Corps de l’article

1. Introduction

L'expression « mineurs auteurs d’agressions sexuelles » désigne des jeunes ayant été reconnus coupables d’un délit sexuel et dont l’âge est supérieur au seuil minimum d’imputabilité établi par la loi (A.A.C.A.P., 1999). En Italie, il s’agit donc de mineurs âgés de quatorze à dix-huit ans.

Ces mineurs constituent une population plutôt hétérogène si bien que, malgré les nombreuses tentatives pour les classifier, aucune des caractéristiques individuelles ou socio-démographiques identifiées jusqu'à présent ne peut être considérée comme ayant une corrélation directe avec la survenue de conduites sexuelles violentes.

En Italie, d'après une analyse effectuée en 2008 par l’Institut national de la statistique (INSTAT) et relative à la période 2000 – 2005, le pourcentage de délits sexuels commis par des mineurs (à savoir, le nombre total de délits dénoncés à l’Autorité judiciaire, pour lesquels une action pénale a été entamée) oscille entre 5,09% et 11,14% des violences sexuelles et entre 8,48% et 15,43% des actes sexuels avec un mineur.

En effet, les plaintes formulées à l’encontre de mineurs n’aboutissent pas nécessairement à une poursuite pénale: une partie importante de ces délits (qui varie entre 21% et 32%) est commise par des mineurs n'ayant pas atteint le seuil minimum d’imputabilité fixé à quatorze ans.

Les poursuites pénales pour violences sexuelles commises par des mineurs sont en hausse constante depuis l’entrée en vigueur, en Italie, de la loi n°66 du 15 février 1996 qui a introduit de nouvelles normes. Les délits sexuels, qui figuraient comme « délits contre la moralité publique et les bonnes moeurs », sont désormais classés parmi les « délits contre la personne », avec un durcissement conséquent des peines correspondantes. Suite à cette réforme, aussi bien le « viol » que les « actes sexuels », précédemment distincts, ont été réunis sous la même appellation de « délit de violence sexuelle ». De plus, le cas d’espèce de « violence sexuelle en groupe » a été introduit, ainsi que le principe de protection de la vie privée de la victime, même majeure, tandis que sont criminalisés les actes sexuels accomplis en présence d’un mineur (« corruption de mineurs »).

Conformément aux dispositions du système pénitentiaire italien, le traitement des auteurs de délits sexuels vise à leur responsabilisation, à la prise de conscience de la gravité du délit commis et de la souffrance provoquée aux victimes, dans le but de déclencher un processus de transformation positive.

Généralement, la prise en charge débute dès le prononcé de la condamnation, mais elle peut également commencer au cours de la détention provisoire de l’agresseur et se poursuivre après l'achèvement de la peine.

Les principaux modèles de traitement appliqués aux jeunes agresseurs sexuels impliquent des interventions cognitives-comportementales, psycho-éducatives et psycho-sociales.

Compte tenu du caractère hétérogène de cette population, il convient d’avoir recours à des programmes thérapeutiques flexibles, pouvant être ajustés aux exigences de chaque patient. En outre, il est fondamental de tenir compte des spécificités de l’adolescence et d’encadrer tout acte antisocial dans le processus évolutif du mineur (Sabatello et Pagnacco, 2002; Sabatello, 2002).

En Italie, il existe actuellement quelques rares exemples de parcours de traitement structurés, pouvant donner des résultats rassurants concernant la prise de conscience des problèmes qui sous-tendent les comportements sexuels déviants et la prévision du risque de récidive. Par ailleurs, ces individus sont exposés au risque d’une stigmatisation négative qui, à son tour, favorise la tendance typique de nombreux délinquants sexuels à s'enfermer dans leur isolement. Une autre conséquence de la carence de programmes de traitement spécifiques est la tendance, de la part des Magistrats de l’application des peines, à refuser l’accès de cette catégories de délinquants aux mesures alternatives à la détention.

