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1. Introduction

Dans le sud du Québec, des études de caractérisation hydrogéologiques régionales ont fourni au cours des dernières années des informations très utiles pour comprendre le fonctionnement de certains aquifères (CLOUTIER et al., 2006; CROTEAU, 2006; FAGNAN et al., 1999; NASTEV et al., 2008; NASTEV et al., 2005). Le programme de cartographie des eaux souterraines de Ressources naturelles Canada a également donné lieu à des études similaires sur d’importants aquifères ailleurs au Canada (RIVERA, 2004). À ce jour, de nombreux aquifères du sud du Québec demeurent cependant encore peu ou pas caractérisés. Cette situation est appelée à changer au cours des prochaines années puisque que le gouvernement du Québec a récemment mis sur pied un programme d’acquisition de connaissances des eaux souterraines couvrant une grande partie du territoire québécois.

La caractérisation régionale des aquifères se base sur une connaissance approfondie de la géologie et des dépôts de surface, sur une caractérisation hydrogéologique (piézométrie, propriétés hydrogéologiques, recharge) et sur une caractérisation géochimique de l’eau souterraine (BOISVERT et al., 2008a; 2008b ; RASMUSSEN et ROULEAU, 2003). Dans le sud du Québec, il existe souvent une connaissance cartographique de la géologie et parfois du contexte Quaternaire. La recharge et la qualité de l’eau souterraine sont généralement peu connues, mais doivent être quantifiées et analysées pour comprendre la dynamique des écoulements souterrains et la vulnérabilité des aquifères. Une revue complète des techniques d’évaluation de l’infiltration et de la recharge est présentée par SCANLON et al. (2002). Parmi ces méthodes mentionnons la séparation des hydrogrammes de crue (ARNOLD et al., 2000) et la modélisation des écoulements en zone non saturée (SCHROEDER et al., 1994). Lors de son parcours, l’eau souterraine est impliquée dans de nombreux processus géochimiques qui modifient sa composition. Ces modifications sont fonction des réactions entre l’eau et le milieu non saturé et saturé, mais sont également fonction du temps de résidence de l’eau dans l’aquifère. Les indicateurs géochimiques les plus souvent étudiés sont les paramètres microbiologiques, physico-chimiques et isotopiques ainsi que les ions majeurs. (ALLEN et SUCHY, 2001; BLASCH et BRYSON, 2007; CLOUTIER et al., 2006; TWEED et al., 2005).

Une étude récente a montré que 25,2 % des puits de surface et 9,1 % des puits profonds de sept bassins versants agricoles du Québec méridional situés en région agricole ont des concentrations en nitrate excédant 3 mg N-NO3•L‑1 (MENV, 2004). Ceci démontre l’étendue des zones où la qualité de l’eau souterraine risque d’être dégradée par les effets des activités agricoles. Ce problème n’est pas unique au Québec, comme le démontrent les nombreux cas de contamination par le nitrate rapportés ailleurs au Canada (GOSS et al., 1998; MITCHELL et al., 2003; SAVARD et al., 2007) et dans le monde (EL AMRANI et al., 2007; PANNO et al., 2008; TROJAN et al., 2003). Même si seulement 23 % de la population du Québec s’alimente à partir d’eau souterraine, une large majorité de la population rurale consomme l’eau provenant d’un puits individuel ou d’un réseau municipal alimenté à partir d’un aquifère (MENV, 2004). La proportion de la population alimentée par les eaux souterraines pourrait augmenter dans les prochaines années en raison de la qualité et de la fiabilité de l’eau souterraine comme source d’approvisionnement en eau potable. Il est donc nécessaire de mieux comprendre le fonctionnement des aquifères pour mieux les protéger et assurer leur pérennité.

Le bassin versant de la rivière Yamaska est l’un des affluents du Saint-Laurent les plus affectés par la pollution d’origine agricole (COGEBY, 2004). Le sous-bassin de la rivière Noire, situé à la limite des Basses-Terres du Saint-Laurent et des Appalaches, se trouve dans une région rurale où la culture du maïs et l’élevage porcin occupent une part importante de l’économie locale. Sur ce bassin, BOLDUC et al. (2006) ont identifié des cas de contamination de l’eau souterraine par le nitrate dans une zone de 100 km2 située près de l’exutoire du bassin. À l’échelle régionale, PHARAND (2006) a rapporté une importante contribution de l’eau souterraine aux débits des cours d’eau. La dynamique hydrogéologique de l’ensemble de cet aquifère reste cependant mal connue. Ce manque de connaissance est typique de plusieurs régions rurales où la faible densité de population, l’absence de problème majeur de contamination où les prélèvements limités sur l’aquifère n’ont pas encore justifié une étude de caractérisation hydrogéologique exhaustive. Le bassin de la rivière Noire est typique des aquifères de roc fracturé situés en bordure des Basses-Terres du Saint-Laurent. La topographie marquée limite certaines activités agricoles et induit des directions d’écoulements souterrains plus variables qu’en zone de plaine.

La présente étude, réalisée dans la continuité du travail de BOLDUC et al. (2006) et de PHARAND (2006), a pour objectifs de comprendre la dynamique de l’écoulement souterrain et la vulnérabilité de l’aquifère du bassin versant de la rivière Noire. Notre intention n’est pas de réaliser une caractérisation hydrogéologique exhaustive, mais bien de compiler des données facilement accessibles pour tracer un portrait d’ensemble du fonctionnement de l’aquifère. Pour y parvenir, la distribution spatiale et temporelle de l’infiltration vers l’aquifère est simulée sur l’ensemble du bassin à l’aide d’un modèle de bilan hydrique en zone non saturée. La caractérisation géochimique de l’eau souterraine est réalisée au moyen de la conductivité électrique et du pH de l’eau, des ions majeurs, du nitrate ainsi que des rapports en isotopes stables de l’eau.

