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Devant une multiplicité de préconceptions et de regards biaisés qui dépeignent le spectre de la violence et du chaos permanent en Afrique, on trouve peu d’analyses dans les études stratégiques et de sécurité qui s’efforcent de décortiquer la conflictualité africaine de manière empirique et multidimensionnelle. Si bien que la nécessité d’un ouvrage ayant pour but de fournir au lecteur une explication rationnelle et scientifique de ces conflits demeure bel et bien probante. C’est dans cette optique qu’il faut aborder ce premier volume de l’ouvrage de Nhema et Zeleza, comme un livre de référence sur les conflits en Afrique.

Ce premier tome s’efforce donc d’offrir des clés de lecture à la communauté scientifique sur les origines et les enjeux des conflits en Afrique. La diversité des analyses recensées est inhérente à l’optique multidisciplinaire qu’on souhaite montrer au lecteur, comme pour expliquer le fait que plusieurs regards permettraient d’approfondir les enjeux multidimensionnels des conflits africains. Les auteurs souhaitent se départir des idées simplistes souvent véhiculées dans les médias pour retranscrire le propre d’une conflictualité africaine érigée dans la complexité multidimensionnelle d’une causalité plurielle de conjonctures politiques, économiques, sociales, culturelles, écologiques, etc.

Fondé sur l’idée d’un regard indépendant de toute considération surfaite sur l’Afrique, l’ouvrage collectif de Nhema et Zeleza offre un état des lieux des causes et enjeux des conflits en Afrique, en érigeant d’abord une distinction typologique de ceux-ci. Des guerres impériales, anticoloniales, intra-étatiques, interétatiques et internationales sont ainsi recensées dans l’introduction de Zeleza, tout comme la guerre au terrorisme, chacune de ces guerres pouvant être distinguée par son aspect chronologique, thématique, politique, économique, culturel. Cette typologie conflictuelle conforte l’idée selon laquelle plusieurs enjeux (relatifs aux structures institutionnelles, locales, aux conjonctures sociale et politique, à l’interconnexion régionale et transnationale) permettraient une meilleure compréhension de la nature évolutive et plurielle des conflits en Afrique. Ainsi, chaque analyse est structurée autour d’une problématique commune (aux causes ou aux enjeux de la conflictualité), sur un thème particulier (guerres civiles, citoyenneté, État de droit, mouvements rebelles, femmes soldats, etc.) ou sur un pays donné (Soudan, Côte d’Ivoire, Ouganda). Constituée d’une dizaine d’études, y compris le préambule de Mazrui, chaque analyse équivaut à un mini-ouvrage où se côtoient politologues, anthropologues, historiens, économistes, spécialistes du genre, de la gouvernance, de la démocratisation, etc.

On peut relever la contribution générale d’Ali Mazrui, qui établit des corrélats et des distinctions entre plusieurs types de guerres en Afrique : guerres postcoloniales (plus impitoyables que les guerres anticoloniales), guerres intra-étatiques (plus régulières que les guerres interétatiques), conflits ethniques (plus fréquents en Afrique subsaharienne qu’en Afrique du Nord où le facteur religieux est plus attesté, etc.). Son analyse permet de saisir la pluralité des facteurs qui influencent les causes, le déclenchement et la poursuite des conflits armés en Afrique. Dans la même lignée, l’article d’Errol Henderson fournit une réflexion rigoureuse de la portée des guerres civiles en Afrique, encryptées sous plusieurs facteurs (politiques, économiques, culturels, etc.). Considérant l’histoire et la nature plurielle des systèmes politiques en Afrique (régimes démocratiques, autocratiques et semi-démocratiques), Henderson montre que les guerres civiles sont plus souvent repérables dans des régimes autocratiques que dans d’autres systèmes politiques en Afrique. Toutefois, l’étude d’Akokpari tend à prouver le contraire, si l’on prend en compte le facteur de la citoyenneté comme cadre explicatif des causes intrinsèques de la guerre en Côte d’Ivoire. Pour ce dernier, ce n’est pas tant la nature du système politique qui est importante que la façon dont l’élite au pouvoir parvient à gérer la citoyenneté nationale dans un État multiethnique. Les dérives de l’exclusion de certaines communautés ethniques à la citoyenneté nationale conduisent inéluctablement à un déchaînement de la violence dans des sociétés pluricommunautaires comme celle de la Côte d’Ivoire.

Au-delà de ce cas, le défi pour les auteurs est vraiment d’analyser la conflictualité africaine dans une perspective comparative tout en ayant à l’esprit que les guerres en Afrique ne sauraient être analysées selon des caractéristiques uniformes tant les situations de violence demeurent diversifiées et inhérentes à une multiplicité de facteurs. Toutefois, même si ce dessein est souvent exprimé dans les contributions, on ne peut s’empêcher de relever le nombre considérable d’analyses consacrées exclusivement à l’Afrique de l’Est et à celle du Sud. À l’exception de la Côte d’Ivoire, la Corne de l’Afrique représente souvent le cadre analytique dont les auteurs se servent pour exprimer des constats factuels ou d’autres distinctions typologiques. On comprend que traiter de toutes les régions africaines qui connaissent des problèmes sécuritaires serait excessif, mais, pour un ouvrage collectif qui souhaite examiner les origines de la conflictualité africaine, une approche transversale entre l’Afrique centrale, l’Afrique occidentale et orientale serait des plus utiles pour un tableau diversifié et approprié de la perspective comparative.

Quoi qu’il en soit, on peut affirmer sans ambages qu’avec l’ouvrage de Nhema et Zeleza, tant par son approche multidisciplinaire, par la qualité empirique de ses analyses que par la prise en compte d’un certain nombre de facteurs explicatifs (dont la perspective historique), le lecteur apprenti ou averti pourra autant dépasser le sens commun que bâtir une réflexion approfondie sur les causes des conflits en Afrique. En cela, non seulement cet ouvrage aura permis l’accumulation d’un savoir important sur les conflits en Afrique, mais il aura surtout contribué à une meilleure réflexion analytique de ceux-ci.