité organisationnelle permet à l’entreprise d’occuper une position concurrentielle privilégiée parce que c’est une ressource propre à la firme, socialement complexe et historiquement déterminée. Mieux encore, la combinaison de différentes capacités complémentaires renforce le potentiel de création d’un avantage compétitif plus durable (Grant, 1991 ; Eisenhardt et Martin, 2000). Cette complémentarité entre les capacités organisationnelles, qui traduit un effet d’interaction, produit des effets de synergie rendant difficile pour un concurrent d’identifier et de comprendre l’origine de la supériorité concurrentielle. Cet effet de synergie est à l’origine d’un rehaussement de la valeur des ressources et a un impact positif sur la compétitivité des entreprises (Melville, Kraemer et Gurbaxani, 2004).

En poursuivant cette logique et en nous appuyant sur les travaux de Bharadwaj (2000), Grewal, Comer et Mehta (2001), Varadarajan et Yadav (2002), Srinivasan, Lilien et Rangaswamy (2002), Saini et Johnson (2005), Zhu et Kraemer (2002, 2005), nous avons relevé trois capacités organisationnelles complémentaires au e-commerce : l’orientation client, la capacité technologie de l’information et l’opportunisme technologique. Ces dernières ont le potentiel de créer des effets de synergie avec des capacités e-commerce et peuvent produire des effets positifs (Melville, Kraemer et Gurbaxani, 2004 ; Wade et Hulland, 2004).

4. Modèle conceptuel et hypothèses de recherche

Afin de déterminer quand et dans quelles conditions le e-commerce contribue à la création d’un avantage compétitif, un modèle explicatif est proposé (figure 1). Il se situe dans le cadre de la perspective basée sur les capacités et présente une extension des travaux de Zhu et Kraemer (2005) et Saini et Johnson (2005) relatifs à l’évaluation de l’impact du e-commerce au niveau organisationnel.

Les définitions des différents concepts sont récapitulées dans le tableau 1. Le modèle se compose de quatre parties. La première concerne les capacités e-commerce. Comme il en a été question plus tôt, elles sont au nombre de trois : capacité électronique, capacité d’alignement et capacité d’intégration technologique.

La deuxième partie traite des capacités organisationnelles complémentaires pouvant induire des effets de synergie en interagissant avec les capacités e-commerce. Trois capacités ont été extraites de la littérature : orientation client, capacité technologie d’information et opportunisme technologique.

Pour la troisième partie du modèle, il est question d’avantage compétitif procuré par le e-commerce. Comme il a été souligné précédemment, il comporte deux dimensions : avantage de différenciation et avantage de coût. Enfin, la quatrième partie se compose des variables de contrôle suivants : le niveau d’expérience avec le Web, la taille de l’entreprise et le secteur d’activité. Les hypothèses de recherche vont maintenant être exposées de façon plus détaillée.

Tableau 1

Définitions et concepts

Définitions et concepts

-> Voir la liste des tableaux

Figure 1

Modèle conceptuel

Modèle conceptuel

-> Voir la liste des figures

4.1. Orientation client

L’orientation client se réfère à une capacité de compréhension des clients permettant à l’entreprise de leur proposer continuellement une offre d’une valeur supérieure (Narver et Slater, 1990 ; Slater et Narver, 1994). Pour parvenir à proposer une offre appréciée et valorisable, source d’un avantage compétitif, l’entreprise est amenée à mobiliser des ressources et compétences pour mieux connaître les besoins et attentes de ses clients et développer une culture orientée vers leur satisfaction.

Autrement dit, l’entreprise orientée client doit être capable de collecter et d’analyser des informations à propos des comportements des clients pour réagir ensuite en leur proposant une offre mieux adaptée et, donc, d’une valeur supérieure. Cette entreprise cherche généralement à développer des aptitudes nouvelles pour améliorer sa compréhension de sa clientèle cible et pour continuellement lui proposer une offre d’une valeur supérieure.

L’effet positif de la complémentarité entre l’orientation client et les capacités e-commerce (notamment la capacité électronique et la capacité d’alignement) sur la compétitivité a déjà été souligné par plusieurs auteurs (Bahrawadj, 2000 ; Min, Song et Keebler, 2002 ; Lennon et Harris, 2002 ; Varadarajan et Yadav, 2002 ; Saini et Johnson, 2005).