Les projets WOLF (Working On Lessening Fear) et For-WOLF, mis en place par le Département de l’Administration Pénitentiaire du Ministère de la Justice italien, ont représenté pour notre pays la première occasion d'étudier les problèmes engendrés par le traitement des agresseurs sexuels. Ces projets ont donné lieu, par la suite, à des expérimentations intéressantes dans certaines prisons italiennes.

Dans une perspective de prévention, d’identification des traitements les plus appropriés et d’évaluation du risque de récidive, la présente étude se propose de décrire les aspects individuels et socio-environnementaux d’un échantillon de mineurs agresseurs sexuels ainsi que les caractéristiques des délits qu’ils ont commis.

Nous avons eu recours, entre autres, à la Psychopathy Checklist - Youth Version(PCL:YV) (Forth, Kosson, Hare, 2003), afin de vérifier si la présence de psychopathie (dans ses différents aspects relationnels, affectifs, comportementaux et antisociaux) était en corrélation avec la présence de facteurs de risque spécifiques pour la perpétration de délits sexuels ou si la psychopathie pouvait influencer certaines caractéristiques du délit, comme le mode d’agression et le type de victime.

L’échantillon des auteurs d’agressions sexuelles a été ensuite comparé à un groupe contrôle, composé de mineurs auteurs d’infractions violentes non sexuelles, dans le but de détecter toute différence significative du degré et des caractéristiques des psychopathies présentes.

2. Méthodologie

Notre échantillon, était composé de dix individus de sexe masculin, âgés de douze à dix-huit ans (moyenne: 15 ans) et provenant de plusieurs régions italiennes, qui ont fait l’objet de plaintes pour délits sexuels.

Les sujets ont été sélectionnés aléatoirement à partir de 3 cadres ou contextes différents où ils ont été rencontrés par les auteurs de l’article :

  • Soit dans le cadre d’une expertise médico-légale mandatée par le tribunal des mineurs de Rome ou d’une autre région italienne.

  • Soit dans le cadre d’une consultation spécialisée dans la prise en charge des abus sexuels à laquelle s’adressent des structures publiques (services sanitaires, écoles, services sociaux).

  • Soit dans le contexte d’une évaluation faisant suite à un signalement des intervenants de la justice des mineurs et effectuées par le département des sciences neurologiques psychiatriques et réhabilitatives de l’Université « La Sapienza » de Rome.

Ces mineurs ont tous fait l’objet d’une expertise psychologique pour évaluer leur degré de maturité, et donc leur imputabilité conformément aux dispositions du code pénal italien, ainsi que le risque potentiel de récidive. La recherche incluait une évaluation approfondie des conditions psychiques et du niveau de développement neuropsychologique et affectif de chaque garçon, ainsi que la qualité de leur milieu de vie à l'époque du délit.

Les données issues des expertises (menées à travers des tests, des entretiens avec les mineurs, leurs parents, les assistants sociaux et les éducateurs du Département pour la Justice des Mineurs qui les ont pris en charge, ainsi que la lecture des dossiers judiciaires correspondants) ont été utilisées dans la présente recherche.

En notre qualité de psychopathologues de l’adolescence, nous souhaitons souligner l’importance des expertises cliniques dont les informations restent trop souvent circonscrites au contexte judiciaire alors qu’elles pourraient fournir des renseignements utiles sur le développement normal ou pathologique et sur les facteurs de risque concernant certains passages critiques de l’âge évolutif.

L’échantillon était homogène en ce qui concerne le niveau socio-économique, se situant dans la classe moyenne-inférieure de la population :

  • chez 90% des sujets environ, les parents ne possèdent qu’un Certificat d’Études Primaires (C.E.P.) ou un Brevet d’Études du Premier Cycle (B.E.P.C.) ;

  • dans la plupart des cas, les parents exercent les professions les situant dans cette classe.

Des informations détaillées sur les revenus des parents n’étaient pas disponibles, mais environ 60% des ménages ont fait état de difficultés financières.

Tous les garçons étaient des ressortissants italiens; un seul était l'enfant d’un couple mixte.

