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Le développement durable (dd), voilà bien une expression qui a fait florès et que l’on rencontre tous les jours dans les différents médias. Si bien que l’on est en droit de se demander ce que le vocable représente dans les faits. C’est pourquoi, dans la préface de cet ouvrage, Marc Mormont écrit que le concept de dd court deux risques. D’abord, celui d’un concept qui ne serait qu’incantatoire et qu’on pourrait invoquer à propos de tout. Vient ensuite le risque inverse, le dd se faisant approprié ou confisqué par des discours et des pratiques technico-scientifiques susceptibles de le monopoliser. À ses yeux, le dd prendra tout son sens et son efficacité si les développements juridiques, comme le droit à l’information ou la notion de précaution se poursuivent et dépassent le statut d’expériences isolées pour devenir des procédures nécessaires. Un constat évidemment partagé par l’auteur, E. Zaccaï, ingénieur, philosophe et docteur en environnement rattaché au Centre d’études du développement durable de l’Institut de gestion de l’environnement et d’aménagement du territoire (igeat) de l’Université Libre de Bruxelles. En effet, d’entrée de jeu, il soulève une batterie d’interrogations sur le dd : comment interpréter son succès comme référence ? Les pratiques sont-elles à la mesure des enjeux mis en évidence ? Comment concepts et pratiques sont-ils remis en jeu dans ces contextes ? Répondre à ce questionnement constitue l’objectif de cet ouvrage tiré d’un thèse de doctorat. Un objectif dont l’atteinte répondra aux attentes du lecteur. En effet, ce dernier sera trop heureux d’avoir enfin en main un ouvrage couvrant les multiples aspects de la question et présentés d’une façon à la fois claire, précise et complète.

On aura compris que l’auteur ne se satisfait pas de définitions qui prennent la forme de platitudes telles que la définition de la durabilité ou la soutenabilité vue comme étant un développement économique qui dure comme l’a écrit David Pearce. Celui-ci n’a fait qu’imiter la Banque mondiale, pour qui, en 1992, Sustainable development is development that last. Mais puisque l’on vient de faire allusion à deux concepts utilisés parfois indifféremment, nous trouvons pertinent de signaler l’observation de l’auteur concer-nant le très célèbre rapport Brundtland publié en français à Montréal aux Éditions du fleuve. L’occasion nous avait été ainsi offerte de choisir la meilleure traduction du mot sustainable. Des représentants d’une commission onusienne à Genève avaient alors fortement suggéré le recours au mot soutenable. L’ usage a voulu que le mot durable, aux apparences plus françaises, s’impose. Pour sa part, E. Zaccaï, pour caractériser le dd, retient les cinq caractéristiques suivantes : promotion de la protection de l’environnement, vision mondiale, souci de l’équilibre entre le présent et le futur, recherche d’intégration entre les différentes composantes du développement, affirmation de la nouveauté du projet de dd. Évidemment, elles occupent une place prédominante dans l’ouvrage.

Mais avant de parler durabilité, il s’avérait opportun de parler de développement. L’auteur nous rappelle que le terme développement dans le sens où il est employé depuis un demi-siècle fut utilisé une des première fois par le président Truman en 1949. Dans la même section, une citation d’un rapport de U. Thant, ancien secrétaire des Nations Unies, datant de 1962, signale que le développement n’est pas simplement synonyme de croissance économique comme on doit le signaler constamment. Une citation de F. Perroux, datant de la même époque, nous rappelle que pour l’auteur de L’économie du xxe siècle, le développement se définit par une combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rend apte à faire croire cumulativement et durablement (voilà), son produit réel global. L’auteur n’accorde pas une grande importance au courant antidéveloppement véhiculé par un mouvement interculturel qui regroupe des chercheurs de diverses nationalités pour qui le développement a le tort d’être associé à une vision occidentale de l’évolution de l’humanité.

Il fallait s’y attendre, le fameux principe voulant qu’il faille « penser globalement et agir localement » ne pouvait se voir ignoré. Si, comme le signale l’auteur, il a accompagné la Conférence de Rio (1992), il avait déjà fait l’objet des préoccupations d’entreprises multinationales pour leurs stratégies et initiatives. Des consommateurs l’on repris pour guider leurs comportements dans ce qu’il est convenu de désigner comme étant une « consommation citoyenne » ou « responsable » ou encore « acheter pour un monde meilleur ». C’est ce qui conduit l’auteur à dresser le célèbre schéma triangulaire ayant pour sommets, l’économique, le social et l’environnement. C’est le triangle de l’intégration. Parmi les objectifs sociaux ici représentés, signalons le renforcement des capacités (empowerment en anglais et capacitação en portugais du Brésil). Peut-être pourrait-on ici parler de « capacitation » pour éviter le terme anglais si abondamment employé.

Tout en évoquant le Nouvel ordre économique international (onu 1974), en se rapportant à la mise en forme dans la politique internationale de toutes ces préoccupations environnementales, l’auteur dresse la liste des grandes conférences internationales : 1972, Conférence de Stockholm sur l’environnement humain ; 1974, Conférence de Bucarest sur la population ; 1975, Conférence de Mexico sur les femmes, le développement et la paix ; 1975, Conférence de Lima sur le développement industriel ; 1976, Conférence de Vancouver sur l’Habitat ; 1992, Conférence de Rio sur l’environnement et le développement ; 1995, 4e Conférence sur les femmes à Pékin ; 1996, Conférence d’Istanbul, Habitat ii. Mais c’est l’agenda 21, issu de la Conférence de Rio, qui, bien sûr, reçoit la plus grande attention.

Dans un chapitre intitulé Essais de représentation des limites de l’environnement, l’auteur accorde une grande importance au trop célèbre premier rapport du Club de Rome, publié sous le titre Halte à la croissance. Il dresse une comparaison élaborée avec les thèses du rapport Brundtland. Cette importance accordée au premier rapport du Club de Rome étonne quand on connaît toute la critique qu’il n’a pas manqué de soulever. Alfred Sauvy avait refusé de le commenter sous prétexte que ses auteurs n’étaient pas sérieux. L’ ensemble des critiques avait d’ailleurs incité le Club de Rome à publier deux ans plus tard un deuxième rapport beaucoup mieux reçu : Stratégie pour demain. L’auteur aurait pu s’y référer.

Les économistes accorderont une attention particulière à un chapitre intitulé Approches économiques où sont reprises des définitions d’économistes reconnus. Ainsi, on trouve une citation du prix Nobel de l’économie, Robert Solow qui a écrit : « La meilleure image que vous pourrez prendre est de dire que la durabilité est une obligation de nous conduire de façon à laisser au futur les options ou la capacité d’être aussi bien que nous. La durabilité est une injonction à ne pas nous satisfaire en appauvrissant nos successeurs. » Suivent d’intéressantes considérations sur l’État stationnaire auquel s’étaient intéressés les premiers économistes classiques, dont John Stuart Mill plus particulièrement.

Ces lignes ne rendent pas justice à un ouvrage fort bien documenté sur un sujet très vaste qui ne manque pas de faire couler l’encre depuis maintenant quelques décennies. Le mérite de l’auteur consiste à présenter une brillante synthèse des principales contributions sur un sujet qui, personne n’en doute, continuera encore bien longtemps à hanter les esprits et à susciter les espoirs pour le mieux-être de l’humanité.