2. Matériels et méthodes

2.1 L’aquifère de la rivière Noire

Le bassin versant de la rivière Noire couvre une superficie de 1 579 km2 (Figure 1). La température de l’air varie de -15 oC en janvier à 25 oC en juillet. Les précipitations moyennes annuelles sont de 1 156 mm et la neige s’accumule généralement du début décembre à la fin mars (cinq stations météorologiques sont disponibles sur le bassin ou à proximité; Figure 2b). La rivière Noire est un cours d’eau permanent dont les débits sont mesurés à l’aval du bassin versant (Figure 2b). La topographie varie de 30 m à l’exutoire jusqu’à 480 m à la limite sud-est du bassin. La carte d’utilisation du territoire de 1996 (image LANDSAT5-TM, MAPAQ-Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec) montre que des cultures intensives (maïs, soya, céréales et cultures maraîchères) dominent à l’aval du bassin tandis que les cultures pérennes (foin et pâturages) et la forêt (conifères et feuillus) sont plus fréquentes dans la partie amont (Figure 2a). L’utilisation du territoire varie d’une année à l’autre mais la proportion occupée par la forêt (48 % du bassin), les grandes cultures (27 % du bassin) et le foin ou les pâturages (23 % du bassin) peut être considérée à peu près stable dans le temps. Deux pourcents du bassin sont occupés par les villes et les villages.

Figure 1

Localisation de la zone d’étude.

Localization of the study area.

Localisation de la zone d’étude.

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Figure 2

Le bassin de la rivière Noire : a) utilisation du territoire, b)  géologie (simplifiée du MER, 1985), c) dépôts de surface.

The Noire River basin: a) land use, b) geology (simplified from MER, 1985), c) surface deposits.

a

b

c

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La zone est située dans le piémont appalachien, à la limite est des Basses-Terres du Saint-Laurent. La roche est d’âge Cambrien inférieur à Ordovicien moyen (CLARK, 1977; COOK et al., 1962). La partie centrale est occupée par le domaine des nappes externes. De l’ouest vers l’est : calcaires argileux, grès, ardoises rouges et conglomérats de la Formation Bouret; schistes à blocs de l’Olistostrome de Drummondville; grès, conglomérats, ardoises rouges et vertes du Groupe Shefford; calcaires et ardoises du Groupe de Stanbridge. Le domaine des nappes externes se trouve dans la portion amont du bassin, avec des ardoises plus plissées, dolomies et quartzites du Groupe Oak Hill (Figure 2b). Au cours du Wisconsinien Supérieur et de l’Holocène, différents dépôts se sont accumulés sur le roc (PRICHONNET, 1984) (Figure 2c), ceux-ci sont discontinus et généralement d’épaisseur limitée. Le till et les affleurements rocheux sont observés presque partout sur la zone d’étude. Les dépôts de sable et graviers sont généralement d’exondation (esker et quelques terrasses alluviales) et associés aux nappes de surfaces littorales et sub-littorales. Le silt argileux se trouve surtout à l’aval du bassin, le long de la rivière Noire. BOLDUC et al. (2006) ont montré que les silts argileux sont peu perméables, tandis que les sables et graviers et le till ont des conductivités hydrauliques généralement plus élevées.

L’aquifère principal se situe dans la roche fracturée et est généralement libre. Vers l’aval, il devient localement semi-captif sous les silts argileux. Une campagne géophysique par résistivité électrique réalisée sur une portion de 100 km2 en aval (DJINENG NJOMO, 2002) a montré que les 10 à 15 premiers mètres de la roche sont aussi les plus transmissifs. Selon la base de données du Système d’informations hydrogéologiques (SIH; MDDEP, 2005), dans la région étudiée, la profondeur moyenne des puits individuels est de 40 m, 52 % des puits ont moins de 40 m et seulement 3 % ont plus de 100 m. Ceci confirme que l’eau souterraine coule en général plus facilement dans la partie superficielle de l’aquifère, mais que les propriétés hydrauliques sont très variables dans l’espace. Sous une certaine profondeur, les fractures sont moins nombreuses et remplies de ciment minéral selon le type de formation (calcite ou quartz).

Une carte piézométrique (Figure 3) a été tracée à l’aide de niveaux mesurés dans 34 puits de particuliers en mai 2003 et avec 3 985 niveaux extraits de la base de données du SIH. Selon cette carte, la principale direction de l’écoulement souterrain est du sud-est vers le nord-ouest. Dans la portion amont, les limites du bassin topographique coïncident approximativement avec la crête piézométrique, indiquant que le bassin de surface est similaire au bassin souterrain. La rivière Noire influence les directions locales d’écoulement, mais les tributaires n’ont pas un effet de drainage visible sur l’aquifère. La nappe suit de près la surface (en moyenne à 2,5 m sous le sol) partout sur le bassin, même lorsque le dénivelé est marqué. L’eau souterraine suit apparemment des systèmes d’écoulement liés étroitement avec la topographie (cf. TÒTH, 1963), avec des zones d’infiltration sur les crêtes topographiques et des zones d’émergence dans les parties basses. La diminution de la fracturation avec la profondeur limitent probablement l’écoulement vertical de l’infiltration, ce qui fait que la partie supérieure de l’aquifère dans le roc fracturé est aussi la plus productive.

