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Objet de nombreuses études, envisagé sous tous les angles ou presque, le fantastique ne l’a jamais été du point de vue de la lecture.

Étranges récits, étranges lectures. Essai sur l’effet fantastique de Rachel Bouvet tombe ainsi à point nommé, qui vient combler cette lacune. Entreprise qui relève du défi non seulement à cause de la complexité du genre, mais aussi de la perspective adoptée : l’auteure délaisse les théories classiques sur le fantastique pour l’explorer à partir de l’acte de lecture. Aborder le fantastique à travers une réalité aussi individuelle lui permet de circonscrire le point central de l’ouvrage : l’effet fantastique. L’effet fantastique résulte d’un effet de lecture fondé sur la notion d’indétermination autour de laquelle s’articule le livre.

Outre l’introduction et la conclusion, l’essai de Rachel Bouvet s’étale sur trois chapitres. Qu’entend-on par indétermination ? Quel en est le rôle dans la création de l’effet fantastique ? Telles sont les questions auxquelles répond le premier chapitre. Réponses esquissées à partir des théories de Roman Ingarden et de Wolfang Iser. Si elle réfère à l’oeuvre littéraire, l’indétermination se perçoit comme incohérence, susceptible de brouiller le temps, l’information, etc., pour créer un effet fantastique. On pourrait alors se demander dans quel mode de lecture il se crée. Dans la lecture-en-progression, qui privilégie la vitesse de progression dans le récit ? Ou alors dans la lecture-en-compréhension, qui privilégie l’interprétation symbolique ? L’effet fantastique se produit dans le contexte d’une lecture-en-progression. Or, parler d’effet fantastique comme effet de lecture revient à indexer l’indétermination au plaisir du récit fantastique. En effet, alors que les théories classiques sur la lecture s’appuient sur un principe qui préconise la résolution des indéterminations, Bouvet, quant à elle, postule que le plaisir du récit fantastique vient du désir du lecteur de ne pas les résoudre. Ainsi, l’effet fantastique circonscrit, il reste maintenant à en examiner les procédés. C’est le sujet du deuxième chapitre de ce livre.

Résultat de l’interaction entre un lecteur et un texte, l’effet fantastique est un phénomène particulier dont l’indétermination demeure la pierre angulaire, à l’origine d’un plaisir de lecture spécifique. Plaisir d’une lecture rapide certes, mais dont on ne prend conscience qu’à l’issue d’une lecture analytique. Et voilà le lecteur ballotté entre plaisir de lecture et plaisir de l’analyse. C’est la question du rapport entre indétermination et interprétation, sur laquelle porte le dernier chapitre du livre.

Comment, à travers la lecture d’un récit fantastique, en arrive-t-on au processus interprétatif ? Répondre à cette question conduit au lien entre indétermination et interprétation. Car, c’est l’indétermination qui amorce le processus interprétatif, permettant au lecteur de combler le besoin de cohérence ancré en lui. Interprétation comme processus d’élimination des indéterminations pour déboucher sur la signification, dont la nouvelle de Poe sert d’illustration. Reste que l’attitude interprétative est une attitude de lecture, sujette à l’émergence de nouvelles indéterminations, en un mouvement qu’on ne peut arrêter et qu’évoque la métaphore de la spirale.

Étranges récits, étranges lectures. Essai sur l’effet fantastique est un ouvrage stimulant qui, au-delà du fantastique, amène à s’intéresser aux mérites esthétique et épistémologique de la lecture littéraire en général.