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Introduction

À travers l’observation d’une constante augmentation des relations d’affaires sur le plan international, les chercheurs du domaine de l’entrepreneuriat, mais également du champ de la stratégie et des sciences de l’organisation, ont porté une attention croissante au phénomène des entreprises « born global » (Rennie, 1993) au cours des 15 dernières années (Madsen et Servais, 1997). Ces entreprises, aussi appelées nouvelles International New Ventures ou INV (Oviatt et McDougall, 1994), Instant Internationals (Litvak, 1990), Global Start-ups (Oviatt et McDougall, 1995), Infant Multinationals (Lindqvist, 1991), Born Micromultinationals (Dimitratos et al., 2003) et Early Internationalizing Firms (Rialp, Rialp et Knight, 2005), s’internationalisent pratiquement dès leur début.

En se précipitant ainsi (Moen et Servais, 2002) dans l’arène internationale, ces entreprises défient les théories traditionnelles sur l’internationalisation, qui la décrivent comme un processus comprenant nécessairement plusieurs étapes et s’étendant sur une période prolongée (Aharoni, 1966 ; Barrett et Wilkinson, 1986 ; Bilkey et Tesar, 1977 ; Cavusgil, 1982 ; Crick, 1995 ; Czinkota, 1982 ; Hedlund et Kverneland, 1985 ; Lim, Sharkey et Kim, 1991 ; Moon et Lee, 1990 ; Reid, 1981 ; Stopford et Wells, 1972 ; Wortzel et Wortzel, 1981). Ce défi s’est fortement manifesté dans la proposition de l’International New Venture Framework (INVF) de Oviatt et McDougall (1994) en réponse au modèle du Process Model of Internationalization (PMI) de Johanson et Vahlne (1977, 1990). Déjà, avant la publication de cet article, d’autres chercheurs avaient relevé que le PMI peinait à expliquer certaines voies d’internationalisation, et particulièrement celle choisie par les entreprises « born global » (Hedlund et Kverneland, 1985 ; Millington et Bayliss, 1990 ; Newbould, Buckley et Thurwell, 1978 ; Turnbull, 1987 ; Turnbull et Valla, 1986 ; Varaldo, 1987).

L’objectif de cet article sera donc de contribuer à la compréhension du phénomène en examinant les avantages des deux modèles, plutôt que de tenter une validation supplémentaire de l’un ou de l’autre. Il s’agit donc ici de mettre en évidence les facteurs qui incitent une entreprise à adopter une trajectoire d’expansion traditionnelle ou plutôt de type « born global », et ce, en testant empiriquement un modèle destiné à prédire le mode d’expansion. En d’autres termes, nous avons cherché à établir des liens de cause à effet entre certaines caractéristiques de l’entreprise.

Nous allons d’abord présenter succinctement le cadre théorique et les principaux concepts, nous détaillerons ensuite les hypothèses testées au moyen d’une étude quantitative. En conclusion, nous verrons qu’il est possible de distinguer un profil particulier du point de vue du comportement d’internationalisation : les entreprises « born global ».

1. Cadre théorique et hypothèses

Les deux théories Process Model of Internationalization (PMI) et International New Ventures (INV) décrivent le processus d’internationalisation de manière fondamentalement différente, la différence la plus évidente étant le modèle appliqué lors de l’internationalisation. À une internationalisation progressive, où l’internationalisation « est le produit d’une série de décisions incrémentales » (Johanson et Vahlne, 1977, p. 23, traduction libre), s’oppose une vision de l’internationalisation où les entreprises voient « le monde comme une place de marché » (McDougall, Oviatt et Shrader, 2003). Ces théories contredisent également l’affirmation selon laquelle les entreprises « accèdent à des marchés de plus en plus éloignés géographiquement » (Johanson et Vahlne, 1990).

Les modèles d’internationalisation diffèrent fondamentalement sur trois aspects. La première différence se situe dans le laps de temps entre l’établissement de l’entreprise et son internationalisation. Les INV accèdent aux marchés étrangers bien plus tôt que les sociétés traditionnelles (Knight et Cavusgtil, 1996 ; Madsen et Servais, 1997 ; Rennie, 1993). Ensuite, le nombre de pays touchés lors de chacune des étapes du processus diffère sensiblement : par définition, les entreprises qui suivent le modèle INV touchent dès le début un nombre de pays bien plus élevé que les entreprises qui suivent le modèle PMI (Madsen et Servais, 1997 ; Oviatt et McDougall, 1994). Enfin, la diversité culturelle des deux types d’entreprises diffère : les entreprises qui suivent le modèle INV montrent une diversité culturelle en termes de distance psychique plus étendue que les entreprises traditionnelles.

1.1. Occasion perçue

Partant du principe que les PME sont fondamentalement différentes des grandes entreprises, Karagozoglu et Lindell (1998) ont étudié les PME à vocation technologique. Ils ont ainsi relevé trois motifs qui conduisent ces entreprises à s’internationaliser : des occasions de marché plus grandes, des demandes de clients potentiels de l’étranger et, enfin, un volume de marché intérieur insuffisant pour récupérer les investissements consentis en R-D. De ce point de vue, les différences les plus manifestes apparaissent lorsqu’on examine les raisons qui poussent à l’internationalisation : il s’agit de la perception des occasions et des objectifs à long terme des décideurs.

L’expansion progressive représentée par le PMI souligne l’importance de la stabilité, obtenue par une expansion internationale lente et par étapes qui autorise à tout moment une révision et une consolidation des activités d’internationalisation. En fait, ce sont les multinationales traditionnelles qui peuvent typiquement tirer bénéfice des économies d’échelle à la mesure de leur taille (Oviatt et McDougall, 1995). Les entreprises qui s’internationalisent rapidement ne bénéficient pas de ces avantages. Elles doivent, au contraire, être à la pointe des développements dans leurs industries respectives afin de pouvoir « être les premières à lancer un produit ou un service distinctif valable » (Oviatt et McDougall, 1995). Par conséquent, l’INVF implique une orientation stratégique « schumpétérienne » qui rend nécessaires de « nouvelles combinaisons » donnant parfois lieu à de nouveaux modèles de production qui peuvent aller jusqu’à réorganiser une industrie et contribuer à des innovations significatives (Schumpeter, 1934).

Au contraire, l’activité économique telle qu’elle est dépeinte par les tenants du PMI reprend la vision du développement selon Kirzner. Pour lui, le développement passe par une « exploitation des opportunités » rendue possible grâce à une connaissance accrue (Kirzner, 1985). L’entrepreneur réagit aux occasions d’exploiter un marché perçu comme laissé libre par les autres entrepreneurs.