La première partie de l’étude décrit l’échantillon en examinant les principaux facteurs de risque, individuels et environnementaux, que la littérature internationale considère comme prédictifs de la réalisation de comportements violents à l’adolescence.

Les mineurs en question ont été tous testés à l’échelle PCL-YV et examinés sur la base aussi bien de dossiers judiciaires ouverts à leur encontre que d’informations supplémentaires disponibles (expertises psychiatriques, fiches médicales, carnets scolaires, rapports rédigés par les médecins et par d’autres professionnels les ayant pris en charge).

Comme l’indiquent les Auteurs dans le Manuel d’Instructions de la PCL-YV, à défaut d’un entretien direct avec le garçon qui permettrait, évidemment, de dégager des informations précieuses, cet outil peut être administré efficacement même si les données présentent quelques lacunes. La PCL-YV a permis, en outre, de reconstituer un profil anamnestique des sujets concernés, pour analyser leur niveau de développement, avec une attention particulière en présence de facteurs de risque et de protection significatifs chez chacun d’entre eux.

Les scores totaux et partiels obtenus par les sujets soumis à la PCL-YV (les scores partiels correspondant à chacun des facteurs de l’échelle : Interpersonnel, Affectif, Comportemental et Antisocial), ont été ensuite mis en corrélation avec les variables suivantes à l'aide du test statistique F de Fisher :

  • l’âge du mineur à l’époque de sa première accusation;

  • les caractéristiques de la victime (quantité, âge, sexe);

  • les caractéristiques de l’agression (quantité, type, milieu);

  • la souffrance périnatale du mineur;

  • les troubles du développement du langage;

  • le niveau cognitif;

  • les expériences d’abus intra-familial;

  • les expériences de victimisation sexuelle;

  • les antécédents neuro-psychologiques et psychopathologiques.

Notamment ont été pris en considération: l’hyperactivité/trouble de l’attention et de la concentration (TDAH), les troubles comportementaux précoces, les troubles comportementaux graves, les difficultés de socialisation et l’anxiété de séparation.

L’échantillon d’auteurs d’abus sexuels a été comparé, en dernier lieu, à un groupe de garçons, de la même tranche d’âge, auteurs d’infractions violentes non sexuelles, sur la base des scores totaux et partiels obtenus à la PCL-YV, afin d’identifier et d’évaluer la présence de différences significatives entre eux.

Le groupe contrôle était lui aussi composé de mineurs ayant fait l'objet de plaintes pour délits de violence et d'expertises psychologiques ordonnées par le Juge des Enfants.

3. Résultats

Les résultats issus de l’analyse descriptive initiale ont révélé, chez les mineurs agresseurs sexuels que nous avons examinés, la présence d’un nombre élevé de facteurs de risque, aussi bien individuels que socio-environnementaux, considérés dans la littérature comme prédictifs de la perpétration de délits sexuels.

Le caractère hétérogène, typique de cette population, a été relevé également dans notre échantillon.

Caractéristiques du délit et typologie des victimes

Les délits (au-delà de la prédominance apparente des formes les plus violentes), se caractérisaient de la manière suivante: viols en réunion, violence exercée individuellement ou avec le concours d’un complice adulte; un cas de harcèlement criminel (stalking); des agressions, multiples ou isolées, contre une ou plusieurs victimes, tant intra-familiales que commises en dehors de la famille. Les deux sexes et toutes les tranches d’âge (enfants, pairs, adultes) étaient représentés chez les victimes. Les tableaux suivants résument les caractéristiques des victimes et les modalités du délit, et indiquent le nombre des victimes et des agressions, en précisant si ces dernières ont été commises contre la même victime ou pas.

Tableau I

Caractéristiques des victimes

Caractéristiques des victimes

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Dans 90% des cas, les agressions ont frappé des victimes en dehors du milieu familial.

Activités criminelles supplémentaires

Quant aux problèmes avec la justice et à l’implication dans d’autres activités criminelles, un seul mineur de notre échantillon avait commis d’autres infractions en plus du délit sexuel, aussi bien violentes (rixe, atteinte à l’intégrité) que sans violence (vol, rébellion et outrage à personne dépositaire de l'autorité publique).

