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Introduction

L’avènement de la documentation en format électronique ayant révolutionné tant les façons d’éditer que de diffuser, de chercher et de consulter l’information, la question de la publication électronique est devenue incontournable pour tous les acteurs du secteur de l'information. Le passage de l’imprimé à l’électronique a eu un immense impact sur le travail des bibliothécaires, en particulier parce que la mutation s’est si rapidement produite qu’elle a proprement révolutionné leurs tâches.

Ainsi, de nouvelles réalités sont apparues dans le milieu des professionnels de la documentation, notons par exemple une évolution sensible des techniques de documentation, une interaction différente avec les usagères et les usagers, une diversification, une plus grande accessibilité et un accroissement des collections, de même que la possibilité d’introduire du multimédia. Un certain nombre de préoccupations découlent de cet avènement : citons notamment les risques pour la pérennité d'accès, les embargos et la hausse vertigineuse des coûts globaux pour les abonnements. Pour illustrer ce phénomène, nous proposons l’étude du cas de la Bibliothèque des sciences humaines de l’Université de Sherbrooke. En ce sens, après avoir préalablement dressé un bilan de l’évolution des modes d’accès dans les bibliothèques depuis l’avènement de la publication électronique, cet article traitera des expériences passées et présentes au Service des bibliothèques et archives, ainsi que des conséquences, pour ce dernier, du passage à l’électronique sur la recherche documentaire.

Avènement de la publication électronique et évolution des modes d’accès dans les bibliothèques

L’édition électronique voit le jour au début des années 60, à une époque où les ordinateurs de première génération commencent à accompagner l’édition traditionnelle. Puis, environ une quinzaine d’années plus tard, on conçoit déjà la possibilité d’éditer une revue académique en format électronique. « [N. E.] Sondak et [R. J.] Schwartz (1973) ont peut-être été les premiers à concevoir une revue académique publiée en format électronique[1]  » avancent-ils eux-mêmes dans un article paru en 1973 dans le Chemical Engineering Progress. Les premières tentatives concrètes se réalisent à la fin des années 1970 et au début des années 1980, avec la publication de la première revue électronique de Mental Workload [2], très similaire à sa version imprimée, en ligne sur l’Electronic Information Exchange System. Toutefois, pendant la première partie des années 1980, aucun de ces projets ne mène à une réelle évolution vers l’électronique, et ce, principalement en raison de trois problèmes majeurs[3] : un manque de terminaux suffisants pour les principaux acteurs (auteurs et lecteurs), des obstacles d’ordre technologique (problèmes de télécommunication, lenteur du fonctionnement, non-convivialité, etc.) et, surtout, une absence d’intérêt de la part des auteurs qui ne voient aucun avantage à diffuser de cette façon leurs écrits, par crainte du non respect des droits d’auteur, d’une absence de reconnaissance de revues, etc.

À partir de 1985, la percée de la micro-informatique rend possible le soutien du développement de revues en format électronique. En effet, on voit naître différents types de publications diffusées sur le nouveau réseau des réseaux : Internet. Ces premiers titres sont souvent des lettres d’information et quelques publications arbitrées[4]. À la même époque, selon les statistiques de l’Association of Research Libraries [5], on observe le début d’une forte augmentation des prix des publications en série (voir la figure 1), qui n’ont cessé d’aller en grandissant jusqu’à nos jours. Cette hausse de prix entraîne la chute de l’acquisition des périodiques par les bibliothèques. Parallèlement, de fortes restrictions budgétaires dans les universités, causées par la conjoncture économique difficile du milieu des années 1990, entraînent un déclin des collections.