C’est donc la perception différente des occasions qui mène à des trajectoires d’expansion différentes. Alors que la vision schumpétérienne du processus entrepreneurial mène à la destruction des équilibres existants, l’approche kirznérienne tend à l’équilibre. Le mode saccadé (Alvarez et Busenitz, 2001) à l’oeuvre dans le modèle schumpétérien se retrouve alors dans l’approche INVF, alors que Kirzner est plus proche du modèle d’internationalisation graduelle. On retrouve cette dichotomie dans les raisons qui poussent une entreprise à s’internationaliser : alors que pour l’INV, cette décision est délibérée et immédiate, cherchant à exploiter des asymétries internationales de ressources (Oviatt et McDougall, 1994) en transférant des ressources mobiles (matières premières, produits intermédiaires de la connaissance), pour le PMI, les entreprises bénéficient de l’internationalisation en exportant des produits finis.

En établissant l’occasion perçue comme motif principal d’internationalisation, la proposition suivante peut être formulée : plus une société perçoit l’occasion de s’internationaliser comme une manière de s’approvisionner en ressources plutôt que comme une demande du marché, plus il est probable qu’elle suive la voie rapide de l’internationalisation. On peut en dériver l’ensemble d’hypothèses ci-dessous.

H1a. Plus la société perçoit l’occasion de l’internationalisation comme dotation internationale asymétrique de ressources plutôt que comme approvisionnement asymétrique en marchandises, plus court sera le temps entre l’établissement et l’internationalisation.

H1b. Plus la société perçoit l’occasion de l’internationalisation comme dotation internationale asymétrique de ressources plutôt que comme approvisionnement asymétrique en marchandises, plus longues seront les étapes à travers lesquelles la société s’internationalisera.

H1c. Plus la société perçoit l’occasion de l’internationalisation comme dotation internationale asymétrique de ressources plutôt que comme approvisionnement asymétrique en marchandises, plus large sera la diversité culturelle couverte par les activités de l’entreprise.

1.2. Objectif à long terme

La rentabilité à long terme et la création de valeur pour les actionnaires d’une entreprise ont été utilisées comme des objectifs concurrents pour trois raisons. Tout d’abord, les INV sont souvent des entreprises high-tech (Roberts et Senturia, 1996). Certains auteurs vont jusqu’à utiliser les termes d’INV et de high-tech ventures comme des synonymes (Jolly, Alahuta et Jeannet, 1992). Durant la croissance de la bulle Internet et après son éclatement, de nombreux propriétaires d’entreprise ont poursuivi une « shareholder value growth strategy » qui a contribué à ce que les entreprises deviennent fortement surévaluées. Au lieu de la rentabilité à long terme, c’est la croissance de la valeur pour l’actionnaire (shareholder value) que l’on a mise au centre (Goldfarb, Kirsch et Miller, 2006). La valeur pour l’actionnaire a ainsi été renforcée par rapport aux autres objectifs, dont la rentabilité à long terme (Lowenstein, 2005).

Ensuite, les manières conventionnelles d’analyser la situation financière d’une entreprise n’incluent pas la valeur pour l’actionnaire comme moyen d’évaluer la rentabilité (pour les moyens typiques de mesurer la rentabilité, voir White, Sondhi et Fried [2002] ou Vause [2005]). En tant que mesure beaucoup plus complète, la valeur pour l’actionnaire comprend non seulement des attentes, mais aussi une pléthore d’intangibles qui peuvent difficilement être saisis à travers une analyse financière conventionnelle (voir aussi Balke et Wohar [2001]). De plus, il faut considérer que le cours de l’action (share price) peut être influencé de manière significative par des actionnaires concurrents ou par le management. En conséquence, nous avons considéré que l’objectif « créer de la valeur pour ses actionnaires [de l’entreprise] » reflétait une composante de profit (cashing-in) à court terme pour les propriétaires qui n’était pas incluse dans l’objectif plutôt sobre de « rentabilité à long terme ». Nous suspectons le management ou les propriétaires d’INV d’adopter cette posture entrepreneuriale à court terme sensiblement plus souvent que leurs homologues des entreprises traditionnelles.

La troisième raison pour laquelle la valeur pour l’actionnaire et la rentabilité à long terme apparaissent en tant que pôles opposés dans la question de l’objectif à long terme est une raison pratique : durant des prétests intensifs et extensifs, de nombreux entrepreneurs, CEO et collaborateurs seniors du Swiss Export Support Agency ont confirmé la supposition que ces buts devaient être considérés comme des buts concurrents.

L’objectif à long terme est un facteur important lorsqu’on cherche à évaluer le processus d’internationalisation. Zahra et George (2002) déclarent que ce sont particulièrement l’innovativité et la prise de risque qui déterminent l’expansion internationale des entreprises, ce qui confère son statut unique et solide aux recherches sur l’entrepreneuriat international (Zahra et George, 2002). Les implications de l’innovativité seront décrites ci-dessous.

En référence à Lumpkin et Dess (1996) et Miller et Friesen (1983), Freese, Brantjes et Hoorn (2002) affirment que c’est l’innovativité qui permet de s’engager et de soutenir de nouvelles idées. L’internationalisation des activités économiques peut certainement être considérée comme une nouvelle idée et un processus créateur et on peut dès lors arguer que l’internationalisation est liée à l’attitude de l’entreprise envers l’innovation.

Johanson et Vahlne (1977, p. 24) expliquent le déclenchement des activités d’exportation par le fait que les entreprises incluses dans leur étude « ont reçu des commandes du marché étranger ». Ainsi, les partisans du PMI décrivent une attitude passive envers l’internationalisation, en supposant « que la société n’accéderait pas à des marchés où il n’y a pas une certaine demande » (Johanson et Vahlne, 1990, p. 17, traduction libre).

En revanche, pour Oviatt et McDougall (1994), les sociétés qui suivent le modèle de l’INV ont une attitude proactive, définie comme la poursuite des buts par tous les moyens possibles (Khandwalla, 1977 ; Davis, Morris et Allen, 1981). Autrement dit, c’est parmi les entreprises qui introduisent de nouveaux produits et services que l’on pourra probablement trouver des entreprises qui s’internationalisent rapidement.