D’une manière générale, la complémentarité entre l’orientation client et le commerce électronique peut se manifester à deux niveaux au moins. Le premier concerne l’utilisation des applications Web pour rehausser la valeur de l’offre (délivrer électroniquement des informations actualisées sur les produits, assister les clients dans leurs choix, faciliter les transactions électroniques, améliorer le service après-vente, etc.). Le deuxième niveau de complémentarité touche l’utilisation des applications Web pour améliorer la compréhension de la clientèle, et ce, en collectant des données en ligne sur les visiteurs du Web considérés comme des clients potentiels. Ainsi, l’interaction entre la capacité électronique et l’orientation peut avoir un impact positif sur la compétitivité de la firme en créant une différenciation perceptible et valorisable par le client, d’une part, et en diminuant les coûts liés à la recherche d’informations, à l’assistance et à la gestion de la relation client, d’autre part. En plus, la complémentarité entre la capacité d’alignement dans le e-commerce et l’orientation client renforce la capacité de l’entreprise à aligner ses activités marketing avec ses activités électroniques, ce qui peut améliorer la satisfaction globale des clients, d’une part, et améliorer la maîtriser des coûts (communication et/ou distribution) grâce aux effets de synergie entre les canaux, d’autre part. D’où les hypothèses suivantes :

Hypothèse 1. Plus l’orientation client de l’entreprise est élevée, plus l’effet positif de la capacité électronique sur la création d’un avantage compétitif est important.

Hypothèse 2. Plus l’orientation client de l’entreprise est élevée, plus l’effet positif de la capacité d’alignement sur la création d’un avantage compétitif est important.

4.2. Capacité technologie de l’information

La capacité technologie de l’information (TI) peut être définie comme l’aptitude à mobiliser et déployer avantageusement des ressources fondées sur les technologies de l’information (Bahrawadj, 2000 ; Grewal, Comer et Mehta, 2001 ; Saini et Johnson, 2005). Cette « capacité TI » est basée sur des ressources tangibles (les composantes de l’infrastructure TI) et intangibles (compétences techniques et managériales en TI) (Bharadwaj, 2000 ; Zhu et Kraemer, 2002, 2005).

La capacité TI peut être utilisée comme un levier pour le développement du commerce électronique dans la mesure où l’existence d’une infrastructure technologique performante et des compétences en TI constituent une plateforme pour le développement des applications Internet. À titre d’exemple, le développement d’un système de vente en ligne ne peut être conçu et mis en place sans la mobilisation des ressources tangibles en TI (serveur d’hébergement, réseaux de télécommunication, etc.) et le déploiement des compétences en TI (pilotage du projet, intégration des applications, etc.). Ces ressources tangibles et intangibles soutiennent les projets de e-commerce et contribuent à une meilleure création de valeur (Bharadwaj, 2000 ; Zhu et Kraemer, 2005). Plusieurs travaux ont mis en avant le rôle positif de la complémentarité entre la capacité TI et les capacités e-commerce dans l’amélioration de la compétitivité de l’entreprise qui a intégré Internet dans ses processus d’affaires (Zhu et Kraemer, 2002 ; Saini et Johnson, 2005).

Dans cette recherche, on s’attardera sur la complémentarité entre la capacité TI et deux capacités e-commerce, à savoir la capacité électronique et la capacité d’intégration technologique[1].

Bien que ces trois concepts présentent certaines proximités, ils sont toutefois distincts. En fait, la capacité électronique est une capacité front-end alors que la capacité d’intégration est une capacité back-end. D’un autre côté, si la capacité électronique et la capacité d’intégration sont des capacités e-commerce, la capacité TI peut exister même en l’absence de projet e-commerce. Toutefois, avoir une capacité TI importante permet de rehausser la valeur des autres capacités e-commerce dans la mesure où les entreprises qui possèdent des compétences importantes en TI sont mieux préparées pour l’adoption du e-commerce et pour l’intégration de nouvelles activités électroniques dans leurs chaînes de valeur. D’où les hypothèses suivantes :

Hypothèse 3. Plus la capacité TI de l’entreprise est élevée, plus l’effet positif de la capacité électronique sur la création d’un avantage compétitif est important.

Hypothèse 4. Plus la capacité TI de l’entreprise est élevée, plus l’effet positif de la capacité d’intégration technologique sur la création d’un avantage compétitif est important.

4.3. Opportunisme technologique

Srinivasan, Lilien et Rangaswamy (2002) ont développé le concept d’opportunisme technologique pour expliquer l’adoption des technologies radicales. Ces auteurs ont défini l’opportunisme comme une capacité de sensibilité/réaction des firmes vis-à-vis des nouvelles technologies. La sensibilité se réfère à une capacité d’acquisition des connaissances à propos des innovations technologiques. La réaction, quant à elle, se réfère à la capacité de l’entreprise de réagir à temps pour tirer profit de ces innovations. L’opportunisme est ainsi associé à une recherche continue et intensive sur les technologies nouvelles.

