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La période d’instabilité économique que nous connaissons semble propice à la mise au jour de scandales financiers de toutes sortes. Des promoteurs peu scrupuleux et des « conseillers en placement » ont fait miroiter à un nombre incalculable d’épargnants la possibilité de profits mirobolants et nombreuses sont les personnes qui ont été spoliées à la suite de la mise en place de stratagèmes malhonnêtes plus ou moins sophistiqués destinés à enrichir rapidement leur promoteur. Dans de nombreux cas, les agissements malhonnêtes relèvent du Code criminel, que ce soit au titre de la vente pyramidale[1], du délit d’initié[2], de la manipulation frauduleuse d’opérations boursières[3] ou, plus simplement, du crime de fraude[4]. Ces agissements malhonnêtes sont aussi visés par de nombreuses infractions prévues dans les lois provinciales sur les valeurs mobilières. Aux fins du partage des compétences législatives, ces actes de malhonnêteté présentent donc un double aspect. Ils relèvent tant de la compétence du législateur fédéral en matière de droit criminel que de la compétence législative des provinces au regard de la régulation des marchés financiers et des valeurs mobilières. La province, responsable de l’administration de la justice criminelle comme de la justice réglementaire provinciale, peut donc choisir de sanctionner les comportements malhonnêtes soit en portant des accusations criminelles, soit en dénonçant la commission d’infractions réglementaires provinciales. Au cours des dernières années, au Québec à tout le moins, la tendance semble avoir été de procéder par voie de dénonciation pour la commission d’infractions provinciales réglementaires, quitte à recourir ensuite au droit criminel. Il paraît aussi de bon ton de multiplier les chefs d’accusation de manière à englober de façon exhaustive toutes les transactions malhonnêtes et leurs victimes.

Dans l’esprit du présent numéro thématique des Cahiers, intitulé « Dérives et évolutions du droit pénal », nous estimons qu’il y a un affaiblissement du sens à donner aux notions fondamentales du droit pénal que sont le crime et la peine et nous pensons que l’affaire Lacroix-Norbourg est susceptible de l’illustrer.

L’affaire Lacroix-Norbourg soulève en effet des questions fondamentales relativement à l’application respective et cumulative du droit pénal provincial et du droit criminel, et à ce qui devrait relever de l’un ou de l’autre. Cela révèle, à notre avis, la fragilité de la distinction entre le droit criminel et le droit pénal réglementaire. L’exemplarité et la sévérité des peines consécutives d’emprisonnement imposées à Vincent Lacroix en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières[5] du Québec ont sans doute satisfait les tenants d’une justice punitive draconienne, mais ces peines répondent-elles aux finalités du droit pénal provincial et aux exigences du droit constitutionnel canadien ? Notre propos va consister à discuter du droit en vertu duquel Vincent Lacroix s’est fait imposer des peines d’emprisonnement qualifiées d’exemplaires pour des infractions pénales provinciales contenues dans la Loi sur les valeurs mobilières et à offrir des pistes de réflexion sur un processus d’administration de la justice qui met en branle, par étapes consécutives, la justice pénale provinciale et la justice criminelle.

Nous prendrons ainsi position dans un débat extrêmement complexe pour les avocats et les juges qui sont toujours dans le feu de l’action dans des affaires qui ne sont pas terminées. Cependant, nous ne voulons aucunement perturber les fonctions et les responsabilités des intervenants de justice qui consistent à poursuivre, à défendre ou à juger dans ces affaires. Leur tâche est beaucoup plus difficile que la nôtre qui consiste à nous élever au-dessus de la mêlée et à suggérer un droit idéal au sujet des infractions réglementaires ou des crimes et au sujet des sanctions provinciales ou des peines de nature criminelle dans le domaine des valeurs mobilières.

En marge de l’affaire Lacroix-Norbourg, nos questions d’étude sont les suivantes : qu’est-ce qui distingue une infraction réglementaire d’un crime ? Jusqu’où est-il possible d’aller dans l’imposition d’une peine en matière réglementaire et provinciale sans exiger les garanties constitutionnelles associées à l’imposition d’une sanction qui a toutes les apparences d’une peine criminelle ? En vertu de quels principes convient-il d’appliquer la justice pénale provinciale et la justice criminelle de manière cumulative dans des situations frauduleuses graves qui donnent indistinctement ouverture à des infractions pénales en vertu de la Loi sur valeurs mobilières et en vertu du Code criminel ? Nous traiterons incidemment de questions d’administration de la justice liées aux valeurs mobilières dans le respect du partage des compétences au Canada et du rôle respectif d’exécution de la loi appartenant à l’Autorité des marchés financiers, d’une part, et aux corps de police et poursuivants traditionnels, d’autre part. Nous suggérons immédiatement que ces questions accessoires qui sont en toile de fond de l’affaire Lacroix-Norbourg ont contribué à semer la confusion sur les thèmes de notre étude.

Ainsi, le 11 décembre 2007, Vincent Lacroix a été déclaré coupable de 51 chefs d’accusation lui reprochant des infractions à la Loi sur les valeurs mobilières. Le juge du procès l’a condamné après avoir conclu qu’il s’était approprié, sur une période de près de 5 ans, environ 115 millions de dollars placés par des petits investisseurs dans des fonds communs de placement qu’il contrôlait[6]. Pour s’approprier ces sommes, Vincent Lacroix a procédé à des retraits irréguliers dans ces fonds, ce qui a eu pour effet d’en modifier directement la valeur. Les 27 premiers chefs d’accusation concernaient donc l’article 195.2 de la Loi sur les valeurs mobilières[7], qui interdit « d’influencer ou de tenter d’influencer le cours ou la valeur d’un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses ». Pour camoufler cette appropriation malhonnête, Vincent Lacroix a mis au point un stratagème. À plusieurs reprises, il a fourni à l’Autorité des marchés financiers de faux états financiers des sociétés qu’il contrôlait. Dans ces documents, les montants détournés étaient camouflés par de faux apports de capitaux, de fausses sommes dues aux administrateurs ou de faux revenus d’honoraires de gestion ou de recherche. Par ailleurs, certains documents publics transmis en vertu d’une obligation prévue par la Loi sur les valeurs mobilières étaient faux. Il s’agissait de documents que le public pouvait consulter et qui avaient trait à la valeur et au contenu des fonds. Neuf des chefs d’accusation étaient donc fondés sur l’article 197 (4) de la Loi sur les valeurs mobilières, qui incrimine le fait de « celui qui fournit, de toute autre manière, des informations fausses ou trompeuses […] dans un document ou un renseignement fourni à l’Autorité ou à l’un de ses agents », alors que les 15 derniers chefs étaient fondés sur l’article 197 (5), qui érige en infraction le fait de fournir, « de toute autre manière, des informations fausses ou trompeuses […] dans un document transmis ou un registre tenu en application de la présente loi ».

En regroupant les infractions en trois blocs distincts, le juge du procès a imposé à Vincent Lacroix une peine de 5 ans moins un jour pour le premier groupe d’infractions, une peine consécutive de 42 mois d’emprisonnement pour le deuxième groupe d’infractions et une peine consécutive de 42 mois pour le troisième groupe relatif aux fausses informations transmises au public[8]. En imposant la peine totale, le juge du procès a tenu compte de ce que l’affaire devant lui présentait tous les éléments d’une fraude. Il a donc appliqué les principes de la détermination de la peine applicables en matière de fraude criminelle. Il a tenu compte de l’absence d’antécédents judiciaires de Vincent Lacroix, de son niveau de culpabilité morale élevé, de la gravité objective des infractions, du nombre d’infractions au total, de la longue période pendant laquelle s’étaient déroulées les infractions, de l’importance du préjudice subi par les victimes et du principe de la totalité de la peine. En définitive, pour l’« ensemble de son oeuvre », Vincent Lacroix a reçu une peine totale de 12 ans moins un jour d’emprisonnement à être purgée dans un pénitencier fédéral[9].

Vincent Lacroix et cinq autres personnes font maintenant face, pour les mêmes appropriations illégales et stratagèmes de camouflage à un total de 922 chefs d’accusation (200 chefs pour Vincent Lacroix) de complot pour fraude, de fraude, de complot pour fabrication de faux documents, de fabrication de faux documents et de recyclage des produits de la criminalité en vertu du Code criminel. Si les accusations de complot et de recyclage des produits de la criminalité concernent certains aspects de la conduite de Vincent Lacroix qui n’ont pas été englobés dans les 51 chefs d’accusation portés en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, les accusations de fraude et de fabrication de faux documents sont à rapprocher des accusations d’avoir, de manière déloyale ou frauduleuse, modifié le cours ou la valeur de titres et d’avoir fourni des renseignements faux ou trompeurs dont il a déjà été déclaré coupable. Même en ayant consulté l’acte d’accusation direct et le détail des chefs d’accusation de fraude et de fabrication de faux documents maintenant portés contre lui[10], nous ne sommes pas en mesure de vérifier s’ils touchent les mêmes transactions illégales ou un échantillonnage différent de la fraude à grande échelle perpétrée par Vincent Lacroix. Compte tenu toutefois du principe de la totalité dans l’imposition de la peine, il est justifié de se demander en vertu de quels principes il est possible d’appliquer la justice pénale provinciale et la justice criminelle de manière cumulative dans des situations frauduleuses graves qui donnent indistinctement ouverture à des infractions pénales en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et en vertu du Code criminel.

1 La distinction entre les crimes et les infractions réglementaires

1.1 Une distinction fondée sur la différence de nature entre les deux types d’infractions ?

Le premier élément de réponse à cette question semble résider dans la distinction de nature qui existerait entre les infractions réglementaires et les infractions criminelles dans le vrai sens du mot. Au Canada, cette distinction a été consacrée en droit pénal par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sault Ste-Marie[11] :

[Les infractions réglementaires] ne sont pas criminelles au plein sens du terme, mais sont prohibées dans l’intérêt public. (Sherras v.De Rutzen […]) Bien qu’appliquées comme lois pénales par le truchement de la procédure criminelle, ces infractions sont essentiellement de nature civile et pourraient fort bien être considérées comme une branche du droit administratif à laquelle les principes traditionnels du droit criminel ne s’appliquent que de façon limitée. Elles se rapportent à des questions quotidiennes, telles les contraventions à la circulation, la vente de nourriture contaminée, les violations de lois sur les boissons alcooliques et autres infractions semblables[12].

Dans cet arrêt, la Cour suprême a avancé que seules les infractions criminelles sont assorties d’une présomption de mens rea, alors que les infractions réglementaires ou contre le bien-être public sont réputées être de responsabilité stricte. La distinction entre infractions réglementaires et infractions criminelles, qui sert d’assise à l’édifice élaboré dans l’affaire Sault Ste-Marie, n’est toutefois fondée sur aucun critère facilement reconnaissable[13]. Le jugement prend appui sur les motifs majoritaires du juge Ritchie qui affirme dans l’affaire Pierce Fisheries[14] :

D’une façon générale, il y a présomption en common law que la mens rea, l’intention coupable, est un élément essentiel de toutes les infractions proprement criminelles, mais l’étude d’une jurisprudence abondante m’a convaincu qu’il existe une vaste catégorie d’infractions créées par des lois adoptées pour réglementer la conduite des citoyens dans l’intérêt de l’hygiène, de la commodité, de la sécurité et du bien-être public, qui ne sont pas assujetties à cette présomption. La question de savoir si la présomption s’applique à ces derniers cas, dépend des termes de la loi qui crée l’infraction et de l’objet qu’elle poursuit.

