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Introduction

L’information des patients en psychiatrie[1], abondamment discutée dans la littérature juridique et la jurisprudence sous l’angle du consentement aux soins[2], prend une perspective différente dans le cadre de la garde en établissement[3]. En effet, l’information à laquelle ont droit les individus mis sous garde en établissement ne concerne pas tant les soins, puisque la garde en établissement n’emporte pas le traitement, que les motifs de cette garde, le droit à l’assistance d’un avocat et celui de contester l’ordonnance judiciaire de garde devant le Tribunal administratif du Québec[4]. Il nous semble primordial d’étudier ce phénomène pour mieux en comprendre la portée juridique et sociale.

Il existe trois régimes de garde en établissement au Québec. D’abord, la garde préventive permet au médecin, sans le consentement de la personne visée ni autorisation du tribunal, et sans qu’un examen psychiatrique n’ait été effectué, de maintenir une personne dans un établissement de santé autorisé jusqu’à soixante-douze heures, s’il considère que «l’état mental de cette personne présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui»[5]. Ensuite, la garde provisoire, ordonnée par le tribunal sur demande d’un médecin ou d’un intéressé, permet de faire subir à la personne deux évaluations psychiatriques sans son consentement[6]. Finalement, la garde en établissement proprement dite, ou garde «autorisée», est ordonnée par le tribunal à la suite des deux examens psychiatriques, si ceux-ci concluent à la nécessité de la garde en établissement parce que la personne présente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental et que le tribunal a lui-même des motifs sérieux de croire que la personne est dangereuse[7].

Nous pensons que le droit à l’information des personnes soumises à une garde en établissement, incluant plus particulièrement la communication des droits qui leur sont expressément reconnus par la loi, est primordial, car il promeut des valeurs de citoyenneté et de démocratie et favorise une mise en oeuvre transparente d’autres droits fondamentaux, notamment du droit à l’intégrité et des droits judiciaires[8]. Pour cette raison, les tribunaux doivent assurer l’application systématique du droit à l’information. Il est vrai que cet exercice peut s’avérer complexe, puisqu’il implique une hiérarchisation des valeurs en jeu et donc un jugement moral[9]. Par contre, il permet certainement aux tribunaux de se poser en «ultimes gardiens des droits et libertés du citoyen quel que soit son statut et quelque atténués que soient [s]es droits et libertés»[10].

Dans un premier temps, nous exposerons le rôle essentiel du droit à l’information dans la mise en oeuvre du statut citoyen en tant que droit préalable ou constitutif d’autres droits fondamentaux. Dans un deuxième temps, nous examinerons le contexte juridique international et québécois en ce qui concerne le droit à l’information des patients mis sous garde en établissement. Finalement, nous décrirons d’un point de vue pratique la conjoncture actuelle en matière de droit à l’information des patients gardés en établissement et critiquerons son aménagement procédural. Si l’objet de cette étude ne se circonscrit qu’au droit québécois, il nous semble cependant important de mentionner qu’une recherche similaire devrait être entreprise dans les autres provinces canadiennes.

I. Le droit à l’information des patients gardés en établissement : un droit accessoire essentiel à la pleine réalisation des droits fondamentaux

A. Le droit à l’information en tant que droit pleinement exigible et instrument de promotion des valeurs démocratiques

Le droit à l’information apparaît à l’article 44 de la Charte des droits et libertés de la personne[11] dans la section sur les droits économiques et sociaux. Ces derniers ne bénéficient pas a priori d’un caractère juridique contraignant et n’ont pas à ce jour créé d’obligations positives pour l’État[12], mais le professeur Pierre Bosset indique que le droit social consacrait déjà, antérieurement à la Charte, une reconnaissance positive aux droits économiques et sociaux. Leur intégration dans la Charte aurait ainsi dû leur donner une juridicité autonome[13]. Pourtant, jusqu’à maintenant, force est de constater que la jurisprudence a confirmé l’intention du législateur de ne pas reconnaître une portée indépendante à ces droits[14]. Néanmoins, le professeur Pierre Trudel affirme que «[d]ans un nombre restreint de situations, le droit à l’information se présente en lui-même comme un droit exigible emportant des obligations de faire pour un sujet de droit ou pour l’État»[15]. Pour nous, toute situation mettant en cause la liberté ou l’intégrité des individus devrait correspondre à cette interprétation du droit à l’information.

D’ailleurs, en ce qui concerne le droit à l’information médicale en matière de soins, François Toth affirme qu’il s’agit d’un «droit dont la personne physique ou morale est détentrice»[16], créant pour le médecin une obligation à la fois contractuelle et légale[17]. L’auteur explique en effet que si la jurisprudence a reconnu l’obligation d’information du médecin comme découlant du contrat médical, simultanément, la loi, par le biais du Code de déontologie des médecins[18] et surtout de la Charte[19], prévoit expressément ce droit.

Il est certain qu’en cas de violation du droit à l’information, et si le patient a subi un dommage causé par cette violation, le médecin pourra être poursuivi en responsabilité civile. Mais Toth va plus loin en soumettant que le patient lésé pourrait avoir un recours en vertu de l’article 49 de la Charte[20], sans avoir à prouver l’existence d’un dommage corporel, ce qui ne semble pas être contredit par les propos de la Cour suprême du Canada[21]. D’ailleurs, le libellé de l’article 49 n’établit «aucune distinction quant à la sanction de la violation des droits reconnus dans la Charte, qu’ils soient civils ou sociaux»[22]. Pour Toth, la question se pose donc simplement : la violation a-t-elle ou non eu lieu[23] ?

Nous soutenons cette thèse, qui est selon nous transposable aux situations de garde en établissement. Le droit à l’information dans le contexte de la garde en établissement est un droit indépendant, dont la violation devrait être assertie d’un recours même en l’absence de dommages.