En mentionnant la croissance comme la mesure de performance la plus importante pour les PME, plusieurs chercheurs du champ de l’entrepreneuriat (Brush et Vanderwerf, 1992 ; Chandler et Hanks, 1993 ; Fombrun et Wally, 1989 ; Tsai, MacMillan et Low, 1991) soutiennent que l’agrandissement de l’entreprise est au coeur de l’activité entrepreneuriale. De manière similaire, Oviatt et McDougall (1997) montrent que les efforts d’internationalisation trouvent leur inspiration dans des objectifs de croissance chez les entreprises « born global ». Johanson et Vahlne (1977) posent, de leur côté, qu’une croissance régulière est au coeur du modèle PMI, puisque le principal objectif déclaré est la rentabilité à long terme. Il y a donc deux objectifs alternatifs pour les entreprises : la rentabilité à long terme, d’une part, et la création de valeur, d’autre part. On peut affirmer que plus les entreprises accordent de l’importance à la croissance par opposition à la rentabilité à long terme, plus elles sont susceptibles de s’étendre rapidement à l’international. On peut donc émettre les hypothèses ci-dessous.

H2a. Plus l’entreprise accorde de l’importance à la création de valeur par opposition à la rentabilité à long terme, plus courte sera la période entre la création et l’internationalisation.

H2b. Plus l’entreprise accorde de l’importance à la création de valeur par opposition à la rentabilité à long terme, plus longues seront les étapes à travers lesquelles l’entreprise s’internationalisera.

H2c. Plus l’entreprise accorde de l’importance à la création de valeur par opposition à la rentabilité à long terme, plus étendue sera la diversité culturelle couverte.

1.3. Incertitude environnementale perçue

Les changements environnementaux ont une influence significative sur les décisions de gestion (Kiesler et Sproull, 1982). La prise de risque est un champ de recherche du domaine de l’entrepreneuriat international (Zahra et George, 2002), puisque « la perception de l’incertitude environnementale est plus pertinente par rapport à l’étude de la stratégie d’une organisation que par rapport à l’étude de son environnement » (Bourgeois, 1980, p. 9, traduction libre). De nombreux auteurs (Özsomer, Calantone et Di Benedetto (1997), Lawrence et Lorsch (1967), Burns et Stalker (1961) et Miller et Friesen (1983) arrivent à la conclusion que l’incertitude environnementale se caractérise par le degré d’innovation d’une industrie particulière, combinée avec l’imprévisibilité des concurrents et des clients. On peut donc imaginer que l’incertitude environnementale perçue joue un rôle dans l’évaluation des stratégies d’internationalisation et des théories d’internationalisation.

Des travaux montrent que les managers d’entreprise qui suivent le modèle INVF ont une plus grande tolérance au risque que ceux qui se rapprochent du modèle PMI (Harveston, Kedia et Davis, 2000). En effet, dans le modèle PMI, l’objectif principal de l’entreprise est d’augmenter son profit à long terme, tout en s’efforçant de minimiser la prise de risque (Johanson et Vahlne, 1977). Dans ce sens, l’évolution vers une expansion internationale doit être courte et incrémentale et doit permettre des ajustements à tout moment. Contrairement au PMI qui met l’incertitude au centre (Johanson et Vahlne, 1990, p. 17), l’INVF postule que la création de valeur agit comme déclencheur d’une INV (Oviatt et McDougall, 1994). Ainsi, les attitudes sous-jacentes à la réalisation d’opérations internationales diffèrent fondamentalement. Le PMI met en évidence l’aversion claire pour le risque de la part du système de décision de l’entreprise, alors que l’INVF insiste sur l’occasion visée et, par là, sur une attitude de l’entrepreneur caractérisée par l’acceptation du risque. L’incapacité à évaluer les marchés présents et futurs est considérée comme un sérieux obstacle à l’expansion vers les marchés étrangers par les tenants du PMI (Johanson et Vahlne, 1977), alors que les partisans de l’INVF perçoivent cette incapacité moins comme une contrainte que comme une occasion de réaliser leurs ambitions internationales. Cette attitude des INV correspond aux résultats de Khandwalla (1987) qui a démontré que les entreprises actives dans des environnements particulièrement dynamiques faisaient face à l’adversité en prenant des risques, en adoptant une gestion innovatrice ainsi qu’un comportement proactif. Ainsi, la certitude quant aux marchés n’est pas considérée comme un facteur facilitateur dans le modèle INVF. Dans ce sens, il apparaît qu’un peu d’incertitude du marché peut même être perçue comme un facteur facilitateur.

Notons encore que ce ne sont pas les environnements en tant que tels qui diffèrent, mais bien leur perception (Özsomer, Calantone et Di Benedetto, 1997). Ainsi, plus l’incertitude est perçue comme élevée, plus courte sera chaque étape d’évolution, puisque plus l’évolution est importante, plus elle sera perçue comme risquée.

Par conséquent, si l’on suit Miller et Droge (1986, p. 547), qui définissent l’incertitude environnementale comme le degré de changement et d’imprédictibilité, on peut en tirer la proposition suivante quant au comportement à l’égard de l’internationalisation des entreprises : plus grande est l’incertitude environnementale perçue par une entreprise, plus celle-ci tend à s’internationaliser rapidement. Cette affirmation peut être exprimée par les hypothèses ci-dessous.

H3a. Plus l’incertitude perçue est grande, plus long sera le temps entre la fondation de l’entreprise et son internationalisation.

H3b. Plus l’incertitude perçue est grande, plus longues seront les étapes à travers lesquelles l’entreprise s’internationalisera.

H3c. Plus l’incertitude perçue est grande, plus étendue sera la diversité culturelle couverte.

1.4. L’expérience régulatrice de l’internationalisation

Le processus d’internationalisation peut être facilité ou, au contraire, freiné par l’expérience. Cette expérience est, en effet, d’une grande importance pour comprendre comment sont prises les décisions aussi bien au plan de l’individu qu’au plan de l’organisation (Simon, 1991). Bien que l’expérience ait été le sujet de nombre de recherches en sciences de l’organisation, le terme lui-même n’est que rarement défini (par exemple, Haleblian et Finkelstein, 1999 ; Bigley et Wiersema, 2002). On définira ici l’expérience comme « la connaissance résultant de l’observation effective ou d’un vécu » (Oxford, 2005).