L’« abondante » jurisprudence sur laquelle s’appuie le juge Ritchie provient de l’Australie et du Royaume-Uni, plus spécialement l’affaire Sherras v. DeRutzen[15], dans laquelle le juge Wright de la Queen’s Bench affirme qu’il existe trois exceptions à la présomption de mens rea, soit le cas des catégories d’actes qui, sans être criminels au sens véritable du terme, sont prohibés sous peine de sanctions pénales dans l’intérêt public, les nuisances publiques et les poursuites judiciaires qui, malgré leur forme criminelle, ne sont en réalité qu’un mode sommaire de faire respecter un droit civil. Malheureusement, la clé pour déceler ces trois catégories exceptionnelles n’est pas fournie.

Plus récemment, dans l’arrêt Wholesale Travel Group[16], décision sans ratio decidendi ni majorité claire, la Cour suprême est revenue sur la question de la distinction entre les infractions criminelles et les infractions réglementaires afin de proposer une analyse contextuelle justifiant l’intensité variable des protections de nature constitutionnelle accordées aux personnes accusées de l’un ou l’autre type d’infraction. Dans ses motifs, auxquels souscrit la juge L’Heureux-Dubé, le juge Cory fonde la distinction entre les deux types d’infractions sur les concepts différents de faute qu’elles expriment[17] et sur la nécessité essentielle d’assurer la protection et le bien-être de la collectivité et des personnes vulnérables à l’aide des infractions réglementaires[18]. Dans le cas de ces dernières, la protection des intérêts publics et sociaux passerait avant celle des intérêts individuels et avant la dissuasion et la sanction d’actes comportant une faute morale. Pour le juge Cory, « [alors] que les infractions criminelles sont habituellement conçues afin de condamner et de punir une conduite antérieure répréhensible en soi, les mesures réglementaires visent généralement à prévenir un préjudice futur par l’application de normes minimales de conduite et de prudence[19] ».

Dans une large mesure toutefois, nous constatons que la distinction entre infractions criminelles et infractions réglementaires procède de considérations historiques, de considérations liées au partage des compétences législatives, puisque les infractions provinciales ne peuvent être de nature criminelle, de la pétition de principe et de l’intuition[20].

Des considérations historiques expliquent à certains égards que de nos jours encore l’organisation d’une loterie sans autorisation provinciale[21], la possession de bombes fétides[22] ou le fait de dire la bonne aventure contre rémunération[23] constituent des crimes dans le vrai sens du mot, alors que le fait de provoquer intentionnellement une catastrophe environnementale[24] ou le fait d’influencer le cours ou la valeur d’un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses[25] constituent des infractions réglementaires. Est-il vraiment possible, dans ces derniers cas, d’affirmer, comme le juge Dickson dans l’affaire Sault Ste-Marie, que ces infractions sont essentiellement de nature civile et pourraient fort bien être considérées comme une branche du droit administratif ? Comment soutenir valablement que la différence de gravité objective entre les crimes et les infractions réglementaires explique leur nature différente ? Si les infractions réglementaires sont de nature civile ou administrative, comment justifier qu’elles soient traitées suivant les principes généraux du droit criminel au sein de l’appareil de justice répressive ?

L’idée que les crimes et les infractions réglementaires traduisent des concepts de faute différents participe du raisonnement circulaire. Une fois posé le principe que la culpabilité pour les infractions réglementaires peut se fonder sur la négligence, certains affirment que les infractions réglementaires diffèrent des crimes dans leur nature même parce qu’elles reflètent un niveau de faute différent de la faute normalement exigée en matière criminelle. Cette affirmation fait cependant peu de cas de la prolifération des crimes de négligence dans l’optique de la protection de personnes vulnérables[26] et de la possibilité, pour le législateur réglementaire, de prévoir, explicitement ou par implication nécessaire, la nécessité d’établir une mens rea subjectivement appréciée pour fonder la culpabilité[27].

Si nous en revenons au cas de Vincent Lacroix et de sa fraude à grande échelle, pouvons-nous vraiment affirmer que les infractions réglementaires et les crimes dans le vrai sens du mot traduisent des concepts de faute différents ? Dans les jugements de condamnation et de prononcé de la peine, le juge du procès a conclu que le contrevenant avait fait montre d’un degré important de turpitude morale. D’ailleurs, en application d’une jurisprudence constante de la Cour d’appel du Québec[28], le juge a réitéré que les infractions réglementaires en vertu desquelles Vincent Lacroix était accusé exigeaient la preuve d’une mens rea subjectivement appréciée. Au-delà de la sémantique, quelle différence de nature peut bien exister entre l’infraction réglementaire d’avoir frauduleusement influé sur la valeur d’un titre dont a été déclaré coupable Vincent Lacroix et l’infraction criminelle d’avoir, par un moyen dolosif, frustré une personne ou le public de tout bien, de tout service, de tout argent ou de toute valeur dont il est maintenant accusé[29] ?

Comme le reconnaît lui-même le juge Cory dans l’arrêt Wholesale Travel Group, la différence de nature qui existerait entre les infractions criminelles et les infractions réglementaires en ce qui concerne la gravité de la conduite, le blâme et les stigmates qui peuvent y être associés est somme toute relative :

Telle est la théorie ; mais, comme toutes les théories, elle est difficile à appliquer. Par exemple, peut-on blâmer davantage la mère célibataire qui vole une miche de pain pour nourrir sa famille que l’employeur qui, par sa négligence, viole des règlements et, de ce fait, expose ses employés à des conditions de travail dangereuses, ou que le fabricant qui vend des produits dangereux ou dont l’usine pollue l’air et l’eau par suite de sa négligence ? Il suffit à ce stade de ne pas perdre de vue que ceux qui violent les dispositions réglementaires peuvent causer un préjudice grave à de nombreux groupes de la société. Par conséquent, il ne faudrait pas considérer qu’en qualifiant une infraction de réglementaire, on fait peu de cas du préjudice qui peut être causé aux individus vulnérables ou de l’obligation imposée aux personnes assujetties à la réglementation de prendre les mesures nécessaires afin que le préjudice interdit ne se produise pas. Il convient également de rappeler qu’à mesure que les valeurs sociales changent, le degré de réprobation morale associée à une certaine conduite peut également changer[30].

L’argument le plus souvent invoqué pour justifier la distinction de nature qui existerait entre les infractions réglementaires et les crimes dans le vrai sens du mot concerne la fonction, par nature différente, que serait appelée à jouer l’imposition de la sanction dans le cas de ces deux types d’infractions. Alors que les jugements pour crimes seraient destinés à condamner et à punir une conduite antérieure répréhensible, les infractions réglementaires auraient une fonction préventive en vue de protéger les personnes vulnérables lors de l’exercice d’activités légitimes réglementées[31]. S’il est vrai que la réglementation vise la mise en oeuvre des politiques publiques, dont la protection des personnes vulnérables, c’est surtout par l’exercice de contrôle, par l’implantation de mécanismes d’inspection et de supervision que les objectifs de régulation et de protection du public seront atteints. La mise en oeuvre des sanctions pénales dans le domaine réglementaire marque toutefois l’échec de la prévention générale et a pour objet de punir la violation d’un interdit.

Il est intéressant de noter à cet égard que le juge La Forest, qui a rédigé les motifs majoritaires dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada[32] sur lesquels s’appuie le juge Cory[33] pour conclure à une différence de nature entre les infractions réglementaires et les infractions criminelles et, partant, à une protection constitutionnelle modulée au regard des articles 7 et 11 (d) de la Charte canadienne des droits et libertés[34], est dissident dans l’arrêt Wholesale Travel Group :

Je conviens avec le juge Cory qu’il existe une différence assez marquée entre le droit criminel proprement dit et les infractions réglementaires et je me suis fondé sur cette distinction dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. […] pour dire qu’une demande de documents commerciaux constituait une saisie non abusive au sens de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je ferai toutefois remarquer que ce qui importe en fin de compte, ce ne sont pas les étiquettes (bien qu’elles soient sans doute utiles), mais les valeurs en jeu dans le contexte particulier […].

Je dois ajouter que le contexte et les valeurs en jeu dans Thomson Newspapers Ltd., précité, différaient grandement de ceux de l’espèce. Dans Thomson Newspapers Ltd., il s’agissait vraiment de la garantie en matière de procédure qu’il faut accorder à la protection de la vie privée relativement aux documents commerciaux. Ici, les dispositions ont pour effet de supprimer l’exigence selon laquelle une infraction entraînant une perte importante de liberté doit être prouvée hors de tout doute raisonnable[35].

Le juge de première instance qui a imposé une peine à Vincent Lacroix a tenu compte de l’ampleur de sa turpitude morale, de la gravité des infractions commises et de l’étendue du préjudice subi par le nombre important de victimes. Plusieurs lois créant des infractions réglementaires prévoient précisément que, au moment de la détermination de la peine, le juge doit tenir compte, à titre de circonstances aggravantes de la culpabilité, de l’ampleur du préjudice subi par les victimes[36], des avantages retirés par le contrevenant[37], de la récidive, du caractère intentionnel de la commission de l’infraction[38], et ainsi de suite. Ces facteurs aggravants sont également tous pertinents en matière criminelle lorsqu’il s’agit d’établir une peine proportionnelle à la gravité du crime et au degré de responsabilité de son auteur[39]. Si les infractions réglementaires ont pour fonction essentielle la prévention de préjudices aux personnes vulnérables, c’est nécessairement par l’aspect dissuasif des peines qu’elles emportent. Il faut noter toutefois que la dissuasion, qu’elle soit individuelle ou collective, de même que la protection de la société sont d’importants objectifs poursuivis par l’imposition de la peine en matière criminelle[40]. Les savants dosages d’objectifs pénologiques divers à atteindre que nous observons, tant en matière réglementaire qu’en matière criminelle, ne permettent pas de conclure à une distinction nette entre les deux catégories d’infractions en ce qui concerne les fonctions de la peine. La distinction entre la fonction préventive de la peine en matière réglementaire et la fonction punitive en matière criminelle comme fondement de la distinction de nature entre les deux types d’infractions est plus rhétorique qu’avérée dans les faits.

En outre, peu importe la fonction prétendument distincte de la peine en matière réglementaire par rapport au droit criminel, la nature du châtiment, elle, demeure la même lorsque le législateur a décidé d’assortir l’infraction réglementaire d’une peine privative de liberté[41]. Pour reprendre les propos du juge Lamer dans l’arrêt Wholesale Travel Group[42], « [l]a personne privée de sa liberté par l’emprisonnement n’est pas privée de moins de liberté parce qu’elle a été punie en raison de la perpétration d’une infraction réglementaire et non d’un crime. L’emprisonnement, c’est l’emprisonnement, peu importe la raison[43]. »

Compte tenu des divergences fondamentales d’opinion exprimées dans l’arrêt Wholesale Travel Group[44], il est difficile de comprendre que la différence de nature entre les infractions criminelles et les infractions réglementaires permette aujourd’hui encore de moduler à la baisse les exigences constitutionnelles relativement à la faute et à la présomption d’innocence en matière réglementaire. Cela dit, puisque Vincent Lacroix a été trouvé coupable d’une infraction exigeant une mens rea subjectivement appréciée, nous nous bornerons à poser la question suivante : qu’est-ce donc qui justifierait d’ajouter à la peine d’emprisonnement « réglementaire » de Vincent Lacroix une nouvelle peine consécutive d’emprisonnement « criminel » pour la fraude à grande échelle qu’il a commise ?

La différence de nature entre les infractions criminelles et les infractions réglementaires serait-elle à rechercher dans la théorie constitutionnelle canadienne relative au partage des compétences législatives ?

