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Dans un premier temps, il faut saluer l’excellente initiative de produire un livre sur les besoins en habitation des personnes exclues et marginalisées. Depuis de très nombreuses années, les problèmes d’habitation et de logement d’une partie de la population sont au coeur de l’actualité québécoise. Cet ouvrage collectif est construit autour de deux axes : la situation des personnes vivant des problèmes majeurs de santé mentale et celles vivant dans des habitations à loyer modique. Si la majorité des exemples sont issus du Québec, quelques contributions nous donnent un aperçu de ce qui se passe ailleurs au Canada comme en Europe.

Sur le plan de l’arrimage, l’ouvrage est réussi, du moins autant que faire se peut dans un tel contexte. Bien sûr, en fonction des intérêts de lecture, on peut privilégier l’une des deux parties du livre. Et comme dans tous livres composés de textes provenant de différents auteurs, la facture des articles varie énormément. Parfois plus proches d’une étude récente, parfois plus orientées vers un portrait d’une région ou d’une pratique, il demeure que, dans leur ensemble, les contributions parviennent à nous faire mieux connaître un aspect de la réalité actuelle vécue par ces personnes en difficulté. Les apports des auteurs nous ouvrent la porte à différents types de regards qui rendent l’ensemble varié et d’une lecture agréable.

La majorité des contributions fait bien ressortir les causes principales des problèmes d’habitation vécus par les personnes en difficulté. Les mutations économiques des dernières années, l’affaiblissement des liens sociorelationnels à la suite de ces transformations, le sentiment de perte ou d’absence de pouvoir du citoyen, voilà autant de constats qui se dégagent de plusieurs de ces textes. En cela, elles confirment les analyses réalisées depuis une vingtaine d’années faisant état d’une société qui se délite, qui se fracture, qui perd de sa cohésion sociale.

Que ce soit à travers des travaux portant sur l’exclusion proprement dite, la désaffiliation ou la précarité, nous sommes forcé de constater la mutation des principaux lieux d’intégration : le travail, la famille, la communauté et l’État. Cette métamorphose de la question sociale, pour paraphraser le titre d’un ouvrage majeur de Robert Castel[1], engendre des pressions nouvelles sur l’individu, de plus en plus en perte ou en déficit de soutiens, et à qui incombe le devoir de prendre en charge sa maladie, sa formation, sa mise en projet. Tous pourtant n’ont pas les mêmes atouts. De nombreuses personnes dont on parle dans cet ouvrage ont vécu ou vivent des difficultés qui nécessitent le soutien de la société.

C’est particulièrement marquant pour celles qui ont des problèmes graves de santé mentale, et qui se retrouvent dans des situations de logement intolérables. Ils résident très souvent en maison de chambre, parfois en résidences d’accueil, sans soutien, sans information sur leurs droits, sans pouvoir décisionnel, en déficit marqué d’autonomie (Morin et Dorvil, p. 66 et ss). Partant de là, on saisit mieux pourquoi un habitat plus décent et accessible peut permettre de se reconstruire comme personne. Le logement est perçu comme un « chez-soi », un espace de liberté qui ouvre la porte au rétablissement de soi, vu comme « la redéfinition et l’expansion de soi, la relation au temps, le contrôle sur l’environnement et la relation aux autres » (Morin et Dorvil, p. 27). Le logement qui permet de se protéger des agressions provenant de l’extérieur, de s’approprier un espace, d’établir des relations sociales (Dorvil et Morin, 93). Le logement qui, par sa structure plus sociale, tel le « logement avec support communautaire », permet d’accéder à une plus grande reconnaissance institutionnelle (Boucher, p. 116).

Dans le contexte d’un milieu de vie particulier, tel celui des habitations à loyer modique (HLM), certains textes de ce recueil se penchent plus particulièrement sur la participation sociale, l’appropriation de leur espace par les résidents et la reconnaissance publique de leur existence. Bien sûr, cette partie nous fait voir des réalités historiquement très variables. Toutefois, on perçoit qu’avec les années la vie démocratique s’est renforcée, malgré la difficulté toujours latente d’amener les gens souvent très hypothéqués, à participer à la vie associative de leurs habitations (Roy, Charland et Joyal : 201 et ss). Cela peut prendre le chemin de la prise de parole, ce qui permet aux « résidents rencontrés de reconnaître leur pouvoir et de l’attester » (Ibid. : 210). Dans certaines situations, le travail en petit groupe, par rapport à de multiples dimensions de la vie dans une collectivité peut soutenir cette démarche d’appropriation et engendrer une certaine reconnaissance de la part des institutions locales chargées de la gestion des habitations (Dion : 225).

Ces gains en termes d’appropriation du pouvoir apparaissent salutaires dans un contexte de société où la réponse aux besoins engendre des solutions généralement « individualistes, clientélistes et unidimensionnelles » (Ibid. : 216). Des avenues fort questionnables dans une conjoncture où mal-logement et pauvreté sont de plus en plus associés, comme le souligne Massimo Bricocolini dans sa contribution, et où « l’on finit souvent par demander beaucoup à ceux qui ont peu de ressources, plutôt qu’à ceux qui en ont beaucoup » (p. 288). Devant ce déficit marqué sur le plan des ressources, certaines interventions travaillent à partir d’approches qui cherchent à renforcer l’habilitation, la capacité d’action, l’empowerment des personnes exclues et marginalisées sur le plan du logement (Foroughi et McCollum : 261).

Ultimement, à la lecture de ce livre, c’est toute la question du lien social qui finit par faire surface et s’imposer comme une dimension incontournable. Car si cette thématique est peu abordée directement, que ce soit au plan théorique ou à travers les différents exemples présentés ici, ce à quoi l’on aurait pu s’attendre compte tenu du titre de l’ouvrage, elle émerge finalement dans la tête du lecteur après avoir parcouru certains chapitres. Comme le soulignent par exemple Leloup et Germain, « basculer du capital social au lien social permet […] de prendre en considération les différentes formes et configurations relationnelles à travers lesquelles les individus et les groupes composent et règlent leurs rapports à l’intérieur d’une société à une époque donnée » (p. 160).

En ce sens, la question du lien social nous amène finalement à un enjeu plus global, relevé par la codirectrice de l’ouvrage, Évelyne Baillergeau, soit comment les gens qui vivent dans des espaces communs au plan résidentiel, peuvent-ils en arriver, fort de leurs différences culturelles et sociales, à « vivre ensemble » (2008, p. 276). Un questionnement valable et pertinent qui concerne également notre rapport aux exclus et marginalisés. Sans être une panacée, cet ouvrage témoigne d’avancées significatives eu égard à certains maux dont souffre notre société.