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Introduction

La problématique de la défaillance de l’entreprise retient l’attention des chercheurs depuis de très nombreuses années (Fitzpatrick, 1932). Marquée dans un premier temps du sceau de la seule prédiction de la défaillance financière des entreprises, cette recherche a profondément évolué au cours des quatre dernières décennies, intégrant progressivement une dimension plus organisationnelle à ses angles de recherche traditionnels.

Ainsi, depuis la fin des années 1970, une série de chercheurs ont abordé ce phénomène dans une perspective de prévention. Au lieu de proposer, dans une perspective de prédiction, un diagnostic du risque de défaillance des entreprises à court terme (Altman, 1968), ces chercheurs tentent de mieux comprendre la défaillance de l’entreprise afin de l’anticiper et de la prévenir. Ils suivent ainsi les préceptes d’Argenti (1976), pour qui seule une approche complète qui remonte jusqu’aux causes fondamentales de la défaillance et qui explique comment les événements se sont enchaînés permet réellement une anticipation et une prévention de ce phénomène.

Certains chercheurs inscrivant leurs travaux dans cette seconde perspective, tels Argenti (1976), Laitinen (1991) et Thornhill et Amit (2003), démontrent que le processus de défaillance peut différer d’une entreprise à l’autre, notamment en fonction de ses caractéristiques intrinsèques (âge, taille, secteur d’activité) et des causes fondamentales de sa défaillance. Selon ces auteurs, toutes les entreprises n’entrent donc pas pour les mêmes raisons et n’évoluent pas de la même manière dans un processus de défaillance.

L’identification de différents profils d’entrée dans un processus de défaillance est donc très judicieuse dans une perspective de prévention. En effet, à partir du moment où les causes fondamentales de la défaillance d’une entreprise sont détectées, son dirigeant (ou ses conseillers) a les informations nécessaires pour enclencher un éventuel processus de redressement : il reste à trouver les remèdes adéquats pour redresser durablement sa situation.

Cependant, après avoir examiné les recherches inscrites dans une perspective de prévention de la défaillance, force est de constater que peu d’entre elles mettent en évidence une typologie (ou une taxonomie) expliquant les différents profils que peuvent avoir les entreprises lorsqu’elles entrent dans un processus de défaillance. Seuls Argenti (1976), Malecot (1981), Thornhill et Amit (2003) et Ooghe et De Prijcker (2006) ont publié ce type de recherche.

Par ailleurs, aucune recherche ne semble proposer une typologie (ou une taxonomie) focalisée sur les micro- et petites entreprises en difficulté alors que l’importance que revêt l’étude de la défaillance de ce type d’entreprises est démontrée massivement dans la littérature (Cochran, 1981 ; Wichman, 1983 ; Bates et Nucci, 1989). En effet, ces entreprises occupent une place considérable dans le paysage économique tant européen qu’américain (Birch, 1987) et elles contribuent donc fortement à la création d’emplois et à la dynamisation du paysage économique régional. Par ailleurs, la défaillance de ce type d’entreprises est fréquente et particulière (Birch, 1987 ; Julien, 2005) en raison de ses caractéristiques particulières : ressources financières et organisationnelles limitées, rôle central occupé par le ou les propriétaires-dirigeants, forte dépendance à l’égard de l’environnement, etc. (Julien, 2005).

Partant de ces constats et sur base d’une analyse inductive et qualitative, cet article propose une taxonomie originale. Focalisée sur les micro- et petites entreprises en difficulté, cette dernière met en évidence sept profils particuliers d’entrée dans un processus de défaillance.

Cet article est structuré comme suit. La première partie permet de clarifier quelques concepts clés liés à la thématique de la défaillance des entreprises. La seconde partie présente les principaux éléments du cadre opératoire de cette étude inductive en montrant qu’elle repose sur un échantillon de 50 micro- et petites entreprises en difficulté et qu’elle est principalement fondée, comme le préconisent Mayer et Ouellet (1991), sur l’analyse du contenu de 50 entretiens organisés au tribunal de commerce entre un juge consulaire et les dirigeants de ces entreprises. Dans une troisième partie, les résultats de notre analyse sont présentés. Ces derniers sont ensuite comparés aux enseignements des recherches précédentes sur le sujet afin de déterminer s’ils sont cohérents et si le fait d’avoir focalisé notre recherche sur les micro- et petites entreprises a un impact sur les résultats obtenus. Finalement, la conclusion de notre étude ainsi que ses principales limites sont présentées.