1.2 Une distinction fondée sur le partage des compétences législatives ?

Nous aurions pu penser que la jurisprudence de la Cour suprême en matière de partage des compétences aurait fourni des critères de distinction clairs entre le droit criminel et le droit pénal réglementaire provincial et, partant, entre les infractions de nature criminelle et les infractions contre le bien-être public. Nous le savons, la Cour suprême a eu maintes fois l’occasion de se prononcer sur le premier point. Si la plupart de ses arrêts font preuve de pédagogie eu égard aux méthodes mises en place pour répondre à la question du partage des compétences législatives proprement dit et donnent ainsi satisfaction aux constitutionnalistes[45], ils laissent cependant les criminalistes sur leur faim. Disons-le d’emblée, la jurisprudence de la Cour suprême participe d’une rhétorique consistant plus à justifier l’équilibre fédéral qu’à définir clairement les concepts de droit criminel et de droit pénal réglementaire pour l’application des principes généraux du droit pénal et de détermination des garanties constitutionnelles offertes aux personnes inculpées ou condamnées.

Comme nous le savons, le Parlement fédéral dispose d’un pouvoir vaste[46] et exclusif en matière de droit criminel en vertu des dispositions de l’article 91 (27) de la Constitution. Pour assurer l’exécution de leurs lois entrant dans leur champ exclusif de compétence, les provinces peuvent infliger des punitions par voie d’amende, pénalité ou emprisonnement en vertu de l’article 92 (15) de la Constitution. Le pouvoir des provinces de sanctionner pénalement certains actes constitue le corollaire de leur pouvoir de fait d’établir des infractions pénales, lesquelles peuvent prendre la forme d’une interdiction ou d’une prohibition. Ainsi que le soulignent certains auteurs, si l’article 92 (15) permet de prescrire des sanctions de nature pénale, il n’autorise en rien une province à établir et à définir des infractions. Ce pouvoir relève des autres dispositions de l’article 92 de la Constitution, et en particulier de l’article 92 (13) sur la propriété et les droits civils[47]. Suivant ce schéma, il existe donc une distinction entre le droit criminel fédéral et le droit pénal réglementaire provincial. Nous précisons ici que nous ne contestons aucunement le fait qu’il puisse exister un droit criminel fédéral et un droit pénal réglementaire de nature provinciale. Cette situation s’impose à nous de par la Constitution. En revanche, c’est la ligne de démarcation entre les deux, telle qu’elle est conçue de nos jours, qui nous préoccupe. Il importe en effet de voir si les théories mises en avant par la Cour suprême pour asseoir les sphères de compétences provinciales et fédérales dans sa jurisprudence relative à l’arrangement fédéral canadien peuvent fonder la distinction de nature alléguée entre les infractions criminelles et les infractions réglementaires au moment de déterminer les principes juridiques applicables et l’étendue de la protection constitutionnelle à laquelle a droit un inculpé ou un condamné.

Les notions de droit criminel et de droit pénal provincial, dans un contexte de partage des compétences, ont fait l’objet de longs développements dans la jurisprudence de la Cour, largement commentés par la doctrine[48]. Il n’est pas question ici de reprendre une telle étude. Nous proposons simplement de rappeler les principales conclusions tirées de ces travaux à la lumière des décisions de la Cour suprême les plus pertinentes et de souligner brièvement les incohérences persistantes que nous pouvons relever lorsqu’il s’agit de comprendre la distinction de nature qui existerait entre les crimes et les infractions réglementaires, et ce, malgré l’ancienneté de la question.

La distinction opérée par la Cour suprême entre les concepts de droit criminel et de droit pénal réglementaire pour le partage des compétences législatives est le fruit d’une construction intellectuelle ayant pour objet la justification de deux compétences qui se chevauchent et constitue une illustration de la théorie constitutionnelle dite du double aspect[49]. Selon certains auteurs, les provinces peuvent légiférer « sur des sujets qui sont à la limite du droit criminel[50] » et pour d’autres, « une infraction provinciale […] ne devient pas vulnérable du fait qu’elle recouvre des conduites qui sont aussi prohibées par le Code criminel[51] ». Les frontières mêmes de ce droit pénal/criminel réglementaire ne sont pas claires. L’analyse des décisions de la Cour suprême nous laisse penser que cette clôture est, en tout état de cause, extrêmement ouverte. À ce titre, nous pouvons surtout constater que ce souci de l’équilibre fédéral, dans un contexte de chevauchement des compétences fédérales et provinciales, a conduit la Cour suprême à faire usage d’une rhétorique qui laisse le criminaliste dubitatif.

Rappelons que, aux fins du partage des compétences, la Cour suprême définit le crime comme « un acte que la loi défend en y attachant des sanctions pénales appropriées[52] ». Cette définition, convenons-en, pourrait être également transposée aux infractions contre le bien-être public. La Cour suprême ajoute qu’une loi relève du droit criminel lorsqu’elle comporte un objet valide de droit criminel, une interdiction et une sanction[53]. Les objectifs de droit criminel sont larges et concernent notamment la sécurité, l’ordre, la santé, les bonnes moeurs et la moralité publics[54]. Ce sont là, selon la Cour suprême, des objectifs publics légitimes[55]. Il faut toutefois souligner qu’une loi de nature criminelle n’est pas forcément prohibitive : elle peut aussi accessoirement réglementer un domaine particulier, tant que le caractère essentiel de ladite loi est par nature criminel[56]. Nous savons également que le droit criminel fédéral n’est pas nécessairement répressif et peut aussi être préventif tant que la mesure législative comporte un objet criminel[57]. Enfin, dans de nombreux arrêts, la Cour suprême insiste sur le fait que les dispositions de l’article 91 (27) de la Constitution doivent être interprétés « comme attribuant au Parlement [fédéral] la compétence exclusive en matière de droit criminel dans le sens [le] plus large[58] » et que la définition même de droit criminel ne doit pas être gelée à une époque déterminée ni restreinte à un domaine d’activité fixe[59].

Partant de là, le droit pénal provincial serait ce droit prohibitif ou préventif accessoire relativement à une réglementation détaillée d’un domaine d’activité relevant du champ de compétence de l’article 92 de la Constitution, mais dont l’objet n’est pas de droit criminel, c’est-à-dire qu’il ne relève pas notamment de l’ordre public, de la santé publique, de la moralité publique. Cette manière de raisonner n’est pas convaincante. En outre, elle ne permet pas de visualiser clairement la ligne de démarcation entre le droit criminel et le droit pénal réglementaire. Premièrement, il est évident que les provinces peuvent légitimement légiférer même en matière de moralité publique[60], tout comme en matière d’ordre public et de sécurité publique[61]. Les provinces peuvent aussi validement légiférer en vue de prévenir la criminalité[62]. Le juge Dickson dans l’affaire Sault Ste-Marie précise en outre que les infractions contre le bien-être public permettent à la société de maintenir « par un contrôle efficace, un haut niveau d’hygiène et de sécurité publiques[63] ». Le droit criminel et le droit pénal réglementaire peuvent donc englober des champs de compétence identiques ou, à tout le moins, servir les mêmes fins[64]. Deuxièmement, la création d’infractions contre le bien-être public, qui caractérisent le droit pénal réglementaire selon l’affaire Sault Ste-Marie, ne constitue pas un droit exclusif imparti aux provinces. Le Parlement fédéral peut établir de telles infractions au titre de l’article 91 (29) de la Constitution. Pour couronner le tout, il a été décidé, au cours des dernières années, que le Parlement fédéral pouvait même créer des infractions réglementaires en vertu de sa compétence exclusive sur le droit criminel[65].

Toutes les lois, lorsqu’elles font l’objet d’une interprétation par les tribunaux, bénéficient dans une large mesure d’une présomption de constitutionnalité[66] et la frontière entre le droit criminel et la portée de la réglementation provinciale permise par sa compétence exclusive sur la propriété et les droits civils est de moins en moins étanche. Dans l’affaire Chatterjee, la Cour suprême vient de le réitérer :

L’argument suivant lequel la [Loi de 2001 sur les recours civils pour crime organisé et autres activités illégales] est ultra vires repose en l’espèce sur une conception exagérée de l’exclusivité de la compétence fédérale relative à des matières qui peuvent, sous un autre aspect, être visées par la législation provinciale. Dans les arrêts Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, et Colombie-Britannique (Procureur général) c.Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86, notre Cour a découragé le recours au concept fédéraliste de la prolifération des enclaves en matière de compétence (ou de « l’exclusivité des compétences »), et il ne faudrait pas maintenant lui donner un nouveau souffle. Comme notre Cour l’a dit dans Banque canadienne de l’Ouest, « les tribunaux privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement »[67].

Appelé à se prononcer sur la validité constitutionnelle d’une disposition donnée au regard du partage des compétences, le juge va bien entendu considérer les arguments d’interprétation de texte, de contexte et téléologiques. Il va aussi utiliser des méthodes complémentaires d’interprétation, comme des arguments historiques et pragmatiques[68], étant précisé que pour ce dernier argument il soit animé du souci de l’équilibre fédéral. Les jugements précités de la Cour suprême illustrent bien ces méthodes d’interprétation, surtout lorsqu’il s’agit de qualifier la loi, première étape dans la méthode utilisée par les juges pour décider du rattachement d’une loi à tel ou tel chef de compétence. À l’étape du rattachement, nous savons aussi que les juges vont dans le sens d’une interprétation dynamique et systémique[69]. Cependant, et ainsi que nous l’avons dit précédemment, nous sommes en matière de double aspect. Le fait que les deux niveaux de gouvernement (fédéral et provincial) peuvent validement intervenir dans un domaine commun sans nuire à l’équilibre fédéral nous informe donc peu sur la distinction fondamentale ou intrinsèque qui pourrait exister entre les crimes et les infractions réglementaires.

Lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue de la protection constitutionnelle à consentir à une personne accusée ou condamnée pour la commission d’une infraction réglementaire ou criminelle, cette situation devrait permettre l’ouverture d’une plus large part à des arguments d’interprétation de la loi plus pragmatiques, c’est-à-dire qui prennent en considération les effets d’une loi « dans le résultat concret d’une cause[70] » et laissent de côté l’équilibre fédéral ou le rétrogradent à un rang inférieur. En matière pénale, cette manière de raisonner semble relever du bon sens. Les arguments pragmatiques ne peuvent pas se limiter à la présomption de constitutionnalité et à l’équilibre fédéral, mais ils doivent nécessairement inclure des éléments contextuels fondamentaux quant au droit pénal et criminel[71]. Nous visons bien entendu les dispositions pertinentes de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce n’est pas par hasard que, dans une décision unanime, la Cour suprême a rappelé la singularité du droit criminel comme chef de compétence fédérale, insistant sur le fait que, malgré les chevauchements possibles avec le pouvoir des provinces, le droit criminel « englobe aussi la procédure pénale, qui régit plusieurs aspects de son application, comme l’arrestation, la fouille, la perquisition et la saisie d’éléments de preuve, la réglementation de l’écoute électronique et la confiscation des biens volés[72] » auxquels sont attachées des garanties importantes issues de la Charte. Lorsque le juge interprète une loi pénale ou une loi touchant aux libertés fondamentales, dans un contexte autre que le partage des compétences, dont le sens est ambigu, c’est l’effet de la loi au regard des droits individuels qui devrait fonder l’analyse. Une personne accusée d’une infraction réglementaire fait face à l’appareil répressif de l’État et est susceptible de subir de « véritables conséquences pénales[73] ». Plus une loi de nature pénale portera atteinte aux droits des individus de par la sévérité de sa peine, plus les garanties procédurales devraient être étendues.