Les avocats du PMI voient l’expérience comme un facteur crucial facilitant l’internationalisation : c’est l’expérience qui permet de discerner les occasions concrètes (Johanson et Vahlne, 1977). Le recueil de connaissances nécessaires fait donc l’objet d’un engagement des ressources (Yip, Biscarri et Monti, 2000). Miller, qui avait également développé un modèle d’expansion par étapes analogue au PMI (Miller, 1993), affirme que la société qui veut s’internationaliser avec succès doit passer par une phase étendue d’évaluation. L’INVF pose également la connaissance comme préalable principal à l’internationalisation. Or, si une entreprise agit en priorité selon un objectif et des choix collectifs, on peut s’attendre à ce que le savoir acquis soit différent du savoir acquis dans une société où le comportement organisationnel est principalement axé sur l’action individuelle (Astley et Van de Ven, 1983, p. 250 et 261). Le savoir est ainsi implicitement dérivé de deux types d’expérience fondamentalement différents : une expérience systématique et collective dans le cas du PMI et une expérience individuelle et intuitive dans le cas de l’INVF. On peut s’attendre à ce que ces deux types d’expérience aient une influence différente sur le développement de l’entreprise. Selon les résultats de recherches menées dans le domaine de l’entrepreneuriat, le modèle INVF insiste sur l’importance de l’entrepreneur et lie, de ce fait, la décision de s’ouvrir au marché international à une personne particulière (Alvarez et Busenitz, 2001). Au contraire, les tenants du PMI mettent en évidence la théorie comportementale de l’entreprise et favorisent le concept du système de prise de décision qui place l’entrepreneur au centre. Selon l’approche adoptée, l’expérience personnelle va être consolidée avec l’expérience d’autres (groupes de) personnes (Bilkey et Tesar, 1977), ou pouvoir influencer plus directement le processus de prise de décision de l’entreprise.

Khandwalla (1977) a développé un instrument pour évaluer le style de prise de décision d’une société. Celui-ci permet d’établir la prépondérance ou non de l’intuition individuelle sur la prise de décision fondée sur des connaissances agrégées.

Le modèle de prise de décision est donc traité comme une variable de modération (Baron et Kenny, 1986) entre l’occasion perçue, l’objectif à long terme de l’entreprise et l’incertitude environnementale perçue, d’une part, et le mode d’expansion, de l’autre, de telle manière que plus l’expérience est individuelle, plus il est probable que l’internationalisation sera rapide. Les hypothèses ci-dessous en sont dérivées.

H4a. Le modèle de prise de décision influencera le rapport entre l’occasion perçue, l’incertitude perçue objective et environnementale à long terme, d’une part, et le temps écoulé avant l’internationalisation, de l’autre ; ainsi moins le modèle de prise de décision est formel, plus le temps écoulé entre la création de l’entreprise et son internationalisation sera court.

H4b. Le modèle de prise de décision influencera le rapport entre l’occasion perçue, l’incertitude perçue objective et environnementale à long terme, d’une part, et la durée de l’étape, de l’autre ; ainsi, moins le modèle de prise de décision est formel, plus les étapes d’internationalisation seront longues.

H4c. Le modèle de prise de décision influencera le rapport entre l’occasion perçue, l’objectif à long terme et l’incertitude environnementale perçue, d’une part, et la diversité culturelle couverte, de l’autre ; ainsi, moins le modèle de prise de décision est formel, plus la diversité culturelle couverte sera étendue.

1.5. Variables de contrôle

1.5.1. Le concept de durée avant l’internationalisation

Le temps écoulé avant l’internationalisation est utilisé par divers auteurs pour mesurer la vitesse à laquelle une entreprise s’internationalise (Berry et Brock, 2004 ; McNaughton, 2003 ; Moen, 2002 ; Zahra, Matherne et Carleton, 2003). Il est défini comme « délai entre la fondation et l’initialisation des opérations internationales » (Autio, Sapienza et Almeida, 2000, p. 909, traduction libre). Le concept s’applique comme suit : TIME (année de fondation moins année d’exportation). Une échelle logarithmique se justifie afin d’éviter des biais excessifs.

1.5.2. Le concept de la taille de l’étape (nombre de pays touchés/an)

Les répondants sont invités à préciser quand (en quelle année) ils sont allés dans quel pays. Les répondants peuvent indiquer plusieurs pays et plusieurs années. La taille de l’étape (nombre de pays touchés/an) sera déterminée en calculant une moyenne annuelle du nombre de pays où une activité d’internationalisation, quelle qu’elle soit, a été initiée (Vermeulen et Barkema, 2002).

1.5.3. Le concept de diversité culturelle

La culture pouvant être définie comme « la programmation mentale collective de la population d’un environnement donné » (Hofstede, 1980, p. 43 ; traduction libre), on peut en déduire que cette programmation mentale va influencer le flux d’information. Ainsi, plusieurs auteurs ont souligné l’importance de la culture dans les activités d’internationalisation (Barkema, Bell et Pennings, 1996 ; Kogut et Singh, 1988). La diversité culturelle sera donc utilisée comme une variable muette pour mesurer si l’expansion tend à procéder de dimensions psychologiques ou non (Hashai et Almor, 2004). Pour calculer cette diversité, on recourra à la classification des cultures nationales de Hofstede (1980) qui distingue 11 groupes de pays. Le nombre de groupes culturels avec lesquels l’entreprise est entrée en contact dans le cadre de ses exportations sera alors comptabilisé (Zahra, Ireland et Hitt, 2000).

La diversité culturelle a été calculée en utilisant les quatre indices de Hofstede : Cultural Dimensions Power Distance, Individualism, Masculinity et Uncertainty Avoidance. Pour chaque pays, on calcule la valeur absolue des différences entre ces mesures et celles de la Suisse. Dans un deuxième temps, ces valeurs sont additionnées. La somme représente la différence culturelle de chaque pays avec la Suisse.

Les valeurs pour 56 pays ou régions ont été obtenues à partir du site Web de Hofstede (ITIM, 2003). Dans les cas où aucune mesure ne pouvait être obtenue, la valeur de ces pays était tirée des valeurs régionales qui leur étaient attribuées, ou des valeurs de pays voisins. On retrouve la liste de pays de même que la somme calculée des différences dans la diversité culturelle (DIVERS), qui correspond à la somme totale des différences absolues dans quatre dimensions culturelles entre un pays et la Suisse.

Nous pouvons établir le modèle ci-dessous en fonction de ces hypothèses.

Figure 1

Modèle des hypothèses

Modèle des hypothèses

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2. Méthodologie

L’objectif de cette étude était de mettre en évidence les facteurs qui incitent une entreprise à adopter une trajectoire d’expansion traditionnelle ou plutôt de type « born global », et ce, en testant empiriquement un modèle destiné à prédire le mode d’expansion. En d’autres termes, nous avons cherché à repérer des liens de cause à effet entre certaines caractéristiques de l’entreprise. La collecte des données a été réalisée à travers une enquête à grande échelle.