L’obligation légale d’information dévolue à l’établissement hospitalier et au policier en vertu de la LPPEM[24] est au coeur d’une structure plus large visant à protéger les droits fondamentaux de la personne sous garde en établissement. Ce n’est qu’informée qu’elle pourra prendre des décisions éclairées et saisir les motivations qui sous-tendent sa mise sous garde en établissement. Même si la personne, dans les faits, n’a pas le contrôle de la situation, l’information dédramatise et permet d’atténuer le sentiment de révolte, ainsi que l’impact psychologique qui peut en découler. Dans ce contexte, le droit à l’information prévu par la loi est un instrument de promotion des valeurs démocratiques et du statut citoyen, en ce sens qu’il cristallise la reconnaissance collective du principe d’égalité dans et devant la loi.

De plus, nous pensons, tout comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, que «l’exercice ou la protection de plusieurs droits protégés par la Charte ont pour prérequis évident un droit à l’information»[25]. C’est ainsi que le droit à l’information participe à la promotion des droits et libertés, tel que le visait originellement la Charte, qui exprime les «aspirations [d’un peuple] et donne un sens à son combat contre l’arbitraire»[26]. Nous verrons donc comment le droit à l’information permet la mise en oeuvre du droit à l’intégrité et de certains droits judiciaires.

B. Le droit à l’information comme condition de mise en oeuvre du droit à l’intégrité et de certains droits judiciaires

Le droit à l’intégrité est un droit fondamental reconnu par le Code civil du Québec[27] et par la Charte[28]. Le seuil de sa violation a été défini par la Cour suprême :

Le Petit Robert 1 (1989) [...] définit ainsi le mot «intégrité» : [...] État d’une chose qui est demeurée intacte. [...] [L]a Cour supérieure a fait les commentaires suivants [...] : En appliquant cette notion aux personnes, on constate qu’il est un seuil de dommages moraux en deçà duquel l’intégrité de la personne n’est pas atteinte. On passera ce seuil lorsque l’atteinte aura laissé la victime moins complète ou moins intacte qu’elle ne l’était auparavant. Cet état diminué doit également avoir un certain caractère durable, sinon permanent[29].

La Cour suprême ajoute que «[l]’atteinte doit affecter de façon plus que fugace l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime»[30].

Dans le domaine médical, le droit à l’intégrité est intimement lié aux concepts d’autodétermination et d’autonomie[31] ; il a été le plus souvent traité sous l’angle du consentement aux actes médicaux[32]. Le consentement éclairé sous-tend «le droit fondamental de chacun de prendre des décisions concernant son propre corps»[33]. L’information en est une condition essentielle.

En même temps, le législateur reconnaît expressément la nécessité de lois dérogeant aux principes fondamentaux du Code civil[34] et de la Charte[35], à condition qu’elles soient justifiées par des objectifs suffisamment importants et se rapportant à des valeurs démocratiques, à l’ordre public et au bien-être général des citoyens du Québec[36]. Dans le cas de la garde en établissement, la limitation du droit à l’autodétermination se trouve justifiée par la préservation de la vie[37] et de la sécurité de la personne[38].

Le droit à l’information permet tout de même, dans ce contexte exceptionnel, de limiter les atteintes à l’intégrité. D’abord, les atteintes psychologiques découlant éventuellement de l’imposition de la garde en établissement ou de l’intervention policière peuvent être évitées ou diminuées par une explication de la situation et de ses motifs. Ensuite, dans le cadre d’une garde autorisée par le tribunal, l’information complète sur les droits du patient, entre autres les droits au refus de traitement, aux renseignements concernant les soins éventuels et au transfert d’établissement, lui permet de mettre en oeuvre son droit à l’autodétermination dans le cadre même de la garde en établissement. Le droit à l’information constitue donc une condition primordiale de mise en oeuvre du droit à l’intégrité.

La Charte protège également les droits judiciaires du patient[39]. En particulier, le droit à l’information dans le cadre de la garde en établissement est une condition à la mise en oeuvre des droits à la liberté, à l’assistance d’un avocat et à une défense pleine et entière[40].

La Charte prévoit expressément que le droit à la liberté d’un citoyen ne peut être entravé que pour «les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite»[41]. La Cour d’appel du Québec a mis en évidence l’importance de ce droit, le qualifiant de l’«une des valeurs fondamentales, et même suprêmes, de notre ordre social et juridique»[42], dont les restrictions en matière de garde en établissement doivent être motivées et documentées, afin de permettre un contrôle efficace[43].

L’article 29 de la Charte prévoit que «[t]oute personne arrêtée ou détenue a droit, sans délai, d’en prévenir ses proches et de recourir à l’assistance d’un avocat. Elle doit être promptement informée de ces droits». À l’instar de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, nous pensons que la nature pénale ou civile de la détention ne devrait pas changer l’application de l’article 29[44] même si, contrairement à la situation qui prévaut lors de la détention pénale, le droit à l’information lors de la garde en établissement ne vise pas à protéger la personne contre des déclarations incriminantes, mais plutôt à lui donner la possibilité de connaître ses droits et recours.

Il nous apparaît évident que le droit à l’information, par le biais de la signification et de l’information du droit de communiquer avec un avocat, est la principale manière de permettre à la partie défenderesse de réaliser ses droits à une défense pleine et entière et à se faire représenter ou assister par un avocat[45]. En ce sens, et tel que développé en ce qui concerne le droit à l’intégrité, la procédure de garde en établissement ne doit pas faire économie de sa mise en oeuvre. Par ailleurs, en plus d’être essentiel à la matérialisation du droit à l’intégrité et des droits judiciaires, le droit à l’information est également constituant du droit à la dignité.

C. Droit à l’information et dignité en synergie

Contrairement aux droits à l’intégrité et à la liberté, l’information n’est pas un prérequis à la mise en oeuvre du droit à la dignité[46] : elle en est plutôt constitutive. Nous préférons donc parler de «synergie» entre droit à l’information et droit à la dignité[47].

