Corps de l’article

Depuis les travaux pionniers de Schumpeter (1928), une attention particulière est accordée aux entrepreneurs qui sont considérés comme des individus révolutionnaires capables de mettre en oeuvre des stratégies innovatrices. D’ailleurs, l’étude menée par Mintzberg (1973) a conclu à l’existence de trois principaux rôles attribués au manager : rôles interpersonnels, informationnels et décisionnels. Parmi les rôles décisionnels soulignés par Mintzberg (1973) figure le rôle de l’entrepreneur, celui qui est à la recherche constante de nouveaux projets, à la quête de nouvelles idées et prêt à prendre des risques en vue de concrétiser ses ambitions. Il est ainsi appelé à faire des choix et à prendre des décisions, ce qui demande à la fois de la réflexion et de l’appréhension d’une quantité énorme d’informations. De nos jours, la tendance est à adopter un comportement accélérant le processus décisionnel. Les dirigeants sont incapables de voir clairement ou d’interpréter avec précision les situations décisionnelles dans lesquelles ils se trouvent. Ils simplifient les situations complexes utilisant les heuristiques afin de faire face à la quantité énorme d’information. (Kahneman, Slovic et Tversky, 1982).

Ces heuristiques sont à l’origine de biais[1] qui orientent implicitement les choix du décideur, limitent davantage le comportement rationnel des managers et affectent ainsi le processus décisionnel dans la mesure où ils peuvent conditionner, voire limiter le potentiel innovateur des managers et son corolaire la prise de risque managériale. La question qui nous intéresse dans cet article est de savoir comment certains biais cognitifs peuvent influencer la perception du risque et éventuellement la prise de risque managériale. Dans ce cadre, les biais cognitifs sont considérés comme un comportement rationnel, mais inadapté à la situation (Lebraty et Negre, 2004) et qui affectent le degré de prise de risque (March, 1997).

Pour répondre à notre problématique, l’article présentera une analyse approfondie de la littérature qui s’appuie sur trois types de recherche :

  • l’étude des travaux sur le jugement lors de la prise de décision chez l’individu (Tversky et Kahneman, 1974; Slovic et al., 1977; Goldstein et Hogarth, 1997) qui ont permis de mettre en lumière un certain nombre d’heuristiques et de biais cognitifs à l’origine des erreurs commises par le dirigeant;

  • l’étude des travaux issus du champ de la prise de décision managériale ou stratégique (Barnes, 1984; Schwenk, 1985, 1995) qui ont permis d’identifier un ensemble d’erreurs managériales communes à l’ensemble des processus décisionnels;

  • l’étude des travaux portant sur la prise de risque managériale qui ont mis en exergue les différents déterminants de la prise de risque dans un contexte managérial (Coles et al., 2006, Kose et al., 2008, Davies et al., 2005).

Nous retenons dans cet article trois biais cognitifs qui sont la sur-confiance ‘overconfidence’, l’illusion de contrôle ‘locus of control’ et le mimétisme ‘herding’. Nous avons retenu ces trois biais car nous nous intéressons exclusivement aux biais qui se manifestent lors de la prise de décision, et notamment lors de la prise de risque managériale, nous écartons donc tous les autres biais qui peuvent intervenir chez le décideur durant les autres phases du processus de planification stratégique. Nous nous sommes basés pour effectuer notre choix sur les travaux de Hogarth (1980), March (1997) et Barabel et Meier (2002). A titre d’exemple, nous avons exclu le biais de disponibilité[2], l’ancrage[3] et le biais de représentativité[4] (Barabel et Meier, 2002) car ils interviennent lors des étapes relatives à l’acquisition et le traitement de l’information et non durant le résultat du processus informationnel.

Pour tester le lien entre les trois biais retenus et la prise de risque managériale, nous avons retenu un échantillon de 46 entreprises tunisiennes cotées pendant la période 1997-2006. L’étude de cette relation dans un contexte émergent nous paraît intéressante à plus d’un titre. En effet, le gouvernement Tunisien a entrepris différentes réformes telles que la loi n°69/2007 sur l’initiative économique et les nouvelles mesures édictées lors du Conseil Ministériel du 16 Janvier 2009[5] afin de promouvoir l’innovation et la prise de risque. Malgré l’effort enregistré, le dirigeant Tunisien demeure conservateur et très averse au risque (Belanes et Hachana, 2009). Notre objectif est de voir dans quelle mesure cette aversion au risque est-elle expliquée par les biais cognitifs.

Nous présenterons dans ce qui suit une synthèse de la littérature théorique et empirique ainsi que les hypothèses de recherche relatives à la relation entre les biais cognitifs et la prise de risque managériale. Dans un troisième temps, nous exposerons la méthodologie de recherche adoptée. Dans le cadre de la quatrième section, nous vérifierons dans quelle mesure les concepts théoriques présentés s’appliquent à la réalité des entreprises tunisiennes, et la cinquième section conclut.