Le très officiel Annuaire suisse des exportations, qui existe depuis plus de 80 ans, a été utilisé comme point de départ pour établir les cibles potentielles de l’enquête, autrement dit, la base de sondage. Il est tenu à jour par l’Office suisse d’expansion commerciale (OSEC). Cet annuaire contient plus de 10 000 entreprises exportatrices et jouit d’une excellente réputation tant en Suisse qu’à l’étranger (OSEC, 2004).

Un questionnaire de quatre pages accompagné d’une lettre explicative a été expédié à un total de 513 PME suisses, principalement des entreprises du secteur de la haute technologie, mais également de l’industrie traditionnelle. Les entreprises visées ont été choisies parmi sept des neuf industries pertinentes, étant donné que les entreprises des deux branches « Services – Direct investments in Switzerland » et « Trading companies – International trade – Transit trade – Associations – Holding companies » sont très différentes des industries de production ; de ce fait, elles introduiraient un biais dans les résultats de la recherche.

Le questionnaire a été traduit en allemand, en français et en italien, puis retraduit en anglais dans le but de détecter et d’éliminer les erreurs de traduction (Rodrigues, 2001 ; Zikmund, 2003). Le questionnaire a été envoyé hors des périodes de vacances et bien avant tout délai de fin de trimestre ou d’année afin de susciter un taux élevé de retour.

L’étude a été prétestée en sollicitant les remarques de plusieurs entrepreneurs et CEO et d’un responsable de l’Agence de promotion suisse de l’exportation du SECO dans un test pilote (Bourque et Fielder, 1995).

Le calendrier de l’implémentation correspond strictement aux étapes proposées par Dillman (1978, p. 183) : les trois envois postaux du questionnaire et de la lettre de rappel ont été effectués en 10 semaines. De 509 entreprises ciblées, 233 ont retourné un questionnaire dûment rempli, ce qui correspond à un taux de réponse de 46 %. Dix-huit questionnaires parmi les 233 ont dû être exclus parce qu’incomplets ou contenant des informations ne pouvant être vérifiées par téléphone. Ainsi, l’échantillon final était constitué de 215 questionnaires utilisables, représentant 43 % de la population retenue.

Après un contrôle initial des questionnaires retournés, deux autres questionnaires ont dû être exclus, les entreprises correspondantes ne remplissant pas les exigences en termes de taille de l’entreprise (pour être qualifiée en tant que PME, une entreprise ne doit pas employer plus de 249 collaborateurs). Ainsi, l’analyse a été basée sur près de 42 % de la population interrogée.

Afin de prendre en compte un possible biais de ces non-réponses, nous avons comparé les répondants et les non-répondants du point de vue de leurs caractéristiques en termes d’industrie et de région. Un test Chi carré ne permet pas de conclure à une différence entre la population initiale et les questionnaires retournés.

3. Résultats

Les tests des diverses hypothèses ont été réalisés à l’aide de la régression. Plusieurs analyses ont été réalisées en vue de tester les hypothèses présentées précédemment. Celles-ci seront exposées dans l’annexe. La matrice de corrélations de toutes les variables quantitatives figure dans l’annexe I. La plupart des coefficients de corrélation sont significativement différents de zéro, comme en attestent les faibles niveaux de p (la probabilité critique).

3.1. Régressions sur le temps écoulé avant l’internationalisation (TIME)

Le modèle 1 est un modèle restreint ; il met en relation les variables indépendantes « Opportunité perçue » (OPP), « Objectif à long terme » (OBJECT) et « Incertitude environnementale perçue » (UNCERT) et la variable dépendante « Temps écoulé avant l’internationalisation » (TIME).

Le modèle 2 est le modèle complet ; il prend en compte les effets modérateurs possibles du « Style de prise de décision ». La variable dépendante est « Temps écoulé avant l’internationalisation ». Les variables indépendantes sont « Opportunité perçue », « Objectif à long terme », « Incertitude environnementale perçue », « Style de prise de décision » (DECIS), l’interaction des « Opportunité perçue » et « Style de prise de décision », l’interaction des « Objectif à long terme » et « Style de prise de décision », ainsi que l’interaction des « Incertitude environnementale perçue » et « Style de prise de décision ». Le tableau suivant présente l’analyse de la variance (ANOVA) pour les deux modèles (annexe II).

La comparaison de la somme des carrés (régression et résidus) montre que seule une faible part de la variation totale est prise en compte par la régression, et cela, tant dans le modèle restreint que dans le modèle complet. La situation ne s’améliore que légèrement lorsque la variable modératrice « Style de prise de décision » est ajoutée. Néanmoins, les valeurs F et les faibles probabilités critiques correspondantes indiquent qu’on peut s’attendre à ce qu’un ou plusieurs coefficients de régression soient différents de zéro (annexe III).

Le résumé montre que la valeur du R carré ne change quasiment pas lorsqu’on passe du modèle 1 au modèle 2. Selon le critère de choix de modèle du R-carré ajusté, le premier modèle est légèrement supérieur au second. Cela va dans le sens de l’absence d’un effet modérateur. Le modèle 2 n’explique pas davantage la variation de la variable dépendante que le modèle 1. Les variables ajoutées n’apportent aucune contribution significative.

Dans le modèle 1, le coefficient standardisé (beta = – 0,218) apparaît significatif (p < 0,05) pour la variable « Opportunité perçue ». Aucune autre variable indépendante dans le modèle 1 n’a une probabilité critique inférieure à 0,05 (annexe IV). Dans le modèle 2, le coefficient standardisé (beta) pour la variable « Opportunité perçue » atteint – 0,208, pour une probabilité critique (0,014) plus élevée que le coefficient correspondant du modèle 1. Aucune autre variable indépendante n’est significative.

Pour nous assurer que la multicolinéarité n’influence pas excessivement la régression établie, nous avons calculé la tolérance et le facteur d’inflation de la variance (VIF). Les niveaux de tolérance étaient supérieurs à 0,10 ; les variables indépendantes ne présentent donc pas de lien linéaire excessif. De même, les VIF sont bien en dessous du seuil de 10 au-delà duquel on détecte une colinéarité sévère.

En conclusion, on peut dire que les deux modèles soutiennent l’hypothèse H1a. Cependant, c’est dans le modèle 1 que la relation entre « Opportunité perçue » et « Temps écoulé avant l’internationalisation » est la plus forte ; elle est significative et négative (beta = – 0,218 ; p < 0,01). Aucun soutien des hypothèses H2a, H3a, et H4a n’a été trouvé.