En somme, le législateur provincial comme le législateur fédéral doivent assurer le respect de garanties fondamentales et procédurales de justice lorsque leurs lois respectives créent des infractions qui emportent de véritables conséquences pénales réduisant sérieusement la liberté des justiciables. Dans le cas des infractions pénales provinciales sanctionnées par un emprisonnement sévère, ce n’est pas l’habit qui fait le moine. Le législateur provincial qui recourt à la répression pénale dans ses champs de compétence législative doit accepter les exigences du droit pénal substantif et les conséquences constitutionnelles de cet exercice dans une société libre et démocratique.

2 Le cumul des peines provinciales et criminelles : jusqu’où ne pas aller trop loin

L’affaire Lacroix-Norbourg ne met pas seulement en relief la confusion juridique entretenue entre le crime véritable et l’infraction pénale réglementaire, mais elle met aussi en évidence une « ligne Maginot » séparant la peine statutaire provinciale de la peine criminelle. Par conséquent, en vertu d’une frontière virtuelle postulant que ces peines sont respectivement différentes, elles auraient une existence autonome en pouvant s’ignorer mutuellement et ne connaîtraient pas de principes communs et complémentaires. Bref, du côté de la peine, la confusion sur les principes de justice punitive applicables aux deux domaines législatifs, celui des valeurs mobilières et celui du Code criminel, est susceptible d’engendrer un excès de justice, c’est-à-dire un excès d’injustice pour reprendre une maxime de Cicéron à notre compte[74]. Examinons cela de plus près.

2.1 Une pénologie pénale provinciale autonome et distincte de la pénologie en vertu du Code criminel ?

2.1.1 L’imposition de peines d’emprisonnement par la loi provinciale

La Constitution, réitérons-le, confère au législateur québécois un large pouvoir discrétionnaire de recourir à l’ensemble des peines classiquement utilisées dans l’exercice du droit criminel en vue de la mise en oeuvre de ses lois dans les champs énumérés de compétence provinciale. En vertu de l’article 92 (15) de la Constitution, il peut en effet infliger des punitions par voie d’amende, de pénalité ou d’emprisonnement. De toute évidence, ce texte constitutionnel ne limite aucunement le pouvoir provincial de sanctionner une infraction pénale par une longue durée d’emprisonnement[75].

Or, pendant une longue période du xxe siècle, le législateur québécois a certainement imaginé une frontière entre la peine de nature statutaire provinciale et celle de nature criminelle, car les infractions pénales québécoises n’ont pour ainsi dire jamais été sanctionnées par une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus[76] jusqu’à l’adoption du Code de procédure pénale[77]. Au cours de cette période, le législateur provincial s’est comporté comme si l’énoncé « 2 ans moins un jour » constituait dans les faits la durée maximale de la peine d’emprisonnement provinciale et semble avoir perçu la peine pénitentiaire comme étant de nature criminelle et, partant, de compétence fédérale exclusive[78]. S’il est vrai que ce terme indiquait et indique toujours la ligne de démarcation entre l’emprisonnement purgé dans une prison locale et celui qui l’est dans un pénitencier fédéral depuis 1867[79], la Constitution, faut-il insister, n’a jamais érigé cette durée en un terme constitutionnel qui aurait été immuable[80]. Le législateur provincial aurait de facto fait sienne une frontière qui n’était aucunement impérieuse en vertu du droit constitutionnel canadien sur le partage des compétences qui, d’emblée, ne la créait pas. De plus, le litige de l’affaire Chatterjee[81] illustre la conviction encore tenace de l’existence d’une prétendue frontière entre les remèdes civils et les sanctions criminelles, une province étant soupçonnée d’empiètement sur le champ du droit criminel dès qu’elle adopte une solution de droit civil au sujet d’une question traditionnellement liée au crime. En sens contraire[82], certains ont entretenu la même inquiétude au sujet de mesures de dédommagement des victimes d’actes criminels dans le Code criminel. Il ne faut pas se surprendre si la peine pénitentiaire a longtemps été perçue comme étant du ressort exclusif fédéral puisque le législateur québécois ne l’utilisait pas dans sa propre pénologie[83].

Aujourd’hui encore, le législateur québécois s’est rarement départi de cette frontière imaginaire et sanctionne des infractions pénales par un emprisonnement pénitentiaire dans le seul secteur[84] des manoeuvres dolosives graves au chapitre des valeurs mobilières[85]. À bon droit, le fait de trouver dans la Loi sur les valeurs mobilières des infractions punissables par 5 ans moins un jour se justifie en vertu de l’article 92 (15)[86]. Le législateur québécois a bel et bien le pouvoir de créer des infractions punissables par un emprisonnement pénitentiaire, mais y recourir est encore exceptionnel et le résultat d’un intérêt relativement récent.

2.1.2 Les règles régissant le cumul de termes d’emprisonnement en droit pénal provincial

Lorsqu’il s’agit de déterminer les principes applicables à la peine d’emprisonnement provinciale qui prend la forme particulière d’un emprisonnement pénitentiaire et d’imposer des peines pénitentiaires multiples à propos de plusieurs chefs d’inculpation en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, convenons-en tout de suite, l’imbroglio juridique s’amplifie[87]. Où trouver les règles de droit applicables à la gestion de plusieurs peines d’emprisonnement provinciales dans un même procès ? Car un constat s’impose : les textes législatifs sur ces matières sont inexistants ou fort lacunaires.

2.1.2.1 L’interprétation statutaire et la common law

Appelé à apprécier la gravité des gestes répréhensibles dont Vincent Lacroix s’est rendu coupable en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, le juge du procès a tenu compte de l’ampleur des préjudices à l’égard de nombreux investisseurs, des manoeuvres dolosives et frauduleuses planifiées et calculées sur une période de près de cinq ans, du degré de turpitude morale et de l’absence de remords du contrevenant. Ces facteurs ont conduit intuitivement et irrésistiblement le juge du procès à faire usage de considérations pertinentes quant à la détermination de sentences comme s’il imposait des peines en matière criminelle[88]. Nous ne saurions lui reprocher d’avoir eu de tels réflexes, l’article 229 du Code de procédure pénale l’invitant d’ailleurs à déterminer une sentence en tenant compte de facteurs pertinents, à la manière de l’imposition du sentencing criminel. Reste à savoir s’il s’agissait pour ce juge de réflexes juridiquement appropriés en vertu du droit pénal provincial lorsqu’il a imposé des termes consécutifs d’emprisonnement.

En effet, les difficultés pour le juge du procès ont commencé lorsqu’il s’est investi de la tâche de justifier ses peines consécutives d’emprisonnement sur une supposée pénologie provinciale dont les règles auraient été énoncées dans le Code de procédure pénale. La difficulté provient du fait que ce code établit un régime punitif général fondé sur la peine d’amende et exclut la peine d’emprisonnement comme peine d’application générale en matière pénale provinciale[89]. La Loi sur les valeurs mobilières déroge expressément à ce code[90] pour créer des infractions provinciales punissables par une peine d’emprisonnement. Cette loi assortit de peines d’emprisonnement les conduites exceptionnellement répréhensibles dans le domaine des valeurs mobilières sans prévoir de règles quant à leur cumul. Bref, le juge du procès s’est livré à une interprétation extensive des dispositions du Code de procédure pénale[91] pour trouver un pouvoir qu’il souhaitait avoir, soit celui d’imposer des termes consécutifs d’emprisonnement à Vincent Lacroix. Comme nous l’avons déjà dit, l’interprétation qu’il a faite de ces dispositions législatives reste contestable à nos yeux[92].

À notre avis, le pouvoir du juge du procès d’imposer des termes consécutifs d’emprisonnement dépend plutôt de la réponse à la question de savoir si le droit pénal provincial est un droit purement statutaire faisant appel à des règles d’interprétation stricte des textes de loi ou si la pénologie pénale provinciale, lorsqu’il s’agit de règles de cumul de peines d’emprisonnement, est inachevée en raison des insuffisances du droit statutaire provincial en général et du Code de procédure pénale en particulier. Quels sont les principes supplétifs auxquels il est possible de recourir concernant les peines d’emprisonnement provinciales ? La common law peut-elle offrir des principes généraux applicables au sentencing provincial, et le Code criminel peut-il servir d’inspiration lorsqu’il s’agit de l’imposition de plusieurs peines d’emprisonnement et du cumul de celles-ci ?

Le choix de la méthode d’interprétation entre une approche de droit écrit et celle de common law n’était pas l’unique dilemme du juge du procès. Comme le fait de tomber de Charybde en Scylla, il devait également suivre le précédent de l’arrêt Paul[93] ou s’en éloigner, celui-ci étant le seul arrêt de la Cour suprême à traiter des emprisonnements concurrents ou consécutifs dans un contexte mixte de common law et de droit codifié.

Annonçons les couleurs avant de poser les jalons de notre raisonnement. À notre avis, il n’y a aucune raison d’adopter une approche statutaire étriquée de la pénologie provinciale. Il faut plutôt préconiser une interprétation constructive du droit pénal provincial qui permet au juge du procès de justifier ses sentences d’emprisonnement sur des principes de justice propres à l’exercice de la répression punitive[94]. Le droit pénal provincial ne peut être privé de principes de justice punitive qui, historiquement, ont de toute façon été élaborés par les juges en common law, puis par la suite repris, adaptés et modernisés par les juges dans la détermination des peines au Canada[95]. Rappelons d’ailleurs que presque tous les principes de sentencing en matière criminelle sont le résultat de la pratique judiciaire et n’ont été finalement mis sous une forme législative que très tardivement (ou récemment, selon le point de vue) dans le Code criminel canadien[96]. Lorsque les lois québécoises créent des infractions qui emportent de véritables conséquences pénales, de la nature d’un emprisonnement pénitentiaire par exemple, l’approche statutaire est réductrice et discutable si elle consiste à devoir trouver toutes les règles régissant cette peine dans la seule législation provinciale.

L’héritage commun du droit criminel et du droit pénal provincial, deux branches du droit public, s’inscrit donc dans la common law. Il est de bon aloi qu’elle soit vivante en droit pénal provincial en raison du caractère laconique des règles législatives régissant la peine d’emprisonnement. Par conséquent, le juge du procès peut avoir recours à la common law et au droit criminel à titre supplétif et y rechercher des principes et des règles utiles au sujet du cumul des peines d’emprisonnement[97]. Il peut les appliquer en matière pénale mobilière, à moins que le législateur québécois ne les ait explicitement modifiés ou qu’il n’ait créé des règles législatives incompatibles avec la survivance des règles de common law[98].

Quels sont les principes de common law concernant les termes concurrents et consécutifs d’emprisonnement, comment la législation provinciale et criminelle peut-elle aider à reconnaître le maintien ou la modification de la common law relativement à ceux-ci ? C’est ici que nous délaissons temporairement la critique de l’interprétation statutaire adoptée par le juge du procès dans l’affaire Lacroix-Norbourg pour nous demander si des principes de common law qui ont toujours leur raison d’être en droit criminel et en droit pénal provincial lui offraient de toute façon la possibilité d’imposer des termes consécutifs.

Trois principes établis et constamment utilisés dans la jurisprudence anglaise et canadienne opèrent lorsque le juge du procès est appelé à imposer plusieurs peines d’emprisonnement en même temps dans la même procédure : 1) un principe de concurrence des peines d’emprisonnement imposées lorsque les chefs d’inculpation concernent la même « opération criminelle[99] », 2) un principe de peine globale pour toutes les infractions résultant de la même « opération criminelle » et 3) un principe de totalité lors de l’imposition de termes consécutifs au sujet d’« opérations criminelles » distinctes[100].