Figure 3

Carte piézométrique du bassin de la rivière Noire.

Piezometric map of the Noire River basin.

Carte piézométrique du bassin de la rivière Noire.

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2.2 Modélisation de la zone non saturée

L’infiltration vers l’aquifère est simulée avec le modèle de bilan hydrique en zone non saturée AgriFlux (BANTON et al., 1993). Il s’agit d’un modèle mécaniste et stochastique, basé sur une approche par réservoirs. Ce modèle a été utilisé dans différents contextes pour simuler l’infiltration ainsi que les flux de nitrate et de pesticides à travers la zone non saturée (BARAN et al., 2007; EL AMRANI-PAAZA et al., 2007; NOVAK et al., 2003). Dans la présente étude, le modèle est utilisé de manière déterministe afin de faciliter la vérification des flux d’eau simulés. Le profil de sol est divisé en couches. Le volume d’eau infiltré est le minimum entre la précipitation et le volume de pore disponible. Le ruissellement se produit quand la couche superficielle ne peut contenir toute l’eau apportée au cours d’un événement pluvieux. Le mouvement vertical de l’eau dans la zone non saturée est gouverné par la conductivité hydraulique de chaque couche. L’écoulement sous la zone non saturée représente l’infiltration vers l’aquifère qui pourra ensuite s’écouler de manière sub-horizontale avant de resurgir dans un creux topographique ou encore rejoindre l’aquifère régional dans un écoulement souterrain profond (ces processus ne sont pas représentés dans AgriFlux). La température moyenne mensuelle de l’air, l’évapotranspiration potentielle moyenne mensuelle, de même que les précipitations journalières sont fournies par l’utilisateur. Le prélèvement d’eau par les plantes est satisfait par l’eau disponible dans chaque couche, jusqu’à la profondeur maximale des racines. L’évaporation est soustraite des couches supérieures du sol.

Dans la présente étude, le profil de sol est divisé en cinq couches, pour une épaisseur totale de 1 m, correspondant à la profondeur maximale des racines. Sous cette profondeur, l’infiltration ne sera donc pas modifiée par le prélèvement des plantes ou l’évaporation. Les paramètres requis pour décrire les sols sont présentés au tableau 1. Les paramètres reliés aux besoins en eau des plantes, aux profondeurs racinaires et au calendrier cultural pour les cultures ont été identifiés à partir de la littérature ou déduits des pratiques agricoles locales (voir Tableau 1). Seize scénarios combinant une utilisation du territoire et un type de sol (nommés scénarios « culture-sol ») ont été développés en superposant la carte des utilisations du territoire rencontrées sur le bassin (cinq classes : maïs ou soya, céréales, cultures maraîchères, foin ou pâturage, feuillus ou conifères) et celle des dépôts de surface (quatre classes : sable, till, silt argileux et roc); aucune culture n’a été simulée sur les affleurements rocheux. Le ruissellement et l’infiltration sur le bassin versant correspondent à la somme des flux annuels issus de chaque scénario culture-sol, pondérés par la surface relative de chacun. Les données météorologiques utilisées sont les moyennes arithmétiques des données disponibles aux cinq stations météorologiques situées sur le bassin ou à proximité (Figure 2b).

Tableau 1

Paramètres utilisés pour les différents scénarios culture-sol.

Parameters for the different culture-soil scenarios.

Caractéristiques des sols

 

Sable1

Till1,2,3

Silt argileux1

Roc1,2,4

 

Porosité

0,44

0,44

0,40

0,45

 

Capacité au champ

0,13

0,09

0,25

0,41

 

Point de flétrissement

0,06

0,03

0,15

0,10

 

Conductivité hydraulique à saturation (m j‑1)

1,47

5,04

0,10

4,93

 

Caractéristiques des cultures

 

Maïs et soya5

Céréales

Cultures maraîchères

Foin et pâturages

Feuillus et conifères

Besoin en eau (m)

0,4

0,2

0,4

0,2

0,5

Profondeur racinaire (m)

1,0

0,5

0,5

0,5

1,0

Début croissance

15 mai

15 mai

15 mai

1 mai

1 mai

Fin croissance

15 septembre

15 septembre

15 septembre

1 octobre

1 octobre

1

Rawls et Brakensiek (1989)

2

Bolduc et al. (2006)

3

Pharand (2006)

4

Paré (1978)

5

Larocque et Banton (1995)

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La partition du ruissellement et de l’infiltration dans ce modèle est très sensible à l’épaisseur des deux premières couches de sol qui doit généralement être calée. Les valeurs utilisées pour ce calage sont les ruissellements et débits de base rapportés par PHARAND (2006) au moyen de la séparation de l’hydrogramme mesuré à l’exutoire du bassin versant par filtre digital (CHAPMAN, 1991). Cette méthode distingue les variations de haute fréquence (i.e. écoulement rapide ou ruissellement) de celles de basse fréquence (i.e. écoulement lent ou débit de base), en considérant que l’écoulement à travers l’aquifère réduit l’amplitude des crues. La séparation de l’hydrogramme est donc utilisée comme cible de calage pour ajuster manuellement l’épaisseur des deux premières couches de sol dans AgriFlux. Les épaisseurs calées sont de 4 et 16 cm pour les couches 1 et 2 respectivement (l’épaisseur des couches 3, 4 et 5 est de 25, 25 et 30 cm respectivement). Aucun autre ajustement de paramètre n’a été réalisé. La simulation de chaque scénario culture-sol utilise un pas de temps journalier entre novembre 1989 et octobre 2004, de manière à intégrer la variabilité interannuelle des précipitations.