3.2. Régressions avec « Dimension de l’étape d’internationalisation » comme variable dépendante (STEP)

Dans le paragraphe suivant, en tant que modèle restreint, le modèle 1 met en relation les variables indépendantes « Opportunité perçue », « Objectif à long terme », et « Incertitude environnementale perçue » avec la variable dépendante « Dimension de l’étape d’internationalisation ».

En tant que modèle complet, le modèle 2 prend en compte les effets modérateurs possibles de « Style de prise de décision » et par là met en relation la variable dépendante « Dimension de l’étape d’internationalisation » avec les variables indépendantes « Opportunité perçue », « Objectif à long terme », « Incertitude environnementale perçue », « Style de prise de décision », l’interaction entre « Opportunité perçue » et « Style de prise de décision », l’interaction entre « Objectif à long terme » et « Style de prise de décision » et l’interaction entre « Incertitude environnementale perçue » et « Style de prise de décision ».

L’annexe V donne l’analyse de la variance pour les deux modèles : on s’aperçoit qu’une part importante de la variation de « Dimension de l’étape d’internationalisation » n’est pas expliquée par le modèle 1. Cette situation s’améliore quelque peu avec le recours au deuxième modèle. Les valeurs F des deux modèles et les faibles probabilités critiques associées indiquent l’existence d’un lien linéaire global entre les variables indépendantes et la variable dépendante (annexe VI).

Le modèle 2 est en mesure d’expliquer une proportion plus importante de la variation de « Dimension de l’étape d’internationalisation », puisque des régresseurs sont ajoutés. On observe dans le modèle 1 un lien entre « Opportunité perçue » et « Dimension de l’étape d’internationalisation » (avec un beta de 0,130). Ce lien est relativement ténu, avec p < 0,10 (annexe VII). En revanche, le lien entre « Objectif à long terme » et « Dimension de l’étape d’internationalisation » est significatif dans ce modèle, avec une valeur beta de 0,227 et une probabilité critique p < 0,01. Ainsi, l’hypothèse H2b est-elle fortement appuyée.

Dans le modèle 2, les probabilités critiques augmentent pour les variables « Opportunité perçue », « Objectif à long terme » et « Incertitude environnementale perçue ». Ce modèle donne comme significatifs les liens linéaires entre « Dimension de l’étape d’internationalisation » et « Style de prise de décision » et entre « Dimension de l’étape d’internationalisation » et l’interaction de « Opportunité perçue » et « Style de prise de décision ». Les autres interactions ne sont pas significatives.

La multicolinéarité ne vient pas fausser les régressions : la tolérance calculée et le facteur d’inflation de variance (VIF) se situent respectivement bien au-dessus de 0,10 et en dessous de 10.

Les deux modèles soutiennent l’hypothèse H2b, contrairement à l’hypothèse H1b. Un seul effet modérateur a été détecté : « Style de prise de décision » influence le lien entre « Opportunité perçue » et « Dimension de l’étape d’internationalisation ». Toutefois, étant donné qu’aucun effet modérateur ne peut être établi sur la relation entre « Opportunité perçue » et « Dimension de l’étape d’internationalisation », de même qu’entre « Objectif à long terme » et « Dimension de l’étape d’internationalisation », l’hypothèse H4b doit être rejetée. Les deux modèles indiquent également une relation négative entre « Incertitude environnementale perçue » et « Dimension de l’étape d’internationalisation », ce qui contredit H3b.

3.3. Régressions avec la diversité culturelle (DIVERS) comme variable dépendante

Dans les sections suivantes, on teste l’influence des variables indépendantes sur la diversité culturelle couverte par une entreprise internationale. À nouveau, deux modèles sont considérés (annexe VIII). Dans le modèle 1 (modèle restreint), les variables indépendantes sont « Opportunité perçue », « Objectif à long terme » et « Incertitude environnementale perçue ».

Le modèle 2 (modèle complet) tient compte des effets modérateurs possibles du « Style de prise de décision ». Les variables indépendantes sont celles du modèle 1 auxquelles on ajoute « Style de prise de décision », l’interaction entre « Opportunité perçue » et « Style de prise de décision », l’interaction entre « Objectif à long terme » et « Style de prise de décision », ainsi que l’interaction entre « Incertitude environnementale perçue » et « Style de prise de décision ».

Le tableau d’analyse de la variance indique qu’une large part de la variation de la « Diversité culturelle » n’est pas expliquée par le modèle 1. La situation s’améliore quelque peu dans le modèle 2. Les valeurs F des deux modèles et les faibles probabilités critiques correspondantes indiquent un lien significatif entre les variables indépendantes prises globalement et la variable dépendante (annexe IX).

Les coefficients de régression estimés des deux modèles ainsi que les probabilités critiques correspondantes se trouvent dans l’annexe X. Avec un beta de 0,116 associé à une probabilité critique de 0,139, le modèle 1 ne détecte pas vraiment de lien entre « Opportunité perçue » et « Diversité culturelle ». L’hypothèse H1c n’est donc pas soutenue par nos données. Toutefois, la relation entre « Objectif à long terme » et « Diversité culturelle » n’est pas loin d’être significative dans ce modèle, avec une valeur beta de 0,153 associée à p = 0,06.

La relation entre « Incertitude environnementale perçue » et « Diversité culturelle » n’étant pas significative au niveau de 5 %, avec p = 0,074 ; l’hypothèse H3c est rejetée. Les coefficients de régression standardisés du premier modèle ont quelque peu changé lors de l’introduction des variables d’interaction. Mais aucune autre relation significative n’a pu être révélée. La multicolinéarité n’a pas réellement influencé la corrélation présumée. Les tolérances se situaient nettement en dessus de 0,10 et les VIF en dessous de 10.

Le modèle 1 fournit un certain soutien à l’hypothèse H2c (beta = 0,153 ; p = 0,06). Ainsi, nous acceptons l’hypothèse selon laquelle une entreprise attribuant plus d’importance à la création de valeur par rapport à la rentabilité à long terme élargit la diversité culturelle couverte. En revanche, le soutien apparaît insuffisant pour les hypothèses H1c, H3c et H4c.

En résumé, les tests associés aux modèles de régression ci-dessus ont produit les résultats suivants en lien avec le modèle de recherche sous-jacent et les hypothèses correspondantes.

Tableau 1

Résumé des tests et hypothèses

 

Occasion perçue

 

Objectif à long terme

 

Incertitude environnementale perçue

 

Style de prise de décision

 

(VARIABLE)

(OPP)

 

(OBJECT)

 

(UNCERT)

 

(DECIS)

 

Temps écoulé avant l’internationalisation

(TIME)

H1a

+

H2a

o

H3a

o

H4a

o

Dimension de l’étape d’internationalisation

(STEP)

H1b

o

H2b

+

H3b

H4b

o

Couverture de la diversité culturelle

(DIVERS)

H1c

o

H2c

(+)

H3c

o

H4c

o

Note : (+) : hypothèse soutenue ; (–) : hypothèse faiblement soutenue/résultats contredisant l’hypothèse ; (o) : pas de résultats.