1. Clarification des concepts clés

1.1. Le concept de défaillance

Dans une perspective de prévention des défaillances, une définition relativement large de ce concept, qui permet d’appréhender le pourquoi – origine – ou le comment – processus – de la défaillance, paraît souhaitable. En effet, seuls des remèdes aux problèmes fondamentaux des difficultés de l’entreprise permettent un redressement durable de sa situation (Argenti, 1976 ; Slatter et Lovett, 1999).

La défaillance de l’entreprise est un phénomène dynamique. Une entreprise ne passe donc pas d’un état de non-défaillance à un état de faillite d’une manière soudaine (Luoma et Laitinen, 1991). En effet, si aucune action corrective n’est prise pour redresser sa situation, l’entreprise défaillante s’enfonce dans un processus de défaillance plus ou moins long. Ce dernier se matérialise par la détérioration croissante de la situation organisationnelle et financière de l’entreprise et se termine éventuellement par la faillite juridique ou légale de l’entreprise, situation ponctuelle caractérisée par la survenance concomitante d’une double crise de solvabilité et de liquidité[4]. Dans une perspective déterministe, la modélisation du processus de défaillance proposée par Crutzen et Van Caillie (2007) montre que, même si ce dernier peut varier d’une entreprise à l’autre, quelques grandes étapes communes à toutes les entreprises peuvent être relevées : l’origine de la défaillance, l’apparition et la détérioration des symptômes de défaillance, le passage au rouge des clignotants et la faillite (voir figure 1).

Plus concrètement, à partir de ce modèle, trois catégories principales d’entreprises peuvent être retenues en fonction de leur degré d’avancement dans le processus de défaillance.

Premièrement, une entreprise est (de manière logique) considérée comme « défaillante » dès le moment où elle entre dans un processus de défaillance. Comme le souligne la figure 1, l’entrée dans ce processus est toujours fondamentalement liée à des manquements dans (au moins) une des deux dimensions suivantes (Hambrick et D’Aveni, 1988) : l’environnement managérial et l’environnement externe de l’entreprise. Ces deux types de manquements conduisent à des erreurs dans le portefeuille de ressources de l’entreprise (déficiences en termes de ressources immatérielles, humaines, techniques ou financières par rapport aux besoins réels de l’entreprise) ainsi que dans la manière dont ce dernier est mis en oeuvre. Dans ce cas, l’entreprise ne parvient pas à se créer/à maintenir une position stratégique viable et elle entre alors dans un processus de défaillance (Barney, 1991).

Ensuite, si aucune action n’est prise pour redresser la situation de l’entreprise, cette dernière continue à s’enfoncer dans la spirale de la défaillance. Après une période de temps variable selon les cas, la dégradation croissante de la structure et de l’organisation de l’entreprise se traduit par l’apparition et, ensuite, par la détérioration, des symptômes de défaillance (dégradation des indicateurs financiers, notamment). Puisqu’elle peut être reconnue comme telle par des observateurs externes, on parle alors d’« entreprise en difficulté ».

Finalement, une « entreprise en état de faillite » est une entreprise en difficulté dont la situation organisationnelle et financière est fortement détériorée : les symptômes de défaillance sont passés au rouge et la solvabilité ainsi que la liquidité de l’entreprise sont affectées de manière critique.

Même si quelques grandes étapes communes peuvent être mises en évidence dans le processus de défaillance de toute entreprise, certains chercheurs tels que Argenti (1976) et D’Aveni (1989) ont démontré que toutes les entreprises n’entrent pas pour les mêmes raisons et n’évoluent pas de la même manière dans ce processus. Ils affirment que différents profils[5] d’entreprises peuvent dès lors être identifiés aux divers stades du processus (entrée ou sortie du processus, apparition des symptômes de défaillance, etc.), notamment en fonction des caractéristiques intrinsèques des entreprises (âge, secteur d’activité, taille).

1.2. Le concept de micro- et petites entreprises

Dans son ouvrage consacré à la petite et moyenne entreprise (PME), Julien (2005) précise qu’il existe une variété de définitions des PME et que, de plus en plus, la littérature distingue les micro-, petites et moyennes entreprises (Commission européenne, 2003). En effet, la moyenne entreprise a un mode de fonctionnement plus proche de la grande entreprise (plus de formalisation, de décentralisation, de niveaux hiérarchiques, etc.) et l’impact des facteurs humains et psychologiques y est moindre.