2.3 Échantillonnage d’eau

Une campagne d’échantillonnage de l’eau souterraine et de surface a été réalisée du 20 mai au 5 juin 2003. Au total, 84 stations également réparties sur le territoire ont été choisies (cf. PHARAND, 2006) : 14 puits de surface (profondeur inférieure ou égale à 4,5 m), deux sources, 55 puits profonds (profondeur supérieure à 4,5 m) et 13 stations sur la rivière Noire ou ses tributaires. Les échantillons d’eau souterraine ont été prélevés à partir des puits de particuliers, directement du robinet et en amont de tout système de traitement. Préalablement à l’échantillonnage, chaque station fut purgée jusqu’à l’obtention d’une lecture stabilisée de pH et de conductivité électrique à l’aide de sondes portables (Sentix 41-3 et TetraCon 325). L’eau prélevée a été filtrée au moment de l’échantillonnage (filtres Millipores Duapore de 45 µm). Les échantillons ont été conservés à 4 °C jusqu’à l’analyse en laboratoire. Les échantillons destinés à l’analyse du nitrate ont été acidifiés à l’acide sulfurique 2N et ceux destinés à l’analyse des cations ont été acidifiés à l’acide nitrique 16N. Les échantillons pour les différentes analyses ont tous été prélevés au même moment.

L’eau de 67 stations a été analysée pour sa teneur en nitrate au laboratoire GEOTOP-UQAM-McGILL par colorimétrie automatisée (TRAAcs800 Autoanalyzer, méthode industrielle 818-87T). Quarante échantillons ont fait l’objet d’une analyse des rapports isotopiques de l’eau (δ18O et δ2H) par spectrométrie de masse au même laboratoire. La reproductibilité analytique de ces analyses est de +/- 0,05 ‰ pour le δ18O et de +/- 1 ‰ pour le δ2H. L’eau de 29 stations a été analysée pour sa teneur en ions majeurs (K, Na, Ca, Mg, Cl, SO4, HCO3 et CO3) par chromatographie ionique au laboratoire de l’INRS-ETE.

3. Résultats et discussion

3.1 Infiltration

L’intégration spatiale des différents scénarios culture-sol sur l’ensemble du bassin fournit un ruissellement et une infiltration simulés annuellement. La figure 4 montre que le modèle en zone non saturée représente relativement bien les hauteurs d’eau ruisselée et celles correspondant aux débits de base estimés annuellement par séparation de l’hydrogramme. Les valeurs sont toutefois relativement dispersées autour de la droite 1 : 1 (r= 0,52). L’infiltration est généralement sous-estimée tandis que le ruissellement est trop élevé pour les années sèches et sous-estimé pour les années humides. Le modèle d’écoulement en zone non saturée ne parvient apparemment pas à refléter complètement la variabilité temporelle des flux. Cette erreur s’explique en partie par l’utilisation d’une évapotranspiration constante d’une année à l’autre dans le modèle. Les moyennes annuelles de ruissellement (301 mm•an‑1) et d’infiltration (215 mm•an‑1) simulées pour la période étudiée sont néanmoins sensiblement les mêmes que celles estimées par PHARAND (2006) au moyen de la séparation de l’hydrogramme (296 et 236 mm pour le ruissellement et le débit de base). Étant donné les imprécisions reliées à l’utilisation du territoire et aux paramètres utilisés dans AgriFlux, le calage du modèle est jugé satisfaisant pour l’ensemble de la période simulée.

Figure 4

Ruissellement et infiltration simulés avec le modèle en zone non saturée et obtenus par séparation de l’hydrogramme.

Simulated runoff and infiltration using the unsaturated zone model and estimated using hydrograph separation.

Ruissellement et infiltration simulés avec le modèle en zone non saturée et obtenus par séparation de l’hydrogramme.

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La figure 5 montre que 74 % de l’infiltration annuelle simulée par le modèle en zone non saturée a lieu principalement en avril, soit pendant et après la fonte de la neige. Une deuxième période d’infiltration importante est simulée en octobre et novembre (18 % de l’infiltration annuelle). Cette répartition temporelle de l’infiltration est comparable à celle rapportée par CANE et CLARK (1999) pour un aquifère du sud-est ontarien où la recharge de l’aquifère se produit surtout au printemps et à l’automne lorsque la température de l’air est basse, mais encore supérieure à zéro.

Figure 5

Infiltration mensuelle moyenne simulée avec le modèle en zone non saturée (les barres d’erreur représentent l’écart-type de 1990 à 2004).

Average monthly infiltration simulated using the unsaturated zone model (error bars represent the standard deviation from 1990 to 2004).

Infiltration mensuelle moyenne simulée avec le modèle en zone non saturée (les barres d’erreur représentent l’écart-type de 1990 à 2004).