Figure 1

Coût des monographies et des périodiques dans les bibliothèques de l’Association of Research Libraries, 1986-2006[6]

-> Voir la liste des figures

On constate, dans les bibliothèques de recherche canadiennes, une hausse du nombre d’usagers, mais une baisse du montant alloué par étudiant pour l’achat de la documentation. D’autres facteurs influencent l’inflation des prix et l’accroissement du nombre d’écrits savants : un nombre croissant de chercheurs dans le monde, une forte incitation à publier dans des revues scientifiques avec comité de lecture et une concentration de revues savantes réputées au sein des mêmes maisons d’édition. Sans concurrence réelle, ces éditeurs peuvent en effet fixer les prix comme ils le souhaitent. Cette hausse des prix cause en partie ce qu’on a appelé la « crise de la communication savante[7] ».

Émerge alors un nouveau concept, la « bibliothèque virtuelle[8] ». Avec l’ordinateur personnel, on pense pouvoir bâtir un système ouvert permettant à n’importe qui d’accéder à la communication savante sans aucune restriction, plutôt qu’un réseau restreint auquel n’ont accès que de rares initiés. Cela permet entre autres de restaurer le contrôle du savoir par les chercheurs; de fonctionner en réseau; de fournir une place illimitée et d’accepter n’importe quel format; de protéger les intérêts des savants et des organisations en ce qui concerne le droit d’auteur; de disséminer rapidement l’information et de compter sur des prix plus raisonnables.

Au milieu des années 1990, lorsque cette nouvelle approche est développée, on est conscient que le passage à un tel système ne sera pas facile et rapide. Cependant, les pressions économiques et les progrès technologiques vont forcer les acteurs (éditeurs, universités, bibliothèques, etc.) à revoir leur façon de faire. Notons ici l’initiative des Presses de l’Université de Montréal qui créent Érudit[9], une plateforme permettant dès 1998 d’accéder à cinq revues savantes de langue française.

On ne peut encore affirmer aujourd’hui que la révolution numérique a été pleinement accomplie, mais nul ne peut nier les avantages découlant de cette évolution[10]. En effet, le fait que la publication des résultats de recherche peut se faire plus rapidement, que les lecteurs peuvent repérer plus facilement et plus rapidement des articles traitant d’un même thème (avec une banque de données, par exemple), que ces textes bénéficient d’une visibilité qui ne connaît plus les frontières géographiques, qu’il est possible d’intégrer des documents multimédias (hyperliens, sons, vidéos, etc.) dans le texte, qu’un arbitrage provenant des lecteurs est possible, et que la publication peut devenir « interactive » en permettant une plus grande collaboration entre les chercheurs a certainement aidé à démocratiser l’accès à ce type d’information. Il demeure que la publication électronique est toujours en mutation sur le plan technologique, et que la concentration des droits est toujours entre les mains d’un petit groupe d’éditeurs. Pour les bibliothèques universitaires, s’il y a eu un avantage en ce qui a trait à l’accès, surtout avec le développement fulgurant du web, on peut constater que l’offre demeure entre les mains d’oligopoles et qu’il existe une « spirale inflationniste des prix des abonnements des revues, qui met en difficulté les institutions universitaires et de recherche[11] ». Le Service des bibliothèques et archives de l’Université de Sherbrooke s’est révélé et demeure encore aujourd’hui un acteur engagé à l’affût des transformations.

Expériences passées et présentes au Service des bibliothèques et archives

On ne peut aborder la question de l’avènement des publications électroniques à l’Université de Sherbrooke sans jeter un coup d’oeil aux débuts de l’informatisation au sein du Service des bibliothèques et archives. En adaptant ses façons de faire en fonction de l’évolution technologique, le Service a vu la recherche documentaire se transformer.