Biais cognitifs et prise de risque managériale : revue de littérature

Les biais cognitifs sont des dévoiements du raisonnement rationnel constituant la contrepartie négative des modes de résolutions des situations complexes (Kahneman et Tversky, 1979). Ils peuvent contribuer à faire dévier le décideur de son intention mais, facteur aggravant, ils masquent cette déviation. En effet, ceux-ci l’amènent à ne pas s’apercevoir de la vraie ampleur du risque. Ils ne permettent au décideur ni une recherche complète d’information ni une interprétation parfaite des faits.

En nous inspirant de la théorie des prospects, nous pouvons avancer que l’attitude du dirigeant envers la prise de risque peut revêtir l’une de ces trois alternatives suivantes :

  • Le dirigeant est averse au risque. Il adopte un comportement routinier qui s’inspire des procédures, normes, standards et, notamment des actions des autres (March & Simon, 1993). Au lieu d’évaluer les choix qui se présentent en termes de leur efficacité future, ce dirigeant averse au risque préfère s’identifier à ce qui a été déjà fait. Le mimétisme est une tentative d’adaptation organisationnelle (March, 1997) pour le dirigeant incapable de prendre des risques et démuni devant un environnement changeant;

  • Le dirigeant prend des risques inconsciemment par ignorance et non par une réelle envie de prendre des risques. Il entreprend inconsciemment des actions risquées, présentant une haute probabilité de conséquences décevantes, sans s’en rendre compte, car il en perçoit moins de risque et de menace (Kahneman et Lovallo, 1993; MacCrimmon et Wehrung, 1990; et March et Shapira, 1987).

  • Le dirigeant est preneur de risque. La théorie des prospects démontre qu’après un échec, le dirigeant opte pour l’alternative la plus risquée s’il anticipe des pertes et pour l’alternative la moins risquée s’il anticipe des gains. A l’inverse, après une réussite, le dirigeant sera plus confiant dans ses capacités à prendre les bonnes décisions puisque celles prises dans le passé se sont avérées judicieuses, en négligeant le facteur chance qui aurait joué un grand rôle dans sa réussite passée (March, 1997). Donc, qu’il s’agisse de perte ou de réussite, le dirigeant prend plus de risque soit pour palier la perte soit pour maintenir la réussite.

La sur-confiance

Définition et Fondements

La sur-confiance managériale peut être définie de deux façons différentes mais complémentaires : elle signifie que le dirigeant croit à tort qu’il détient avec précision toutes les informations dont il a besoin (Daniel et al., 1998; Acker et Duck, 2008), ce qui implique une surestimation dans ses capacités à pouvoir anticiper correctement les tendances du marché et d’une façon générale de l’environnement. Cette première définition est connue sous le terme de ‘miscalibration’.

La deuxième définition de la sur-confiance managériale implique que le dirigeant surestime ses propres compétences (Langer, 1975). Cette définition a été désignée par le ‘Better-than-average effect’ (Camerer et Lovallo, 1999).

Avoir sur-confiance en soi est un trait de la personnalité du dirigeant qui véhicule des dimensions culturelles, personnelles, environnementales et autres. C’est une notion ambiguë dans la mesure où elle peut émaner de sources diverses. Ainsi, réaliser une bonne performance, être sous l’emprise médiatique ou percevoir une rémunération élevée peuvent constituer des facteurs qui rendent le dirigeant sur-confiant (Hayward and Hambrick, 1997). D’une façon générale, la sur-confiance, en tant que biais cognitif est déterminée dans une large mesure par des considérations individuelles et contextuelles (Forbes, 2005).

Les implications de la sur-confiance sur la prise de risque managériale

La sur-confiance peut biaiser certaines décisions stratégiques risquées telles que le lancement d’un nouveau produit, entrer sur un nouveau marché, acquérir une nouvelle société, fonder une nouvelle entité (Hayward et Hambrick, 1997; Malmendier et Tate, 2005; Odean, 1998).

Un dirigeant très confiant pense qu’il est capable de réaliser une performance supérieure en encourant plus de risque, ce qui engendre parfois des pertes importantes. Il est tenté de sous-estimer les probabilités des menaces et surestimer les probabilités des opportunités. Ainsi, il entreprend des projets très risqués sans pour autant s’apercevoir de l’ampleur réelle et concrète du risque (Weinstein, 1980; Schwenk, 1985). Ces arguments nous amènent à tester l’hypothèse suivante :

Hypothèse 1 : Le biais de sur-confiance du dirigeant influe positivement la prise de risque managériale.

Menkhoff et al. (2006) considèrent que la prise de risque managériale peut être expliquée par la sur-confiance, par moins de recours au mimétisme et par moins d’aversion au risque. Ils ajoutent que la prise de risque décroît avec l’expérience des dirigeants. Ainsi, les jeunes dirigeants plus confiants courent plus de risque, ce qui contredit les résultats de Heath and Tversky, 1991; Glaser et al., 2007 qui considèrent que les dirigeants deviennent sur-confiants avec le nombre d’années passées dans l’entreprise.

Il est à noter que le processus d’apprentissage joue un rôle capital dans la détermination de la nature de la relation entre la sur-confiance et la prise de risque. En effet, nous pensons que l’expérience acquise tout au long du cycle d’apprentissage peut modérer la sur-confiance managériale dans la mesure où le dirigeant arrive à estimer les événements futurs et les risques à leurs justes valeurs. Le processus d’apprentissage peut également devenir un vecteur qui renforce la sur-confiance managériale. En effet, s’apercevant que sa stratégie est adéquate et apprenant qu’il réalise de meilleures performances que les autres, le dirigeant apprend à faire confiance à ses propres compétences et se croire supérieure à ses compatriotes, ce qui peut l’induire en erreur.