Le concept de dignité, par son inclusion dans le préambule de la Charte, est interprété comme «valeur justifiant la reconnaissance de l’ensemble des droits fondamentaux» et comme «principe interprétatif des droits et libertés de la personne»[48] ; cette reconnaissance particulière est due au principe selon lequel «chaque être humain possède une valeur intrinsèque qui le rend digne de respect»[49]. Ainsi, le Tribunal des droits de la personne pose que :

L’humanité est par elle-même une dignité : l’homme ne peut être traité par l’homme (soit par un autre, soit par lui-même), comme un simple moyen, mais il doit toujours être traité comme étant aussi une fin ; c’est précisément en cela que constitue sa dignité (sa personnalité), et c’est par là qu’il s’élève au-dessus de tous les êtres du monde qui ne sont pas des hommes [...][50].

La dignité n’est donc pas à concevoir simplement comme un droit. Certes, le droit à la dignité consacré à l’article 4 de la Charte peut être limité en vertu de l’article 9.1. Toutefois, la dignité comme valeur transcendantale de la Charte, à travers son préambule, se retrouve dans tous les droits fondamentaux et plus particulièrement dans le chapitre sur les droits économiques et sociaux en tant que notion la plus «perméable aux principes consacrés dans [c]e chapitre»[51].

La tendance à envisager la dignité comme un axiome existe également en droit international. En effet, selon Claude Katz, la dignité humaine est la finalité même de chacun des droits de la personne[52]. La Déclaration universelle des droits de l’Homme pose d’ailleurs, dans son préambule, la dignité comme fondement des droits[53]. Elle opère également une distinction entre dignité et droits, en affirmant la dignité comme «principe fondateur d’un ordre politique, au sens large d’ordre social, libre, juste et pacifique»[54].

Bien que la notion de dignité reste largement imprécise[55], la Cour suprême en a défini les contours ainsi :

La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés [...][56].

L’application du concept de dignité doit permettre la reconnaissance de la singularité du sujet humain[57], tout en objectivant le point de vue des membres raisonnables et bien informés de la société[58]. En fait, l’atteinte à la dignité n’est pas qu’une atteinte personnelle : elle constitue une atteinte à la personne humaine en général. D’ailleurs, en ce qui concerne sa violation, la Cour suprême confirme cette perspective :

[C]ontrairement au concept d’intégrité, [...] le droit à la dignité de la personne, en raison de sa notion sous-jacente de respect, n’exige pas l’existence de conséquences définitives pour conclure qu’il y a eu violation. Ainsi, une atteinte même temporaire à une dimension fondamentale de l’être humain violerait l’art. 4 de la Charte[59].

Ce concept de dignité, qui fait de l’être humain une valeur absolue, peu importe sa condition, replace le débat autour de la personne comme citoyen participant à un «projet social et politique en devenir»[60]. Il n’est question en effet ni de sujet de droit, ni de personne raisonnable, ni d’être biologique[61]. La protection de la dignité de chacun concerne la société dans son ensemble.

C’est ici que les droits économiques et sociaux, mais plus particulièrement celui à l’information, deviennent primordiaux. Dans une situation de garde en établissement, la seule façon de traiter la personne concernée dignement est de l’informer. Cette information doit porter de manière générale sur l’évènement même, sur les faits et les motivations de ceux qui ont pris la décision de l’amener en établissement hospitalier et plus particulièrement, sur les droits qu’elle conserve et peut revendiquer. L’information en elle-même permet, par le biais du dialogue, de maintenir un contact sans a priori et jusqu’à un certain point, égalitaire. Elle démontre également la transparence du processus, témoin d’une volonté sociale du respect de la dignité des personnes gardées en établissement. Dans cette optique, le rôle du tribunal est central, puisqu’il est non seulement le dernier rempart assurant le respect du droit à l’information, mais également l’ambassadeur de valeurs sociales fondatrices.

L’importance fondamentale du droit à l’information explicitée, il nous faut maintenant examiner la protection juridique formelle du droit à l’information des patients gardés en établissement en droit international et québécois.

II. Contexte juridique international et québécois du droit à l’information des patients gardés en établissement

Afin de mieux saisir le droit à l’information des patients gardés en établissement tel qu’il est prévu dans la législation québécoise, examinons d’abord le contexte juridico-historique qui a mené à sa reconnaissance, puis les instruments internationaux qui promeuvent son application et le régime législatif mis en place en droit québécois.

A. Contexte juridico-historique : la lente reconnaissance des droits des patients psychiatriques

La première loi régissant la «réclusion des aliénés»[62] remonte au milieu du dix-neuvième siècle. Il y est mentionné «qu’il est expédient de pourvoir à la réclusion et au maintien des lunatiques et autres personnes dont l’esprit est aliéné [...] [et] qu’il serait dangereux de laisser en liberté, vu la nature de leur maladie [...]»[63]. Comme le présente Foucault, c’est à cette période que le fou, en raison de sa maladie, apparaît pour la première fois comme un «adversaire social, comme danger pour la société»[64] ; cette position épistémique perdurera, malgré un fondement scientifique controversé[65].

En ce qui concerne les droits des personnes internées, il faut attendre la Loi sur les asiles d’aliénés[66] de 1909 pour qu’un certain droit à la communication leur soit reconnu[67]. La loi est revue en 1950[68], mais aucun droit supplémentaire n’est accordé en dépit du traumatisme causé par la Seconde Guerre mondiale et la reconnaissance par le droit international de droits inaliénables pour tous les êtres humains à travers la Déclaration universelle des droits de l’Homme[69].

C’est dans les années soixante, dans la foulée d’un mouvement général de lutte pour la reconnaissance des droits[70] et consécutivement à la dénonciation de la situation dans les hôpitaux psychiatriques[71], que le gouvernement québécois met sur pied la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques, mieux connue sous le nom de Commission Bédard, qui fait la lumière sur la gravité de la situation des malades enfermés dans ces hôpitaux. À partir de 1962, une réorganisation profonde des services de psychiatrie se met en place. La psychiatrie, en tant que science, gagne progressivement la confiance de la communauté médicale[72], puis du public, et se pose en experte de la maladie mentale. Les communautés religieuses, jusque-là responsables des asiles, se voient mises à l’écart et une première vague de désinstitutionnalisation s’amorce[73].