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La figure 6 illustre la distribution spatiale de l’infiltration selon les scénarios culture-sol dominant sur des cellules de 2 km x 2 km. Cette carte montre que l’infiltration est étroitement liée à la nature des dépôts de surface. Les zones d’infiltration élevée sont plus nombreuses à l’amont du bassin où le till et les affleurements rocheux, ainsi que les dépôts de sables et graviers sont dominants. Ces formations reçoivent le plus d’eau infiltrée (269 et 222 mm respectivement), peu importe l’utilisation du territoire. Le roc et les dépôts de silt argileux offrent quant à eux une barrière locale à l’infiltration (43 et 1 mm respectivement). Les zones de plus faible infiltration se trouvent surtout à proximité de la rivière Noire à l’aval du bassin. Une infiltration élevée ne correspond pas nécessairement à une importante recharge de l’aquifère régional profond puisque l’infiltration peut s’écouler sous forme de ruissellement hypodermique ou d’écoulement souterrain sub-horizontal et refaire surface non loin à l’aval, à la faveur d’un point bas de la topographie ou du pendage des couches géologiques.

Figure 6

Répartition spatiale de l’infiltration simulée.

Spatial distribution of simulated infiltration.

Répartition spatiale de l’infiltration simulée.

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3.2 Hydrogéochimie

3.2.1 Conductivité électrique, pH et ions majeurs

La conductivité électrique reflète la capacité de l’eau à conduire le courant électrique et indique de façon indirecte la quantité d’ions chargés présents dans l’eau. La quantité d’ions peut varier significativement selon la nature des matériaux aquifères rencontrés et la qualité de la recharge. Elle est aussi généralement plus faible dans les zones de recharge et augmente avec le temps de résidence de l’eau souterraine. Sur le bassin de la rivière Noire, les conductivités électriques sont plus élevées et plus variables dans les puits profonds que dans les puits de surface (Tableau 2). Les eaux de surface sont en moyenne moins minéralisées que l’eau souterraine et leur conductivité électrique ne varie pas significativement de l’amont vers l’aval du bassin. La figure 7a montre l’évolution des conductivités électriques le long de la coupe A-A’ de la figure 3. Celles-ci sont faibles dans la portion sud-est du bassin et augmentent assez brusquement à 30 km du point situé le plus en aval sur la coupe. À partir de cet endroit, le gradient topographique s’adoucit, ce qui induit des écoulements souterrains plus profonds, et donc plus lents. La géologie passe également du domaine des nappes internes au domaine des nappes externes (cf. Figure 2b) et ceci pourrait influencer la minéralisation de l’eau souterraine. Puisque l’utilisation du territoire ne change pas de manière marquée à partir de cet endroit (cf. Figure 2a), l’augmentation de la conductivité électrique n’est probablement pas liée à une recharge plus contaminée par des sources agricoles.

Tableau 2

Synthèse des résultats de conductivité électrique, pH, concentrations en nitrate et rapports des isotopes stables de l’eau.

Summary of results for electrical conductivity, pH, nitrate concentrations and isotopic composition.

 

 

Eau de surface

Puits de surface ou source

Puits profond

Conductivité électrique (µS•cm‑1)

63 à 788 (142)*

191 à 666 (315)

50 à 1588 (417)

pH

6,4 à 8,5 (7,5)

6,1 à 6,9 (6,6)

6,2 à 8,5 (7,7)

Type d’eau

Ca-HCO3, n=3

Ca-Cl, n=1

Ca-HCO3, n=3

Ca-Cl, n=1

Ca-HCO3, n=13

Mg-HCO3, n=1

Na-HCO3, n=7

Valeurs isotopique

δ18O (‰)

‑11,8 à ‑11,3 (‑11,4)

‑13,3 à ‑11,4 (‑12,5)

‑13,3 à ‑9,9 (‑11,0)

 

δ 2H (‰)

‑85,8 à ‑82,5 (‑83,5)

‑95,8 à ‑84,2 (‑88,2)

‑93,3 à ‑71,8 (‑77,9)

Nitrate (mg N-NO3•L‑1)

0,1 à 1,5 (0,4)

0 à 15,1 (0,9)

0 à 32,5 (0,1)

*

La valeur entre parenthèse indique la médiane.

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Figure 7

Évolution de l’eau souterraine le long de la coupe A-A’ (cf. Figure 3) (les flèches indiquent un puits de surface); a) conductivité électrique et pH, b) Na et Cl.

Geochemical evolution of water along the A-A’ cross-section (cf. Figure 3) (the arrows indicate a surface well); a) electrical conductivity and pH; b) Na and Cl.

a

b

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Le pH est une mesure de l’activité de l’ion hydrogène. Les variations du pH sont dues aux interactions du sol et du roc avec le dioxyde de carbone et les ions carbonates et bicarbonates. Le pH des puits profonds est similaire à celui de la rivière Noire et plus élevé que celui des puits de surface (Tableau 2). Le pH est aussi plus faible en amont, mais partout supérieur à celui des précipitations pour le Québec méridional (pH annuel moyen de 4,4; MDDEP, 2008a), et augmente graduellement vers l’aval du bassin (Figure 7a). Un puits de surface situé à 18 km sur la coupe A-A’ se distingue de la tendance générale (minéralisation limitée et pH bas), ce qui pourrait s’expliquer par sa faible profondeur (1,4 m). Le pH augmente de manière assez marquée à 30 km du point situé le plus en aval sur la coupe A-A’.