C’est en 1974 que le Service des bibliothèques et archives, se nommant alors Service de la bibliothèque[12], commence à s’informatiser, spécifiquement quant à l’acquisition et au traitement des ressources (catalogage). À l’hiver 1975, un tout nouveau service de références informatisé est mis sur pied, consistant à permettre l’extraction de références bibliographiques par la consultation de banques de données à distance. L’outil connaît un franc succès jusqu’à ce qu’il soit nécessaire d’imposer des tarifs en fonction de l’usage. À titre d’exemple, on peut se servir du système Medlars pour obtenir, en quelques minutes, des références du domaine biomédical, et ce, pour un coût moyen d’environ 15 $. Ce service, qu’on nomme la « téléréférence » et qui nécessite l’intervention d’un ou d’une bibliothécaire, se poursuit jusque dans les années 1990 avec différents systèmes, dont DIALOG. Ce service finit néanmoins par disparaître, en raison de son coût souvent prohibitif et de l’évolution de la technologie, permettant d’offrir des ressources dont l’accès est moins contraignant. Ensuite, la recherche avec l’aide d’un système informatisé fait son entrée. Toutefois, il faut attendre les années 1980, et surtout les années 1990, marquées par l’arrivée en force d’Internet, pour que l’usage de ressources électroniques devienne une réalité pour la plupart des clientèles du Service.

C’est en mai 1987, après plusieurs années d’analyses et grâce à l’évolution technologique, que les usagères et usagers des bibliothèques peuvent désormais consulter librement un catalogue informatisé développé avec le système Multilis de la société SOBECO. Ce catalogue se nomme alors SIBUS (Système informatique des bibliothèques de l’Université de Sherbrooke), et ce n’est qu’en 1992 qu’il devient consultable à l’extérieur des bibliothèques grâce au protocole réseau Telnet[13] (communauté universitaire et régionale, autres universités du Canada). Ce système vient alors modifier la façon d’effectuer une recherche documentaire pour les usagers et le personnel, puisque, auparavant, on se servait principalement de microfilms et autres sources imprimées pour chercher parmi les collections de l’Université. La possibilité de combiner des termes entraîne notamment une plus grande précision dans la recherche.

Le catalogue ne permettant principalement que la recherche de monographies et de titres de périodiques (et non les articles), l’usage d’index en format papier est nécessaire pour trouver des articles de périodiques. C’est en 1987 que la Bibliothèque des sciences de la santé acquiert les premiers cédéroms de l’index Medline. Dès lors, la recherche documentaire cesse d’être confinée à des sources en format papier. Ces disques sont installés en premier lieu sur l’ordinateur même, puis l’usage de serveurs, dans les années 1990, permet la mise en réseau, soit une décentralisation de l’accès. Dans les années suivantes, plusieurs autres index (ou banques de données bibliographiques) s’ajoutent : ERIC (1989-90, éducation), Compendex (1989-90, génie), Current Contents (1993-94, multidisciplinaire), le réseau local MED-PLUS (1993, interrogation simultanée de plusieurs banques de données bibliographiques, dont Medline), etc. Il faut aussi ajouter à la liste des produits, Business Periodicals OnDisc (BPO), un système constitué d’un poste de visionnement (avec lecteurs), des tours où l’on conserve les cédéroms d’images du texte des articles et les cédéroms-index qui permettent d’effectuer une recherche. De même, la banque de données Repère, qui offre surtout des références bibliographiques d’articles publiés dans plus de 200 périodiques de langue française provenant d’Europe et du Canada, permet d’extraire le texte intégral des articles d’une quarantaine de ces périodiques.

En 1996, on abandonne la version réseau de Medline (en réseau local jusque-là) pour la remplacer par une version Internet. On entre alors dans l’ère du Web et l’accès aux ressources électroniques s’apprête à évoluer à grands pas. C’est à cette même époque que le site Internet du Service est créé pour pouvoir rendre ses services disponibles.