La présente étude est ainsi focalisée sur les micro- et petites entreprises[6] car ces entreprises ont des caractéristiques particulières qui les rendent très vulnérables et qui ont un impact sur les causes de leurs difficultés ainsi que sur leur processus de défaillance (Birch, 1987). En effet, comme le souligne Julien (2005), généralement sous l’influence d’un entrepreneur « homme-orchestre », ces entreprises sont des entités organisationnelles de « petite » taille, ce qui induit un faible volume d’emplois directs générés, un faible volume de ressources techniques et immatérielles disponibles, un faible volume de ressources financières engagé, comparativement aux grandes entreprises. Cette petite taille induit un système de gestion peu complexe et souvent peu formalisé (Van Caillie, 2001), une coordination des processus et activités qui y sont déployés (au sens de Lorino, 1991) relativement simple et une forte dépendance à l’égard des principaux acteurs de son environnement.

2. Cadre opératoire

L’objectif de cette recherche est d’identifier les différents profils que peuvent avoir les micro- et petites entreprises en difficulté au moment où elles entrent dans un processus de défaillance. Plus précisément, à partir d’une analyse inductive et qualitative, elle vise à remonter jusqu’à l’origine de la défaillance de 50 micro- et petites entreprises « reconnues en difficulté » par le tribunal de commerce – entreprises convoquées à une séance d’enquête entre septembre et décembre 2006 – et à déterminer si plusieurs profils particuliers d’entrée dans un processus de défaillance peuvent être mis en évidence pour ces entreprises (qui se situent, lorsqu’elles sont convoquées au tribunal, aux stades 2 ou 3 de la figure 1).

2.1. Le service d’enquêtes commerciales du tribunal de commerce

Avant de détailler la méthodologie utilisée, il nous semble nécessaire de résumer le rôle et le fonctionnement du service d’enquêtes commerciales du tribunal de commerce en Belgique (Bayard et Lonhienne, 2003).

Les services d’enquêtes commerciales ont été instaurés en 1997 par le législateur pour suivre en amont la situation des entreprises en difficulté. Ils sont organisés en chambres et séances, et ils détectent les entreprises en difficulté sur base de clignotants. Concrètement, les services d’enquêtes commerciales sont organisés de la manière suivante (différentes phases de l’enquête commerciale).

Dans un premier temps, le service administratif collecte des données sur toutes les entreprises de l’arrondissement judiciaire pour lequel le tribunal de commerce est compétent. Trois types de données sont récoltées :

  • Les données prévues par la loi relative au concordat judiciaire telles que le tableau des protêts, les jugements de condamnation par défaut et les jugements contradictoires, ainsi que la liste des entreprises qui n’ont plus versé les cotisations de sécurité sociale ainsi que la TVA et le précompte professionnel depuis deux trimestres.

  • Les données prévues par d’autres législations telles que les avis de saisie et les comptes annuels.

  • D’autres données telles que les décisions judiciaires, les dénonciations du parquet et les doléances émanant des créanciers.

Ensuite, en fonction de critères particuliers[7], un dossier de dépistage est ouvert. Il est examiné d’office par la chambre d’enquête sans que les dirigeants des entreprises soient présents. Jusqu’à cette étape, seuls les symptômes de la défaillance de l’entreprise sont analysés (indicateurs financiers, plaintes des créanciers, etc.). La chambre prend ensuite une décision : soit de classer le dossier, soit de le transmettre directement au parquet pour une citation en faillite, soit de convoquer les dirigeants de l’entreprise lors d’une séance d’enquête car elle estime que le dossier nécessite de plus amples développements. À ce titre, un juge enquêteur est désigné.

Finalement, en fonction de la décision de la chambre, les responsables de l’entreprise peuvent donc être invités à se présenter à une séance d’enquête devant un juge. Au cours de cet entretien confidentiel de 30 à 45 minutes, le pourquoi, le comment de la défaillance ainsi que les possibilités de redressement de la situation de l’entreprise sont évoqués. L’enquête se termine par la décision du juge qui décide soit de classer le dossier, soit de donner à l’entreprise un délai afin que des actions correctives soient mises en oeuvre, soit, dans le pire des cas, de transmettre le dossier au parquet afin de citer l’entreprise en faillite.

2.2. Échantillon

La présente étude est basée sur un échantillon aléatoire de 50 micro- et petites entreprises (de formes juridiques diverses) ayant été convoquées à une séance d’enquêtes commerciales par le service d’enquêtes commerciales du tribunal de commerce de Liège entre septembre et décembre 2006 (voir tableau 1). Concrètement, si l’on se réfère à nouveau à la figure 1, cet échantillon est composé d’entreprises qui se situent au deuxième ou au troisième stade du processus de défaillance : elles sont « reconnues en difficulté » par un observateur externe – le tribunal de commerce de Liège – qui se base sur des symptômes de défaillance (mauvais indicateurs financiers, retards de paiement auprès des institutions publiques responsables de la TVA, des contributions, des cotisations sociales, etc.).