En 1972, par l’entrée en vigueur de la Loi sur la protection du malade mental[74], des changements importants et profonds du point de vue des droits fondamentaux sont sanctionnés législativement[75]. Dorénavant, les personnes ne peuvent être placées en «cure fermée»[76] que sur ordonnance judiciaire et elles bénéficient d’un droit d’appel. Des révisions régulières du statut de la personne internée sont imposées. Le droit à l’information, prévu à l’article 27, est pour la première fois spécifiquement reconnu en matière de cure fermée. Ainsi, l’établissement qui admet une personne en cure fermée doit l’informer par écrit des droits et recours dont elle dispose. Un document remis par l’établissement à la personne doit faire état de son droit d’exiger ledit document, de correspondre en toute confidentialité et de contester la cure fermée, ainsi que du droit de la famille d’être avisée «des mesures qui devraient être prises pour hâter [le] retour à la santé»[77]. Le droit de la personne de connaître ces mesures est également reconnu, à moins que ce ne soit contre son intérêt. Y sont aussi listées les situations requérant la fin immédiate de la cure fermée.

De surcroît, à partir des années soixante, le droit international joue un rôle important dans la promotion des droits, notamment des droits civils et politiques, des personnes souffrant de problèmes de santé mentale[78]. Plus particulièrement, au regard du droit à l’information des patients psychiatriques, le droit international se pose en précurseur de sa reconnaissance et de son aménagement au niveau étatique.

B. Instruments internationaux et droit à l’information des patients psychiatriques

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale, par le biais de l’Organisation des Nations Unies (ONU), s’est dotée de plusieurs instruments reconnaissant aux hommes des droits fondamentaux. Même si la plupart de ces traités ne visent pas particulièrement les personnes atteintes de maladie mentale, ils ont une importance capitale dans l’interprétation des droits de ces personnes, puisqu’il y est fait mention expresse de l’universalité des droits fondamentaux[79].

En 1983, la Déclaration de Hawaï de l’Association mondiale de psychiatrie reconnaît spécifiquement le droit à l’information du patient hospitalisé contre son gré :

As soon as the conditions for compulsory treatment no longer apply, the psychiatrist should release the patient from compulsory nature of the treatment and if further therapy is necessary should obtain voluntary consent. The psychiatrist should inform the patient and/or relatives or meaningful others, of the existence of mechanisms of appeal for the detention and for any other complaints related to his or her well being[80].

En 1991, l’Assemblée générale de l’ONU adopte une résolution portant particulièrement sur les droits des personnes souffrant de maladie mentale[81]. L’élaboration du principe portant sur le droit à l’information des personnes internées reflète une nette amélioration par rapport à la Déclaration de Hawaï, puisqu’il ne permet pas qu’une personne puisse être traitée contre son gré et tenue dans l’ignorance de ses droits à la suite de son admission en établissement :

Dès son admission dans un service de santé mentale, tout patient doit être informé dès que possible, sous une forme et dans un langage qu’il peut comprendre, de tous ses droits conformément aux présents Principes et en vertu de la législation nationale, et cette information sera assortie d’une explication de ces droits et des moyens de les exercer.

Si le patient n’est pas capable de comprendre ces informations, et tant que cette incapacité durera, ses droits seront portés à la connaissance de son représentant personnel le cas échéant, et de la personne ou des personnes qui sont les mieux à même de représenter ses intérêts et qui sont disposées à le faire[82].

La reconnaissance des droits des personnes souffrant de maladie mentale, et plus particulièrement de leur droit à l’information, s’est donc bâtie au fil du temps et des différents instruments internationaux. Depuis 2005, l’Organisation mondiale de la santé met à la disposition des États un guide sur la santé mentale, les droits humains et la législation[83]. Au sujet du droit à l’information des personnes hospitalisées contre leur gré, les deux premiers alinéas sont les mêmes que ceux des Principes de l’ONU. Cependant, un alinéa a été rajouté : «A patient who has the necessary capacity has the right to nominate a person who should be informed on his or her behalf, as well as a person to represent his or her interests to the authorities of the facility»[84].

Toutefois, c’est en droit interne que l’aménagement procédural et la concrétisation du droit à l’information doivent se faire. À ce titre, la législation québécoise reconnaît jusqu’à un certain point la philosophie mise de l’avant par les instruments internationaux.

C. Législation québécoise en matière d’information des patients mis sous garde en établissement

Au Québec, la Charte, comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme, universalise les droits qu’elle contient et pose le principe de non-discrimination[85]. Comme nous l’avons vu plus haut, c’est l’article 44 qui consacre spécifiquement le droit à l’information.

En ce qui concerne plus particulièrement la santé, les droits des usagers du système de santé sont colligés dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux[86]. Ainsi, l’article 8(1) énonce :

Tout usager des services de santé et des services sociaux a le droit d’être informé sur son état de santé et de bien-être, de manière à connaître, dans la mesure du possible, les différentes options qui s’offrent à lui ainsi que les risques et les conséquences généralement associés à chacune de ces options avant de consentir à des soins le concernant[87].

L’obligation d’obtenir le consentement d’un patient avant de procéder à tout acte médical, dont des examens ou des évaluations, est prévue au Code civil du Québec[88] et au Code de déontologie des médecins[89]. Par conséquent, le refus de soins doit être respecté[90]. En plus de consentir aux soins le concernant, le patient participe à l’élaboration de son plan d’intervention ou de traitement[91]. Dans ses démarches de renseignement, il peut être accompagné de la personne de son choix[92]. De plus, tous les droits reconnus aux usagers peuvent, en cas d’inaptitude légale, être exercés par un représentant[93].