En 1997, on commence à pouvoir compter sur des périodiques au format électronique dont l’intégralité des articles est disponible sur le Web, plutôt qu’uniquement sur des réseaux locaux. À titre d’exemple, mentionnons l’acquisition d’une collection de revues de la MCB University Press, Emerald Intelligence and Fulltext Electronic Library, grâce à une entente consortiale de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CREPUQ). En 1998, on peut compter sur Érudit, une initiative des Presses de l’Université de Montréal qui permet d’accéder à des revues savantes de langue française. En 1999, un projet pancanadien visant à obtenir une subvention de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) pour l’acquisition de licences collectives d’accès en mode électronique voit le jour, le Projet canadien de licences de sites nationales (PCLSN). Grâce à cette entreprise, une multitude de périodiques des secteurs des sciences et de la santé (périodiques d’Elsevier/ScienceDirect, Springer, Association for Computing Machinery, etc.) vont être ajoutés aux collections des bibliothèques universitaires canadiennes. Du fait de cet ajout massif, conjugué aux restrictions budgétaires d’alors, plusieurs abonnements à des revues en version papier seront abandonnés, car il n’aurait pas été possible de payer l’électronique et le papier en parallèle. Pour le secteur des sciences humaines et sociales, l’offre de formats électroniques étant plus limitée, à cette époque, il faudra attendre quelques années pour qu’un projet similaire naisse.

Bien que le catalogue SIBUS ne permette pas encore de recourir à des hyperliens fonctionnels, une liste de périodiques électroniques, créée en premier lieu pour des titres disponibles gratuitement sur le Web, vient donner accès à tous ces périodiques électroniques ajoutés aux collections. Le passage à Internet pour les systèmes intégrés de gestion de bibliothèques (SIGB) rend accessibles, directement à partir du catalogue, les périodiques électroniques. En effet, le remplacement des terminaux de SIBUS par des ordinateurs personnels et l’interface Web du catalogue lancée en 2001 permet une autre approche pour la consultation du catalogue, et donc pour une des façons d’accéder au texte des publications au format électronique.

Jusqu'alors l’accès aux ressources électroniques était limité aux campus de l’Université parce que le Service n’était pas encore en mesure d’assurer l’authentification des usagers. C’est en 1999 qu’il devient possible d’accéder à ces produits électroniques de l’extérieur des campus, pour ceux et celles s’abonnant à Internet par l’intermédiaire du Réseau d’informations scientifiques du Québec (RISQ). Vinrent ensuite le réseau privé virtuel (RPV), qui offre le même service, puis l’authentification avec un serveur Proxy qui simplifie considérablement ce type d’accès. Cette évolution technologique permet une véritable révolution en ce qui concerne l’accès aux ressources électroniques. Les membres de la communauté universitaire profitent alors de plus en plus des périodiques offerts et des autres sources d’informations, peu importe le lieu ou le moment. Ce nouveau mode d’accès fait véritablement sortir la bibliothèque de ses murs, rejoignant de plus en plus l’idée de « bibliothèque virtuelle ».

Au début des années 2000, le Service connaît une expansion de ses ressources en format électronique grâce à une situation financière plus favorable et au fait que plusieurs éditeurs adoptent une stratégie visant entre autres à inciter les institutions universitaires à ajouter aux abonnements au format papier existants une version électronique de leurs périodiques. Cet incitatif prend la forme d’une offre de la version électronique, en parallèle avec le papier, à un coût minime ou tout simplement sans frais supplémentaires. Mais les coûts d’abonnement aux deux supports augmentant d’année en année, bien souvent seule la version électronique est conservée, lorsque les ressources le permettent.