L’illusion de contrôle

Définition et Fondements

Langer (1975) définit l’illusion de contrôle comme une importante surestimation de la probabilité de succès personnel par rapport à la probabilité objective. Autrement dit, il s’agit d’une « perception de réussite qui dépasse les espoirs légitimes que prescrivent les lois de la probabilité » (Ladouceur et Mayrand, 1983).

Koellinger et al. (2007) rappellent qu’il existe une interdépendance entre la démarche entrepreneuriale et l’illusion de contrôle. En effet, l’illusion de contrôle conduit le dirigeant à croire que les événements extérieurs sont tributaires de sa propre volonté et de sa stratégie. Cet état de fait accroît la perception des opportunités de croissance et stimule de ce fait la vision entrepreneuriale.

Il est à remarquer que plusieurs auteurs tels que Menkhoff et al. (2006) confondent la sur-confiance avec l’illusion de contrôle. Ils considèrent que la sur-confiance conduit systématiquement à l’illusion de contrôle. Nous pensons que la sur-confiance et l’illusion de contrôle sont deux biais cognitifs qui induisent souvent une sous-estimation du risque couru, ce qui affecte le processus décisionnel du manager (Barnes, 1984 ; Schwenk, 1995). En revanche, ils diffèrent en ce que la sur-confiance conduit l’individu à surestimer ses propres compétences, or l’illusion de contrôle conduit le dirigeant à surestimer la certitude des faits courants.

Les implications de l’illusion de contrôle sur la prise de risque managériale

L’illusion de contrôle se produit quand un individu amplifie ses compétences et ses aptitudes pour améliorer la performance dans des situations très risquées où la compétence ne constitue pas désormais un facteur décisif (Langer, 1975). Ce biais permet d’alléger l’incommodité associée à l’incertitude étant donné que l’individu se convainc qu’il peut contrôler et prédire correctement les retombées des futurs évènements incertains. Il croit également qu’il peut anticiper avec exactitude les manoeuvres des concurrents (Duhaime et Schwenk, 1985). Ces évaluations peuvent conduire à des décisions risquées telle que le rachat des entreprises défaillantes et non performantes ou le développement de nouveaux produits dont les marchés potentiels sont très risqués et incertains. En se basant sur ces développements, nous nous proposons de tester l’hypothèse suivante :

Hypothèse 2 : Le biais de l’illusion de contrôle a un effet positif sur la prise de risque managériale.

Le mimétisme

Définition et Fondements

Corazzini et Greiner (2007) définissent le mimétisme d’un point de vue économique en considérant qu’il provient de trois sources principales : Les externalités de revenus ‘payoff externalities’, les effets corrélés ‘correlated effect’ et les préférences sociales ‘social preferences’. Les externalités de revenus découlent du fait que l’action de chaque agent se répercute sur les revenus des autres de telle manière que chacun choisira la même stratégie que les autres afin de maintenir l’équilibre.

Les effets corrélés, quant à eux signifient que les agents agissent pareillement car ils sont exposés aux mêmes contraintes externes. La troisième explication du comportement de mimétisme est relative aux préférences sociales, elles signifient que les dirigeants agissent en observant les choix stratégiques adoptés par les prédécesseurs, ceci les amène à ignorer les informations dont ils disposent et à privilégier celles utilisées par les plus anciens. Et ainsi commence une cascade de comportements mimétiques. Le mimétisme peut également s’expliquer d’un point de vue psychologique dans la mesure où les individus préfèrent la conformité (Burmeister et al., 2007) à l’originalité.

Menkhoff et al., (2006) stipulent que le mimétisme décroît avec l’expérience acquise. En effet, les jeunes dirigeants exhibent un fort degré de mimétisme. Ainsi, des irrégularités comportementales disparaissent ou au moins s’affaiblissent avec l’expérience et le processus d’apprentissage.

Les implications du mimétisme sur la prise de risque managériale

Étant donné que les individus sont non seulement averses au risque mais également averses à l’ambiguïté (Kahneman and Tversky, 1979), ils imiteront leurs semblables afin de réduire l’incertitude qui les entoure. En effet, le biais de mimétisme nourrit chez l’individu un sentiment d’apaisement et de sérénité, ce qui est susceptible de réduire le degré de perception de risque et par conséquent la prise de risque s’intensifie. Ainsi, réduire l’ambiguïté conduit les individus à prendre plus de risque. Le comportement moutonnier implique que chacun agisse de la même façon que les autres, même si ses informations privées suggèrent d’agir autrement (Banerjee, 1992).

A l’instar de la sur-confiance, le mimétisme décroît avec l’expérience, ce qui encouragerait, in fine la prise de risque managériale (Menkhoff et al., 2006). En revanche, l’absence de confiance renforce l’incertitude quant à l’efficacité des stratégies adoptées et conduit le dirigeant à imiter ses pairs afin d’éviter d’être mis à l’écart (Hill et Hambrick, 2005). Ces réflexions nous incitent à formuler l’hypothèse suivante :

Hypothèse 3 : Le biais de mimétisme a un effet positif sur la prise de risque managériale.