-> Voir la liste des tableaux

Il n’existe aucune indication que le style de décision joue un rôle dans le mode d’internationalisation.

4. Interprétation des résultats

L’objectif de cette étude était de déterminer les facteurs qui font qu’une entreprise s’internationalise par processus, ou suit le modèle « born global ». En utilisant une analyse par inférence statistique, des liens ont pu être trouvés entre quatre paires de concepts.

La première paire est représentée par l’occasion perçue et le temps avant l’internationalisation (H1a) : plus la société perçoit l’internationalisation comme une asymétrie de ressources plutôt que comme une asymétrie en marchandises, moins de temps elle prendra à s’internationaliser. En conséquence, l’enquête empirique soutient l’affirmation des théoriciens de l’INVF, qui montrent que les entreprises suivant ce modèle cherchent à tirer parti des ressources alors que les entreprises qui suivent le modèle PMI se concentrent plus sur l’exportation des produits finis. Les deux théories sont donc ici complémentaires plutôt que concurrentes.

La deuxième relation explicative et prédictive est celle qui existe entre l’objectif à long terme d’une entreprise et la taille des étapes d’internationalisation (H2b) : plus une entreprise attribue de l’importance à la création de valeur plutôt qu’à la rentabilité à long terme, plus les étapes seront longues. Les sociétés qui s’internationalisent à travers de plus longues étapes voient la création de valeur comme plus importante que la rentabilité à long terme. Ici aussi, l’étude empirique a permis de considérer ces deux théories comme complémentaires plutôt que concurrentes.

Une troisième corrélation, plus faible, a pu être établie entre l’objectif à long terme d’une entreprise et la diversité culturelle qu’elle couvre. H2c : plus une société attribue de l’importance à la création plutôt qu’à la rentabilité à long terme, plus large sera la diversité culturelle couverte. Là encore, ces résultats tendent à montrer que les théories sont complémentaires plutôt que concurrentes. Les entreprises qui couvrent une large diversité culturelle sont mieux décrites par l’INVF que par le PMI.

L’hypothèse H3b, selon laquelle plus l’incertitude perçue est grande, plus courtes seront les étapes d’internationalisation, n’a pas été validée. On peut en conclure que le mode de prise de décision n’a aucune influence significative.

Une autre conclusion contredit la littérature existante : alors que l’on supposait qu’une période courte entre l’établissement et l’internationalisation, une grande taille d’étape et une large diversité culturelle caractérisaient l’internationalisation d’une INV, il s’est avéré que ces trois éléments ne coïncidaient pas nécessairement.

En fait, aucun ensemble d’hypothèses n’a été validé dans sa totalité. Pourtant, les six relations significatives complémentaires présentées ci-dessous ont pu être établies.Plus les employés sont nombreux, plus la durée avant l’internationalisation est longue.

  • Il y a un rapport entre l’âge et le temps écoulé avant l’internationalisation : plus les entreprises sont anciennes, plus elles mettent du temps à s’internationaliser, ce qui signifie que les jeunes entreprises ont tendance à s’internationaliser dès le début.

  • Il existe un lien entre la prise de risque d’une entreprise et la taille des étapes d’internationalisation : plus le risque est perçu comme grand, moins l’internationalisation, mesurée en termes de pays touchés, est grande.

  • Il y a aussi une relation entre l’âge et la durée des étapes : les entreprises anciennes présentent des étapes plus petites que les entreprises plus récentes.

  • Il est confirmé que plus l’acceptation du risque est grande, plus la diversité culturelle couverte est étendue.

  • Enfin, on peut établir que plus une entreprise est disposée à prendre des risques, plus son chiffre d’affaires est élevé.

5. Implications managériales

Quelques conclusions importantes pour les praticiens ont pu être établies. La majorité des entreprises n’approvisionnent pas plus de cinq pays, parmi lesquels l’Allemagne est de loin le plus important. Le marché allemand semble servir de test aux PME exportatrices suisses, puisque c’est le marché qui est principalement visé pendant la première année de l’internationalisation. Par ailleurs, la majorité des entreprises touchent un nouveau pays une fois tous les six ans, indiquant un rythme plutôt lent d’internationalisation.

La validation de l’hypothèse 1a permet de conseiller aux managers qui souhaitent s’internationaliser rapidement de se préoccuper autant de la vente que des achats à l’étranger. Les hypothèses 2b et 2c impliquent pour le travail quotidien des entrepreneurs et des managers que la création de valeur et la recherche de la rentabilité à long terme sont contradictoires lorsqu’il s’agit d’expansion internationale. Si les praticiens se concentrent sur la création de valeur au lieu de la rentabilité à long terme, l’internationalisation sera plus lente et couvrira moins de diversité culturelle.

On peut conclure de l’hypothèse 3b que l’incertitude environnementale perçue a un lien avec les étapes d’internationalisation ; ainsi, l’entreprise qui procédera à un recueil d’informations sur les concurrents et les marchés s’internationalisera moyennant de plus longues étapes.

Les résultats relatifs aux hypothèses 4a-4c indiquent que le modèle de gestion (intuitif/analytique) ne joue pas un rôle significatif dans l’internationalisation de l’entreprise.

Du fait que plus une société est grande, plus le temps s’écoulant avant l’internationalisation est long, une jeune PME doit savoir que ses concurrents augmenteront la taille des étapes de l’internationalisation en grandissant. De manière similaire, le fait que plus une société est ancienne, plus le temps s’écoulant avant l’internationalisation est long, a des conséquences pour les entreprises : des entreprises jeunes s’internationalisent rapidement et une concurrence féroce doit être appréhendée de la part de jeunes entreprises qui pourront de moins en moins échapper à la globalisation.

Enfin et surtout, la prise de risque acceptée a des implications sérieuses : plus elle est élevée, plus longues sont les étapes d’internationalisation, plus large est la diversité culturelle qu’elle couvre, et plus élevé est le chiffre d’affaires. Les managers doivent donc se rendre compte que les gains sont faibles si peu ou rien n’est osé.