Dans le domaine spécifique de la garde en établissement, la LPPEM édicte clairement que la personne amenée à l’hôpital pour y être gardée doit recevoir des informations précises : le fait qu’elle y est amenée pour être gardée, le lieu de sa garde et son droit de communiquer avec ses proches et un avocat[94]. Ces informations doivent être données par l’agent de la paix chargé d’amener la personne à l’hôpital et par l’établissement dès sa prise en charge. Ce dernier a l’obligation supplémentaire de la renseigner des motifs de sa garde[95].

Lorsque l’établissement dépose une requête pour garde en établissement, il a l’obligation de la signifier à la personne concernée[96], à personne[97], c’est-à-dire en lui remettant copie de l’avis de présentation en mains propres[98]. Judith Lauzon explique qu’un des objectifs de la signification à personne est la mise en oeuvre de droits quasi-constitutionnels :

[La signification] perme[t] à la personne d’obtenir toute l’information nécessaire à la compréhension du processus judiciaire ainsi qu’à la préservation de ses droits et libertés. C’est en étant ainsi informée qu’une procédure judiciaire est entamée que la personne pourra s’assurer d’être entendue, d’interroger et de contre-interroger les témoins, de présenter une défense pleine et entière, de recourir à l’assistance d’un avocat afin d’être mise au courant des droits qu’elle peut faire valoir et d’en assurer la protection, de même que de se faire représenter ou assister devant le tribunal[99].

Une fois la garde ordonnée par le tribunal, l’établissement doit remettre à la personne concernée ou, en cas d’incapacité à le comprendre, à la personne habilitée à consentir pour elle, un document complet sur ses droits et recours ; ce document est en annexe de la loi[100]. Il y est fait état du droit au transfert d’établissement, de la fin automatique de la garde si aucun examen psychiatrique n’est fait dans les vingt et un jours, du droit à la communication confidentielle, du droit de contestation au Tribunal administratif du Québec, de toutes les situations entraînant la fin automatique de la garde et du droit au refus de traitement et d’examen, excepté des examens psychiatriques.

Simultanément, l’article 31 du Code civil prévoit expressément le droit pour la personne sous garde en établissement et recevant des soins d’«être informée par l’établissement du plan de soins établi à son égard, ainsi que de tout changement important dans ce plan ou dans ses conditions de vie». Ce droit, reconnu à tous les patients, est d’autant plus important dans le contexte de la garde en établissement, puisqu’il permet la mise en oeuvre des droits liés aux soins et donc la reconnaissance effective de la non-altération de la personnalité juridique en dépit de la garde en établissement.

Lors de l’adoption de la LPPEM, le législateur pensait avoir prévu des mécanismes efficaces pour garantir la mise en oeuvre du droit à l’information des patients gardés en établissement. En témoignent ces commentaires du ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec de l’époque, Jean Rochon :

[O]n s’assure, dans la loi, que l’information est complètement disponible, d’abord l’information que la personne impliquée reçoit. Dès l’intervention d’un agent de la paix, d’un professionnel de la santé, de qui que ce soit qui en arrive à la conclusion que la personne présente ce degré de dangerosité qui amènerait à une évaluation psychiatrique pour décider si, oui ou non, il faut garder la personne en garde, dès le premier moment, la personne doit [...] être informée [...] [de la raison pour laquelle] on l’amène à l’hôpital ou au CLSC, [...] ce qui va se passer et quel [...] type de décision [...] [sera pris] compte tenu de l’évaluation psychiatrique. Si la personne est gardée dans un établissement, l’établissement doit renouveler toutes ces informations-là. À chaque étape, la personne a le droit de savoir ce qui lui arrive et les gens ont l’obligation d’informer la personne[101].

Si diverses procédures ont effectivement été prévues afin de s’assurer que les personnes gardées en établissement reçoivent bien toute l’information nécessaire à la mise en oeuvre de leurs droits, il faut maintenant se demander comment elles trouvent réellement application. C’est ce que nous nous proposons d’explorer dans la dernière partie de cet article.

III. La mise en oeuvre du droit à l’information : la grande illusion

Les études portant sur l’application de la LPPEM sont rares. Il est donc difficile de se faire une idée générale de l’état actuel de la mise en oeuvre du droit à l’information dans le cadre de la garde en établissement. Nous avons retenu, aux fins de cette analyse, les données qui nous semblent les plus pertinentes. Ainsi, nous examinerons d’abord la procédure de signification des requêtes pour examen psychiatrique (soit la garde provisoire) et pour garde en établissement. Puis, nous aborderons la mise en oeuvre du droit à une défense pleine et entière et à l’assistance d’un avocat. Nous terminerons par un examen de la procédure de notification de l’ordonnance judiciaire de garde en établissement et de la remise du document en annexe à la loi.

A. La signification des requêtes pour garde provisoire et pour garde en établissement

Le Code de procédure civile stipule à l’article 779 :

La demande [de garde] ne peut être présentée au tribunal ou au juge à moins d’avoir été signifiée à la personne qui refuse l’évaluation ou la garde au moins deux jours avant sa présentation. […] Exceptionnellement, le juge peut dispenser le requérant de signifier la demande à la personne concernée s’il considère que cela serait nuisible à la santé ou à la sécurité de cette personne ou d’autrui, ou s’il y a urgence.

Comme la signification constitue un prérequis à la requête pour garde, le tribunal doit exiger une preuve de signification et la dispense de signification ne devrait être accordée que sur allégations avérées. Néanmoins, d’après les études sur la question, des dispenses de signification ont été demandées dans le district judiciaire de Montréal, en 2004, dans 16 à 21 pour cent des requêtes, un nombre considérable[102]. Cette situation était d’ailleurs connue et dénoncée depuis longtemps, notamment par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[103]. Cependant, des données plus récentes ne révèlent que deux demandes de dispense de signification dans un échantillon de quatre-vingt-huit requêtes pour gardes provisoires et régulières déposées dans plusieurs districts judiciaires au Québec[104]. Dans le district judiciaire de Montréal, le taux de signification atteint 91,2 pour cent dans le cas des gardes en établissement et 82 pour cent dans le cas des renouvellements de garde[105]. Il semble donc qu’une certaine amélioration soit à signaler.