L’eau des puits de surface est principalement de type Ca‑HCO3 (trois puits sur quatre) tandis que l’eau provenant des puits profonds est surtout de type Ca‑HCO3 (13 puits sur 22) et Na‑HCO3 (7 puits sur 22). Ces résultats concordent avec les observations générales faites par PARÉ (1978) pour l’ensemble du bassin de la rivière Yamaska. Les échantillons de puits profonds de type Na‑HCO3 proviennent de la portion basse du bassin où l’aquifère du roc fracturé est partiellement recouvert de silts argileux (donc localement semi-captif). L’eau de type Ca‑HCO3 a été échantillonnée surtout en amont de ce secteur. L’eau de la rivière Noire est de type Ca‑HCO3. La figure 7b montre que les concentrations en Na et Cl dans les puits profonds augmentent à partir de l’endroit où l’aquifère du roc fracturé est partiellement recouvert de silts argileux (donc localement semi-captif), i.e. entre 12 et 20 km du point le plus en aval sur la coupe A-A’. Ceci correspond aux résultats de CLOUTIER et al. (2006) dans la région de Mirabel (Québec) selon lesquels l’eau évolue du type Ca à Na lors du passage en conditions captives. Les concentrations en Cl augmentent au même endroit que celles en Na, sauf au puits de surface identifié précédemment pour une anomalie de conductivité électrique et de pH (peut-être affecté d’une contamination ponctuelle). Il est possible que le Na et le Cl proviennent des silts argileux de la mer de Champlain et marquent l’infiltration atteignant l’aquifère de roc fracturé. Les concentrations en Cl restent toutefois relativement faibles, ce qui pourrait provenir du mélange entre la recharge et l’eau en place.

3.2.2 Contenus en nitrate

Des concentrations anormalement élevées en nitrate dans l’eau souterraine sont généralement dues à l’utilisation intensive de fertilisants ou à une contamination reliée aux effluents de fosse septique. Sur la zone d’étude, les concentrations en nitrate les plus élevées ont été enregistrées surtout dans des puits de surface, mais la concentration maximale (32,5 mg N‑NO3•L‑1) a été mesurée dans un puits profond situé à l’aval du bassin (voir Tableau 2 et Figure 8). Sur les 62 puits analysés, 11 (18 %) présentent des concentrations supérieures à 1,5 mg N‑NO3•L‑1 (concentrations similaires au bruit de fond; MENV, 2004). Même si elle n’est pas généralisée, la contamination en nitrate de l’eau souterraine est donc présente dans la zone d’étude. Trois puits (5 %) comptent entre 1,5 et 3 mg N‑NO3•L‑1 (concentrations soupçonnées de résulter de l’activité humaine mais d’autres sources peuvent également exister; MENV, 2004) et cinq puits (8 %) ont une concentration en nitrate entre 3 et 10 mg N‑NO3•L‑1 (concentrations définitivement attribuables aux activités humaines; MENV, 2004). Trois puits (5 %) excèdent la norme pour l’eau potable, i.e. 10 mg N‑NO3•L‑1 (MDDEP, 2008b). Vingt-cinq pourcent des puits de surface et 10 % des puits profonds ont une concentration en nitrate supérieure à 3 mg N‑NO3•L‑1, ce qui est comparable aux résultats de MENV (2004). Les concentrations en nitrate dans la rivière Noire sont inférieures à 1,5 mg N‑NO3•L‑1 partout dans le cours d’eau. Aucune tendance de diminution des concentrations avec la profondeur des forages n’a pu être mise en évidence, contrairement à ce que BOLDUC et al. (2006) ont observé pour l’aval du bassin.

Figure 8

Concentration en nitrate (-NO3) dans l’eau.

Nitrate (-NO3) concentrations in water.

Concentration en nitrate (-NO3) dans l’eau.

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La figure 8 illustre la distribution spatiale des concentrations en nitrate dans l’eau souterraine et de surface. Les concentrations en nitrate dans l’eau souterraine ne montrent pas de tendance spatiale claire sur le bassin versant, à l’exception de la partie la plus basse où une seule station a une concentration supérieure au bruit de fond. La distribution irrégulière des concentrations en nitrate est sans doute contrôlée par une combinaison de facteurs qui varient fortement à l’échelle du bassin étudié : la présence et le type de dépôts meubles, la géologie, la topographie ainsi que l’intensité et la nature des activités agricoles (NOLAN, 2001). Il est possible que la dénitrification joue également un rôle dans le maintien de concentrations faibles dans certains secteurs, mais ceci n’a pu être démontré avec les données disponibles. La mesure des concentrations en oxygène dissous et de la teneur en fer dans l’eau souterraine (PUCKETT et COWDERY, 2002), ou encore l’analyse des rapports des isotopes stables du nitrate, δ18O et δ15N (KENDALL, 1998), apporteraient des indications sur la présence de conditions propices à la dénitrification. L’analyse des isotopes stables du nitrate permettrait également d’identifier les sources du nitrate retrouvé dans l’eau souterraine.

3.2.3 Rapports des isotopes stables de l’eau

Le tableau 2 montre que les rapports isotopiques les plus faibles sont généralement observés dans les puits de surface. Les puits profonds ont des rapports isotopiques plus élevés et l’eau de surface présente une gamme de valeurs en δ18O et δ2H assez restreinte dont la moyenne se situe entre celle des puits profonds et celle des puits de surface. La figure 9 présente les rapports isotopiques de l’eau sur le bassin de la rivière Noire. Les données des précipitations locales n’étant pas disponibles, une droite des eaux météoriques a été générée pour le bassin versant (Online isotopes in precipitation calculator, www.waterisotopes.org). La gamme des valeurs illustrées reflète la variabilité annuelle des précipitations correspondant à une altitude de 200 m. Les eaux analysées sont situées immédiatement sous cette droite. Selon VINCENT et al. (2008a), ceci pourrait s’expliquer par des interactions eau-roche de basses températures (CLARK et FRITZ, 1997). Toutefois, comme les échantillons se situent tous sous la droite simulée des précipitations, il est plus plausible que ce déplacement de la courbe indique plutôt une particularité climatique locale non représentée par le modèle ayant généré la droite des précipitations. Le rapport isotopique moyen des précipitations (valeurs générées) est illustré pour une élévation de 200 m.