Laissons parler Sir Rupert Cross sur ces principes de base qu’il rappelle au cours de l’analyse de quelques cas jurisprudentiels et qu’il circonscrit clairement dans l’exercice de la discrétion du juge d’imposer des termes concurrents ou consécutifs :

When someone has been convicted of more than one offence and the judge is minded to pass sentence of immediate imprisonment for each one, should the sentence be concurrent or consecutive ? The answer is that the judge has a discretion, but the sentences must be concurrent when the offences arose out of the same transaction, and they are frequently made concurrent in other cases out of mercy […]

Be that as it may, humanitarian considerations certainly lie at the root of the courts’ practice of making sentences concurrent in spite of the fact that the offences in respect of which they are passed cannot, by any stretch of the imagination, be said to form one transaction […][101].

Puis commentant un cas d’espèce dans lequel le juge avait imposé des sentences multiples et concurrentes de 3 ans au sujet d’infractions issues de la même opération criminelle, Sir Rupert Cross évoque le principe de la peine globale dans un contexte de peines concurrentes :

Although a total of three years was correct as a reflection of the overall gravity of the course of lawbreaking, it would have been fairer to impose a three years sentence in respect of the most grave offence and lesser concurrent sentences in respect of the others […] Not only, therefore, must the judge correctly assess the overall gravity of the offences and set a realistic total for the sentences so that the seriousness of each individual offence is fairly reflected. Even though this second task does not affect the period served in prison by the offender, it ensures that his criminal record gives a reasonably accurate impression of the gravity of his offences[102].

Enfin, Sir Rupert Cross rappelle le principe général des peines consécutives pour des opérations criminelles distinctes et celui de la totalité non excessive dans une telle situation :

Apart from the general principle that sentences for offences which do not form part of a single transaction should be consecutive, and the limiting effect of the requirement that the judge should not allow the total period of imprisonment to exceed what is proportionate to the overall lawbreaking, the courts have developed the policy of imposing consecutive sentences in particular kinds of cases for deterrent reasons[103].

Ces principes de gestion des peines d’emprisonnement multiples, lorsque le juge du procès est saisi dans la même procédure de plusieurs chefs d’inculpation, sont fortement ancrés dans la pratique judiciaire et relèvent depuis longtemps de l’exercice de la discrétion judiciaire d’imposer des termes concurrents ou consécutifs[104]. Ils donnent lieu à des automatismes de la part des juges canadiens qui ont de la difficulté à les expliquer s’ils sont questionnés sur le fondement de leur application. Il ne faut pas se surprendre si le juge du procès dans l’affaire Lacroix-Norbourg a justifié leur application à l’aide d’un droit statutaire provincial qui ne faisait pas directement allusion à ces principes. Cependant, ses réflexes judiciaires étaient destinés à faire réapparaître les principes de base de la common law et ils sont revenus sous le couvert d’un raisonnement statutaire discutable.

2.1.2.2 L’interprétation de l’arrêt Paul de la Cour suprême

C’est ici qu’il convient d’ajouter à notre analyse des considérations à partir de l’arrêt Paul. On[105] a eu tendance à exagérément simplifier la ratio decidendi de l’arrêt Paul en la résumant en substance ainsi : « En common law, les peines sont présumées concurrentes et ce principe est perpétué en droit criminel canadien. Par conséquent, imposer des termes consécutifs est toujours dérogatoire à ce principe de common law. Il faut alors trouver dans une règle législative canadienne la source du pouvoir judiciaire d’imposer des termes consécutifs. » Il est alors aisé de comprendre que le juge du procès dans l’affaire Lacroix-Norbourg se soit appliqué à trouver un fondement législatif à son pouvoir d’imposer des termes consécutifs en matière pénale provinciale s’il faisait, lui aussi, cette lecture simplifiée de l’arrêt Paul. Or, toutes les références historiques citées par la Cour suprême dans l’arrêt Paul accréditent le point de vue de l’existence continue en common law et en droit canadien du pouvoir discrétionnaire du juge saisi de plusieurs chefs d’inculpation dans la même procédure d’imposer des sentences d’emprisonnement consécutives, ce qui n’était d’ailleurs pas la question soumise à la Cour suprême dans cette affaire[106]. L’accusé Paul a même d’entrée de jeu fait l’admission de ce pouvoir du juge d’imposer des peines consécutives en pareilles circonstances[107].

La Cour suprême devait examiner une autre situation juridique : le libellé d’une disposition législative du Code criminel[108] donnant ouverture à des termes consécutifs, laquelle posait toutefois une difficulté d’interprétation quant à sa portée. Était-il possible ou non de l’appliquer à la situation soumise à son attention[109] ? La Cour suprême n’a pas vu de préjudice à donner une portée extensive à la disposition législative pour l’appliquer au cas d’espèce et a donné son aval à l’imposition de peines consécutives. Pour l’essentiel, malgré des poursuites distinctes, il s’agissait néanmoins du même juge chargé de l’imposition de toutes les sentences issues de différentes procédures. S’en tenir à une interprétation littérale du texte législatif aurait artificiellement maintenu un effet indésirable d’une réalité révolue de l’organisation judiciaire en sessions. Par conséquent, il ne convenait plus de perpétuer le sens premier de cette disposition puisque cela avait pour effet de la restreindre indûment à sa formulation en common law, c’est-à-dire la destiner à une inapplication en raison d’une réalité qui avait cessé d’exister et qui n’avait plus de raison d’être. Une interprétation extensive répondait à l’exigence de donner plein effet à la volonté du législateur de permettre l’imposition de peines consécutives dans une situation non prévue dans les principes de base. Ce que la Cour suprême a affirmé dans cette affaire, c’est que le juge, même s’il a siégé dans des poursuites distinctes concernant le même accusé, a néanmoins la discrétion d’imposer des termes consécutifs pour tous les emprisonnements qui en résultent.

La lecture de l’arrêt Paul va dans le sens de la complète reconnaissance des principes de base que nous avons présentés. En effet, cet arrêt confirme et maintient la discrétion du juge d’imposer des termes concurrents ou consécutifs quand il contrôle la procédure concernant plusieurs chefs d’inculpation, mais aussi quand il contrôle l’entièreté de plusieurs chefs d’inculpation qu’il réunit à des fins de sentencing[110].

Il n’est donc pas permis d’extrapoler du jugement de la Cour suprême l’argument que le Code criminel a modifié les principes de base de la common law ; nous ne pouvons davantage tirer la conclusion qu’un juge, placé dans les circonstances habituelles pour lesquelles sa discrétion est bel et bien reconnue d’imposer des termes concurrents ou consécutifs, devra dorénavant, dans ce cas-là, nécessairement fonder son pourvoir d’imposer des termes consécutifs sur une disposition législative habilitante.

Bien entendu, si le droit codifié a modifié une règle de common law en matière d’emprisonnements multiples, il faut donner préséance à la règle législative[111]. Nous soutenons plutôt que le Code criminel a toujours réitéré les principes de base que nous avons mis en évidence, lesquels s’inscrivent depuis des temps immémoriaux dans l’exercice de la discrétion judiciaire[112]. Ces principes ont de plus toujours conservé leur raison d’être. En effet, le juge du procès dispose de la discrétion de choisir entre des termes concurrents ou consécutifs parce qu’il est dans la situation procédurale idéale pour faire toutes les distinctions qui s’imposent : il détermine quelles infractions font partie de la même opération criminelle de même que celles qui doivent être distinguées parce qu’elles révèlent des opérations criminelles distinctes et justifient donc des emprisonnements consécutifs.

Cherchons tout de même des indices dans la législation criminelle de la pérennité de ces principes de base qui encadrent la discrétion judiciaire de choisir entre des peines concurrentes ou consécutives. Le législateur fédéral qui légifère à l’« anglo-saxonne » n’a jamais éprouvé la nécessité d’affirmer positivement dans le Code criminel canadien les principes judiciaires commentés par Sir Rupert Cross. Comme chacun le sait, le Canada n’a jamais fait oeuvre de codification véritable en matière criminelle et ce code se présente toujours dans le style d’un statute. Conformément à cette manière culturelle de ne pas codifier les principes généraux dans la loi du pays, le législateur canadien s’est contenté de légiférer de façon compatible avec les principes de common law sur les emprisonnements multiples ou les a subsumés lorsqu’il a été question de faire des extensions, compléments ou dérogations quant à ces principes dans le Code criminel.

D’abord, le législateur affirme à l’article 719 (1) du Code criminel que la peine commence au moment où elle est infligée. Nous pouvons extrapoler et dire : si des emprisonnements multiples sont imposés en même temps dans un même procès, ils commencent au moment de leur imposition simultanée. Ce texte atteste le principe de la concurrence des peines d’emprisonnement imposées en même temps. Cependant, cette disposition législative doit être complétée par l’article 728 du Code criminel qui permet une appréhension globale du quantum d’emprisonnement au sujet de plusieurs chefs d’inculpation, précisant que la sentence globale est valide lorsqu’un chef peut à lui seul justifier la peine infligée. Voilà énoncé en « crypto common law » le principe de la concurrence des peines d’emprisonnement multiples et celui de la peine globale dans le contexte de la sanction des infractions résultant de la même opération criminelle (the one-transaction rule). Puis, le législateur a toujours autorisé l’imposition de peines consécutives d’emprisonnement lorsque l’accusé est déclaré coupable de plus d’une infraction et que des périodes d’emprisonnement sont infligées pour chacune (art. 718.3 (4) (c) (ii) C.cr.)[113]. S’il y a imposition de termes d’emprisonnement consécutifs, il faut également que le juge évite l’excès de nature et de durée des peines consécutives (art. 718.2 (c) C.cr.). Bref, toutes ces dispositions prises ensemble confirment que le Code criminel n’a jamais modifié les principes de base en matière de peines d’emprisonnement concurrentes et consécutives.

Il est possible de repérer d’autres règles de gestion de plusieurs peines dans le Code criminel. Qu’arrive-t-il lorsque le tribunal impose des emprisonnements multiples dans des poursuites distinctes et successives devant des juges différents ? Que convient-il de faire avec la combinaison d’une peine d’emprisonnement et d’une autre catégorie de peine, l’amende par exemple ? Ce sont ces autres règles qui doivent être énoncées, car elles doivent disposer de situations non nécessairement prévues dans les principes de base. Chacune d’elles soit complète les principes de base, soit en étend l’application, ou encore constitue une dérogation à ceux-ci.

Ce sont ces ajouts de règles, ces extensions ou ces dérogations aux principes de base qui seraient notamment le résultat d’une activité législative au Canada et qui exigeraient, au dire de la Cour suprême dans l’arrêt Paul, un fondement législatif pour s’éloigner des principes de base et autoriser des termes consécutifs. Revenons à la dernière allusion de Sir Rupert Cross que nous allons commenter : les tribunaux anglais auraient parfois invoqué des motifs de dissuasion générale pour s’éloigner des principes de base et auraient pratiqué des termes consécutifs alors que le principe de la concurrence des infractions issues de la même opération criminelle aurait dû prévaloir. Le Code criminel en fournit de nombreux exemples. Par exemple, le Code criminel fait de la possession ou de l’utilisation d’une arme dans la commission d’un crime une circonstance aggravante qui exige un terme consécutif à celui qui sanctionne l’infraction principale[114]. Lorsqu’un juge impose en même temps un emprisonnement et une amende, il a le droit d’énoncer que la clause d’emprisonnement à défaut de paiement de l’amende sera consécutive à l’emprisonnement imposé en même temps. Ici, cette règle incite au paiement de l’amende, sinon l’accusé purgera une peine plus longue[115].

Concluons en disant que les principes de base construits par la common law sur les emprisonnements concurrents et consécutifs continuent de s’appliquer en droit criminel canadien. Les règles donnant ouverture aux peines consécutives qui ne peuvent pas découler de l’application et de l’interprétation des principes de base exigent un fondement législatif, car ces règles sont dérogatoires aux principes de common law ou disposent de situations non prévues dans ceux-ci[116].