La possibilité de négocier des ententes avec les principaux éditeurs grâce aux consortiums universitaires du Québec (CREPUQ) et du Canada (Réseau canadien de documentation pour la recherche – RCDR) permet, à partir de 2007, l’ajout de plusieurs collections de périodiques en sciences humaines et sociales (Oxford Journals Online, Taylor & Francis, SpringerLink, etc.), tout comme cela s’est fait précédemment pour les secteurs des sciences et de la santé avec le PCLSN, aujourd’hui le RCDR. Comme le prix d’une revue est réduit lorsqu’elle appartient à un ensemble, ce type d’acquisition « bonifie » davantage encore les collections de périodiques de l’Université. Ces collections de périodiques électroniques viennent contrecarrer un peu plus l’effet négatif des embargos dans les banques de données qui offrent du plein texte. En effet, comme de plus en plus d’éditeurs limitent la diffusion du texte pour un certain nombre de mois dans les principales banques bibliographiques et textuelles, le fait d’avoir accès à des regroupements sans embargo simplifie les requêtes de l’usager, qui n’est plus obligé de commander ailleurs les articles se situant dans la zone sous embargo. Par contre, il devient alors obligatoire de se fier à des collections qui ne sont pas sur place et dont la pérennité d’accès n’est pas toujours assurée. De plus, l’achat d’ensembles a l’effet pervers d’homogénéiser les collections des bibliothèques universitaires : pour développer une certaine spécificité au sein d’une bibliothèque, il est nécessaire d’investir des budgets spécifiquement consacrés à des titres particuliers.

Il demeure qu’afin de répondre aux besoins croissants des chercheurs et des membres de la communauté universitaire, qui veulent avoir accès à un nombre grandissant de ressources disponibles rapidement et à distance, tel que cela est rendu possible par Internet, les bibliothèques universitaires n’ont pas d’autre choix que de remettre en question le maintien de collections de périodiques au format papier, cela, évidemment, dans la mesure où la pérennité d’accès peut être assurée et que l’utilisation peut le justifier.

En 2000-2001, pour la première fois, le Service achète des livres en format électronique. Quatre institutions de la CREPUQ, dont l’Université de Sherbrooke, acquièrent ensemble 2045 livres de langue anglaise – puisque l’offre de livres en français reste à cette date embryonnaire – accessibles par le portail Web NetLibrary de la société Coutts[14]. À cette époque, ces ouvrages ne sont consultables qu’à l’écran et l’on ne peut imprimer qu’un nombre limité de mots. L’installation d’un plugiciel est nécessaire pour pouvoir les consulter sur un ordinateur et on peut les emprunter pour une période de 24 heures. Ces livres s’avèrent cependant peu utilisés, surtout à cause du fait que l’on ne peut ni télécharger le texte – possibilité déjà présente avec les articles de périodiques (en format PDF, par exemple) – ni avoir l’ouvrage en main comme avec le papier. En l’absence de succès, le Service attendra quelques années avant de poursuivre le développement de ce type de document. Néanmoins, progressivement, des monographies s’ajoutent à plusieurs banques de données bibliographiques qui, jusque-là, offraient surtout des articles de périodiques.

En 2008, toujours grâce à des ententes consortiales du Québec et du Canada, plusieurs milliers de livres sont acquis auprès d’éditeurs tels Les Presses de l’Université du Québec, Springer et Taylor & Francis. Avec les portails Canadian Electronic Library (ebrary.com) et MyiLibrary de Coutts, et avec l’ajout de tous ces titres dans le catalogue Crésus (anciennement SIBUS), l’accès à ces documents et leur consultation devient une réalité pour les usagers. La crise perpétuelle de l’espace disponible dans les bibliothèques, combinée à l’avantage d’offrir de l’information à distance, donne un intérêt certain à l’émergence du livre au format électronique. De même, on observe depuis ces dernières années une hausse de l’offre du livre électronique, que ce soit des monographies ou des ouvrages de référence. Les débuts furent pourtant difficiles pour ce type d’ouvrages, en raison notamment d’une très grande variété de supports souvent non compatibles et d’une résistance de la part des consommateurs. Mais grâce à l’avènement d’outils tels le Palm pilot ou le Kindle d’Amazon, l’offre accrue d’articles de périodiques en format électronique et la présence d’une multitude des livres accessibles en consultation gratuite sur le Web (pensons, par exemple, à Google Recherche de livres, au Projet Gutenberg, ou encore à Europeana) le marché a rapidement progressé ces dernières années. Par conséquent, les bibliothèques universitaires consacrent désormais une part plus importante de leurs budgets à l’achat de livres électroniques.