Les dispenses de signification dans le cas de demandes de garde provisoire sont le plus souvent demandées par des requérants autres que les établissements, autrement dit par des proches de la partie défenderesse, pour raison de sécurité personnelle[106]. En ce qui concerne les demandes de garde en établissement ou de renouvellement de garde déposées par les hôpitaux en 2004, celles-ci n’ont demandé de dispenses de signification que dans 4 pour cent des cas, ce qui représente une progression appréciable, puisque seulement cinq ans plus tôt, 28 pour cent des requêtes n’étaient pas signifiées[107].

Par contre, il semblerait que les délais de signification ne soient pas toujours respectés par les établissements. Ainsi, Judith Lauzon rapporte, selon des données recueillies en 2001, alors que le délai de signification n’était que d’«un jour franc»[108], que des demandes d’abréger les délais de signification étaient régulièrement présentées au tribunal et que, dans son échantillon de cinquante requêtes, au moins 42 pour cent ne respectaient pas les délais de signification[109]. Depuis que le délai est de deux jours, les études démontrent une amélioration quant à son respect ; mais ce n’est encore qu’entre le quart et le tiers des établissements qui s’y conforment[110].

Le non-respect des délais légaux semble être sans conséquence pour l’obtention de l’ordonnance judiciaire de garde en établissement, alors même qu’il est préjudiciable du point de vue de la mise en oeuvre d’une défense pleine et entière. La personne signifiée dans les délais légaux ne dispose effectivement que de deux jours pour recourir à l’assistance d’un avocat ou pour préparer elle-même la présentation qu’elle fera au tribunal : c’est déjà très peu. Il va sans dire que le non-respect des délais ne peut qu’ajouter à cette difficulté. Certains défendeurs ont d’ailleurs fait valoir le non-respect des délais comme moyen préliminaire de contestation de la requête. Dans leur analyse, les juges, tout en reconnaissant que les dispositions relatives à la garde en établissement dérogent aux droits fondamentaux et qu’elles doivent être interprétées «avec mesure», concluent que «pour le malade mental, sa protection constitue un principe généralement prioritaire»[111] et qu’«il serait contraire à l’intérêt de l’intimé et de la société que le défaut de respecter une procédure [prévale] sur l’objectif de la Loi qui est la protection du malade et la protection d’autrui»[112].

Pourtant, la procédure de signification est l’unique moyen de s’assurer que le droit de contestation des différentes requêtes est bien connu des défendeurs. Or, en 2008, dans le district judiciaire de Montréal, les parties défenderesses présentes à l’audition ne représentaient que le tiers de l’ensemble des personnes concernées[113]. Ces absences pourraient être dues, en partie, aux significations omises ou tardives.

B. Le droit à une défense pleine et entière et à l’assistance d’un avocat

Curieusement, la loi ne prévoit pas expressément l’obligation pour l’établissement demandeur d’informer la personne de son droit de contester la demande de garde. En 1997, le Barreau du Québec avait recommandé que soit ajoutée au texte de loi l’obligation pour l’établissement hospitalier d’informer le patient de l’existence d’organismes d’aide et d’accompagnement, ainsi que des services qu’ils peuvent rendre[114]. Le Barreau s’appuyait sur la Politique de santé mentale du ministère de la Santé et des Services sociaux et cherchait «à ce que soit opérationnel un système complet de promotion [...] [des] droits [...] garantis par les chartes fédérale et provinciale ainsi que par la L.S.S.S.S.»[115].

Si le patient ne dispose pas de l’information sur son droit de contestation dès l’admission en établissement, nous pouvons présumer que c’est par la signification qu’il l’apprendra. Le contenu des avis de présentation remis lors de la signification, comme pour toutes les requêtes, est prévu à l’article 119 du Code de procédure civile[116], mais la pratique témoigne d’une grande disparité entre les établissements. Sur les treize principaux hôpitaux de Montréal ayant présenté des requêtes en 2004, la moitié semble n’avoir inclus dans les avis de présentation que le lieu, la date et l’heure de l’audience. En tout, seulement quatre hôpitaux se conformaient à leur obligation d’informer le défendeur de la disponibilité sur demande des pièces au soutien de la requête ; deux autres hôpitaux indiquaient le numéro des pièces versées en preuve. Cinq hôpitaux fournissaient un numéro de téléphone pour contester et un seul le conseil de communiquer avec un avocat[117]. Il est dès lors compréhensible que des personnes peu renseignées puissent croire à leur impuissance devant le processus judiciaire mis en branle. C’est ce que confirment d’ailleurs les témoignages recueillis par l’UQÀM et Action Autonomie[118].

Malgré la disparité des pratiques d’information sur les droits de contestation et de représentation dans les avis de présentation, la situation devrait normalement se corriger en aval, au tribunal même, puisque l’article 780(1) du Code de procédure civile prévoit expressément que :

Le tribunal ou le juge est tenu d’interroger la personne concernée par la demande, à moins qu’elle ne soit introuvable ou en fuite ou qu’il ne soit manifestement inutile d’exiger son témoignage en raison de son état de santé ; cette règle reçoit aussi exception lorsque, s’agissant d’une demande pour faire subir une évaluation psychiatrique, il est démontré qu’il y a urgence ou qu’il pourrait être nuisible à la santé ou à la sécurité de la personne concernée ou d’autrui d’exiger le témoignage.

Nous ne possédons aucune donnée sur les demandes de dispense d’interrogatoire de la partie défenderesse[119]. Or, sachant que seulement 34,83 pour cent des défendeurs étaient présents à l’audience en 2008 dans le district judiciaire de Montréal[120], faut-il conclure que les juges accordent cette dispense dans près des deux tiers des cas ? De plus, les taux de représentation par avocat de la partie défenderesse varient énormément d’un hôpital à l’autre : de 4,76 à 66,67 pour cent en 2008[121].