Le choix de cet échantillon est lié à la difficulté d’accéder aux informations sur les causes de la défaillance des entreprises. Vu que la défaillance d’une entreprise commence généralement par une détérioration de sa situation organisationnelle, qui est uniquement observable en interne dans un premier temps, il est donc difficile, voire impossible, de détecter les entreprises défaillantes lorsqu’elles sont toujours dans les premières étapes du processus de défaillance si l’on n’a pas accès aux données internes de ces entreprises (Hambrick et D’Aveni, 1988 ; Weitzel et Jonsson, 1989). Par ailleurs, même si une fois que l’entreprise s’enfonce dans la spirale de la défaillance, cette dégradation croissante de la situation organisationnelle de l’entreprise devient détectable par des observateurs externes, notamment par la détérioration d’indicateurs financiers clés dans les comptes annuels, il n’est pas toujours aisé de connaître l’origine (toujours organisationnelle) de cette défaillance (Hambrick et D’Aveni, 1988). En effet, les dirigeants ont généralement des difficultés à parler librement des causes à l’origine de la défaillance de leur entreprise, qu’ils considèrent comme une défaite personnelle. De plus, ils n’ont généralement pas le temps (ou ne voient pas l’intérêt) de parler de la défaillance de leur entreprise avec des chercheurs scientifiques car leur seul souci/intérêt est la survie de leur entreprise (Weitzel et Jonsson, 1989).

L’observation des séances d’enquête organisées au tribunal de commerce de Liège est donc une occasion unique en matière de récolte de données qui permet de contrer les difficultés citées précédemment. D’une part, le travail de détection des entreprises en difficulté est effectué en amont par le tribunal. D’autre part, les dirigeants sont invités « légalement », via un courrier officiel émanant du tribunal, à expliquer les raisons fondamentales de leurs difficultés devant le juge consulaire.

2.3. Collecte des données

Deux catégories de données ont été recueillies lors des séances d’enquête : des informations relatives aux caractéristiques intrinsèques des entreprises de l’échantillon (âge, taille et secteur d’activité) et des données liées aux raisons de leur entrée dans un processus de défaillance (quelques mois ou années avant d’être convoquées au tribunal). Concrètement, les facteurs critiques à l’origine de la défaillance de chaque entreprise ont été identifiés au sein d’une grille systématique (tableau 2), cette dernière étant construite à partir des variables mises en évidence au premier stade – origine de la défaillance – du modèle théorique de référence (figure 1).

Les données récoltées peuvent néanmoins être affectées par la subjectivité des différents intervenants : les dirigeants des entreprises en difficulté, le juge consulaire et le chercheur. En effet, les dirigeants des entreprises en difficulté sont souvent stressés et appréhendent le fait de devoir se rendre au tribunal qu’ils considèrent comme une entité pouvant les sanctionner gravement, notamment par la citation en faillite de leur entreprise. Ils peuvent ainsi parfois être tentés de cacher certains éléments au juge. Par ailleurs, ils ont souvent des difficultés à reconnaître et à parler des problèmes éprouvés par leur entreprise, qu’ils considèrent un peu comme leur « enfant ».

Afin de limiter la subjectivité au maximum, nous avons multiplié le nombre de cas observés et, dans la perspective d’une future triangulation (Yin, 1988), nous avons également rassemblé, pour chaque entreprise, une série d’informations financières telles que les bilans, les comptes de résultats et l’évolution des principaux ratios en consultant la base de données financières Belfirst[8].

2.4. Analyse des données

Nos données ont été analysées selon les principes de l’analyse de contenu présentés par Mayer et Ouellet (1991). Ainsi, sur la base de la catégorisation des facteurs critiques à l’origine de la défaillance des entreprises proposée par Crutzen et Van Caillie (2007) (figure 1), des analyses horizontales et verticales approfondies des 50 cas ont été réalisées. Des analyses détaillées de chaque cas (analyses horizontales) et des analyses permettant de relever les points communs ainsi que les différences entre les divers cas (analyses verticales) ont ainsi été alternées. Enfin, tout cas atypique a été utilisé pour enrichir nos résultats.

3. Résultats

Sept profils expliquant l’entrée des micro- et petites entreprises en difficulté dans un processus de défaillance émanent de notre analyse. Plus précisément, ces profils peuvent être regroupés en deux catégories : les profils dominants, qui concernent au moins 25 % des entreprises de l’échantillon et les profils mineurs, qui rassemblent au maximum 10 % des cas.

3.1.1. Profils dominants

Profil 1. Les entreprises en difficulté à la suite de un ou plusieurs chocs externes (12 entreprises sur 50).

