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Essayer de comprendre les valeurs, les croyances et les préférences des élites décisionnelles de la Commission européenne (ce), tel est le propos de cet ouvrage ambitieux en raison du caractère pionnier de la thématique qu’il traite. Il existe une littérature abondante sur la construction européenne. Comme le souligne l’auteure, ces études peuvent être regroupées autour de deux grands champs : la théorie puisque la construction européenne constitue un laboratoire expérimental propice au renouvellement de la réflexion théorique sur le pouvoir, les institutions, la gouvernance, etc. ; les « areas studies » sectorielles ou géographiques. Essayer de comprendre qui gouverne, comment et sur qui s’exerce ce pouvoir constitue une approche plus sociologique voire sociopsychologique permettant de mieux comprendre la gouvernance européenne et plus précisément au sein de la Commission européenne. En ce sens le sous-titre de cet ouvrage mérite un commentaire puisqu’il donne exactement la tonalité et la portée des analyses développées dans cet ouvrage : « Images de la gouvernance ». L’organisation des chapitres montre bien cette approche par coups de projecteurs sur une réalité qui est multiple et complexe. Preference formation in the European Commission, Men (and Women) at Europe’s helm, Images of Europe, Beyond supranational interest, Capitalism against capitalism, Principal or Agent, Accomodating national diversity sont autant de titres de chapitres suggestifs qui montrent bien la diversité des sujets abordés. Images signifie plus photographie que synthèse achevée.

L’étude repose sur un très important travail de terrain dont 137 entretiens avec des hauts responsables. La démarche méthodologique qui est bien expliquée confère à cet ouvrage des qualités pédagogiques importantes pour les étudiants et jeunes chercheurs et permet de comprendre la portée et les limites des analyses qui sont développées. L’auteure ne délaisse pas pour autant les bases théoriques et témoigne d’une vaste connaissance de la littérature concernant le sujet. Le rappel des différents paradigmes et des axes de recherche privilégiés jusque-là contribue à cerner l’intérêt novateur de son approche. La méthode scientifique choisie par l’auteure impliquait d’entrer dans la mécanique de la ce et le résultat ne pouvait être que de nous montrer une machine beaucoup plus complexe qu’une analyse superficielle ne peut le laisser croire. Depuis Snyder et Allison on sait que la décision est le résultat d’une procédure complexe. Liesbet Hooghe nous dit que la ce n’est pas un acteur unitaire et s’attache à nous expliquer pourquoi. Le constat pourra paraître banal pour certains, mais l’analyse méticuleuse de ses arguments prend tout son sens dans les débats qui concernent aujourd’hui la réforme des institutions européennes. Les éléments d’explication qu’elle a dégagé, de son corpus d’entretiens constituent le principal apport de cet ouvrage puisqu’ils sont autant d’hypothèses et de variables solidement argumentées qui devraient être une référence indispensable pour les études à venir sur le même thème. Le souci de rigueur dans l’argumentation et son caractère minutieux ont cependant pour désavantage de rendre la lecture de ce livre difficile et donc de limiter les publics qu’il pourrait concerner. Ce livre paraît avant tout destiné à un public universitaire averti.