En consultant la jurisprudence, il appert rapidement que la dispense d’interrogatoire n’est généralement pas motivée[122]. En fait, ces ordonnances, qui sont extrêmement courtes, commencent fréquemment par une série de «considérant» au milieu desquels se retrouve : «[c]onsidérant qu’il est manifestement inutile d’exiger le témoignage de la défenderesse, en raison de son état de santé et de l’opinion des psychiatres»[123], comme unique explication de la décision d’accorder la dispense d’interrogatoire.

Dans l’affaire Grizenko, le curateur public, mis en cause, s’opposait à cette dispense d’interrogatoire, affirmant que celle-ci ne doit être fondée que sur des faits allégués. Le juge explique : «Encore ici, les psychiatres sont la source première pour amener le tribunal à décréter l’absence d’obligations d’interroger le malade. Le mis en cause aurait bien peu de moyens pour contester les opinions des psychiatres à ce sujet»[124]. Par contre, en 2007, la Cour d’appel a renversé une décision de première instance où le juge avait ordonné une garde sans entendre la partie défenderesse. La cour s’exprime sans ambiguïté :

[L]’article 780 C.p.c. est formel : le juge est tenu d’interroger la personne concernée par la demande à moins qu’il ne soit manifestement inutile d’exiger son témoignage, ce qui ne me semble pas être le cas en l’espèce.

Si tel est le cas, le juge doit s’en expliquer et justifier par certaine preuve factuelle pourquoi il serait manifestement inutile de l’entendre.

Cela n’a pas été fait.

Le jugement souffre d’une irrégularité grave qui en fait voir une faiblesse sérieuse[125].

Il semble que cette décision ait eu une incidence sur la jurisprudence subséquente. Ainsi, la consultation des décisions de 2008 nous permet de penser que la facture des jugements a quelque peu changé. Dans Centre de santé et de services sociaux de Rivière-du-Loup c. A.M.[126], par exemple, le juge, après avoir cité l’article 780 C.p.c., élabore une liste de faits qui lui permettent de justifier une dispense d’interrogatoire. Dans Centre de santé et de services sociaux de Sept-Îles c. S.L., le juge mentionne que «[l]a preuve révèle qu’il est manifestement inutile d’exiger le témoignage de monsieur»[127]. Mentionnons également que dans Centre de santé et de services sociaux de Rimouski-Neigette c. L.L., le juge, s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel citée plus haut, rejette une demande de dispense d’interrogatoire, soulignant que le tribunal doit justifier par une preuve factuelle l’inutilité d’entendre le témoignage de la partie défenderesse[128].

La dispense d’interrogatoire a des répercussions dramatiques du point de vue des droits fondamentaux des défendeurs. En effet, elle influe directement sur leur droit à présenter une défense pleine et entière contre un établissement demandeur qui est par ailleurs toujours représenté par un avocat[129]. Les chiffres sont éloquents : dans le district de Montréal, le taux de requêtes accueillies lorsque le défendeur est absent est de 92,30 pour cent, contre 86,25 pour cent lorsqu’il est présent sans avocat et 82,18 pour cent lorsqu’il est assisté de son avocat[130]. Le taux de requêtes rejetées est respectivement de 0,50 pour cent, 1,25 pour cent et 3,83 pour cent[131]. Nous constatons donc une différence importante entre les situations où la partie défenderesse est absente, celle où elle est présente seule et celle où elle est représentée par un avocat.

Les juges eux-mêmes se montrent préoccupés par la situation. Ils rapportent que lorsqu’un avocat est présent au dossier, celui-ci est plus complet, ce qui leur permet de prendre leurs distances face aux rapports psychiatriques[132]. Lorsque le défendeur est absent, le juge se base essentiellement sur les deux examens psychiatriques et suit tout simplement leur recommandation de maintien en établissement[133].

Il semble à cet égard que les juges soient jusqu’à un certain point captifs du contexte procédural de la garde en établissement[134]. Il faut dire que ce constat ne nous éclaire nullement sur les raisons qui expliquent l’absence aussi fréquente des défendeurs[135]. Il reste qu’une mise en application judiciaire plus systématique du droit à l’information, par le biais de la vérification de sa mise oeuvre effective et par sa priorisation, permettrait de pallier, du moins partiellement, le problème apparent de subordination du tribunal à l’opinion psychiatrique.

Par ailleurs, la notification de l’ordonnance judiciaire de garde en établissement[136], comprenant notamment la remise du document en annexe de la loi, constitue possiblement, pour le défendeur, la première et seule occasion de prendre réellement connaissance de l’intégralité de ses droits[137]. Il s’agit donc d’un moment central dans son expérience personnelle de garde en établissement, et plus particulièrement quant à l’activation de son statut citoyen.

C. La remise du document conforme à l’annexe de la loi

Comme le prévoit l’article 16 de la LPPEM, un document conforme à l’annexe de la loi doit être remis à la personne sous garde en établissement. Ce document contient toute l’information sur ses droits durant sa garde en établissement.

Nous pensons que ce document devrait être remis à la personne dès sa mise sous garde préventive ou sous garde provisoire, selon les cas, plutôt qu’après l’obtention d’un jugement de garde en établissement[138]. C’est d’ailleurs ce que préconisent les principes onusiens, puisqu’ils déclarent que le patient doit être informé de ses droits «dès son admission»[139]. Dans l’état actuel des choses, une personne peut se retrouver sous garde en établissement plus d’une semaine, selon les termes de la loi, sans recevoir l’information détaillée sur ses droits, telle que contenue dans le document conforme à l’annexe de la loi[140]. En réalité, le délai pourrait même être plus long[141]. En effet, il semblerait que la majorité des requêtes pour garde en établissement visent des personnes qui sont en garde préventive et pour lesquelles aucune requête de garde provisoire en vue de faire une évaluation psychiatrique n’a été déposée[142]. Faut-il conclure que la personne a consenti à subir deux examens psychiatriques alors qu’elle refusait son hospitalisation ?