Il reste la question suivante à examiner : en droit pénal provincial, et en particulier dans l’application de la peine d’emprisonnement dans le domaine des valeurs mobilières, les principes de base de la common law sur les peines concurrentes et consécutives s’appliquent-ils ? Le droit statutaire provincial qui se trouve dans le Code de procédure pénale et dans la Loi sur les valeurs mobilières a-t-il créé des règles incompatibles avec ces principes de common law ?

Le Code de procédure pénale fait une seule allusion à une règle ayant une parenté avec les principes de common law. Il énonce à l’article 239 que l’emprisonnement est exécutoire dès qu’il est imposé. C’est sans doute la porte d’entrée à la reconnaissance du fait que des peines d’emprisonnement multiples imposées en même temps dans la même procédure sont concurrentes si les infractions émanent de la même opération criminelle[117]. Aucun autre article du Code de procédure pénale ne peut être interprété comme une affirmation des autres principes de base en matière d’emprisonnements multiples ; aucun autre article ne peut cependant être interprété comme ayant modifié ces principes. Par conséquent, la common law peut servir de droit supplétif et permettre au juge du procès d’imposer des termes consécutifs pour des opérations criminelles distinctes. Il peut également s’inspirer du droit criminel canadien[118] qui reconnaît ces principes de base et les appliquer au contrevenant dans le contexte de peines d’emprisonnement multiples résultant de condamnations en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.

2.1.2.3 La one-transaction rule

Rappelons que Vincent Lacroix n’a pas contesté en appel le pouvoir du juge du procès d’imposer des termes consécutifs dans sa propre situation. Par conséquent, le juge Vincent, en appel de la sentence totale de 12 ans moins un jour qui avait été imposée en première instance, ne fait aucun commentaire sur l’argumentaire du juge du procès qui a justifié l’imposition de termes consécutifs par une interprétation élargie de dispositions du Code de procédure pénale. Il considère que le juge du procès pouvait imposer des termes consécutifs et n’en dit pas plus[119].

Le juge d’appel s’intéresse plutôt au bien-fondé des trois regroupements de chefs d’inculpation, soit aux trois « opérations illégales » déterminées par le juge de première instance. Il estime que, en vertu de ce que nous appelons la one-transaction rule, ce dernier aurait dû regrouper l’ensemble des infractions en deux seuls blocs d’activités illégales et il considère que les « opérations illégales » des deuxième et troisième blocs devaient être fusionnées pour donner lieu à des peines de 42 mois, concurrentes. Il est d’avis que la même opération illégale, soit le fait de produire des informations fausses ou trompeuses, donnait lieu à deux qualifications juridiques distinctes en vertu de l’article 197 (4) et (5) de la Loi sur les valeurs mobilières[120] et qu’il valait mieux opter pour des termes concurrents au sujet des agissements illégaux donnant ouverture à ces deux types d’incriminations. Selon lui, la concurrence des peines pour les deuxième et troisième blocs d’infractions supposait également le respect du principe de totalité non excessive des peines consécutives. Il réduit donc le terme total à 8 ans moins un jour.

Ici s’affrontent peut-être deux points de vue qui nous renvoient aux considérations de Sir Rupert Cross dans les extraits que nous avons déjà cités[121] : d’une part, une volonté de faire assumer une finalité de dissuasion générale à trois termes consécutifs d’emprisonnement pour signaler l’ampleur exceptionnelle de la culpabilité générale de Vincent Lacroix, alors que la concurrence était peut-être plus appropriée pour les deuxième et troisième blocs d’infractions : c’est le choix du juge du procès ; d’autre part, des raisons humanitaires d’imposer des termes concurrents lorsque deux incriminations distinctes (paragraphes 4 et 5 de l’article 197 Loi sur les valeurs mobilières) assumant des finalités semblables de sanction, qui peuvent militer contre des peines consécutives dont le total serait excessif : c’est le choix du juge d’appel[122]. À cet égard, les deux options sentencielles peuvent aisément être étayées par une jurisprudence canadienne en matière criminelle[123], la manière de concevoir l’application de la one-transaction rule étant, somme toute, largement tributaire de la discrétion judiciaire.

Le juge du procès est généralement le mieux placé pour prendre en considération tous les facteurs pertinents en vue de l’élaboration des sentences et pour exercer sa discrétion judiciaire d’imposer des termes concurrents ou consécutifs. Il peut même invoquer le résultat de l’arrêt M. (C.A.)[124]. Pour la Cour suprême dans cette affaire, le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur de principe dans l’imposition d’une peine totale de 25 ans, terme nettement supérieur à la peine la plus grave (14 ans) assortissant certaines infractions reprochées au contrevenant. En somme, cet arrêt de la Cour suprême peut servir d’appui à la position du juge du procès qui a infligé des termes consécutifs pour les trois blocs d’infractions dont le total a donné lieu à une peine de 12 ans moins un jour, total nettement supérieur à la peine la plus grave de 5 ans moins un jour sanctionnant ces infractions.

Par contre, le juge d’appel, qui n’a pas le droit de réviser les conclusions de fait du juge du procès, a néanmoins le droit de vérifier si le quantum total donne lieu à une peine d’emprisonnement déraisonnablement excessive et si le juge de première instance a commis une erreur dans l’application des principes relatifs aux peines consécutives et concurrentes. Son choix de favoriser la concurrence des peines au sujet des deuxième et troisième blocs d’infractions pourrait être justifié par l’arrêt Paul. Puisqu’il y a présence d’une même opération illégale donnant lieu à des inculpations distinctes en vertu des paragraphes 4 et 5 de l’article 197 de la Loi sur les valeurs mobilières[125] et qu’une qualification en vertu du paragraphe 5 peut être envisagée comme une circonstance aggravante de l’autre qualification, le juge doit imposer des peines concurrentes. Pour imposer des termes consécutifs, il doit trouver un fondement législatif justifiant sa dérogation au principe de concurrence ou son accroc à la one-transaction rule. Or, cette dérogation aux principes de base de la common law n’apparaît pas dans la législation pénale provinciale. Nous pouvons confirmer le bien-fondé de sa conclusion de réduire la peine totale en soutenant qu’il y aurait eu une erreur dans l’application des principes de base par le juge du procès.

Il est inutile d’offrir une opinion au sujet de l’approche préférable, car nous sommes mal placés pour distinguer tous les faits et toutes les preuves nécessaires à la résolution de cette question. Il faut en définitive retenir que le droit sur les termes concurrents ou consécutifs d’emprisonnement est largement jurisprudentiel et offre bien des arguments aux plaideurs soutenant des points de vue divergents. Ce droit s’est tissé dans la pratique judiciaire résultant de l’application du Code criminel et les juges dans le domaine pénal provincial des valeurs mobilières doivent y recourir parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.

Concluons ainsi : la pénologie provinciale, lorsqu’il s’agit de la détermination de sentences d’emprisonnement et des critères à appliquer pour choisir entre des peines concurrentes ou consécutives, ou les deux à la fois, partage donc avec la pénologie en matière criminelle des principes communs.

2.1.3 La peine d’emprisonnement provinciale et la peine d’emprisonnement criminelle[126]

Le législateur provincial en matière de valeurs mobilières est lui-même convaincu de l’application de principes de la Charte à la peine d’emprisonnement provinciale. Il a notamment limité la durée de sa peine la plus sévère à 5 ans moins un jour fort probablement en vue d’éviter le procès par jury, garantie judiciaire assurée par l’article 11 (f) de la Charte. Il se construit donc dans ce domaine législatif une autre « ligne Maginot » en vertu de laquelle les infractions pénales provinciales ne pourraient entraîner 5 ans ou plus d’emprisonnement puisque cela exigerait la tenue d’un procès devant juge et jury. Ici encore, l’argument est plutôt invoqué pour opérer une prétendue distinction entre le crime et l’infraction pénale réglementaire, en supputant que cette exigence procédurale militerait, elle aussi, en faveur d’une différence de nature entre les deux catégories d’opérations frauduleuses.

Pourtant, rien ne semblerait empêcher le législateur provincial de modifier la Loi sur les tribunaux judiciaires[127] pour permettre à la Cour du Québec de siéger avec un jury pour des infractions pénales provinciales punissables par un emprisonnement de 5 ans ou plus[128]. Dans la mesure où celui-ci ne voudrait pas opter pour cette façon de faire afin de respecter la garantie constitutionnelle de l’article 11 (f) de la Charte, la Cour supérieure, qui est la cour de droit commun au Québec[129], pourrait assumer alors la compétence sur de telles infractions pénales provinciales et siéger avec jury.

L’absence de corrélation entre la nature de l’infraction et la garantie d’un procès par jury semble par ailleurs étayée par le traitement procédural des infractions fédérales. Il est en effet utile d’observer les règles actuelles applicables aux infractions pénales fédérales (autres que criminelles) assorties d’une peine d’emprisonnement de moins de 5 ans[130]. Le législateur nous en offre un exemple au paragraphe 2 de l’article 272 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement qui se lit comme suit :

(2) L’auteur de l’infraction encourt, sur déclaration de culpabilité :

a) par mise en accusation, une amende maximale d’un million de dollars et un emprisonnement maximal de trois ans, ou l’une de ces peines ;

b) par procédure sommaire, une amende maximale de trois cent mille dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines[131].

L’infraction, notons-le, peut être poursuivie par voie de mise en accusation, soit le régime procédural propre aux actes criminels en vertu du Code criminel. Cet article illustre que le législateur fédéral assortit certaines infractions punissables par moins de 5 ans d’emprisonnement, qu’elles soient de nature réglementaire ou criminelle, du régime procédural propre aux actes criminels poursuivis par voie de mise en accusation. Dans le cas d’infractions réglementaires mineures, le législateur fédéral opte toutefois souvent pour le mode de poursuite sommaire prévu dans le Code criminel, comme il choisit fréquemment ce mode de poursuite sommaire pour les crimes mineurs. Le régime procédural des infractions réglementaires fédérales et des crimes est le même : celui du Code criminel.

Qu’en est-il alors du droit au procès par jury en matière d’infractions réglementaires fédérales ? En matière de procédure criminelle, sans égard à la Charte, le droit au procès par jury a été historiquement et est toujours aménagé autour de deux garanties procédurales. Premièrement, il y a le droit inconditionnel au procès par jury pour les actes criminels historiquement dévolus à la compétence d’un juge de la Cour supérieure siégeant avec jury, aujourd’hui énumérés à l’article 469 du Code criminel. Deuxièmement, l’autre garantie s’exprime dans la reconnaissance d’un droit d’option entre un procès par jury ou devant un juge seul d’une cour de juridiction criminelle ou d’une cour provinciale, en l’occurrence un juge de la Cour du Québec dans cette province. La garantie de l’option, soulignons-le, n’est pas limitée par la durée de la peine d’emprisonnement assortissant les actes criminels poursuivis par voie de mise en accusation[132] et elle est seulement exclue pour quelques actes criminels dévolus à la compétence exclusive d’un juge de cour provinciale[133] ou d’une cour supérieure de juridiction criminelle. Le bénéfice de l’option est donc très intimement associé aux poursuites par voie de mise en accusation et constitue la manifestation la plus courante de la protection du droit au procès par jury. Bref, la procédure par voie de mise en accusation et le bénéfice de l’option du procès par jury seraient clairement présents dans un éventuel décor fédéral des valeurs mobilières, y compris pour des infractions réglementaires passibles d’un emprisonnement de moins de 5 ans.