Pour vérifier ces hypothèses, nous détaillons ci–dessous la méthodologie de recherche adoptée, les variables utilisées ainsi que l’approche économétrique poursuivie.

Méthodologie de recherche

L’apport principal de cet article est de tenter d’opérationnaliser des concepts relatifs au profil psycho-cognitif du dirigeant. Outre les trois biais cognitifs (le mimétisme, la sur-confiance et l’illusion de contrôle), nous essayerons d’approximer également la perception de risque du dirigeant.

Nous présenterons dans ce qui suit la méthodologie de recherche qui s’articule autour de trois axes : l’instrument de mesure et la technique d’échantillonnage, l’opérationnalisation des variables et l’approche économétrique adoptée.

Définition des instruments de mesure et la technique d’échantillonnage

Comme il est classique de lier la recherche exploratoire à une approche qualitative, il est nécessaire de veiller sur la qualité des liens de causalité entre les variables constitutives de notre recherche. Dans une première étape et pour explorer les facteurs psycho cognitifs qui influencent le plus les décisions managériales en matière de prise de risque, nous avons suivi une démarche déductive. Dans une deuxième étape, nous avons vérifié la validité des consensus. La validité de consensus est en effet fondée sur l’intersubjectivité des jugements appliqués à l’efficacité de l’instrument utilisé.

Nous avons utilisé à cet égard deux outils, le premier consistait en un ensemble d’entretiens semi directifs, et le deuxième comprenait un questionnaire. Ces deux démarches sont nécessaires et se complètent pour nous permettre de bien saisir la portée des trois biais cognitifs retenus.

L’entretien semi directif est un mode de recueil centré autour d’un thème de recherche précis qui exige l’utilisation d’un guide d’entretien défini au préalable et qui liste les thèmes abordés au cours de l’entretien. L’entretien a été effectué soit directement auprès des dirigeants, soit auprès des attachés de direction ou des chefs de services des 46 entreprises tunisiennes cotées. Nous avons consacré 30 à 45 minutes par entretien où nous avons expliqué l’objectif de notre recherche et surtout le sens précis de chaque biais. La majorité de nos interlocuteurs comprennent sans difficulté le biais de sur-confiance et de mimétisme. En revanche, le biais de l’illusion de contrôle prête souvent à confusion et nécessite une explication plus approfondie pour le distinguer du biais de sur-confiance.

Une étude exploratoire du profil des dirigeants des entreprises tunisiennes cotées a montré que l’âge de la majorité des dirigeants est compris entre 50 et 60 ans. Ces derniers sont généralement affectés dans le poste du président directeur général sans avoir aucune ancienneté dans l’entreprise et ils cumulent en moyenne 5 mandats. Notons en outre que la plupart des dirigeants ne détiennent aucune part dans le capital de la société qu’il gère. Le pourcentage moyen détenu par le dirigeant dans le capital s’élève néanmoins à 3 %.

Grâce aux entretiens menés, nous avons pu élaborer un questionnaire qui fait associer pour chaque biais dix items et évalue les différentes propositions selon l’échelle de Likert[6]. Ces items ont été inspirés dans une large mesure par les avis collectés lors des entretiens menés auprès des directeurs des entreprises de notre échantillon. Ceux-ci devront exprimer pour chaque item l’une des positions suivantes : « pas du tout d’accord », « pas d’accord », « moyennement d’accord », « assez d’accord » et finalement « tout à fait d’accord ».

Eu égard aux contraintes de recueil de l’information, nous nous limitons aux seuls dirigeants actuels des 46 entreprises tunisiennes cotées. La période de l’étude s’étale sur une période de 10 ans allant de 1997 à 2006.

Après avoir discuté les hypothèses à tester, explicité la méthodologie de recherche et déterminé l’échantillon de l’étude, nous définissons ci-après les variables retenues dans l’analyse.

Opérationnalisation des variables

L’étude menée auprès des dirigeants actuels des entreprises tunisiennes cotées a pour objectif de vérifier l’effet des biais de sur-confiance, de l’illusion de contrôle et du mimétisme sur la prise de risque managériale au sein du contexte tunisien. Le signe du score de la prise de risque managériale sera la variable à expliquer du modèle. Les interactions des biais cognitifs avec le degré de perception du risque constituent les variables explicatives. Le tableau suivant récapitule les diverses mesures des variables utilisées dans l’étude.

Tableau 1

Les mesures des variables de l’étude

Les mesures des variables de l’étude

-> Voir la liste des tableaux

Ainsi, l’opérationnalisation des variables suivra deux étapes : dans un premier temps, nous nous intéresserons à étudier l’influence de chaque biais sur la perception du risque et dans un deuxième temps, nous nous attarderons à observer la relation entre ce degré de perception du risque et la prise de risque effective.