Ce délai avant une divulgation expresse des renseignements contenus au document conforme à l’annexe de la loi nous semble injustifié et présente une atteinte importante aux droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne le droit de contester la demande de garde en établissement, puisque le document constitue parfois le premier et seul transfert d’information au patient. Quant au droit au refus de traitement, sa notification n’est légalement prévue qu’à ce stade du processus.

Nous croyons également que la loi devrait prévoir, toujours conformément aux principes onusiens ainsi qu’à la jurisprudence concernant la protection des droits judiciaires lors d’arrestations policières[143], l’obligation pour le personnel chargé de transmettre l’information qu’il s’exprime sous une forme et dans un langage appropriés et qu’il s’assure que la personne concernée (soit le patient lui-même, soit la personne autorisée à consentir pour ce dernier) a bien compris la nature des droits en jeu et les moyens de les exercer. Pour le moment, l’article 15 de la LPPEM prévoit que l’information doit être donnée «[d]ès la prise en charge de la personne par l’établissement, ou dès que la personne semble être en mesure de comprendre ces renseignements»[144]. Pour nous, cette obligation n’équivaut nullement à celle formulée dans les Principes de l’ONU, qui précisent que l’«information sera assortie d’une explication [des] droits et des moyens de les exercer», «sous une forme et dans un langage [que le patient] peut comprendre»[145]. D’ailleurs, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec avait recommandé, lors des consultations sur le projet de loi, l’instauration de mesures de soutien aux personnes auxquelles le document conforme à l’annexe de la loi est remis, soulignant notamment le fait que plusieurs personnes sont analphabètes[146].

Nous avons démontré que le droit à l’information des patients gardés en établissement connaît diverses difficultés d’application ; de ces difficultés découlent logiquement une impuissance à faire valoir d’autres droits fondamentaux et une inaccessibilité à la justice. Une valorisation accrue du droit à l’information assurerait non seulement sa mise en oeuvre, mais permettrait également aux tribunaux de reprendre la place qui devrait être la leur, soit celle de constituer le dernier rempart avant une privation des droits fondamentaux protégés par la Charte. En effet, si les juges vérifiaient systématiquement si la partie défenderesse a bien été informée des possibilités de contestation — mieux, s’ils obtenaient une preuve de son choix de ne pas contester, et à défaut, s’ils exigeaient le témoignage du défendeur — l’information serait donnée plus fréquemment avant l’audience[147].

Conclusion

La problématique, multifactorielle, concernant la mise en oeuvre du droit à l’information des patients gardés en établissement réside notamment dans l’économie de la loi et de la procédure, qui confine le tribunal à un rôle subordonné à celui des psychiatres. En effet, actuellement, malgré le second alinéa de l’article 30 C.c.Q., qui prévoit que «le tribunal ne peut autoriser la garde que s’il a lui-même des motifs sérieux de croire que la personne est dangereuse et que sa garde est nécessaire, quelle que soit par ailleurs la preuve qui pourrait lui être présentée et même en l’absence de toute contre-expertise», le tribunal se voit dans l’obligation de statuer sur la mise sous garde en établissement d’une partie souvent absente et sur la foi de deux rapports psychiatriques parfois complexes. Ces derniers, fréquemment «sibyllins sur formulaires préimprimés»[148], constituent le plus souvent l’unique preuve de l’existence des deux critères légaux essentiels à l’ordonnance, soit la présence de dangerosité en lien avec l’état mental[149]. Certains juges expliquent qu’ils se voient contraints de prononcer l’envoi de la personne en garde en établissement dès lors qu’ils ne possèdent en preuve que les rapports psychiatriques, à moins que ces derniers ne concluent pas à la présence de dangerosité[150].

En effet, la nature des rapports psychiatriques permet difficilement au tribunal de remplir sa fonction. D’abord, le diagnostic posé par les psychiatres de l’établissement demandeur n’est pas discuté par le tribunal étant donné l’absence de contre-expertise qui pourrait le nuancer, voire le contredire. Ensuite, une difficulté majeure se pose dans le concept de dangerosité lui-même, puisqu’il est indéfini par le législateur et donc difficile à contrôler judiciairement. Il appartient aux psychiatres de procéder à l’évaluation de la dangerosité selon des critères cliniques, qui ne sont pas débattus lors de l’audience en vue d’ordonner la garde en établissement, malgré une validité scientifique controversée[151]. Pour la Cour du Québec, pourtant, «[i]l revient [...] au Tribunal de vérifier, outre le respect de la légalité et de la procédure, l’existence et le sérieux des motifs allégués dans les observations des psychiatres qui les ont conduits à conclure à la dangerosité du patient»[152].

Or, bien souvent, les rapports, succincts, ne contiennent pas les éléments suffisants pour permettre aux juges de vérifier la présence effective de motifs permettant de conclure à la dangerosité[153]. Cette difficulté majeure est d’ailleurs soulignée par des juges, dont un affirme que «[l]’expertise est extrêmement sommaire notamment quant à la conclusion qui n[...]’apparaît pas appuyée sur des faits»[154].

Pour nous, en toute déférence, étant donné notamment les difficultés liées à la preuve, c’est par l’application stricte et rigoureuse de la procédure, surtout en ce qui a trait au droit à l’information, que le tribunal jouera réellement son rôle quant à la garde en établissement[155], sans jamais oublier que «tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi»[156]. Un diagnostic psychiatrique couplé à une évaluation positive de la dangerosité, dans le contexte que nous connaissons, devrait-il être suffisant pour priver la personne, non seulement du droit à la liberté, mais également de ses autres droits ? Il nous semble évident qu’ici, la mise en oeuvre du droit à l’information permettrait l’actualisation des valeurs démocratiques, et plus particulièrement de la citoyenneté universelle[157]. C’était d’ailleurs, semble-t-il, ce que le législateur visait originellement par l’adoption de la Charte[158].