L’idée non vérifiée de l’impossibilité de tenir des procès par jury en droit provincial, de même que l’impossibilité alléguée d’en arriver à un résultat punitif d’une peine de 12 ans moins un jour en raison de supposées limites du droit pénal provincial, constituerait un échec en matière punitive et militerait, selon plusieurs[134], en faveur de l’établissement d’une commission fédérale des valeurs mobilières. Des poursuites pénales intentées en vertu d’un droit statutaire fédéral des valeurs mobilières permettraient alors de mieux atteindre cet objectif d’exemplarité punitive. Comme nous venons de le démontrer, rien ne semble juridiquement empêcher l’imposition d’une peine exemplaire en vertu du seul droit pénal québécois découlant de la Loi sur les valeurs mobilières : l’imposition de peines consécutives en droit provincial est possible et la tenue de procès par jury en cas d’infractions provinciales passibles d’une peine de 5 ans ou plus d’emprisonnement l’est aussi. En droit fédéral, outre la durée de l’emprisonnement, le droit au procès par jury est lié au mode procédural associé à l’infraction par le législateur, non à la nature de cette dernière. Dans tous les cas, le droit constitutionnel au procès par jury est lié à la durée de l’emprisonnement associée à une infraction et non à sa nature.

Les règles procédurales applicables à tout le droit fédéral faciliteraient en outre l’opposition d’une fin de non-recevoir aux poursuites criminelles de faux et de fraude pendantes contre un accusé, au nom de la règle ne bis in idem (article 11 (h) de la Charte) en cas de poursuite antérieure pour contravention à une éventuelle infraction fédérale des valeurs mobilières. Les infractions fédérales de faux et de fraude en vertu d’une hypothétique Loi canadienne sur les valeurs mobilières, poursuivies en vertu du même régime procédural que les crimes de faux et de fraude, donneraient sans contredit ouverture au principe d’autrefois convict. Le Code criminel est on ne peut plus clair sur la question[135].

2.2 L’impossibilité de punir deux fois pour la même infraction et le cumul des peines provinciales et criminelles

S’il est incontestable que le cumul d’infractions fédérales hypothétiques de faux et de fraude en matières mobilières et de faux et de fraude criminelle reposant sur les mêmes faits soit juridiquement interdit en vertu de l’article 12 du Code criminel, qu’en est-il au sujet des accusations criminelles qui sont pendantes contre l’inculpé Vincent Lacroix qui a déjà été condamné en vertu de la loi provinciale ? Ces poursuites sont-elles irréconciliables avec le principe selon lequel « nul ne peut être puni deux fois pour la même infraction » et permettent-elles d’opposer une fin de non-recevoir à ces poursuites si Vincent Lacroix a été jugé et puni définitivement pour des infractions provinciales de faux et de fraude en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières ? Si ce principe ne trouve pas application, comment, le cas échéant, les peines provinciales déjà imposées et les peines criminelles éventuelles devraient-elles être cumulées ?

2.2.1 La portée de l’article 11 (h) de la Charte canadienne des droits et libertés

Convenons que, avec la seule information sur le nombre de chefs d’accusation déposés (180 sur 200) et sans connaissance précise des faits complexes de l’affaire Lacroix-Norbourg devant les juridictions pénales et criminelles, il nous est impossible d’affirmer d’emblée que les multiples chefs d’inculpation de fraude et de fabrication de faux documents portés en vertu des articles 380 et 366-67 du Code criminel concernent les mêmes agissements illégaux que ceux qui sont englobés dans les 51 chefs d’inculpation portés contre le contrevenant en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. Pour notre propos cependant, nous émettons l’hypothèse que ce sont les mêmes faits ou « opérations illégales » de l’accusé qui ont donné lieu tant aux inculpations en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières qu’aux nombreuses incriminations actuelles de fraude criminelle et de fabrication de faux[136]. Comme nous examinons la portée juridique du principe selon lequel « nul ne peut être puni deux fois pour la même infraction », cette hypothèse factuelle est tenue pour avérée.

2.2.1.1 La similitude des infractions provinciales et criminelles

Nos propos, jusqu’ici, ont amplement démontré que les juges Leblond et Vincent ont examiné la phraséologie de l’infraction pénale provinciale consistant à « influencer ou [à] tenter d’influencer le cours ou la valeur d’un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses » (article 195.2 de la Loi sur les valeurs mobilières) comme offrant la description juridique d’une infraction de fraude dans le domaine particulier des valeurs mobilières. Ils ont de même traité comme des cas spécifiques de fabrication de faux documents celles qui consistent à fournir, « de toute autre manière, des informations fausses ou trompeuses […] dans un document ou un renseignement fourni à l’Autorité ou à l’un de ses agents » (article 197 (4) de la Loi sur les valeurs mobilières) et à fournir « de toute autre manière, des informations fausses ou trompeuses […] dans un document transmis ou un registre tenu en application de la présente loi » (article 197 (5) de la Loi sur les valeurs mobilières). En substance, leur gravité respective a été appréciée comme s’il s’agissait de gestes criminels de fraude ou de faux. La détermination de la culpabilité de Vincent Lacroix a donné lieu, de plus, à l’examen d’éléments matériels et mentaux (actus reus et mens rea) semblables à ceux qui sont requis pour le condamner de fraude et de faux en matière criminelle.

Le libellé des dispositions relatives à la fraude et à l’infraction de faux en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières n’exigerait donc pas de prouver un ou des éléments juridiques distinctifs qui feraient de ces illégalités des infractions substantiellement différentes des infractions générales de fraude et de faux en vertu du Code criminel. Or c’est seulement en présence d’infractions substantiellement différentes que le cumul des condamnations est autorisé. Il est possible de s’en convaincre en examinant le raisonnement qui pourrait prévaloir dans l’hypothèse de plusieurs verdicts de culpabilité de fraude et de faux prononcés dans la même procédure en vertu des deux lois[137]. Dans le cas d’infractions semblables, n’ayant pas d’éléments juridiques distincts, les verdicts cumulés mettraient en cause l’application de la règle de Kienapple[138], principe qui fait partie des concepts de « double péril » et d’« autorité de la chose jugée » en droit canadien. En effet, il serait possible de voir casser ces verdicts cumulés de culpabilité en vertu des deux lois parce qu’ils seraient mutuellement incompatibles et ne pourraient donner lieu à des condamnations et à des peines multiples : « Si un verdict de culpabilité est rendu sur le premier chef et que les mêmes éléments, ou fondamentalement les mêmes, constituent l’infraction imputée dans le second chef, la situation invite l’application d’une règle s’opposant aux condamnations multiples[139]. »

En somme, nous n’avons pas besoin d’un équivalent législatif de l’article 12 du Code criminel qui créerait l’interdiction du cumul d’infractions fédérales et d’infractions criminelles semblables sanctionnant une situation de faits identique pour arriver à la même conclusion sur l’incompatibilité des condamnations en vertu d’infractions provinciales et d’infractions criminelles juridiquement similaires. D’après nous, la règle de l’interdiction des condamnations multiples selon l’arrêt Kienapple s’appliquerait à ce cas d’espèce sans égard à la qualification juridique des incriminations résultant du partage des compétences entre le fédéral et les provinces[140].

De plus, la qualification qui érige en infractions réglementaires les infractions pénales provinciales et en actes criminels les infractions du Code criminel n’entraîne pas de différence entre ces deux catégories d’infractions aux fins de l’article 11 (h) de la Charte. En effet, la personne accusée de ces infractions est un « inculpé » au sens du paragraphe introductif de l’article 11 de la Charte[141]. Le concept d’infractions, quant à lui, doit recevoir une interprétation qui englobe aussi bien l’infraction pénale provinciale que l’infraction criminelle. La notion ne peut avoir une portée restreinte susceptible de priver le justiciable de son droit constitutionnel dans le contexte du droit pénal au sens large du terme. Enfin, les infractions provinciales sont punissables par un emprisonnement de 5 ans moins un jour, une véritable conséquence pénale d’après l’arrêt Wigglesworth[142] qui devrait donner ouverture à la règle que « nul ne peut être puni deux fois pour la même infraction ». De toute façon, le principe devrait être un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte pour celui qui peut être privé de sa liberté en vertu du droit pénal provincial[143].

2.2.1.2 Un principe de justice fondamentale selon le droit international et le droit pénal comparé

Le principe ne bis in idem est présent dans le droit interne de la plupart des pays occidentaux et démocratiques et est considéré comme un principe universel de justice. Par exemple, il est généralisé dans les pays européens et a souvent une valeur constitutionnelle[144]. Il est aussi énoncé dans des documents internationaux que le Canada a ratifiés[145]. En effet, la criminalité transnationale peut donner lieu à des actes de procédure concurrents devant plusieurs juridictions nationales et les graves violations du droit humanitaire, à des poursuites devant un forum national ou international. Bref, ce principe fondamental de justice constitue aujourd’hui une fin de non-recevoir principalement à l’encontre du cumul successif de poursuites pénales nationales et internationales en raison d’une infraction pour laquelle un justiciable a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale d’un pays donné. Il serait particulièrement décevant que ce principe fondamental reçoive une acception étroite dans le contexte constitutionnel canadien alors qu’il a la vocation supranationale d’éviter le cumul des poursuites pénales au sujet des mêmes faits devant plus d’un tribunal de pays souverains différents[146]. En droit canadien, ce principe ne devrait certainement pas être écarté du revers de la main sous prétexte que les infractions pénales provinciales et les infractions criminelles ne sont pas identiques ni de même nature au regard de leur seule qualification procédurale.

2.2.2 Le cumul des emprisonnements provinciaux et criminels

Il faut tout de même envisager l’hypothèse que certains chefs d’inculpation criminelle libellés contre Vincent Lacroix ne donnent pas ouverture à l’application du principe ne bis in idem[147]. La justice suivra alors son cours et entraînera vraisemblablement des verdicts de culpabilité à l’issue des poursuites criminelles pendantes. La condamnation éventuelle à des peines d’emprisonnement en vertu du droit criminel ne pourra cependant être envisagée en vase clos et en complète dissociation des peines provinciales d’emprisonnement déjà imposées au contrevenant en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. Ici encore, des principes communs et complémentaires s’imposent et exigent quelques remarques.

2.2.2.1 Des peines concurrentes ou consécutives ?

Il faut revenir à nouveau aux principes de base concernant les peines d’emprisonnement concurrentes et consécutives et, le cas échéant, faire l’examen de règles du Code criminel pouvant s’appliquer à la situation. Disposons d’abord de la question des multiples peines d’emprisonnement pouvant résulter de verdicts de culpabilité dans les poursuites criminelles pendantes, sans tenir compte de l’existence des peines provinciales. Ces emprisonnements commenceraient le jour de leur imposition (art. 719 (1) C.cr.), devraient être concurrents si les infractions criminelles distinctes sanctionnaient la même opération criminelle en vertu de la one-transaction rule et pourraient être consécutifs en présence de transactions criminelles distinctes (art. 718.3 (4) (c) (ii) C.cr.), le tout dans le respect du principe de totalité non excessive des termes consécutifs (art. 718.2 (c) C.cr.).

En second lieu, cet exercice de sentencing ne pourrait être dissocié des peines d’emprisonnement déjà imposées en vertu du droit pénal provincial. Le juge du procès criminel aurait techniquement la possibilité d’imposer des peines consécutives à l’égard d’une personne déjà sous le coup d’une peine d’emprisonnement (criminelle ou provinciale, peu importe) en vertu de l’article 718.3 (4) (a) du Code criminel. Cependant, il pourrait difficilement les justifier si ces peines concernaient les mêmes opérations criminelles que celles qui seraient incriminées en vertu du droit pénal provincial. Même si le juge condamnait Vincent Lacroix pour des infractions criminelles substantiellement différentes des infractions pénales provinciales, le principe de la one-transaction rule devrait prévaloir et mener à la concurrence des peines nouvelles avec les peines précédentes. Dans ce cas-ci, la peine totale d’emprisonnement en matière criminelle commençant le jour de son imposition devrait alors se confondre avec la portion non exécutée de la peine totale provinciale[148]. L’exécution de la peine criminelle totale ne pourrait donc pas être reportée à l’échéance des peines provinciales, au risque de devenir excessive.