Ce premier profil regroupe les entreprises qui ont des difficultés importantes à la suite de un ou différents chocs externes alors qu’elles avaient des performances allant de bonnes à très moyennes avant ces événements. Deux types de chocs externes peuvent être distingués.

D’une part, les chocs provenant de l’environnement concurrentiel de l’entreprise : la perte (défaillance, fin de collaboration, etc.) ou les pressions exercées par un partenaire commercial (fournisseur ou client généralement) dont l’entreprise est fortement dépendante, par exemple.

D’autre part, les chocs provenant de l’environnement macroéconomique de l’entreprise : un bouleversement technologique, une pression politique ou un changement de mode, par exemple.

Néanmoins, comme souligné par Ooghe et Waeyaert (2004), la défaillance de ces entreprises est originellement liée à des manquements internes tels qu’une mauvaise anticipation de l’évolution de l’environnement de l’entreprise, un manque de veille concurrentielle ou stratégique, un manque de précautions ou une mauvaise stratégie commerciale.

Profil 2. Les entreprises avec des performances médiocres depuis leur création (21 entreprises sur 50).

Ce profil peut être scindé en trois catégories. La première catégorie rassemble les entreprises créées à partir d’un mauvais diagnostic de départ par des personnes manquant de capacité d’anticipation et de capacité d’analyse de l’environnement de la (future) entreprise. Ainsi, le plan d’affaires sur lequel est fondée la nouvelle société est inapproprié et une ou plusieurs des lacunes suivantes peuvent être détectées : créativité insuffisante conduisant à un projet manquant d’originalité et de potentiel, ressources insuffisantes ou inadaptées pour faire démarrer l’entreprise (sous-capitalisation, ressources humaines insuffisantes ou trop importantes, par exemple), localisation inadaptée, rentrées surestimées, etc.

La deuxième catégorie concerne les entreprises créées par des « techniciens purs », à savoir des personnes qui ont des compétences largement insuffisantes pour gérer une organisation. L’éventail de compétences en gestion disponible au sein de ces entreprises est souvent limité à un ou deux domaines de la gestion. D’après notre analyse, la gestion commerciale de l’entreprise est souvent satisfaisante mais des lacunes importantes sont constatées en matière de gestion financière (gestion de la trésorerie et calcul des prix de revient, notamment), gestion comptable et gestion administrative. Par ailleurs, dans ces entreprises, les responsables sont généralement incapables de contrôler leur entreprise et d’anticiper son évolution future ainsi que celle de son environnement.

La troisième catégorie regroupe les entreprises créées par des personnes compétentes mais inexpérimentées. Ces dirigeants, par manque d’expérience dans le secteur d’activité de l’entreprise ou en gestion d’entreprise, ont commis des « erreurs de jeunesse », par exemple un mauvais choix en termes de partenaires ou une mauvaise gestion de la trésorerie de l’entreprise.

En règle générale, ce deuxième profil concerne des entreprises reconnues en difficulté lorsqu’elles sont relativement jeunes : 13 entreprises sur les 21 ayant ce profil ont moins de cinq ans lorsqu’elles sont convoquées à une séance d’enquête au tribunal de commerce.

3.1.2. Profils mineurs

Profil 3. Les entreprises en difficulté à la suite de la mauvaise gestion de leur croissance (5 entreprises sur 50).

Ce troisième profil regroupe les entreprises au sein desquelles la question de la croissance a été mal gérée. À la suite de l’accroissement de l’envergure de leurs activités et dans l’attente de développements futurs, les dirigeants ont agrandi ou alourdi la structure de leur entreprise. Ces transformations peuvent poser problème dans certains cas.

D’une part, certains dirigeants n’arrivent pas à gérer convenablement cette structure plus lourde et plus formalisée : ils étaient habilités à gérer une petite structure qu’ils maîtrisaient mais ils ont des difficultés à contrôler une structure plus lourde.

D’autre part, l’accroissement du volume des activités peut être uniquement ponctuel ou, dans certains cas, même si la société s’est bien développée pendant plusieurs années, la situation peut s’inverser alors que les dirigeants n’avaient pas anticipé ce changement (évolution de la demande des clients à la suite des changements dans l’environnement concurrentiel, par exemple). Les dirigeants se retrouvent alors avec une structure beaucoup trop lourde à gérer (et à financer) par rapport au rendement des activités de l’entreprise.

Profil 4. Les entreprises qui s’éteignent petit à petit à la suite du manque de dynamisme et de la perte de motivation de leurs membres (2 entreprises sur 50).