Figure 9

Rapports des isotopes stables de l’eau selon l’altitude de la station (blanc : <100 m, gris : entre 100 et 200 m, noir : au-dessus de 200 m).

Water isotope ratios according to station altitude (white: <100 m, grey: between 100 and 200 m, black: above 200 m).

Rapports des isotopes stables de l’eau selon l’altitude de la station (blanc : <100 m, gris : entre 100 et 200 m, noir : au-dessus de 200 m).

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Les rapports isotopiques mesurés couvrent une portion seulement de l’intervalle simulé pour les précipitations (Figure 9). Les rapports s’échelonnent de valeurs groupées autour des précipitations moyennes à des contenus relativement plus appauvris. Les stations les plus enrichies sont majoritairement des puits profonds situés sous 200 m. À l’autre extrémité du spectre se trouvent tous les puits de surface. Cet étalement des rapports isotopiques pourrait s’expliquer par un mélange plus ou moins important entre l’eau de la recharge printanière et l’eau en place dans l’aquifère. Il est en effet reconnu que les rapports isotopiques de l’eau des précipitations reflètent les changements de températures au moment de la formation des précipitations (CLARK et FRITZ, 1997). Les précipitations hivernales ont généralement des rapports isotopiques faibles comparativement à ceux des précipitations du reste de l’année, ce qui se reflète directement dans les rapports isotopiques de l’eau de fonte et de la principale période de recharge au printemps. Pour faciliter la comparaison et la discussion, les données ont été divisées en deux groupes. Les données du Groupe 1 ont un contenu isotopique plus faible que celui des précipitations moyennes, i.e. que l’eau de ces stations a conservé de manière marquée la signature isotopique appauvrie de la recharge printanière en raison d’un mélange relativement limité avec l’eau de l’aquifère. Les données du Groupe 2 ont un contenu isotopique similaire au contenu moyen des précipitations, i.e. qu’à ces stations, la recharge printanière subit un mélange beaucoup plus important au cours de plusieurs cycles hydrologiques, perdant ainsi sa signature isotopique (CLARK et FRITZ, 1997). La plupart des puits du Groupe 1 sont situés au-dessus de 300 m d’altitude, mais il est notable que parmi les puits profonds de ce groupe, trois sont situés au-dessus de 200 m, deux entre 100 et 200 m et deux sous 100 m. Ceci semble indiquer que même dans certains puits profonds de l’aval du bassin, la recharge peut migrer rapidement vers l’aquifère par des fractures conductrices. Les quatre échantillons de la rivière Noire montrent un léger enrichissement de l’amont vers l’aval et leurs rapports isotopiques se situent parmi les valeurs les plus enrichies du Groupe 1. Un échantillonnage de l’eau souterraine et de surface sur tout un cycle hydrologique permettrait d’apporter des précisions sur la dynamique hydrologique de la zone d’étude.

3.3 Dynamique de l’écoulement souterrain et vulnérabilité de l’aquifère

L’évolution géochimique de l’eau sur la coupe A-A’ illustrée à la figure 10 permet de faire la synthèse des résultats géochimiques. À partir du point A et en remontant vers l’amont du bassin, on rencontre une zone où la conductivité électrique diminue sous 500 µS•cm‑1, où le pH passe sous 7,5 et où l’eau souterraine appartient majoritairement au groupe isotopique 1 (rapports isotopiques appauvris par rapport aux précipitations moyennes). Ce contraste est probablement régi en partie par une transition géologique des nappes externes aux nappes internes plus plissées et par le relief plus accidenté dans la portion amont du bassin. Les ions majeurs montrent que l’eau de type Na‑HCO3 est plus fréquemment rencontrée dans la partie du bassin où se trouvent les dépôts de silts argileux entre 12 et 20 km du point A sur la coupe A-A’. Cette eau est également plus chargée en ions Na et Cl (Figure 7b) qui pourraient provenir des silts argileux de la mer de Champlain. Même si la figure 6 indique que l’infiltration dans ce secteur est relativement faible, BOLDUC et al. (2006) ont montré que la couverture de silts argileux est trop discontinue pour bloquer complètement la recharge à cet endroit. La coupe A-A’ n’intercepte aucun forage où les concentrations en nitrate excèdent le bruit de fond (1,5 mg N‑NO3•L‑1). Les indicateurs géochimiques indiquent qu’en amont, l’écoulement souterrain est plus dynamique qu’à l’aval du bassin où l’écoulement est plus profond et plus lent. Ceci correspond à la zonation des écoulements souterrains profonds, intermédiaires et superficiels proposée par FREEZE et CHERRY (1979). La présence d’écoulements souterrains superficiels entraîne généralement l’interception d’une portion de l’écoulement souterrain par les cours d’eau, ce qui limite la recharge réelle de l’aquifère régional profond. Sur le bassin de la rivière Noire, celle-ci aurait donc lieu dans la partie inférieure du bassin où les gradients topographiques sont plus faibles et où les écoulements intermédiaires et profonds dominent. La recharge réelle serait également plus faible que l’infiltration simulée par AgriFlux, ce qui concorde avec les résultats de DESLANDES et al. (2007) qui ont montré par modélisation hydrologique que 22 % seulement de la recharge du bassin de la rivière Pike River (Montérégie, Québec) atteint l’aquifère profond.