Certains travaux ont mis en avant l’existence d’une relation positive entre l’opportunisme technologique et l’adoption des technologies d’Internet. À titre d’exemple, Srinivasan, Lilien et Rangaswamy (2002) ont trouvé que l’opportunisme technologique est associé positivement à l’adoption des projets de commerce électronique. Également, Teo et Pian (2003) ont trouvé que l’opportunisme technologique (au sens d’une stratégie technologique proactive) est associé positivement à différents niveaux d’utilisation d’Internet. Dans une autre recherche, Raymond, Bergeron et Blili (2005) ont montré que les PME qui présentent un degré élevé d’opportunisme technologique (au sens d’une orientation stratégique agressive en matière d’introduction des nouvelles technologies) développent de manière plus extensive différentes capacités électroniques.

Même si Srinivasan (2000) et Srinivasan, Lilien et Rangaswamy (2002) n’ont pas étudié la relation entre l’opportunisme technologique et la compétitivité des firmes, ils ont toutefois incité les chercheurs à étudier l’effet de l’interaction de l’opportunisme technologique avec d’autres capacités organisationnelles sur l’amélioration de la performance. Dans cette recherche, nous allons répondre à cet appel et nous supposons, conformément à la perspective basée sur les capacités, que l’interaction de l’opportunisme technologique avec la capacité électronique, d’une part, et la capacité d’alignement, d’autre part, a un effet positif sur l’amélioration de la compétitivité des firmes, d’où les hypothèses suivantes :

Hypothèse 5. Plus le degré d’opportunisme technologique de l’entreprise est élevé, plus l’effet positif de la capacité électronique sur la création d’un avantage compétitif est important.

Hypothèse 6. Plus le degré d’opportunisme technologique de l’entreprise est élevé, plus l’effet positif de la capacité d’alignement sur la création d’un avantage compétitif est important.

4.4. Variables de contrôle

Dans le domaine du e-commerce, plusieurs variables ont été identifiées comme des variables de contrôle (la taille, l’âge de l’organisation, le type d’entreprise, etc.). Dans cette recherche, nous avons retenu trois variables car, d’une part, elles sont les plus citées dans les travaux empiriques étudiant les contributions d’Internet au niveau organisationnel (p.ex., Varadarajan et Yadav, 2002 ; Srinivasan, Lilien et Rangaswamy, 2002 ; Wu, Mahajan et Balasubramanian, 2003) et, d’autre part, elles ont été les plus mentionnées par les chercheurs dans le contexte particulier du e-commerce (Zhu et Kraemer, 2002 ; Chatterjee, Grewal et Sambamurthy, 2002). Ces variables sont l’expérience de l’entreprise avec le Web, la taille de l’entreprise et le secteur d’activité.

L’expérience Web reflète le degré de familiarité de l’entreprise avec les technologies d’Internet et, plus particulièrement, avec les applications de commerce électronique. Une expérience importante peut être à l’origine d’un degré de maîtrise élevé de la technologie affectant ainsi positivement le potentiel de création d’un avantage compétitif (Chatterjee, Grewal et Sambamurthy, 2002). La taille de l’entreprise est une autre variable de contrôle qui peut influencer la création d’un avantage compétitif. En fait, la mise en place de projets de e-commerce évolués et intégrés nécessite la mobilisation de différents types de ressources (financières, technologiques, etc.) et de compétences (managériales, techniques, etc.) qui dépendent de la taille de l’entreprise (p. ex., Zhu et Kraemer, 2002 ; Wu, Mahajan et Balasubramanian, 2003). Enfin, le secteur d’activité est considéré comme notre troisième variable de contrôle. Bien que les technologies Web puissent offrir des opportunités aux entreprises manufacturières en leur permettant de réaliser un nombre élevé de leurs activités physiques traditionnelles d’une façon électronique, il semble que ces opportunités sont plus importantes pour les entreprises de service qui, vu le degré élevé d’intangibilité de leurs produits, peuvent réaliser en ligne des activités qui sont plus vastes et plus variées. Ainsi, les entreprises de services semblent tirer plus d’avantages que les entreprises manufacturières (Chatterjee, Grewal et Sambamurthy, 2002). D’où les hypothèses suivantes :

Hypothèse 7. L’expérience de l’entreprise avec le Web a un effet positif sur la création d’un avantage compétitif dans le domaine du e-commerce.

Hypothèse 8. Le secteur d’activité influence la création d’un avantage compétitif dans le domaine du e-commerce.