Ce quatrième profil concerne deux entreprises relativement âgées (plus de 15 ans), qui survivent depuis des années et qui connaissent des difficultés car leurs membres se reposent sur leurs acquis. En fait, vu que la société existe depuis des années, une sorte d’inertie s’est installée dans la société : établissement de procédures rigides, pas de remise en question des stratégies précédentes, etc. On relève notamment un manque de dynamisme au plan commercial, un manque de précision au regard de la gestion financière ainsi qu’un manque de contrôle dans l’organisation des activités de la société.

Profil 5. Les entreprises en difficulté à la suite de problèmes personnels (2 entreprises sur 50).

Ce cinquième profil concerne les entreprises en difficulté à la suite de problèmes d’ordre privé qui empêchent le bon fonctionnement ou la gestion optimale de la société. Par exemple, le gérant n’est plus capable de travailler convenablement à la suite d’une maladie ou de problèmes personnels tel un divorce et personne n’est en mesure de le remplacer pendant cette période de temps.

Profil 6. Les entreprises en difficulté car les intérêts (personnels ou professionnels) des dirigeants divergent des intérêts de la société (5 entreprises sur 50).

Ce sixième profil rassemble les entreprises dirigées par des personnes qui cherchent (à travers cette entreprise) à satisfaire des intérêts qui divergent des intérêts de la société. Ainsi, leur but n’est pas principalement le bon fonctionnement, voire le développement de la société.

Deux types d’entreprises en difficulté peuvent être distingués au sein de ce sixième profil. D’une part, l’étude exploratoire met en évidence des entreprises en difficulté menées par des dirigeants qui recherchent uniquement leur enrichissement personnel : ils ponctionnent une (grande) partie de l’argent nécessaire au bon fonctionnement de la société à des fins privées (notamment par un compte courant important à l’actif ou par des rémunérations élevées alors que l’activité de l’entreprise ne le permet pas).

D’autre part, ce sixième profil comprend les entreprises menées par des dirigeants qui ne recherchent ni les intérêts de la société, ni un enrichissement personnel mais qui, par exemple, utilisent la société pour servir les intérêts d’une autre organisation.

Nous avons choisi d’associer à ce sixième profil les entreprises en difficulté à la suite d’une fraude (un redressement fiscal à la suite d’un recours au travail au noir, par exemple). En effet, nous estimons que, dans le cas d’une fraude, les dirigeants ont « consciemment » nui aux intérêts de la société.

Profil 7. Les entreprises en difficulté à la suite d’une mauvaise gestion de leur transmission (3 entreprises sur 50).

Le dernier profil qui ressort de notre analyse exploratoire concerne les entreprises qui connaissent des difficultés à la suite de leur transmission (familiale ou non). Deux cas peuvent être distingués.

Premièrement, le repreneur est inexpérimenté et incapable de gérer la société. En fait, la reprise de la société a été mal anticipée et mal préparée.

Deuxièmement, le repreneur se rend compte qu’il a repris une société avec des « cadavres dans les placards » qu’il n’avait pas détectés avant la reprise, soit parce qu’il avait fait un mauvais diagnostic, soit parce que certaines informations lui avaient volontairement été cachées (p. ex., bilans retravaillés) par les dirigeants précédents (escroquerie).

Il est important de mentionner que les profils 2, 3 et 4 ont volontairement été présentés successivement car ils peuvent être mis en relation avec une métaphore très fréquemment utilisée en sciences de gestion : la métaphore biologique de l’organisme vivant (Adizes, 1988 ; Robbins, 1990). Maints auteurs considèrent que l’entreprise développe un cycle de vie, caractérisé par quelques étapes auxquelles peu d’entreprises échappent et déterminé par de multiples facteurs internes et externes tels que la taille du marché et le portefeuille de ressources qui lui sont accessibles (Van Caillie, 2001). Chaque étape importante est considérée comme une période de « crise » au cours de laquelle la survie de l’entreprise est menacée. Trois grandes phases sont généralement mises en évidence dans la littérature (Van Caillie, 2001).

La première période correspond à la phase de création et de démarrage de l’entreprise durant laquelle elle doit réussir à s’imposer à son environnement en proposant un couple « produit-marché » adapté à la demande de l’environnement. Le profil 2 correspond aux entreprises en difficulté car elles ne sont pas parvenues à surmonter cette première période de « crise ». Dans la littérature anglaise, on parle de « liability of newness » (Stinchcombe, 1965).

Une fois que l’entreprise s’est imposée à son marché, une deuxième « crise existentielle » a fréquemment lieu : doit-elle se satisfaire de son sort ou adopter une stratégie délibérée et active de croissance ? Les entreprises qui ne parviennent pas à gérer cette crise liée à la croissance de l’entreprise ont un profil de défaillance de type 3.