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, tous les mineurs en question avaient avaient fait l’objet d’une expertise pédopsychiatrique et psychologique, afin d’évaluer leur l’imputabilité et le risque de réitération des actes délictueux.

Dans 70% des cas (Tableau II), lors de la perpétration du délit, la capacité du mineur d’agir avec intelligence et volonté était faible, que ce soit en raison d’un trouble de la personnalité, de la consommation de substances psychoactives ou encore parce que, de manière générale, le niveau de maturité de l’enfant ne lui permettait pas d’avoir une conscience critique de sa conduite ou de contrôler pleinement ses pulsions.

Tableau II

Imputabilité

Imputabilité

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Trente pour cent des sujets (Tableau III) ont été considérés comme socialement dangereux lors de l’expertise, avec une probabilité significative de réitérer le délit.

Tableau III

Dangerosité sociale

Dangerosité sociale

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Caractéristiques psychosociales

Nous avons examiné certaines caractéristiques du milieu où se sont développés les troubles comportementaux et psychopathologiques des sujets en question, en se référant aux catégories de l’Axe IV du DSM-IV-TR concernant les facteurs de stress psychosociaux et environnementaux.

Les facteurs de stress environnementaux négatifs et la présence ou pas de soutiens appropriés pour y faire face “…outre à jouer un rôle dans l’apparition d’un trouble mental ou dans son amplification, [ils] peuvent également être la conséquence de la psychopathologie ou encore donner lieu à des problèmes qui méritent d’être pris en considération dans le plan général du traitement”, comme l’indique le Manuel (American Psychiatric Association, 2000).

Au delà du bas niveau socio-économique (qui, toutefois, ne semble pas représenter un facteur de risque spécifique dans le cas des délits sexuels), 50% des sujets examinés vivaient dans un quartier sensible, dans des conditions de marginalisation et de malaise social.

Tableau IV

Occupation des parents

Occupation des parents

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Tableau V

Occupation des mineurs

Occupation des mineurs

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Tableau VI

Conditions de travail des mineurs

Conditions de travail des mineurs

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Tableau VII

Conditions de logement des mineurs

Conditions de logement des mineurs

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Tableau VIII

Conditions socio-économiques

Conditions socio-économiques

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Caractéristiques des milieux

Au niveau familial, les foyers des mineurs auteurs d’agressions sexuelles semblent être souvent caractérisés par une instabilité et une absence de ressources, l’échec des relations d’attachement sécure, la promiscuité et l’exposition précoce aux comportements sexualisés des adultes, les situations d’abus (Shaw et al., 1993; AACAP, 1999; Lee et al., 2002). Des psychopathologies affectant l'un des parents, voire les deux, ont été observées dans plusieurs cas.

Les données relatives à notre échantillon sont reportées dans les tableaux suivants.

Tableau IX

Caractéristiques parentales

Caractéristiques parentales

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Tableau X

Malaise familial

Malaise familial

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Le malaise au niveau familial semble être présent dans la quasi totalité des sujets : 40% étaient orphelins d’un parent ; dans 50% des cas, un des parents, voire les deux, était atteint de troubles psychiatriques tandis que 20% présentaient des problèmes d’abus d’alcool ou de substances stupéfiantes, des comportements délinquants, des pathologies chroniques ou des incapacités. Le niveau culturel est bas, 90% des parents ne possédant qu’un certificat d’études du premier cycle.

Facteurs de risque reliés au milieu scolaire

Les mineurs auteurs d’agressions sexuelles sont souvent sous-performants à l’école, aussi bien au niveau du comportement que de l’apprentissage (U.S. Department of Justice, 1997; Hawkins et al., 2000). Le décrochage scolaire affectait 70% de notre échantillon. Tous les sujets examinés ont affiché des performances scolaires inférieures à la moyenne dès l’école élémentaire, ou des niveaux d’apprentissage insuffisants au collège. Presque tous étaient des redoublants, voire des multi-redoublants.

