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L’ouvrage de Chalmers Larose intitulé L’odyssée transnationale est publié dans un contexte d’incertitude économique et d’instabilité sécuritaire à l’échelle mondiale. Un tel contexte confère au travail de Larose toute sa pertinence et sa dimension actuelle.

En effet, le livre s’impose désormais comme une source capable d’apporter une réponse à nos interrogations récentes sur le rôle des acteurs non étatiques ainsi que sur l’impact de leurs initiatives et de leurs actions dans la gouvernance de ce nouveau Léviathan qu’est la mondialisation.

La compréhension de ce rôle est cruciale, non seulement pour connaître et évaluer la raison d’être et les acquis de ces acteurs, mais aussi pour avoir un regard plus lucide et une appréhension plus profonde de la politique internationale.

L’objectif de l’ouvrage, tel qu’il est défini par l’auteur, ne vise pas à décrire la transnationalité des acteurs non étatiques, mais à jauger et à mesurer leur incidence et leur influence sur la gouvernance du commerce international, et plus particulièrement sur le processus de libéralisation des échanges commerciaux.

Il s’agit alors de suivre les traces et d’observer les mouvements de cette tumultueuse et complexe odyssée qui réunit des ong, des mouvements syndicalistes, environnementalistes et altermondialistes. Dans une perspective analytique et rétrospective. Les six chapitres de l’ouvrage ont permis d’éclairer le lecteur en lui procurant les moyens d’aborder et de comprendre cette problématique contemporaine qu’est la transnationalité.

La structure choisie par l’auteur sert particulièrement son propos. Ainsi, le premier chapitre se présente comme la clef de voûte de l’ouvrage. En effet, en plus d’explorer l’environnement des acteurs non étatiques et leurs interactions avec l’État, il sert de plateforme pour problématiser l’influence de ces acteurs dans les processus de prise de décision internationale.

Dans les chapitres qui suivent, fidèle à la méthodologie qu’il a annoncée dans son introduction, l’auteur va s’appuyer sur des cas concrets (des sites) pour conforter sa thèse de départ. Il étudiera d’abord l’idée de libre-échange dans le contexte nord-américain en tenant compte de son idéologie et de ses acteurs pour s’intéresser ensuite au rôle joué par certains acteurs non étatiques dans la contestation des accords de libre-échange conclus par les États de l’Amérique du Nord.

Le chapitre cinq sera consacré à l’étude des actions mobilisatrices entreprises par les mouvements dits antimondialisation. L’auteur n’hésite pas à exprimer ses doutes vis-à-vis du triomphalisme ambiant post-Seattle et vis-à-vis de « l’instinct de tueur » qui anime, parfois, ces mouvements. Néanmoins, il ne laisse pas de plaider pour un nouveau deal entre ces mouvements et l’État westphalien.

Par ailleurs, la sécurisation de l’espace nord-américain qui a fait suite aux attentats du 11-Septembre et leurs effets sur la marge de manoeuvre des acteurs de la société civile, traités dans le dernier chapitre de cet ouvrage, viennent confirmer cet appel à un transnationalisme minimal qui reconnaît le rôle de la société civile sans sous-estimer celui qui incombe à l’État pour la régulation de la société. La marche des acteurs non étatiques vers le théâtre transnational est un processus, certes irréversible, mais c’est un passage qui doit être fait par et à travers l’État, celui-ci demeurant la courroie de transmission et de passage vers ce théâtre.

La crise économique des derniers mois ainsi que les mesures, largement interventionnistes, prises par les différents États dans le monde, semblent confirmer la pertinence de cet appel.

En somme, le postulat de l’auteur est clair : depuis l’émergence de l’État westphalien (traité de Westphalie 1628), les acteurs non étatiques ont joué un grand rôle dans le façonnement de certains domaines, notamment ceux liés aux droits de la personne et aux droits humanitaires. Cela confirme, d’une part, la thèse de Roseneau et Ferguson selon laquelle « [l]a gouvernance existe à travers et au-delà des juridictions des États souverains » et permet, d’autre part, de soutenir l’idée voulant que les États soient loin d’être les seuls moteurs, et encore moins les promoteurs uniques, des nouvelles régulations internationales. Il suffit pour le démontrer de se référer au rôle joué par des mouvements comme ceux de la Croix-Rouge, de la lutte contre la torture, de l’abolition de l’esclavage ou même de la promotion d’institutions internationales comme la Société des Nations, puis celle de l’Organisation des Nations Unies.

Or, cette réalité ne doit pas agir comme l’arbre qui cache la forêt, puisque ces acteurs n’ont pas réussi à concrétiser leur impact sur le processus de libre-échange, ni à remodeler ses règles, lesquelles demeurent, semble-t-il, l’apanage des pouvoirs étatiques et de leurs émanations institutionnelles. Par conséquent, il est encore prématuré de penser que les États sont devenus incapables de gérer leurs territoires en raison de l’augmentation des flux transnationaux de biens et des personnes. La dégénérescence de l’autorité de l’État-nation n’est pas pour demain.

L’ouvrage de Chalmers Larose est remarquablement clair, riche en informations pertinentes et intellectuellement cohérent. Il réussit – performance rare – à relier la réflexion théorique à l’observation des faits de manière parfaitement homogène. Mais c’est aussi parce qu’il porte sur un thème important et actuel, celui de ce qu’il aime qualifier, non sans raison d’ailleurs, l’odyssée transnationale.