Hypothèse 9. La taille de l’entreprise a un effet positif sur la création d’un avantage compétitif dans le domaine du e-commerce.

5. La méthodologie de recherche

5.1. Prétests et échantillon

Avant la réalisation de l’enquête par questionnaire, nous avons mené une recherche préliminaire de préenquête basée sur différents types de prétests. Ces prétests comprennent une recherche qualitative composée d’études de cas (trois entreprises) et d’entrevues avec des experts (sept entretiens libres et semi-directifs). Des tests auprès des chercheurs spécialistes du domaine du e-commerce ont également été entrepris. Après l’élaboration de la première version du questionnaire, celui-ci a été testé auprès de 33 entreprises de convenance. Notre unité d’analyse est l’entreprise tunisienne qui a une présence physique et qui est, en plus, engagée dans un projet de e-commerce. Une liste de ces entreprises n’était pas disponible au moment de l’étude, ce qui nous a amené à constituer nous-même notre base de sondage. Une première liste de 128 entreprises tunisiennes qui possèdent un site Web a été fournie par une agence de conseil en communication. De cette liste, nous avons rayé les entreprises qui ont un site en cours de construction ainsi que les organisations à but non lucratif. Une recherche sur le Web par le moteur de recherche Google a été effectuée. Différentes sources d’informations en ligne (portail de l’agence de promotion de l’industrie : API) et hors ligne (documentations des chambres de commerce et des centres d’affaires) ont également été consultées. Une liste de 324 entreprises tunisiennes ayant une présence physique et qui sont, en plus, engagées dans un projet de e-commerce a été constituée. Le questionnaire a été remis directement à la personne interrogée soit directement par le chercheur lui-même, soit par l’intermédiaire d’une autre personne (étudiant, professionnel, etc.) qui connaît le répondant clé. Ce dernier a été identifié en se référant à deux sources d’informations : les recherches antérieures traitant du e-commerce, d’une part, et notre recherche qualitative de préenquête, d’autre part. Des déplacements fréquents dans différentes villes, des appels téléphoniques et des relances par courrier électronique nous ont permis de réunir 93 questionnaires en deux mois dont deux étaient inutilisables à cause des réponses manquantes. Au final, 91 questionnaires utilisables ont été retenus représentant un taux de réponse de 28 %. La majorité des répondants (37 %) sont des directeurs marketing/commercial, 24 % sont des directeurs ou des gérants et 15 % sont des responsables informatique. La majorité[2] des entreprises de notre échantillon est constituée de petites et moyennes entreprises (PME) tunisiennes. Cette distribution représente bien la structure économique du pays qui est formée majoritairement de PME. Les secteurs de services et de l’industrie sont tous les deux représentés.

5.2. Mesure des variables

Dans cette recherche, nous avons eu recours à des échelles valides utilisées dans d’autres travaux. Des adaptations liées au contexte de notre étude ont ensuite été réalisées en nous basant sur l’analyse qualitative de préenquête (études de cas et entretiens d’experts).

Ainsi, dans cette recherche, nous avons mesuré la capacité électronique par une échelle de Likert à sept points composée de cinq items en adaptant l’échelle de mesure de Barua et al. (2004).

Trois items sur une échelle de Likert à sept points ont été utilisés pour mesurer le concept de « capacité d’alignement ». Un item a été adopté de Tallon, Kraemer et Gurbaxani (2000) et les deux autres ont été développés à la suite des entretiens menés auprès des responsables des entreprises et des experts.

Une échelle composée d’un seul item sur une échelle de Likert à sept points a été adaptée de Zhu et Kraemer (2005) pour mesurer le concept d’« intégration technologique ». Concernant le concept de « capacité TI », une échelle de Likert à sept points composée de quatre items a été adaptée de Saini et Johnson (2005).

Pour le concept d’« orientation client », nous avons utilisé l’échelle de Narver et Slater (1990) composée de six items. Le concept d’« opportunisme technologique » a été mesuré par une échelle de Likert à sept points composée de quatre items adaptés de Srinivasan, Lilien et Rangaswamy (2002).

Concernant la mesure de l’avantage compétitif procuré par le e-commerce, cinq items ont été utilisés pour mesurer la différenciation et cinq autres, pour mesurer la réduction des coûts. Ces items ont été développés en nous référant à Teo et Pian (2003) et en nous inspirant des entretiens que nous avons menés auprès des professionnels et des experts.