Figure 10

Évolution géochimique de l’eau souterraine et directions d’écoulement le long de la coupe A-A’ (cf. Figure 3).

Geochemical evolution of groundwater and flow direction along the A-A’ cross-section (cf. Figure 3).

Évolution géochimique de l’eau souterraine et directions d’écoulement le long de la coupe A-A’ (cf. Figure 3).

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La vulnérabilité intrinsèque d’un aquifère est l’aptitude du milieu à transmettre verticalement un contaminant de la surface à la zone saturée et ne fait pas référence à un contaminant en particulier (Boisvertet al., 2008b). Si on associe la vulnérabilité intrinsèque à l’infiltration, 75 % du territoire du bassin de la rivière Noire serait vulnérable (infiltration élevée : de 200 à 250 mm) ou très vulnérable (infiltration très élevée : > 250 mm). Ce résultat est comparable à celui de DELISLE et al. (1998) selon qui 70 % de l’aquifère du bassin de la Yamaska (dont la rivière Noire est tributaire) serait très vulnérable. Cette évaluation de la vulnérabilité de l’aquifère est cependant incomplète puisqu’elle ne tient pas compte de la direction de l’écoulement souterrain ni d’autres processus qui limitent ou réduisent les concentrations de contaminant dans l’aquifère. Dans la portion amont du bassin versant, les écoulements souterrains peu profonds et très dynamiques augmentent la sensibilité des puits de surface à une contamination éventuelle en raison de leur proximité aux sources de polluants de surface et d’une dilution limitée dans l’aquifère en place. La sensibilité des forages profonds est moindre au centre et notamment à l’aval du bassin en raison de la dilution des contaminants dans un volume d’eau important alimenté par des écoulements souterrains intermédiaires et profonds. La portion basse du bassin versant bénéficie également d’une certaine protection par les dépôts de silt argileux en surface, même si leur variabilité spatiale n’assure pas une couverture complète de l’aquifère et que la géochimie indique la présence de recharge (au moins localement) dans ce secteur. L’âge de l’eau souterraine n’a pas été caractérisé dans la présente étude. Toutefois, BOLDUC et al. (2006) ont obtenu par modélisation des temps de transfert de 10 à 50 ans sur une zone de 100 km2 située près de l’exutoire du bassin. Il est probable que les écoulements souterrains intermédiaires et profonds soient beaucoup plus lents. L’augmentation des apports de nitrate reliée à une intensification de l’agriculture dans les 30 dernières années ne se reflètent peut-être pas encore dans la qualité de l’eau des puits profonds, majoritairement situés à l’aval du bassin où un régime permanent d’apports en contaminants agricoles ne serait pas encore atteint (KRAFT et al., 2008). Il faudrait alors s’attendre à une augmentation des concentrations en nitrate dans l’eau souterraine au cours des prochaines décennies. Il est possible que le régime permanent soit atteint ou en voie de l’être dans le secteur amont où les écoulements sont beaucoup plus dynamiques.

4. Conclusion

Les méthodes utilisées dans cette étude pour quantifier l’infiltration vers l’aquifère et la composition géochimique de l’eau souterraine ont permis de mieux comprendre la dynamique de l’écoulement souterrain et la vulnérabilité de l’aquifère du bassin de la rivière Noire dans le piémont appalachien, grâce à des informations facilement accessibles. La modélisation en zone non saturée montre une infiltration simulée moyenne de 215 mm•an‑1, dont 74 % se produit au moment de la fonte printanière. Soixante-quinze pourcents du territoire étudié ont une vulnérabilité intrinsèque élevée, mais la susceptibilité des forages à la contamination varie selon leur position le long de l’écoulement souterrain. Le modèle en zone non saturée ne permet toutefois pas d’évaluer la recharge réelle de l’aquifère profond. Celle-ci serait plus faible que l’infiltration simulée et se produirait principalement dans la partie inférieure du bassin. L’analyse des contenus en nitrate montre que 18 % des puits ont une concentration excédant le bruit de fond. Les autres indicateurs géochimiques montrent que la topographie et la géologie jouent un rôle important dans la dynamique de l’écoulement souterrain. L’analyse géochimique gagnerait à être complétée par l’analyse des concentrations en oxygène dissous, des teneurs en fer et des rapports isotopiques du nitrate dans l’eau souterraine. La création d’une droite locale des eaux météoriques et l’échantillonnage de l’eau souterraine et de surface sur un cycle hydrologique complet permettraient une analyse plus approfondie des rapports en isotopes stables de l’eau. Pour vérifier certaines hypothèses avancées sur la dynamique de l’écoulement souterrain et sur la susceptibilité de l’eau souterraine à la contamination, une caractérisation hydrogéologique exhaustive du bassin versant et une modélisation des écoulements souterrains seraient requises. Néanmoins, les résultats apportent suffisamment d’informations sur la dynamique de l’écoulement souterrain et la vulnérabilité de l’aquifère pour que l’approche soit pertinente pour d’autres aquifères à nappe libre situés dans des environnements géologiques et topographiques similaires et n’ayant pas fait l’objet d’une caractérisation hydrogéologique régionale.