Facteurs de risque liés au développement

Nous avons pris en considération tant les aspects neurobiologiques que ceux du développement. Suivant le modèle bio-social de vulnérabilité, certaines études (cf. Sabatello et al., 2004) ont relevé une corrélation élevée entre des complications obstétricales ou une certaine souffrance périnatale (associées à d’autres facteurs de risque psychosociaux) et une probabilité accrue de mise en place d'un comportement destructif et antisocial. La présence de difficultés au niveau du développement du langage, assortie du risque élevé de troubles de l’apprentissage à l’âge scolaire, peut constituer un facteur de vulnérabilité qui, associé aux stress psychosociaux, pourrait favoriser l’apparition de troubles psychiatriques dans l’âge évolutif (Hunter, 2000; Donahue et al., 1994). Des sujets examinés, 30% avaient présenté une souffrance périnatale et, selon toute probabilité, 30% avaient manifesté un trouble lié au développement du langage. Ces donnés sont tirées principalement des récits des parents et des sources anamnestiques disponibles. Aucun des garçons n’a jamais été soumis à un test du langage.

La plupart des individus de notre échantillon (Tableau XI) ont déclaré avoir eu, antérieurement au délit, quelques troubles émotionnels et comportementaux et, notamment, de graves difficultés d’intégration au groupe de pairs. Seuls deux d’entre eux avaient été soumis à un examen pédopsychiatrique suite à une recommandation de l'établissement scolaire, en raison de performances scolaires insuffisantes, dans un cas, et de troubles du comportement, dans l’autre.

Pour chaque individu, l’âge d’apparition des troubles indiqués ci-dessus a également été pris en considération.

Tableau XI

Antécédents neuropsychologiques et psychopathologiques

Antécédents neuropsychologiques et psychopathologiques

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D'après les données ci-dessus, 30% des sujets ont manifesté des symptômes assimilables au TDAH, survenus avant l’âge de trois ans et 50% des cas ont fait état de troubles comportementaux à l’âge préscolaire (nous avons pris en considération des symptômes assimilables à la catégorie diagnostique du Trouble oppositionnel avec provocation); deux sujets avaient présenté de graves comportements violents et destructifs à l’âge scolaire, assimilables aux Troubles du Comportement (les mêmes garçons avaient présenté à un âge inférieur des caractéristiques d’hyperactivité, d’opposition et de provocation).

La plupart des sujets (70%) ont présenté assez précocement de graves troubles de socialisation, conformément à toutes les études de la littérature qui considèrent la difficulté d’intégration dans le groupe de pairs comme une des caractéristiques constantes chez les mineurs délinquants sexuels (Fehrenbach et al.,1986; Richardson et al., 2004; Långström & Grann, 2000). Trente pour cent des sujets ont présenté une forte anxiété de séparation à l’époque de leur entrée à l’école élémentaire.

Pour ce qui est des habiletés cognitives, 60% des sujets présentent un déficit cognitif. Les résultats obtenus sont dans la continuité de ceux exposés dans la littérature internationale (Ferrara & McDonald, 1996), à savoir un pourcentage considérable (30% des cas) de profils cognitifs fortement inhomogènes, dont les performances verbales sont les plus compromises. Il y a lieu de supposer, pour certains cas, une inhibition cognitive grave d’origine affective, associée à une scolarité déficitaire et à une hypostimulation socio-environnementale. Il en découlerait un cadre assimilable au Retard Mental, dont l'origine remonterait toutefois à un trouble d'ordre psycho-affectif plutôt qu’à des causes organiques. En effet, dans la plupart des cas, le profil issu du test cognitif n’était pas complètement compatible avec un Retard Mental spécifique, pour lequel on s’attendrait à plus d’homogénéité. En particulier, nous avons relevé des capacités linguistiques limitées, notamment en ce qui concerne les aspects de l’expression et de la communication, et une préférence pour l’action.