Enfin, trois variables de contrôle ont été introduites : 1) la taille de l’entreprise, mesurée par le nombre des employés ; 2) le secteur d’activité, traduit par une variable binaire (0 : service ; 1 : industrie) ; 3) l’expérience Web, évaluée selon l’ancienneté d’adoption d’un site Web en termes d’années. Les questions et items de mesure sont présentés à l’annexe I.

5.3. Validation des mesures

Une analyse factorielle confirmatoire (AFC) a été menée pour évaluer l’unidimensionnalité (consistance interne et externe) de nos mesures réflectives (Garver et Mentzer, 1999 ; Ping, 2004). La procédure d’estimation que nous avons utilisée est celle du maximum de vraisemblance[3] (avec AMOS 4.0).

Après l’élimination de quelques items, à la suite d’un processus de purification préconisé par Garver et Mentzer (1999) et Ping (2004), l’AFC globale menée sur l’ensemble de nos variables latentes a montré que notre modèle de mesure s’ajuste bien aux données (χ2/ddl = 1,39 ; CFI = 0,918 ; IFI = 0,935, TLI = 0,933 ; RMSEA = 0,066 ; valeur p (test of close fit) = 0,094 ; SRMR = 0,08) (Garver et Mentzer, 1999 ; Schermelleh-Engel, Moosbrugger et Müler, 2003).

La fiabilité a également été évaluée à l’aide du coefficient de fiabilité rhô de Jöreskog (?) et l’alpha de Cronbach (α) qui doivent être supérieurs à 0,7 (Garver et Mentzer, 1999).

Les résultats des analyses ont montré que nos échelles de mesure ont des valeurs qui dépassent 0,76 pour les deux critères présentant ainsi un niveau satisfaisant de fiabilité.

De plus, la validité convergente a été évaluée par rapport aux deux critères suivants. Les contributions factorielles doivent être significativement non nulles (ratio critique > 1,96) (Gerbing et Anderson, 1988) et la variance moyenne extraite pour chaque construit doit être égale ou supérieure à 0,5 (Fornell et Larcker, 1981). Nous avons trouvé que les ratios critiques sont tous très supérieurs à la valeur critique de 1,96 (allant de 4,49 jusqu’à 12,02) prouvant que la relation entre chaque construit et ses indicateurs de mesure est bien significativement différente de zéro.

De même, la variance moyenne extraite (VME) pour chaque construit a dépassé la valeur de 0,5 à l’exception du construit capacité électronique qui a une VME égale à 0,46 qui est proche du seuil critique. Ainsi, nous pouvons conclure que la validité convergente a été vérifiée dans notre cas. Enfin, pour que la validité discriminante soit vérifiée, il faut que la racine carrée de la variance moyenne extraite de chaque construit soit supérieure aux corrélations qu’il partage avec les autres construits (Garver et Mentzer, 1999 ; Ping, 2004). Cette condition a été prouvée dans notre cas (tableau à l’annexe II), ce qui montre que nos construits sont empiriquement distincts.

6. Analyse et résultats de la recherche

Afin de tester les effets modérateurs des capacités complémentaires, nous avons utilisé le modèle suivant de régression multiple avec des variables d’interaction :

AVC = α + β1CE + β 2CA + β 3CIT + β 4 (CExCTI) + β 5 (CExOCT) + β 6 (CExOPT) + β 7 (CAxOCT) + β 8 (CAxOPT) + β 9 (CITxCTI) + Taille + Webexp + Sectac + ε

Avec :Variable dépendante :

  • AVC : avantage compétitif

Variables indépendantes :

  • CE : capacité électronique

  • CA : capacité d’alignement

  • CIT : capacité d’intégration technologique

Variables modératrices :

  • CTI : capacité TI

  • OCT : orientation client

  • OPT : opportunisme technologique

Variables de contrôle :

  • Taille : taille de l’entreprise

  • Webexp : expérience Web

  • Sectac : secteur d’activité

Erreurs :

  • ε : terme résiduel

Avant de procéder à l’analyse de la régression, nous avons déterminé si les deux construits, avantage de différenciation et avantage de coût, peuvent être combinés en un seul appelé avantage compétitif.

Nous avons alors réalisé deux analyses factorielles confirmatoires sur deux modèles de mesures selon les recommandations de Gerbing et Anderson (1988) : le modèle sans contrainte (où la covariance entre les deux construits est libre) et le modèle sous contrainte (où la covariance entre les deux construits est fixée à 1). Les résultats de l’analyse factorielle confirmatoire effectuée sur les deux modèles de mesure (sans et sous contrainte) sont présentés dans le tableau 3.