Le livre en version papier reste malgré tout un choix privilégié par plusieurs usagers. Pour certains types d’ouvrages, tels les romans et des documents requérant la lecture de la première à la dernière page, l’imprimé garde sa préséance. Qui plus est, l’offre de livres électroniques en français étant limitée, le Service des bibliothèques et archives de l’Université de Sherbrooke continue aujourd’hui encore d’acquérir la majorité de ses ouvrages en format papier. Il n’en demeure pas moins que plusieurs recherches[15] laissent à penser que le passage du livre imprimé au livre électronique est en voie de se faire, tout comme ce fut le cas pour les périodiques. Les bibliothèques universitaires profitent de plus en plus de la possibilité d’avoir un coût par livre plus intéressant lors de l’achat qu’offrent les consortiums en proposant la vente par collections. Cette même stratégie déployée par les portails de revues a permis au Service de faire croître ostensiblement les périodiques en format électronique offerts aux usagers.

En 2008, toujours grâce au consortium pancanadien RCDR, le Service acquiert des archives pérennes (JSTOR et Periodicals Archive Online) de plusieurs périodiques en sciences humaines et sociales de haut calibre. Ainsi, il devient possible de retrouver le texte d’articles ayant été publiés il y a nombre d’années, ce qui constitue un complément aux abonnements actifs. Il faut enfin noter que l’édition électronique ne se restreignant pas uniquement qu’aux périodiques et aux monographies, des données statistiques (produits de Statistique Canada, par exemple) ainsi qu’une foule de ressources multimédia (différentes sources en musique, des encyclopédies et des dictionnaires, etc.) s’ajoutent constamment à l’offre du Service des bibliothèques et archives.

Ayant évolué de moins d’une dizaine d’index en format électronique à la fin des années 80 à près de 20 000 abonnements (plus de 300 banques de données, des milliers de périodiques, etc.) et près de 30 000 livres électroniques en 2009, la publication électronique est maintenant bien ancrée dans les habitudes des usagers, ainsi que dans la pratique professionnelle du personnel du Service. Les développements technologiques et l’évolution du Web, créant des attentes chez les usagers, forcent indéniablement le Service des bibliothèques et archives à adapter son offre de service, en fonction des possibilités des supports électroniques, et bien sûr de ses ressources financières. En peu de temps, les formats électroniques ont bouleversé les façons d’effectuer la recherche documentaire, une des principales fonctions des bibliothèques universitaires.

Les conséquences sur la recherche documentaire

Au-delà de l'édition, le type d'accès conditionne le repérage, la consultation et l'assimilation des écrits. Avec l’arrivée de plus en plus marquée de sources au format électronique, la façon de chercher l’information a certainement évolué. En effet, en ce qui a trait tant à la rapidité d’accès qu’à la diversification et à la croissance du nombre de collections offertes, l’expérience de recherche des usagers diffère aujourd’hui de celle de leurs prédécesseurs d’il y a à peine 20 ans. Auparavant, les outils de recherche et les types de collections, principalement imprimés, rendaient les individus « captifs » des bibliothèques. Internet a contribué à changer cette donne en multipliant de manière significative l’accès à l’information. Cependant, la multiplication des sources peut entraîner une surabondance de résultats qui force une personne à investir un temps considérable pour repérer l’information désirée, sans parler du fait qu’il peut être difficile d’évaluer la qualité et la fiabilité de l’information trouvée. Dès lors, on fait encore appel aux professionnels de l’information pour de l’aide quant au choix des sources les plus pertinentes, pour préciser ses besoins informationnels, ainsi que pour se procurer les documents trouvés. À noter aussi que les bibliothèques universitaires sont souvent des intermédiaires privilégiés entre les usagers et les sources d’informations payantes, ce qui constitue un avantage indéniable pour l’enseignement et la recherche. En effet, les rabais obtenus grâce à des consortiums (créés à l’initiative des bibliothèques) et à la nature même de ces bibliothèques permettent aux institutions d’enseignement supérieur de profiter de différentes sources qu’il serait difficile de se procurer autrement.