Présence de comorbidité psychiatrique et expériences d’abus

Conformément aux données de la littérature (Shaw et al., 1993; 1996; A.A.C.A.P., 1999; Andrade et al., 2006) notre échantillon, bien que réduit, comporte un taux élevé de comorbidité avec des troubles psychiatriques (Tableau XII) et notamment avec des Troubles de l’Axe II, Cluster B (Trouble Borderline, Narcissique et Antisocial).

Tableau XII

Comorbidité psychiatrique

Comorbidité psychiatrique

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Même les sujets pour lesquels un diagnostic psychiatrique n’a pas pu être établi clairement ont témoigné d’immaturité, surtout au niveau affectif, et de capacités restreintes d’entretenir des relations significatives avec les autres. Chez la plupart d’entre eux, les modèles de relation avec les autres semblaient caractérisés par des démarches de type pouvoir/assujettissement, pouvant être mis en corrélation avec des expériences antécédentes de victimisation sexuelle (50% de l’échantillon) ou d’autres formes d’abus (70% des cas).

Tableau XIII

Abus intra-familial (physique, psychologique, pathologie des traitements)

Abus intra-familial (physique, psychologique, pathologie des traitements)

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Tableau XIV

Expériences de victimisation sexuelle

Expériences de victimisation sexuelle

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Dans la deuxième partie de notre étude, les variables décrites ci-dessus ont été mises en corrélation avec les résultats obtenus à la PCL:YV par les mineurs agresseurs sexuels.

Pour ce qui concerne les antécédents neuropsychologiques et psychopathologiques, et les caractéristiques psychopathiques, les corrélations significatives suivantes sont ressorties:

  • la présence de troubles précoces du comportement (notamment d’opposition avec provocation) est correlée de manière significative avec tous les Facteurs de la PCL:YV et le Score Total;

  • de graves troubles comportementaux, survenus dans l’enfance, et caractérisés par une destructivité et une violence intenses, ont une corrélation avec le Score Total (Significativité de F : 0.010) et, notamment, avec ses aspects comportementaux (Comportement, Significativité de F : 0.004) et antisociaux (Antisocial, Significativité de F : 0.003).

Les garçons ayant connu une souffrance périnatale ont présenté, en moyenne, un score plus élevé au Facteur Antisocial de la PCL:YV (Significativité de F : 0.095) par rapport à ceux qui n’avaient pas présenté ces complications. Ce résultat semble conforme au modèle étiopathogénétique, selon lequel des dysfonctions cérébrales légères, surtout localisées au lobe frontal, seraient à la base du comportement antisocial, surtout lorsqu'elles sont associées à l’impulsivité (Brower & Price, 2001).

La présence de difficultés dans l’apprentissage du langage est en légère corrélation avec le score Total (Significativité de F : 0.069) et les Facteurs Affectif et Comportemental de la PCL:YV (Significativités de F respectives : 0.063 et 0.095).

Tout en étant conscients des limitations que pose le nombre restreint des sujets examinés, cette donnée nous paraît tout de même significative, compte tenu de l’importance de l’outil linguistique dans le processus de régulation de soi, dans la communication avec les autres et dans la représentation des émotions.

Le niveau cognitif, et notamment le profil cognitif, caractérisé par une chute dans les sub-tests verbaux (QIP>QIV), est correlé avec le Facteur Affectif (Significativité de F : 0.057).

Les expériences de victimisation sexuelle n’on pas produit de corrélations significatives avec les scores obtenus à la PCL:YV, tandis que le fait d’avoir subi d’autres formes d’abus intra-familial semble être en rapport, de manière significative, avec le Facteur Comportemental (0.051).

Enfin, nous avons administré le Test T de Student à des échantillons indépendants, afin de comparer les scores obtenus à la PCL:YV par les auteurs d’agressions sexuelles et par le groupe de contrôle, constitué de mineurs ayant commis des infractions violentes non sexuelles, dans le but de détecter toute différence statistiquement significative concernant le degré de psychopathie ou certaines manifestations du trouble.