Finalement, à cette phase de croissance ou de stabilisation succède inévitablement, un jour ou l’autre, une phase de maturité. Si elle est mal gérée ou si l’entreprise ne parvient plus à s’adapter aux pressions de son environnement, cette phase de maturité fait rapidement place à une phase de déclin progressif de l’entreprise (profil 4).

4. Première validation appuyée sur la littérature

Afin de déterminer si la taxonomie mise en évidence par cette étude est solide, une première validation sur base de la littérature est judicieuse (Eisenhardt, 1989). Une comparaison avec la littérature permet ainsi de déterminer si nos résultats sont cohérents avec les enseignements des recherches précédentes (voir tableau 3).

Même si aucune des recherches précédentes ne se focalise sur la défaillance des micro- et petites entreprises, le tableau 3 montre que nos résultats sont cohérents avec les profils mis en évidence par Argenti (1976), Malecot (1981), Thornhill et Amit (2003) et Ooghe et De Prijcker (2006). En effet, les profils 2, 3 et 4 ont été présentés par les auteurs précédents : ils ne semblent donc pas particuliers aux micro- et petites entreprises en difficulté.

Néanmoins, ce tableau montre que la présente étude apporte des enseignements nouveaux, liés aux caractéristiques particulières des micro- et petites entreprises et qui n’ont donc pas (ou peu) été abordés dans la littérature sur la défaillance des entreprises.

D’une part, comme Malecot (1981), nous avons identifié un profil d’entreprises dont la défaillance est principalement liée à un ou plusieurs chocs externes (profil 1). Alors que les autres auteurs présentent les chocs externes comme des éléments complémentaires pouvant accentuer la défaillance des entreprises ayant d’autres profils, la présente analyse conduit à en faire un profil particulier. En effet, d’après cette étude, une microentreprise ou une petite entreprise peut être en difficulté à la suite de un ou plusieurs chocs externes sans qu’elle ait été mal créée (profil 2), sans que sa croissance ait été mal gérée (profil 3), sans que les membres de l’entreprise manquent de dynamisme et de motivation (profil 4), etc.

Même si la présente étude ne permet pas d’affirmer que ce profil est particulièrement lié aux micro- et petites entreprises, ce dernier est cohérent avec leurs caractéristiques particulières, présentées au début de l’article. En effet, par leur petite taille, ces entreprises sont particulièrement dépendantes des actions menées par les différents acteurs de leur environnement (fournisseurs, clients, concurrents, banques, etc.).

D’autre part, notre étude exploratoire met en évidence trois profils supplémentaires basés sur des éléments qui n’ont pas été abordés directement dans les contributions des quatre auteurs précédents : les entreprises en difficulté à la suite de problèmes d’ordre privé (profil 5), les entreprises en difficulté car les intérêts (personnels ou professionnels) des dirigeants divergent des intérêts de la société (profil 6) et les entreprises en difficulté à la suite d’une mauvaise gestion de leur transmission (profil 7). Il s’agit de profils mineurs qui concernent respectivement 2, 5 et 3 entreprises sur les 50 entreprises de notre échantillon. Il nous semble cependant important de présenter ces trois profils comme des profils à part entière car la défaillance de ces 10 entreprises est principalement liée à des raisons d’ordre privé, à la recherche d’intérêts divergents de ceux de la société et à une mauvaise gestion de leur transmission.

En fait, ces trois facteurs de défaillance ont déjà été évoqués dans d’autres recherches mais uniquement de manière parcellaire. En effet, les facteurs personnels (décès ou maladie, par exemple) et la poursuite d’intérêts divergents de ceux de l’entreprise (fraude, par exemple) sont notamment présentés comme des origines potentielles de la défaillance d’une entreprise par Ooghe, Coorevits et Verbaere (1983), Newton (1985) et Jaminon (1986). Par ailleurs, dans la littérature, un lien est tracé entre la transmission ou la succession de l’entreprise et sa défaillance potentielle (Brown, 1982 ; Ooghe, Coorevits et Verbaere, 1983).

En référence à leurs caractéristiques propres, on peut supposer que les profils 5 et 7 correspondent plus à des profils d’entrée dans un processus de défaillance de micro- et petites entreprises qu’à des profils de défaillance de grandes entreprises. En effet, la place prépondérante de l’entrepreneur au sein de la micro- ou petite entreprise, en tant qu’« homme-orchestre », peut expliquer en partie pourquoi les problèmes personnels ou la transmission de l’entreprise peuvent être à l’origine de sa défaillance. Par exemple, un entrepreneur qui a toujours géré seul sa petite entreprise peut éprouver des difficultés à transmettre son entreprise en vieillissant : difficulté à transmettre son « bébé », pas de successeur familial et difficulté à revendre, etc.