Néanmoins, même si on a observé ces dernières décennies une nette évolution en ce qui concerne les moyens, il demeure que le but recherché par les étudiantes et étudiants, professeures et professeurs, chercheures et chercheurs, ainsi que tous les autres membres de la communauté universitaire, est de trouver l’information qui correspond le mieux à leurs besoins. Cela signifie, pour le personnel de référence des bibliothèques universitaires, de poursuivre sa mission d’aide à l’usagère ou l’usager, notamment en le guidant dans l’identification de ses besoins, en préparant avec elle ou lui une stratégie de recherche et en l’orientant vers les sources les plus appropriées pour ses recherches. Ainsi, on parle souvent du développement de l’habileté informationnelle chez les membres de la communauté universitaire. Même si celle-ci n’est pas toujours acquise[16], elle reste centrale pour tous ceux et celles qui doivent déterminer la nature et l’étendue de ce qu’ils cherchent, savoir comment y accéder le plus efficacement possible et, enfin, évaluer l’information trouvée pour l’utiliser en fonction d’un objectif spécifique[17].

Ce qui a surtout changé, ce sont les outils de recherche et les supports sur lesquels l’information est offerte. De même, les attentes des usagers ont évolué avec l’évolution du Web. En effet, les habitués du numérique, issus de diverses générations[18], ont l’habitude d’une instantanéité de livraison de l’information à la suite d’une recherche toute simple avec des outils tels que Google. Qui plus est, avec les bulletins de nouvelles en continu, puis avec les médias sociaux comme Facebook et Twitter, la diffusion instantanée de l’information devient monnaie courante. Or la recherche documentaire en bibliothèque peut nécessiter plusieurs jours d’attente, avant l’obtention d’un texte non disponible dans les collections de l’établissement, par exemple. De même, les outils de recherche de sources spécialisées exigent souvent de se familiariser avec une interface de recherche qui est parfois plus complexe que celles qui ont été grandement simplifiées, comme Google. Ces différences peuvent causer des désagréments, mais parfois permettre une recherche plus fine, donc de meilleurs résultats.

L’avènement de l’électronique aura fait croire à plusieurs que tout est désormais accessible rapidement, sans obstacle. Cependant, même si les sources sont de plus en plus abondantes, pour des raisons souvent commerciales et financières, il n’est pas possible de tout trouver. Certains périodiques sont trop coûteux, des données financières s’avèrent difficilement accessibles, etc. Il devient de plus en plus difficile de faire comprendre aux générations qui ont toujours connu le Web, ou aux usagers toujours à l’affût des innovations technologiques, qu’il est parfois encore nécessaire de se servir de sources en format papier ou d’index n’offrant qu’une simple notice et un résumé d’un article.

Le fait d’avoir accès au texte de milliers de documents à tout moment et de chez soi conditionne les attentes des usagers. Par ailleurs, avec l’émergence du Web 2.0, on parle de plus en plus de ces réseaux sociaux qui permettent à tous de créer du contenu pouvant parfois se substituer aux sources d’information plus traditionnelles. À titre d’exemple, mentionnons l’Encyclopaedia Britannica qui met sa réputation en jeu afin de suivre le modèle de Wikipédia. Même si l’information disponible dans le plus fameux des wikis n’est généralement pas perçue comme étant aussi crédible que celle trouvée dans Britannica, les utilisateurs ne semblent pas s’en inquiéter outre mesure[19].