En ce qui concerne le Facteur Comportemental, les résultats indiquent que les auteurs d’infractions violentes non sexuelles affichent, en moyenne, des scores nettement plus élevés (Significativité de T : 0.044) que ceux des agresseurs sexuels. Ces derniers ont toutefois marqué des scores plus élevés au Facteur Affectif, avec une différence moyenne considérable (huit points) mais peu significative au plan statistique (Significativité de T : 0.06).

4. Discussion

La psychopathie est généralement considérée comme un trouble comportant des caractéristiques de personnalité assez stables qui se manifestent précocement au cours de l’enfance. Un diagnostic définitif de psychopathie à l’adolescence (Forth et al, 2003) est presque impossible à effectuer mais nous avons analysé, dans une perspective évolutive, la façon dont l’interaction entre plusieurs facteurs de risque et de protection (biologiques, cognitifs, psychologiques et socio-environnementaux) peuvent déterminer l’apparition de symptômes et de comportements spécifiques lors de différentes étapes avec une attention particulière, dans le cas d’espèce, pour les caractéristiques psychopathiques. Cette perspective ne peut faire abstraction des possibilités évolutives et de transformation de la personnalité d’individus en train de se développer.

Les résultats de l'évaluation des jeunes délinquants sexuels à l'aide de la PCL:YV révèlent que le score Total, considéré comme la mesure donnant la dimension et la gravité des caractéristiques psychopathiques du sujet, indique une corrélation significative avec:

  • la présence de certains problèmes comportementaux précoces ou de graves troubles du comportement pendant l’enfance;

  • la présence de difficultés de socialisation survenues en bas âge;

  • la présence de troubles du développement concernant la sphère du langage (corrélation faible, mais significative).

Dans notre échantillon, le niveau cognitif n’a pas montré de correlation avec le degré de psychopathie, confirmant par là d’autres études (cf. Forth et al, 2003) qui n’ont pas relevé de corrélation significative entre la valeur du QI total (QIT), obtenu par la WAIS-R (Wechsler, 1981) ou par la WISC-R (Wechsler, 1974), et le Score Total de la PCL:YV.

Le Facteur 1 (Interpersonnel), qui représente les caractéristiques relationnelles de la psychopathie, a montré une corrélation significative aussi bien avec certaines variables relatives au type de délit commis (nombre des victimes et abus intra-familial) qu'avec l’existence de problèmes comportementaux précoces, même si d’une façon moins intense.

Le Facteur 2 (Affectif), lié aux aspects tels que l’absence d’empathie et de remords et faisant donc référence à la sphère ”affective” de l’individu, a révélé une corrélation significative avec l’apparition précoce de problèmes comportementaux, ainsi qu’avec le niveau cognitif et notamment le déficit verbal, les difficultés de langage et d’intégration au groupe de pairs.

Le Facteur 3 (Comportemental), c'est-à-dire les aspects liés à l’impulsivité, à la recherche de stimulations intenses (souvent associée à l’abus de substances ou autres conduites à risque) et à d’autres aspects comportementaux de la psychopathie, a mis en évidence une corrélation significative avec la présence de troubles du comportement pendant l’enfance et une corrélation plus faible avec les difficultés de langage et les expériences antérieures d’abus intra-familial.

Le Facteur 4 (Antisocial), lié aux connotations plus fortement antisociales, est correlé avec certaines caractéristiques de la victime (adulte), du délit (des formes plus violentes) et, surtout, avec des troubles comportementaux antécédents, y compris de graves troubles et, d’une manière plus faible mais tout de même significative, avec la souffrance périnatale et la présence d’hyperactivité.

Chez les agresseurs sexuels ce facteur a aussi révélé une corrélation significative avec la présence de graves troubles comportementaux à l’âge scolaire.

Il convient de remarquer que, parmi toutes les variables prises en considération, la présence d’antécédents de problèmes comportementaux est corrélée de manière significative avec chacun des Facteurs de la PCL:YV, ainsi qu’avec le score total. La corrélation entre psychopathie et Trouble du Comportement, dans un échantillon d’adolescents violents, s’est avérée élevée dans beaucoup d’autres études; les scores obtenus par la PCL:YV sont d’autant plus élevés que le nombre de symptômes agressifs est élevé. (Forth, 1995). L'ensemble de la littérature considère que l’apparition précoce d’un Trouble du Comportement est en corrélation positive avec l'obtention de scores élevés à la PCL:YV dans l’adolescence (Gretton et al., 2004).