En revanche, le profil 6 ne semble pas particulier aux micro- ou petites entreprises. Les faillites de certaines grandes entreprises à la suite de fraudes ont en effet été très médiatisées…

Conclusion

Un examen de la littérature sur la défaillance de l’entreprise, et particulièrement sur les recherches menées dans une optique de prévention, conduit à deux constats. Premièrement, peu de chercheurs se sont intéressés à dresser une typologie ou une taxonomie de profils expliquant l’entrée des entreprises dans un processus de défaillance. Deuxièmement, aucune des recherches citées ne se focalise réellement sur les micro- et petites entreprises, alors que leur taux de défaillance est important et que leur défaillance est particulière en raison de leurs spécificités.

Au plan scientifique, cet article a pour objectif de renforcer la littérature actuelle en proposant une taxonomie de profils d’entrée dans un processus de défaillance, focalisée sur les micro- et petites entreprises en difficulté. Même si elle est focalisée sur des micro- et petites entreprises en difficulté, la présente étude confirme les résultats des recherches précédentes. Elle apporte par ailleurs des enseignements supplémentaires, à savoir quatre profils de défaillance relativement originaux. Même si les causes à la base de ces profils ont déjà été évoquées de manière parcellaire, soit par les quatre auteurs précédents, soit, d’une manière plus générale, dans la littérature, à ce jour, aucun chercheur n’a proposé des profils basés directement sur ces éléments : un ou plusieurs chocs externes, facteurs personnels, recherche d’intérêts divergents et transmission de l’entreprise. La mise en évidence de trois de ces quatre profils originaux semble pouvoir être rattachée au fait que nous nous sommes uniquement focalisés sur les micro- et petites entreprises. En effet, par leurs caractéristiques particulières (processus de décision centralisé, coordination des activités et processus relativement simple, système de gestion peu complexe – Julien, 2005), ces entreprises peuvent être particulièrement sensibles à certains évènements tels qu’un changement dans leur environnement ou la succession de leurs dirigeants.

Au plan managérial, la présente communication fournit aux entrepreneurs, aux managers et à leurs conseillers éventuels des informations cruciales sur les différents profils d’entrée dans un processus de défaillance. Elle permet à ces décideurs de reconnaître plus aisément les causes fondamentales à l’origine de la défaillance potentielle de leur entreprise et de trouver ainsi plus facilement des solutions adéquates à leurs difficultés afin de parvenir à redresser de manière durable la situation de leur entreprise.

Nous sommes conscients que cette étude et les résultats qui s’y rapportent ont actuellement des limites. Premièrement, il s’agit d’une recherche qualitative basée sur un échantillon restreint (50 cas). Les résultats obtenus doivent donc être considérés avec prudence et ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une généralisation. Deuxièmement, cette recherche est limitée par la méthode de collecte des données choisie. En effet, la collecte de données lors des séances d’enquêtes commerciales peut être affectée par une triple subjectivité (juge, dirigeant(s) de l’entreprise, chercheur) que nous avons tout de même tenté de limiter au maximum (augmentation du nombre de cas observés, triangulation des données, notamment).

Cette étude ouvre la voie à de nombreuses pistes de recherches futures. Premièrement, il conviendrait de compléter les résultats obtenus grâce à une approche dynamique qui permettrait d’identifier des trajectoires particulières de défaillance. En effet, mettre en évidence la succession des évènements, de l’entrée de l’entreprise dans le processus de défaillance à sa sortie éventuellement, fournirait des informations sur le pourquoi mais également des informations judicieuses sur le comment de la défaillance des entreprises (Argenti, 1976).

Deuxièmement, on pourrait envisager de réconcilier les approches organisationnelles et financières et, particulièrement, étudier les liens potentiels entre les profils (organisationnels) mis en évidence dans cette communication et les symptômes financiers montrés par les entreprises en difficulté (et reflétant une détérioration croissante de la situation organisationnelle de ces entreprises). En effet, si chaque profil particulier se traduit par des symptômes (financiers) particuliers, il serait possible de remonter aux causes fondamentales des problèmes sans avoir nécessairement accès à des données internes, difficilement observables (très intéressant dans une perspective de prévention des défaillances).

Troisièmement, il serait intéressant, dans un futur article, de proposer des mesures correctrices (ou stratégies de redressement) propres à chaque profil afin de fournir aux personnes concernées une série d’outils nécessaires au redressement de leur entreprise.