2.2.2.2 Les intérêts de la justice et le cumul des poursuites

Le dépôt d’accusations successives fait l’objet de nos critiques même si les passer sous silence rendrait nos réflexions plus empreintes de l’air du temps : le contrevenant est méprisable aux yeux de tous et les préjudices de ses gestes frauduleux importants. Pour bon nombre de gens, il ne sera jamais assez puni.

Appelés à écrire sur les dérives du droit pénal, nous avons choisi d’en parler parce que le droit pénal québécois des valeurs mobilières est somme toute récent et peut ne pas nécessairement partir du bon pied. Il nous importe de dénoncer une dérive possible du recours au droit pénal réglementaire et au droit criminel pour une conduite présentant un « double aspect » sur le plan constitutionnel et de mettre en garde la communauté juridique contre les excès de justice que cela pourrait occasionner. Nous tenons aussi à dissiper la confusion que semble entretenir la communauté juridique sur la différence de nature qui existerait entre les infractions réglementaires et les infractions criminelles et qui justifierait aisément les enquêtes parallèles et le cumul des poursuites.

Sur le chapitre des dérives possibles, deux situations résultant de l’exercice de la discrétion des poursuivants dans le contexte de l’affaire Lacroix-Norbourg nous inquiètent particulièrement[149]. Nous les appelons des « excès de justice de la part des poursuivants » pour rappeler notre allusion à la maxime de Cicéron[150].

La succession des poursuites provinciales et criminelles et le risque qu’elles se nuisent mutuellement

Plutôt que de « faire leur lit » soit avec des poursuites pénales provinciales dans le domaine des valeurs mobilières, soit avec des poursuites criminelles, les autorités de poursuite ont cumulé, par étapes successives dans le temps, les deux catégories de poursuites à l’encontre de Vincent Lacroix.

L’Autorité des marchés financiers, dans un premier temps, a assumé la première et avec insistance les fonctions de poursuivant, histoire de faire valoir que sa loi avait des « dents » et de démontrer sa diligence et sa détermination dans la disposition de cette affaire. Alors que ses fonctions sont généralement celles d’inspection, de surveillance et de vérification de l’exercice régulier et conforme des conduites professionnelles dans le domaine des valeurs mobilières, l’Autorité des marchés financiers a néanmoins pris quelque temps avant de détecter les comportements frauduleux et de fabrication de faux de Vincent Lacroix. Cela a été âprement critiqué par les investisseurs lésés et signalé comme un signe d’incurie, d’incompétence ou de négligence. L’Autorité des marchés financiers a tout de même estimé qu’elle était la mieux placée pour assumer les poursuites pénales qui exigeaient tout le savoir-faire propre à l’enquête en plus de l’expertise financière propre au secteur d’activité.

Les raisons invoquées en faveur de l’expertise pointue de l’Autorité des marchés financiers requise prioritairement pour mener l’enquête pénale et la poursuite dans l’affaire Lacroix-Norbourg, des raisons régulièrement invoquées en matière commerciale ou financière pour soustraire certains comportements criminels au droit commun en faveur d’un « droit spécialisé »[151], ne réussissent pas à nous convaincre[152]. L’allégation de la capacité d’un organisme spécialisé, en l’espèce l’Autorité des marchés financiers, d’obtenir plus facilement des verdicts de culpabilité, allégation fondée sur la croyance que le droit pénal provincial des valeurs mobilières n’exigerait pas le respect de toutes les garanties judiciaires propres au procès criminel et la reconnaissance des principes fondamentaux (par exemple, la mens rea) propres à la justice criminelle et sur une expertise particulière, n’est pas toujours convaincante. Dans les circonstances, nous n’arrivons pas encore à voir le mérite de la préséance des poursuites pénales provinciales sur les poursuites criminelles dans cette affaire, une enquête criminelle plus classique ayant elle aussi débouché sur le dépôt d’accusations, lesquelles peuvent pleinement sanctionner toute l’ampleur de la conduite répréhensible du contrevenant et donner lieu à des peines tout aussi lourdes que celles qui sont prévues dans la Loi sur les valeurs mobilières[153].

La Direction des poursuites criminelles et pénales du Québec a tardé à enclencher la procédure criminelle au sujet de dénonciations formulées contre Vincent Lacroix et n’a établi un acte d’accusation direct de 200 chefs d’inculpation qu’à l’issue des poursuites pénales et des condamnations provinciales. Les poursuites criminelles ont sans doute exigé d’autres enquêtes que celles qui avaient déjà été faites par l’Autorité des marchés financiers et ne concernent pas seulement Vincent Lacroix mais aussi cinq coaccusés. Elles portent en principe sur d’autres chefs que ceux de fraude et de faux circonscrits par l’Autorité des marchés financiers. Quelles que soient les raisons de ce report et peu importe leur bien-fondé, les poursuites successives pour des infractions distinctes de droit provincial puis de droit criminel appliquées aux conduites frauduleuses de Vincent Lacroix donneront lieu à des sentences successives qui, même dans le contexte de concurrence de peines totales d’emprisonnement provincial et criminel, auront l’effet d’être plus longues que si elles avaient été imposées en même temps. En d’autres mots, même si toutes les règles de cumul des emprisonnements provinciaux et criminels discutées dans cette étude devaient être respectées, le seul fait de poursuivre, par étapes successives, les infractions provinciales et les infractions criminelles distinctes produit une aggravation de la sévérité de la peine totale. Qu’en est-il alors du caractère abusif de cette séquence des poursuites engendrant une aggravation de la punition par le seul étalement des poursuites pénales et criminelles dans le temps, ce qui se compare à un fractionnement abusif des poursuites ? Puisque toute la conduite répréhensible de Vincent Lacroix pouvait être complètement condamnée par des accusations criminelles dans la même procédure[154], une interprétation possible de l’article 11 (h) de la Charte pourrait avoir un impact sur l’évolution de la notion d’arrêt des procédures en raison de ce fractionnement des poursuites[155]. L’affaire Lacroix-Norbourg est si manifestement criminelle aux yeux de tous que les juges Leblond et Vincent l’ont traitée comme telle dans le contexte provincial.

Il faut en outre s’interroger sur les effets néfastes que pourrait engendrer le cumul des poursuites pénales et des poursuites criminelles pendantes. Nous avons déjà mentionné la possibilité que la règle entraînant les condamnations multiples trouve application et l’effet que peut avoir la peine d’emprisonnement provinciale sur la peine d’emprisonnement fédérale à venir. Si les poursuites criminelles devaient échouer concernant plusieurs des 200 chefs criminels ou si les peines n’étaient pas à la hauteur des attentes engendrées dans le public par le dépôt de nouvelles accusations, certains diront que la justice criminelle laisse aller les « gros poissons » et qu’elle est inappropriée dans le domaine des fraudes mobilières ou encore d’autres accuseront la poursuite pénale provinciale d’avoir « empêché » des condamnations criminelles. À terme, il est difficile d’imaginer que l’utilisation successive et cumulative du régime pénal et du régime criminel puisse servir l’un ou l’autre de ces systèmes, et ce, peu importe l’ordre des poursuites. En matière pénale comme en matière criminelle, l’aspect symbolique de la condamnation joue un rôle important dans l’opinion publique. Cette dernière risque d’être désabusée si la tentative d’obtenir des condamnations ou des peines consécutives échoue par application pourtant légitime de principes de justice. À notre avis, il importe de réfléchir sur l’effet que pourrait avoir, sur le droit pénal et sa capacité à remplir de manière appropriée sa fonction, une trop grande utilisation du même droit pénal.

Le morcellement des faits criminels et la multiplication des chefs d’accusation

Nous exprimerons ici brièvement un autre sujet d’inquiétude, lié au précédent, concernant cette fois le morcellement des faits répréhensibles reprochés à Vincent Lacroix donnant lieu à la rédaction de 200 (180 de fraude et de faux) chefs d’accusation contre lui par le « nouveau poursuivant » qui s’ajoutent aux 51 chefs dont il a déjà été déclaré coupable. À lui seul, ce nouveau nombre d’accusations de fraude et de faux, qui s’inscrit dans un procès commun totalisant plus de 900 chefs d’accusation, a de quoi rendre chimérique toute appréhension réaliste des faits et de la preuve au procès à l’égard de chacun des accusés[156]. La procédure de recherche de la vérité risque de devenir une entreprise extrêmement difficile, voire injuste à l’égard de chacun et le procès semble voué plutôt à assumer une finalité purement symbolique auprès du public et des investisseurs lésés, le nombre d’accusations tenant déjà lieu de condamnation anticipée de l’accusé pour l’ampleur de sa criminalité. Ces 200 chefs d’accusation auraient la fonction de faire valoir le bien-fondé d’une nouvelle répression punitive pour les préjudices incommensurables résultant des crimes de l’accusé et légitimeraient des emprisonnements exemplaires affranchis des principes de proportionnalité et de cumul des peines provinciales et fédérales. Pourtant, ces principes s’appliquent toujours. À une époque où les questions surgissent sur la capacité des mégaprocès à rendre justice de manière appropriée, il est permis de s’interroger sur l’opportunité de présenter un nombre aussi élevé de chefs d’accusation devant le même décideur[157]. Les risques de dérapage et de déception dans l’opinion publique, si les attentes suscitées par le dépôt des accusations ne sont pas comblées, sont énormes.

Conclusion

L’affaire Lacroix-Norbourg a suscité colère et indignation, et il nous est facile de partager ces sentiments avec les nombreux épargnants floués par les agissements frauduleux de Vincent Lacroix. Il était tentant de passer sous silence la dérive possible du droit pénal vers l’exercice d’une justice excessive à l’égard d’un justiciable qui n’attire aucune sympathie. Après mûre réflexion, nous nous sommes ravisés et, en tant que pénalistes, nous avons finalement décidé d’être partisans d’une conception du droit pénal dont les principes offrent l’assurance d’une justice de qualité. Et cette justice doit être accessible aux suspects innocents comme au pire des contrevenants. Nous pensons que l’efficacité recherchée dans la mise en oeuvre des lois répressives n’est pas censée contribuer à l’érosion du sens des notions fondamentales de crime et de peine et à l’érosion des protections constitutionnelles offertes à toute personne inculpée en vertu de la Charte. Cette conclusion est d’autant plus évidente que nous avons mis en relief que, contrairement aux idées reçues, le droit pénal provincial est en mesure d’atteindre les fins auxquelles il est destiné, qu’il n’y a pas de limite structurelle aux peines pouvant être imposées. Cela étant établi, et dans la mesure où les principes fondamentaux de détermination de la peine en droit pénal provincial et en droit fédéral sont communs, il y a lieu de sérieusement s’interroger sur la faisabilité et l’opportunité d’appliquer successivement le droit provincial et le droit fédéral, et ce, peu importe l’ordre retenu, afin d’obtenir une punition exemplaire. L’application correcte des principes de justice et des garanties constitutionnelles applicables en droit canadien en cas de poursuites successives pour des infractions présentant un double aspect risque, à terme, de produire des résultats décevants pour le grand public et d’éroder la confiance qu’il entretient à l’égard du système de justice pénale canadien.