Les réseaux ne jouent toutefois pas un rôle aussi prédominant pour les « born global » : ils ne doivent pas forcément exister avant l’internationalisation, mais se construisent pendant l’expansion, au moment où ils deviennent cruciaux. Des contacts doivent apparemment avoir été établis avant de s’associer à l’étranger, mais il s’agit plutôt de connexions indépendantes les unes des autres plutôt que de réseaux à proprement parler. Le plus grand défi pour les entreprises réside dans la nécessité de s’adapter à l’expansion internationale, et la capacité d’apprendre plus rapidement que les concurrents représente un facteur crucial dans un environnement international.

Il est par ailleurs important d’intégrer les employés dans ce processus et de les informer dès le début, et ce, afin d’éviter des tensions. De nombreuses entreprises ayant pris part à l’étude ont, par exemple, commencé tôt à offrir à leurs collaborateurs des cours de langue et à inviter la plupart de leurs partenaires d’affaires internationaux pour permettre à leurs employés de les rencontrer. Il est ainsi recommandé pour une entreprise qui commence à s’internationaliser que ses employés soient en contact direct avec les clients étrangers dans le but d’augmenter leur savoir et de profiter de leur appréciation de la nouvelle situation. Le taux de fluctuation du personnel des entreprises de l’étude tend en effet à augmenter dans un premier temps, d’une part, parce que certains employés n’étaient pas préparés à travailler dans un environnement nouveau et présentant certainement plus de défis et, d’autre part, parce qu’une entreprise active sur le plan international est encline à attirer une force de travail expérimentée et plus spécialisée. La structure de la plupart des entreprises était plutôt informelle et fonctionnelle avant de s’ouvrir à l’étranger.

6. Limites de la recherche et perspectives

La première limite tient à l’échantillon : la présente étude ne prend en compte que les résultats de petites et moyennes entreprises suisses. Une comparaison à l’échelle internationale permettrait de consolider les conclusions tirées des hypothèses.

Un deuxième élément que nous pourrions mentionner est la conséquence à tirer du peu d’impact de la variable « Style de décision ». Il faudrait alors sans doute se concentrer moins sur la personnalité des entrepreneurs et managers et plus sur le processus d’entrepreneuriat, suivant en cela Shane (1993). Jones et Coviello (2005) proposent aussi d’autres variables de modération, ainsi que Knight et Cavusgil (2005), qui suggèrent de mesurer l’impact de l’orientation entrepreneuriale (EO) sur la performance des activités internationales afin d’analyser avec profit le comportement des PME.

La concurrence sera de plus en plus rude entre les PME établies de longue date et les entreprises qui suivent le modèle INV. L’internationalisation est-elle une réponse à ce défi ? Il faudrait se poser la question de savoir si et comment ces anciennes entreprises peuvent se transformer en entreprises internationales ou devenir ce que les auteurs appellent des « born-again gobal firms » (Bell, McNaughton et Young, 2001 ; Baldegger et Wyss, 2007) ou « reborn global » (Danmarks Erhvervsrad Og Taenketanken Fremtidens Vaekst, 2005).

Selon Bell, McNaughton et Young (2001), les entreprises « born global again » peuvent être considérées comme une combinaison des deux approches théoriques. Une étude exploratoire en Suisse (Baldegger et Wyss, 2007) a permis d’en identifier des variables particulières : les entreprises ont au moins 31 ans et toutes ont été actives sur le marché suisse pendant 25 ans au minimum avant d’aller à l’étranger. Les raisons diffèrent de l’explication des incidents critiques indiqués par Bell, McNaughton et Young (2001), Bell ayant conduit sa recherche dans des régions plus vastes, ou plus isolées (le Royaume-Uni et l’Australie).

L’étude qualitative en Suisse (Baldegger et Wyss, 2007) mentionne deux raisons principales à l’évolution des entreprises investiguées en « born-again global firms » après plusieurs années d’activité en Suisse. C’est tout d’abord l’environnement externe, en particulier l’étroitesse du marché domestique, qui les a poussées vers une internationalisation des marchés et c’est ensuite un entrepreneur activement en recherche de nouvelles occasions qui a joué le rôle de facteur déclencheur. Comme postulé en théorie par Jones et Coviello (2005), ces entrepreneurs ont tout particulièrement tiré avantage d’occurrences et de changements inattendus dans les attentes des clients. Les étapes d’internationalisation n’étaient jamais planifiées avec précision et le processus ne correspondait pas à une procédure stratégique claire, mais plutôt à une approche ad hoc et opportuniste de type essais-erreurs. C’est pourquoi les marchés aussi bien que les modes de pénétration de ceux-ci n’ont pas été choisis après une étude de marché extensive mais font davantage suite à une intuition ou sont parfois même basés sur des coïncidences.

Pour ce qui est de la rentabilité et de la survie de l’entreprise, il est essentiel de savoir que l’internationalisation n’a pas nécessairement apporté une augmentation des marges. La croissance du chiffre d’affaires et du cash-flow a plutôt permis aux entreprises de réaliser de nouveaux investissements qui n’auraient pas été possibles autrement. La plupart des entreprises sont convaincues qu’elles n’auraient pas eu d’avenir dans les marchés de plus en plus globalisés et compétitifs sans l’internationalisation. Finalement, les résultats de cette recherche ont mis en évidence qu’il existe un lien étroit entre International Entrepreneurship (IE) et innovation. La focalisation sur le processus « outside-in » de l’innovation (Gassmann et Enkel, 2006), à savoir l’enrichissement de la base de connaissance d’une entreprise à travers l’intégration de nouveaux partenaires (internationaux), a clairement encouragé l’innovativité d’une entreprise. Il en ressort une importante implication pour les praticiens : l’avenir d’une entreprise qui veut miser sur l’innovation se trouve dans des marchés hors de Suisse. Plusieurs exemples montrent que l’internationalisation est aussi accessible aux PME, malgré leurs ressources limitées.

Pour qu’une entreprise « born-again global » soit viable, elle doit être préparée et doit vouloir passer par des changements essentiels et trouver un nouvel ajustement entre structure, stratégie et surtout culture d’entreprise. Plus la structure est informelle et flexible avant l’internationalisation, plus le processus semble être rapide et bien géré. Certaines entreprises ne disposaient même pas d’un diagramme organisationnel et les réunions, par exemple, n’avaient pas lieu sur une base régulière. L’internationalisation les a forcées à devenir plus orientées processus et à abandonner une vue essentiellement basée sur le produit. Avant d’enclencher le processus d’internationalisation, les entreprises voyaient leurs produits comme une entité physique aux spécifications précises, mais elles offrent désormais à leurs clients un concept beaucoup plus large et, si nécessaire, sur mesure ainsi qu’un meilleur service.