Tableau 3

L’avantage compétitif : un construit de second ordre

L’avantage compétitif : un construit de second ordre

-> Voir la liste des tableaux

Ce tableau montre que les indices d’ajustement du modèle de mesure 2 sont aussi bons que ceux du modèle 1. De même, le modèle 2, présentant les valeurs les plus faibles des indices AIC, CAIC et ECVI, devrait être privilégié (Schermelleh-Engel, Moosbrugger et Müler, 2003).

De plus, le test de différence de chi carré (Δχ2 égale à 1,163) n’est pas significatif à 5 % prouvant que le modèle 1 et le modèle 2 sont similaires et qu’il est donc possible de combiner les deux construits avantage de coût et avantage de différenciation en un seul construit appelé avantage compétitif.

Ce résultat est également justifié sur le plan théorique dans la mesure où plusieurs travaux ont montré que la stratégie de différenciation et la stratégie de coût ne sont pas nécessairement exclusives (Hill, 1988 ; Campbell-Hunt, 2000 ; Amabile et Gadille, 2005).

Pour tester nos hypothèses de recherche et en nous appuyant sur les recommandations de Caceres et Vanhamme (2003) ainsi que celles d’Irwin et McClelland (2002), nous avons eu recours à la méthode de régression multiple[4] car cette technique permet, d’une part, d’expliquer une variable dépendante, par un ensemble d’autres variables indépendantes et, d’autre part, de tester les effets de l’interaction de variables indépendantes qui sont « au moins intervalle » (Caceres et Vanhamme, 2003). Ajoutons à cela que la régression multiple est plus recommandée que la modélisation en équations structurelles avec variables latentes lorsque les échantillons ne sont pas très importants.

Pour tester le modèle, le logiciel SPSS (version 11) a été utilisé. Les résultats de notre analyse ont révélé que les variables indépendantes expliquent 47 % de l’avantage compétitif (R2 du modèle 1 du tableau présenté à l’annexe III). L’ajout des variables modératrices (termes d’interaction dans le modèle 2 du tableau de l’annexe III) améliore sensiblement le pouvoir explicatif en passant de 47 % avec le modèle linéaire simple à 73 % avec le modèle 2, soit une augmentation de 26 %.

La figure 2 montre que l’interaction de la capacité électronique avec l’opportunisme technologique produit un effet positif significatif sur l’avantage compétitif (β = 0,550) alors que l’interaction de la capacité électronique avec l’orientation client, d’une part, et la capacité TI, d’autre part, n’a pas d’effet significatif sur l’avantage compétitif (β = 0,14 ; β = 0,058 respectivement). Ainsi, l’hypothèse H5 est confirmée alors que les hypothèses H1 et H3 ne le sont pas. L’effet de l’interaction de la capacité d’alignement et de l’orientation client est significatif (β = – 0,289). Toutefois, cet effet est négatif, ce qui infirme l’hypothèse H2. Également, l’interaction de la capacité d’alignement et de l’opportunisme est significative (β = – 0,273), mais cet effet est négatif, ce qui ne permet pas de confirmer l’hypothèse H6. Enfin, l’effet d’interaction de la capacité d’intégration technologique et de la capacité TI est significatif (β = – 0,333). Cependant, cet effet, encore une fois, est négatif. Donc, l’hypothèse H4 est infirmée. Finalement, le secteur d’activité et la taille de l’entreprise semblent influencer la création de l’avantage compétitif (β = – 0,180 ; β = 0,218, respectivement), alors que l’expérience Web est sans aucun effet sur ce dernier (β = 0,109).

Par conséquent, les hypothèses H8 et H9 sont confirmées alors que l’hypothèse H7 ne l’est pas. Ces résultats seront expliqués en détail dans la section suivante.

Figure 2

Test des hypothèses

Test des hypothèses

-> Voir la liste des figures

7. Discussion des résultats

7.1. Effet modérateur de l’orientation client

Cette recherche a révélé que la capacité électronique est associée positivement à la création d’un avantage compétitif alors que l’effet d’interaction entre cette capacité et l’orientation client n’est pas significatif. Ce résultat, peu attendu, peut s’expliquer par le fait que l’orientation client développée par l’entreprise pour mieux comprendre et satisfaire ses clients existants dans le monde réel peut ne pas être aussi efficace dans l’environnement virtuel. En effet, dans ce nouveau contexte numérique, le client est en même temps un visiteur d’un magasin virtuel et un utilisateur d’ordinateur.