Mesure de la prise de risque managériale

Le score de prise de risque managériale est un construit multidimensionnel. La revue de la littérature théorique et empirique nous a permis de constater que la prise de risque managériale est intimement liée à la politique d’investissement (Davies et al., 2005; Coles et al., 2006; Kose et al, 2008), la politique de financement (Jensen et Meckling, 1976; Fama, 1980; Berger et al.,1997) et le risque global de l’entreprise (Braido, 2006; Coles et al., 2006; Chakraborty et al., 2007). Nous considérons ces trois dimensions. La politique d’investissement est révélée à travers trois items : les dépenses en recherche et développement (R&D), la valeur marchande sur valeur comptable de total des actifs (MBV) et le taux de croissance du total des actifs (XCEACTIF). Les deux ratios d’endettement D_CB et D_CP repèrent la politique de financement de l’entreprise. Ils mesurent respectivement le total des dettes rapporté à la valeur comptable des capitaux propres et le total des dettes rapporté à la valeur marchande des capitaux propres. Enfin, le risque global de l’entreprise est mesuré par la volatilité des rendements (VOLTE). Nous avons ainsi six items auxquels nous appliquons l’analyse en composantes principales, tout en veillant à ce que le produit factoriel soit unique.

Mesure des biais cognitifs

Comme variables exogènes, nous énumérons le degré de perception de risque (SC_PCRISQ), le biais de sur-confiance (SC_SRCNF), le biais de l’illusion de contrôle (SC_ILLCLE) et le biais de mimétisme (SC_MIMET).

La variable, SC_PCRISQ, représente une approximation du degré de perception de risque du dirigeant. Nous estimons ce que cette variable influe négativement la prise de risque du dirigeant (Kahneman et Lovallo, 1993; MacCrimmon et Wehrung, 1990; March et Shapira, 1987).

Pour évaluer la « sur-confiance » du dirigeant, nous recourrons à la variable SC_SRCNF. Nous nous attendons alors à ce que cette variable influe positivement la prise de risque du dirigeant (Oskamp, 1965; Tversky et Kahneman, 1974; Lichtenstein et Fischoff, 1977 ; Weinstein, 1980; Schwenk, 1995).

Pour le biais « illusion de contrôle » du dirigeant, nous recourrons à la variable SC_ILLCLE. Nous escomptons que cette variable influe positivement la prise de risque du dirigeant (Langer, 1975; Barnes, 1984; Duhaime et Schwenk, 1985; Schwenk, 1984).

Finalement, en vue d’apprécier la tendance de mimétisme du dirigeant, nous recourrons à la variable SC_MIMET. Nous estimons que ce comportement mimétique influe négativement la prise de risque managériale (Banerjee, 1992; Hirshleifer et al., 1994; Chan et al., 2002; Sias, 2004).

A chacun de ces quatre scores correspondent dix items comme il est indiqué au tableau 2. Les items sont mesurés en recourant à l’échelle de Likert.

Tableau 2

Présentation des items des scores

Présentation des items des scores

-> Voir la liste des tableaux

Après avoir identifié les différentes variables de l’analyse, nous explicitons dans la sous-section suivante l’approche économétrique mise en oeuvre pour vérifier l’impact de ces biais sur la prise de risque managériale dans le contexte tunisien.

Approche économétrique

Pour l’analyse des données, nous avons recours à l’analyse en composantes principales. Le choix est motivé par la nature de notre objectif qui consiste à construire d’abord des scores aussi bien pour la prise de risque managériale que les biais cognitifs. Pour exploiter l’impact des facteurs psycho cognitifs sur la prise de risque managériale au sein des entreprises tunisiennes, nous recourrons à la régression logistique.

L’analyse en composantes principales

Pour construire les scores relatifs à la prise de risque managériale, au degré de perception de risque et aux biais cognitifs précédemment étayés, nous recourrons à l’analyse en composantes principales. Le choix de cette méthode est justifiée par la facilité de l’analyse en regroupant les items, liés à une variable, en des ensembles plus petits appelés facteurs et en permettant d’éliminer les problèmes de multicolinéarité entre les variables. Elle permet de décrire et d’explorer les relations qui existent entre plusieurs variables simultanément à la différence des méthodes bivariées qui étudient les relations supposées entre deux variables.

Pour juger la qualité de la solution factorielle, nous recourons au test de Kaiser-Meyer-Olkin et au test de Bartlett. La mesure de Kaiser-Meyer-Olkin est un indice de l’adéquation de la solution factorielle et reflète l’unicité de l’apport de chaque variable. Il doit être au moins supérieur à 0,6 pour que l’ensemble de variables retenu soit cohérent. Le test de Bartlett est un test de sphéricité dont l’hypothèse nulle stipule la nullité de toutes les corrélations; ce test doit être significatif.

Pour tester la validité de la solution factorielle, il est nécessaire d’analyser la matrice de corrélation et les statistiques univariées. Aussi, il est indispensable de tester la fiabilité de la solution factorielle. Pour cela, nous faisons le test ANOVA et nous calculons le coefficient de Cronbach. Ces instruments se basent essentiellement sur le coefficient de corrélation. Plus la corrélation entre les items est faible, plus l’instrument en question contient de l’erreur.