De plus, avec le livre et le périodique au format électronique, on peut observer une tendance à se servir de bribes d’information dispersées parmi une grande variété de titres. Cette façon de faire, surtout observée avec le livre, contraste avec l’époque où l’on était porté à consulter un certain nombre documents mais dans leur intégralité. Cela peut avoir pour conséquence une plus grande difficulté à mettre en contexte l’information trouvée. En ce qui concerne la formation à la recherche documentaire, le fait d’avoir accès à autant d’information sur le Web a également pu laisser croire qu’il était désormais possible de faire abstraction des ressources plus spécialisées offertes dans les bibliothèques académiques, ce qui n’est pas toujours le cas. L’une des tâches des bibliothécaires est d’aller à la rencontre des membres de la communauté universitaire et d’attiser leur intérêt en leur montrant tout ce qui est disponible en marge du Web. Notons aussi que l’abondance des sources et la mutation constante des interfaces et des façons de se procurer du texte poussent les bibliothèques à offrir des activités de formation plus élaborées qu’auparavant. Surtout, il importe que le personnel se tienne à jour et adapte en permanence le contenu des présentations aux générations qui se succèdent.

Ainsi, les bibliothécaires tentent de demeurer plus que jamais à l’affût des nouvelles technologies qui peuvent les aider à répondre aux attentes d’aujourd’hui – par exemple, la présence de liens pointant vers les ressources des bibliothèques dans Moodle, un « environnement facilitant la mise en ligne de sites de cours[20] ». Notons aussi le lien qui existe entre certaines sources payées par l’Université de Sherbrooke et Google Scholar, ce qui permet aux chercheurs de pouvoir obtenir directement le texte intégral d’une citation (avec l’hyperlien « Obtenir le texte UdeS ») en n’ayant qu’à s’authentifier comme membre de notre communauté universitaire.

On le constate : même les outils plus traditionnels (catalogues et banques de données) sont en pleine mutation, ce qui ajoute une plus-value à la recherche documentaire. Les sources deviennent de plus en plus « interactives », notamment avec la suggestion de sujets en fonction des mots-clés lancés par l’usager. De même, l’intégration à nos pratiques des dernières innovations, telles la recherche par facettes (hyperliens permettant de préciser ou de relancer la recherche avec des concepts en lien avec ce que l’on vient de trouver), la possibilité de créer son profil de recherche accompagné d’alertes offrant une veille informationnelle adaptée à ses besoins, les composantes multimédias (sons, images, vidéo, etc.), la recherche relayée (exemple : SFX qui permet de voir rapidement si on a le texte à partir d’une référence), la métarecherche – une fonction de consultation de différentes sources de façon simultanée – et la possibilité de construire et d’annoter sa propre bibliothèque de livres électroniques puisés dans les collections des bibliothèques universitaires illustrent éloquemment le fait que le domaine des sciences de l’information est en perpétuelle adaptation en ce qui concerne la recherche et l’électronique.

Conclusion

En somme, même si les mutations technologiques ont entraîné l’évolution de l’offre et la recherche de l’information, il n’en demeure pas moins que les bibliothèques universitaires sont à même de proposer un accès à des documents et des données de qualité. En dépit de ce fait, reste un défi bien réel : celui d’intéresser les usagers et de répondre à leurs besoins, en proposant une plus-value par rapport à la myriade de possibilités existantes pour trouver de l’information. Il faut donc continuer d’adapter l’offre de service en fonction des attentes des membres de la communauté universitaire, mais aussi leur faire savoir que l’expertise du personnel en matière de recherche documentaire pour repérer et consulter de l’information peut toujours être mise à profit.

Durant ces dernières années, le Service des bibliothèques et archives de l’Université de Sherbrooke a constaté une accélération du passage à l’électronique de tout ce qui se publie et se diffuse dans le domaine des sciences humaines et sociales. On peut se demander alors si l’imprimé sera encore prépondérant dans le futur, ou s’il cédera totalement la place au numérique. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que l’édition électronique est bien implantée dans les habitudes de recherche informationnelle. Il faut donc que les bibliothèques académiques continuent à jouer le rôle d’un acteur dynamique dans ce passage à l’électronique. Comment cela se fera-t-il? Après plusieurs millénaires d’adaptation, les bibliothèques semblent prêtes à toute éventualité.