Quant à la comparaison entre les scores enregistrés à la PCL:YV respectivement par les auteurs d’agressions sexuelles et par le groupe de contrôle, la seule différence significative concerne les aspects comportementaux de la psychopathie, les délinquants non sexuels ayant marqué à ce facteur les scores les plus élevés.

En revanche, les agresseurs sexuels ont obtenu des scores plus élevés au Facteur Affectif, même si la différence est peu significative. Les aspects liés à la mentalisation, qui expriment la capacité de voir l’autre, d’éprouver de l’empathie envers les victimes et des remords à cause de la souffrance provoquée, semblent être moins évidents chez les délinquants sexuels tandis que, dans notre échantillon, les aspects plus comportementaux semblent davantage présents chez les auteurs de délits non sexuels.

Relativement aux adolescents que nous avons analysé, de nombreuses données anamnestiques nous autorisent à penser que la plupart d’entre eux ont été exposés à des situations traumatisantes à un âge précoce, ce qui pourrait avoir conditionné la qualité de leurs rapports avec les figures de référence, par rapport auxquelles le délit sexuel pourrait prendre des caractéristiques de compensation et de revanche.

Malgré les limitations liées aussi bien à la méthodologie qu’au caractère très limité de notre échantillon, cette recherche nous a offert la possibilité d'appliquer l'analyse et l’outil PCL-YV à l'étude d'une population italienne de mineurs ayant commis des délits sexuels. Certains de nos résultats sont conformes à ceux de la littérature internationale (par exemples les données concernant le niveau cognitif, les difficultés de socialisation, la présence de facteurs de risque individuels et socio-environnementaux), ce qui d’ailleurs ne nous a pas surpris.

Par contre, un résultat qui nous paraît intéressant ressort de la comparaison entre les auteurs d’agressions sexuelles et les auteurs d’autres délits violents, par rapport aux scores obtenus à la PCL-YV.

En effet, par rapport au groupe de contrôle, les délinquants sexuels ont présenté des scores plus élevés pour les éléments qui décrivent le Facteur 2 (Affectif) de l’échelle. Malgré une différence peu significative du point de vue statistique, ce résultat nous permet de réfléchir sur une différence essentiellement « qualitative » de la psychopathie entre les deux populations prises en examen. D'après résultats de notre étude, les caractéristiques psychopathiques dépassant l’aspect comportemental et qualifiables d' “affectives” selon la définition de Cleckley dans son essai « The Mask of Sanity » en 1941, seraient donc prédominantes chez les auteurs d’agressions sexuelles.

L’étiologie des personnalités caractérisées par l'indifférence et un certain détachement dans les relations interpersonnelles, par l'absence de remords et d’empathie et par la tendance à exploiter les autres, caractéristiques souvent associées à l'accomplissement de graves actes antisociaux dans l’âge évolutif, demeure presque inconnue.

Certains auteurs (Kimoni et al., 2008), ont associé la présence de ces caractéristiques chez des adolescents anti-sociaux à un déficit dans l’élaboration des stimulations émotionnelles, qui semblerait en rapport avec l’abus subi par ces mineurs ou à leur exposition à la violence, ce qui confirmerait le rôle déterminant des facteurs environnementaux dans l’apparition de ces caractéristiques.

D'autres études allant dans la même direction, sur des échantillons plus étendus, pourraient s’avérer utiles dans une perspective de prévention primaire des comportements sexuels déviants - non sans tenir compte des limitations liées au caractère non-spécifique des facteurs prédictifs - mais surtout dans le but d’identifier les types de traitement les plus appropriés, orientés vers une connaissance plus approfondie des mécanismes pathogénéthiques à l'origine aussi bien des comportements déviants que des caractéristiques spécifiques du sujet auteur de l'infraction et ayant pour objectif la prévention de la récidive.