La régression logistique

Après avoir construit les scores correspondants aux quatre biais psychologiques retenus, nous nous proposons de révéler leur impact sur la prise de risque managériale. Notre modèle se présente alors comme suit :

SG_SCPRISQit = α + β PCRISQit + λ PCRISQ * MD_SRCONFit + ω PCRISQ * MD_ILLCLEit + θ PCRISQ * MD_MIMETit + εit

SG_SCPRISQ est une variable binaire qui vaut 1 si le score de prise de risque managériale est positif, sinon 0; MD_PCRISQ, MD_SRCONF, MD_ILLCLE et MD_MIMET sont des variables binaires qui valent 1 si le score associé au biais en question est supérieur à la médiane; α∈représente la constante; β, λ, ω et θ sont les coefficients afférents respectivement à l’impact de la perception de risque du manager, de sa sur-confiance, son illusion de contrôle et son mimétisme; εit représente le terme aléatoire.

L’indice i représente l’entreprise, il varie de 1 à 36, tandis que l’indice t indique la période d’étude considérée allant de 1997 à 2006. Nous notons que le nombre des entreprises observées a baissé de 46 à 36 étant donné que seulement 36 entreprises ont répondu au questionnaire qui leur a été adressé. Aussi, l’entreprise n’est observée que pour la période où l’actuel dirigeant occupe son poste. En effet, le questionnaire établi s’adresse aux seuls dirigeants actuels des entreprises tunisiennes cotées.

Nous disposons alors des données de panel qui permettent de prendre en considération aussi bien la dimension individuelle que temporelle en vue d’exploiter toute l’information disponible et augmenter la significativité économétrique et la robustesse de notre modèle. En effet, le nombre d’observations passe de 36 à 336. Toutefois, certaines entreprises ne sont pas observées sur la totalité de la période de l’étude. Il s’agit d’un panel non cylindré.

Par ailleurs, étant donné que la variable dépendante, SG_SCPRISQ, est qualitative, nous menons une régression logistique. Aussi, l’objectif de ce type de régression est de savoir si la ou les variables indépendantes peuvent prédire l’appartenance de Y à l’une ou l’autre des catégories. En fait, nous calculons la probabilité que la variable dépendante appartienne à l’une ou l’autre des catégories.

Deux tests seront effectués pour juger la qualité de la régression logistique. Le premier test consiste en le maximum de vrai-semblance (-2log likelihood). Ce coefficient nous informe sur la signification globale du modèle. Pour avoir un « good fit » entre le modèle théorique et le modèle statistique, il faut qu’il soit le plus élevé que possible. Le deuxième test consiste à calculer le « pseudo R² » qui est aussi un coefficient d’ajustement. Pour être pertinente, l’analyse en régression doit générer un coefficient au moins supérieur à 0,3. Toutefois, cet indice est fonction du nombre des observations.

Résultats empiriques

Il s’avère pertinent de rappeler au début de cette section que cette étude a permis d’opérationnaliser et contextualiser quatre concepts abstraits: l’intensité de la prise de risque managériale, le degré de perception de risque et les trois biais cognitifs à savoir le biais de sur-confiance, le biais de l’illusion de contrôle et le biais de mimétisme.

Les évidences empiriques à présenter au sein de cette section s’articulent sur trois axes : les résultats de l’analyse en composantes principales adoptée pour construire les quatre scores (score de perception du risque, score de sur-confiance, score de mimétisme et score de l’illusion de contrôle), les statistiques descriptives correspondantes et les résultats relatifs à l’impact de l’interaction des divers biais cognitifs avec le degré de perception de risque sur la prise de risque managériale. En effet, comme le mentionne Hogarth (1980), ces biais cognitifs agissent de façon simultanée.

La construction des scores

Pour construire les cinq scores, nous avons adopté la même démarche. Nous avons fait soumettre leurs items correspondants à une analyse en composantes principales. Lors du traitement des données, nous avons spécifié au logiciel de traitement économétrique un seul facteur pour que l’ensemble d’information soit récapitulé en un seul construit. En spécifiant un nombre d’itérations de convergence (maximum iterations for convergence) égal à cent aussi bien pour l’extraction factorielle que pour la rotation, l’analyse a pu récupérer et expliquer la variance totale. En effet, l’extraction produit une solution unique maximisant la variance expliquée par les facteurs (composantes). Il y a plusieurs modes d’extraction dont l’analyse en composantes principales, le maximum de vraisemblance, etc. Parfois, les facteurs sont difficilement interprétables car il y a peu de variables indépendantes corrélées avec les facteurs. La rotation des axes factoriels aura pour effet de réduire le nombre de variables fortement corrélées avec un axe factoriel tout en conservant l’orthogonalité entre les axes. Plusieurs types de rotation sont permis en l’occurrence OBLIMIN, VARIMAX, etc. Nous avons choisi VARIMAX car c’est une rotation orthogonale permettant d’obtenir une structure plus facile à analyser parce que le nombre de variables indépendantes corrélées avec un axe factoriel est maximisé.

Le nombre d’itérations est le nombre de répétition de l’exécution de l’algorithme pour obtenir une solution estimée convergente. Ainsi, nous avons obtenu une variance totale expliquée s’élevant à 100 %. Les principaux résultats sont étayés dans le tableau 3 ci-dessous.