C’est un nouveau client qui a d’autres besoins et présentent d’autres caractéristiques. Cette idée rejoint les résultats des travaux de Saini et Jonson (2005) qui ont indiqué que l’interaction entre l’orientation client et le e-commerce n’engendre pas un effet positif significatif. Il semble donc que l’orientation client (au sens réactif du terme), qui se base sur l’identification et la compréhension des besoins qui sont connus et expressément exprimés par les clients traditionnels, n’a pas un effet démultiplicateur de valeur dans le contexte du e-commerce.

Il faut souligner également que nos résultats ont montré que l’interaction de l’orientation client et de la capacité d’alignement a produit un effet significatif négatif plutôt que positif. Cela signifie que l’orientation client et la capacité d’alignement n’ont pas produit ensemble un effet de synergie positif permettant de créer un avantage compétitif. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que la capacité d’alignement n’a pas encore atteint le seuil de maturité requis. Autrement dit, les entreprises tunisiennes ne sont pas arrivées à un niveau d’alignement suffisamment développé pour pouvoir amortir les dépenses d’investissement en e-commerce déjà engagées. Zhu et Kraemer (2002) ont abouti à un résultat similaire à celui-ci. Ces auteurs ont constaté que l’utilisation du commerce électronique dans les grandes entreprises à faible capacité d’alignement est associée à une diminution de la performance (augmentation des coûts). Ils ont conclu qu’il est possible que ces sociétés n’aient pas encore atteint le niveau d’alignement nécessaire pour atteindre le point critique à partir duquel l’entreprise peut créer de la valeur.

7.2. Effet modérateur de la capacité TI

Concernant l’effet modérateur de la capacité TI, nous avons trouvé que l’interaction de cette capacité organisationnelle avec les capacités e-commerce n’a pas un effet positif significatif. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que les ressources tangibles et intangibles en TI dans les PME tunisiennes sont globalement insuffisantes pour supporter des projets e-commerce évolués. Les études de cas et les entretiens de préenquête ont déjà mis en avant que les entreprises tunisiennes n’ont pas encore développé une capacité électronique et une capacité d’intégration suffisamment abouties pour gérer efficacement des comportements multicanaux (électroniques et physiques). Zhu et Kraemer (2002) sont arrivés au même résultat pour des entreprises traditionnelles à faible intensité technologique par opposition aux entreprises high-tech. Ils ont souligné que le faible niveau de développement de l’infrastructure technologique, d’un côté, et l’absence d’intégration d’Internet dans les entreprises traditionnelles, de l’autre côté, ne permettent pas de soutenir les projets de commerce électronique.

Ils ont conclu que ce n’est que lorsque l’entreprise possède une infrastructure en TI performante et intégrée que le commerce électronique peut contribuer à une meilleure performance.

7.3. Effet modérateur de l’opportunisme technologique

À propos de la troisième capacité organisationnelle modératrice, nos résultats ont révélé que l’interaction de l’opportunisme technologique avec la capacité électronique a un effet positif très significatif. Ainsi, dans l’environnement électronique, avoir cette capacité proactive d’introduction des innovations et des technologies nouvelles peut constituer une condition de réussite et contribuer, par conséquent, à une meilleure performance du commerce électronique. Ce résultat étaye le point de vue de Srinivasan, Lilien et Rangaswamy (2002) qui ont souligné que les entreprises qui ont un niveau élevé d’opportunisme technologique surveillent régulièrement les évolutions technologiques et les exploitent plus rapidement que les autres en offrant aux clients de nouveaux avantages à des coûts moindres. Toutefois, en cas d’un faible alignement des activités de commerce électronique avec les activités traditionnelles physiques, l’opportunisme technologique peut être une source d’incertitude supplémentaire et peut même être contre-productif. Cela peut expliquer dans notre cas pourquoi l’interaction de l’opportunisme technologique et de la capacité d’alignement a eu un effet négatif sur la compétitivité des PME au lieu d’engendrer un impact positif. Ce résultat mérite un approfondissement dans les recherches futures dans la mesure où le rôle modérateur de l’opportunisme technologique n’a pas encore été étudié dans les recherches antérieures.

7.4. Effets de l’expérience Web, du secteur d’activité et de la taille de l’entreprise

Finalement, notre étude a porté sur l’impact de trois variables de contrôle : l’expérience Web, le secteur d’activité et la taille de l’entreprise. Nos résultats ont montré que l’ancienneté d’adoption d’un site Web n’a aucun effet significatif sur l’amélioration de la compétitivité. Ainsi, ce résultat indique que ce n’est pas l’ancienneté qui est source d’avantages, surtout d’un environnement évolutif comme celui d’Internet, mais plutôt la manière d’utiliser la technologie et la capacité de l’entreprise de répondre aux nouveaux besoins des clients-internautes qui semblent être la véritable clé de succès.