Tableau 3

Construction des scores

Construction des scores

-> Voir la liste des tableaux

Aussi, nous avons procédé à l’analyse de la validité et de la fiabilité du construit. Le tableau fournit à cet effet l’indice de Keyser-Meyer-Olkin (KMO) et le test de sphéricité de Bartlett. Ces deux coefficients renseignent sur la possibilité de factorisation des items et sur le degré d’adéquation entre le modèle théorique et le modèle statistique. Généralement, nous acceptons un KMO supérieur ou égal à 0,5 et un test de sphéricité < 0,1; ce qui est le cas pour notre analyse.

Pour tester la fiabilité du score, nous avons recours au test ANOVA qui est généralement significatif. Nous avons également calculé le coefficient Alpha de Cronbach. Ce coefficient mesure la cohérence interne entre les différents items et se base sur la variance et la covariance entre les items de la même échelle. Plus cet indicateur est proche de 1, plus il est fiable. Une remarque pertinente mérite d’être évoquée est que le coefficient Alpha dépend de la taille du test, c’est à dire le nombre d’items (k dans la formule) et de la corrélation entre les items.

Les statistiques descriptives

Avant de mener la régression logistique, il s’avère pertinent de dresser quelques statistiques descriptives des indices synthétiques construits.

Le tableau 4 montre que la plupart des entreprises tunisiennes cotées, soit 50 % de l’échantillon, présentent un score de prise de risque managériale négatif. Ce constat s’aligne en moyenne avec le signe positif du score construit pour la perception de risque. Par ailleurs, les scores de sur-confiance et de mimétisme présentent en moyenne un signe positif alors que celui associé à l’illusion de contrôle est négatif. Nous constatons en outre que les scores de sur-confiance et de mimétisme sont plus volatiles que les scores de perception de risque et de l’illusion de contrôle.

Tableau 4

Statistiques descriptives des biais cognitifs

Statistiques descriptives des biais cognitifs

-> Voir la liste des tableaux

Par ailleurs, le tableau 5 cité ci-dessous récapitule les statistiques descriptives du score relatif au degré de perception de risque lorsque le score de la prise de risque managériale est positif ou négatif. Le tableau montre que le score de la perception de risque est moyennement négatif lorsque la prise de risque managériale de l’entreprise est positive et est moyennement positif dans le cas contraire. Ce constat confirme les propos de la théorie des perspectives et la théorie de l’utilité.

Tableau 5

Relation entre la perception de risque et la prise de risque managériale

Relation entre la perception de risque et la prise de risque managériale

-> Voir la liste des tableaux

Nous comparons également la nature des biais cognitifs pour des entreprises à prise de risque managériale agressive (ayant un score de prise de risque de signe positif) et les entreprises à prise de risque managériale timide (ayant un score de prise de risque managériale de signe négatif). Le tableau 6 résume les statistiques descriptives des scores des biais cognitifs lorsque le score de la prise de risque managériale change de signe.

Tableau 6

Relation entre les biais cognitifs et la prise de risque managériale

Relation entre les biais cognitifs et la prise de risque managériale

-> Voir la liste des tableaux

Ce tableau révèle que les scores relatifs à la sur-confiance, à l’illusion de contrôle et au mimétisme sont plus élevés pour les entreprises dont le score de prise de risque est positif. Nous nous attendons alors à ce qu’un manager preneur de risque perçoit moins de risques. Il est aussi sur-confiant et son degré de l’illusion de contrôle est également élevé, autrement dit il croit également pouvoir tout contrôler. Aussi, un tel manager a tendance à imiter les autres avant de se prononcer pour pouvoir assurer un certain seuil de quiétude et d’apaisement.

Impact des biais cognitifs sur la prise de risque managériale

A ce niveau, nous avons essayé d’expliciter les variables qui seront utilisées pour apprécier les biais cognitifs retenus dans l’étude. Il convient dès lors d’effectuer l’analyse de régression logistique dont les résultats sont récapitulés dans le tableau 7. Les résultats de l’estimation sont globalement robustes avec un test de significativité globale positif.

Tableau 7

Impact des biais cognitifs sur la prise de risque managériale

Impact des biais cognitifs sur la prise de risque managériale

-> Voir la liste des tableaux

Le tableau fait ressortir que la perception du risque et la prise de risque sont inversement liées. En effet, le dirigeant prend plus de risques lorsqu’il n’en aperçoit pas la vraie ampleur. Ce résultat confirme les propos de Kahneman et Tversky (1979). En revanche, un dirigeant conscient de l’existence d’un risque, sera plus réticent à investir dans des projets novateurs car il appréhende l’échec causé justement par l’existence du risque.

Il est à rappeler que les coefficients associés aux diverses variables explicatives correspondent aux interactions :

SC_PCRISQ*MD_SRCONF, PCRISQ*MD_ILLCLE et PCRISQ*MD_MIMET

Avec : SC_PCRISQ le score de perception de risque généré par l’analyse en composantes principales, MD_SRCONF, MD_ILLCLE et MD_MIMET sont des variables binaires qui valent 1 si respectivement le score de sur-confiance, le score de l’illusion de contrôle et le score de mimétisme est supérieur à la médiane des scores observés pour chaque biais.