En outre, nous avons trouvé que la taille de l’entreprise influence positivement la création d’un avantage compétitif dans le domaine du e-commerce. Ce qui explique que la mise en place de projets réussis nécessite la mobilisation d’importantes ressources (financières, technologiques, humaines, etc.).

Enfin, nos résultats ont montré que le secteur d’activité influence le potentiel du e-commerce dans l’amélioration de la compétitivité des firmes. Nous avons trouvé que les entreprises de services semblent tirer plus de profit de leur utilisation d’Internet que les entreprises manufacturières. Cela montre que les opportunités d’utilisation d’Internet pour les PME de services sont plus importantes par rapport aux PME manufacturières.

Conclusion

Si le commerce électronique peut offrir des opportunités réelles, notamment pour les PME, des interrogations persistent encore aujourd’hui à propos de son impact sur l’amélioration de la compétitivité et la performance organisationnelle. Les échecs de beaucoup d’entreprises basées sur Internet et les problèmes rencontrés par des PME développant des projets de e-commerce ces dernières années ont mis en relief les incertitudes et les risques qui accompagnent la mise en oeuvre de tels projets. D’un autre côté, les réponses fournies par les chercheurs à ces problèmes sont insatisfaisantes et la plupart des études dans ce domaine restent fondamentalement de type exploratoire.

Ainsi, afin d’apporter quelques explications aux interrogations des chercheurs et praticiens, nous avons essayé dans cette recherche de proposer un modèle pour évaluer l’impact du e-commerce sur la compétitivité des PME en développant l’idée de la complémentarité entre les capacités organisationnelles. Ainsi, nous nous sommes basé sur la théorie de la ressource, comme une théorie de l’avantage compétitif, qui est largement acceptée en stratégie et en management des systèmes d’information. Cette théorie, nous l’avons enrichie par la perspective basée sur les capacités organisationnelles.

Globalement, cette étude a montré que pour que le e-commerce puisse être source d’un avantage compétitif, les PME sont amenées à développer des compétences renouvelées basées sur une orientation client proactive leur permettant de détecter aussi bien les besoins exprimés que latents des clients-internautes, et ce, en considérant ces derniers en tant qu’utilisateurs d’une technologie basée sur l’informatique et en tant qu’acheteurs dans des magasins virtuels.

Les résultats ont montré également que pour être compétitives dans le domaine du e-commerce, les PME sont tenues de développer une capacité d’alignement importante leur permettant de coordonner avantageusement leurs activités électroniques avec leurs activités physiques. Cette capacité offrira l’avantage d’assurer une certaine cohérence entre la stratégie d’Internet et la stratégie d’affaires et permettra de bénéficier des effets de synergie entre les canaux traditionnels et virtuels, et ce, aussi bien au plan de la communication qu’au plan de la distribution.

Enfin, pour créer un avantage compétitif, les PME sont amenées à améliorer leurs capacités technologiques, notamment la capacité d’intégration et la capacité TI. La capacité d’intégration technologique (en tant que capacité e-commerce) offre l’avantage d’une alimentation systématique des bases de données, facilite le partage des informations, réduit le nombre des erreurs et automatise la gestion de la relation client. La capacité TI (en tant que capacité organisationnelle complémentaire) constitue, quant à elle, une plateforme pour le développement des applications Internet. Ces deux capacités doivent être mobilisées et déployées conjointement pour créer un effet de synergie positif.

Cette étude n’échappe toutefois pas à certaines limites. Premièrement, dans cette recherche, une seule personne a été sollicitée pour remplir le questionnaire. Ainsi, afin d’améliorer la fiabilité des réponses, il serait judicieux d’utiliser dans les recherches futures plusieurs répondants par entreprise. Deuxièmement, nous avons étudié trois capacités modératrices seulement. Cependant, d’autres facteurs, aussi bien organisationnels qu’environnementaux, existent. Nous recommandons ainsi l’introduction dans les recherches futures de modérateurs de l’environnement organisationnel (engagement de la direction à l’égard du e-commerce), de l’environnement concurrentiel (turbulence environnementale et complexité environnementale) et de l’environnement macroéconomique (infrastructure technologique du pays).

Troisièmement, dans cette recherche, nous avons utilisé des mesures subjectives fournies par des répondants clés sur des échelles multi-items. Quoique nous ayons été prudents dans l’évaluation des biais potentiels associés à de tels types de données et que nous ayons accordé une attention particulière à la validation de nos mesures, il nous semble souhaitable que les recherches futures utilisent également des mesures objectives.