Le tableau 7 montre que le coefficient associé au biais de sur-confiance est statistiquement significatif et de signe positif. Notre première hypothèse est ainsi confirmée puisque les résultats ont démontré qu’un dirigeant sur-confiant est un dirigeant preneur de risque. Il perçoit moins l’étendue du risque et pense avoir les aptitudes nécessaires à engager son entreprise dans une orientation entrepreneuriale. Généralement, des dirigeants trop confiants et optimistes prennent plus de risque. Ils sont tentés de sous-estimer les probabilités des événements adverses et surestimer les probabilités des événements favorables (Weinstein, 1980; Krueger et Dickson, 1994). Ainsi, ils entreprennent des stratégies très risquées sans pour autant percevoir l’ampleur réelle et concrète du risque.

En revanche, le coefficient associé au biais de l’illusion de contrôle est statistiquement significatif mais de signe négatif. Nous pensons que les managers tunisiens sont méfiants à l’égard des changements pouvant affecter l’environnement dans lequel ils évoluent. Ils ont confiance, et même sur-confiance en leurs compétences mais ils n’ont guère confiance en leur environnement. Ce résultat infirme celui de Langer (1975) et démontre bien que les dirigeants tunisiens veulent préserver leur capital humain, ils ont conscience de leurs atouts (Tous les dirigeants interrogés sont diplômés de grandes universités, notamment étrangères et de renommée et jouissent d’une grande expérience), ils ont confiance en leur capacité à saisir les opportunités et à détourner les menaces mais ils sont également conscients des méfaits du biais de l’illusion de contrôle. D’ailleurs, les entretiens effectués avec les dirigeants tunisiens nous ont permis de conclure qu’ils sont très à sensibles à tous les événements extérieurs, qu’ils sont à l’écoute des clients et qu’ils regardent toujours d’un oeil critique la conjoncture nationale et internationale.

Par ailleurs, le tableau 7 révèle que le biais de mimétisme stimule la prise de risque managérial. Le résultat trouvé confirme celui de Chan et al. (2002) qui ont montré que le niveau de mimétisme dans les actions individuelles est positivement relié à la dispersion des anticipations de bénéfices correspondantes. Il en ressort qu’une relation positive similaire existe corrélativement entre les niveaux de mimétisme et la prise de risque managériale. Ainsi, en imitant les autres, les managers donnent confiance aux décisions prises par la plupart, s’aperçoivent moins de la vraie ampleur des risques et peuvent s’adonner à une prise de risque managériale agressive.

Le dirigeant tunisien cherche à instaurer une situation de sécurité qui protège son capital humain, il préfère adhérer aux stratégies poursuivies par les concurrents que de se démarquer par des manoeuvres isolées et qui peuvent se solder par un échec. La prise de risque n’est plus dans ce cas une décision volontaire, réfléchie et s’inscrivant dans une orientation entrepreneuriale mais une stratégie d’adaptation organisationnelle au sens de March (1997).

Conclusion

Plusieurs travaux se sont intéressés à étudier les biais cognitifs et leur rôle dans le processus décisionnel. Notre étude traite de l’impact de ces biais sur la perception du risque chez le dirigeant et sur la prise de risque managériale. Etant conscients de la difficulté de la tâche, nous avons mené une analyse empirique qui s’appuie, d’une part sur l’analyse en composantes principales pour construire des scores aussi bien pour la prise de risque managériale que pour les trois biais cognitifs, et d’autre part sur la régression logistique pour analyser l’impact de ces biais sur la prise de risque managériale au sein des entreprises tunisiennes. Ce travail a pu être mené après l’élaboration des entretiens semi-directifs et l’administration d’un questionnaire aux dirigeants tunisiens de notre échantillon.

En révélant le profil cognitif de 36 dirigeants des entreprises tunisiennes cotées et en observant la prise de risque managériale durant leurs mandats, nous avons pu mettre en évidence qu’une perception élevée du risque est susceptible de freiner cette dernière. En outre, nos résultats confirment les travaux précédents quant à l’impact positif de la sur-confiance et du mimétisme sur la prise de risque managériale. En effet, la prise de risque peut provenir d’une sur-confiance en les compétences des dirigeants à saisir les opportunités et à faire face aux menaces ou bien elle peut provenir d’un comportement mimétique où elle sera moins « volontariste » et devient une stratégie d’adaptation organisationnelle au sens de March (1997).

Notre étude se distingue des travaux antérieurs, et notamment des résultats de Langer (1975) dans la mesure où nous avons pu conclure à un impact négatif de l’illusion de contrôle sur la prise de risque. Nous avons pu expliquer que les dirigeants tunisiens sont sur-confiants en leurs compétences mais sont très méfiants des événements externes. Cette méfiance les conduit à imiter les actions des autres même si elles peuvent se révéler inefficaces.

Cette étude aurait pu être enrichie par la prise en compte d’autre biais tels que le biais de rétrospective ou de l’ancrage, et par l’analyse des erreurs qui peuvent en découler. Une analyse sectorielle serait intéressante afin de pouvoir comparer les profils psycho cognitifs des dirigeants appartenant à différents secteurs.