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Publié en 2008 par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), L’avenir du français est un riche collectif signé par une quarantaine de collaborateurs – sociolinguistes, politologues, économistes, démographes – qui cherche à dresser l’état des lieux du français et, de manière plus prospective, à en prédire l’avenir, exercice pour le moins difficile dans un contexte mondial en pleine transformation et où les positions des langues, y compris celle du français, sont moins acquises que jamais. Dans les 43 monographies nécessairement succinctes qui y sont présentées, les collaborateurs abordent une gamme de sujets que le comité de rédaction a regroupés sous quatre grands thèmes, à savoir « L’état des lieux », « L’enseignement du français », « La modernisation du français » et « Les perspectives d’avenir ». En gros, les auteurs cherchent à « évaluer les impacts à long terme de la mondialisation, de l’élargissement de l’Europe, des nouvelles technologies de l’information et des changements démographiques sur la place du français dans le monde » (p. 4.). L’un des grands mérites de l’ouvrage, c’est que, sans être vulgarisé à outrance, il est accessible à un large public et fait le point sur les nombreux enjeux qui pèsent sur le français à l’aube du xxie siècle. Malgré la diversité des sujets et des points de vue présentés – dont certains peuvent à première vue paraître inconciliables –, l’ouvrage garde toute sa cohérence d’ensemble, le comité de rédaction ayant pris soin d’éviter redites et contradictions.

La première section de l’ouvrage (« L’état des lieux ») réunit les contributions d’une quinzaine de collaborateurs qui dressent un bilan fort complet de la situation du français au début du xxie siècle. Les deux premiers chapitres, signés respectivement par Jean-Marie Klinkenberg et Bernard Cerquiglini, proposent un historique de l’expansion historique du français au fil des siècles – c’est-à-dire son expansion tant interne que coloniale – et un examen de la place que conserve le français sur le nouveau marché des langues qui s’est dessiné aux xxe et xxie siècles. D’entrée de jeu, on fait mention des pressions exercées par l’anglais et des craintes liées à l’uniformisation que risque d’entraîner son expansion, idée qui traverse en filigrane l’ensemble de l’ouvrage. Sont ensuite examinés le rôle et la place du français dans les pays de la Francophonie et dans les grandes organisations internationales, au sein desquels l’anglais semble prendre de plus en plus de place, ainsi que les dispositifs de coopération linguistique et les diverses politiques linguistiques (actions à la fois sur le statut et le corpus du français) mises en oeuvre dans les pays du Nord. On ne fait pas l’impasse non plus sur la place du français dans les nouvelles technologies de l’information, en particulier sur Internet, qui a vu ses usagers se multiplier et se diversifier au cours des dix dernières années. On s’intéresse également à la puissance économique du français, certes difficile à mesurer, et à sa puissance politique en soulignant le rôle de premier plan que continue à jouer le français dans la diplomatie mondiale.

Dans la deuxième section (« L’enseignement du français »), on se penche sur l’enseignement du français dans les pays du Nord, le français y étant vu comme « langue commune » et les objectifs d’enseignement s’articulant autour de l’acquisition des compétences tout en respectant la réalité de plus en plus plurilingue de ses locuteurs. Quant à l’Afrique, on s’interroge sur la place que devrait occuper le français dans l’enseignement à côté des langues nationales qui, dans un souci de respect de la diversité linguistique et culturelle, doivent elles aussi être reconnues et enseignées. Ce qui ressort avant tout de cette section, toutefois, c’est l’importance de la prise en compte, dans l’enseignement, des perceptions que l’on se fait des variétés de français, de la manière dont les francophones se représentent et hiérarchisent les variétés, et cela dans le but d’établir des rapports nouveaux à la norme et, partant, de réduire l’insécurité linguistique. Il y a là des rapports étroits à établir avec les textes de la troisième section (« La modernisation du français »), qui pour leur part portent sur les interventions sur le corpus (réforme de l’orthographe, féminisation, p. ex.) et sur les langues de spécialité, interventions qui, comme le signalent les auteurs, doivent à tout prix s’accompagner d’un travail sur les représentations. Devant cette rupture entre l’héritage du passé – à savoir que la langue est liée à la construction de l’État-nation – et les tendances à l’ouverture, à la diversité et aux identités transnationales, il importe, selon les auteurs, de cultiver d’autres images du français en insistant sur l’égalité et le pluriculturalisme.

Dans la quatrième et dernière section de l’ouvrage (« Perspectives d’avenir »), de loin la plus importante, une vingtaine d’auteurs proposent des réflexions mûries sur l’avenir du français dans le monde. Sont examinés et pesés non seulement les enjeux auxquels fait face le français (menace de l’anglais, mondialisation, etc.), mais également les atouts qu’il possède et sur lesquels, au bout du compte, il lui faudra bâtir ses assises. C’est ainsi qu’il est proposé que devant les craintes qui s’articulent autour de la détérioration de la qualité du français et de l’usage véhiculaire de l’anglais, la francophonie se doit d’adopter une position qui devra obligatoirement reconnaître la diversité des normes, la pluralité. Pour illustrer les enjeux, sont proposés de courts chapitres sur l’avenir du français dans les diverses parties de la francophonie, à savoir l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Afrique, l’Asie, l’Océanie, les Caraïbes et l’Amérique Centrale, le Machrek et le Maghreb, l’Océan Indien et l’Amérique du Sud. À cela s’ajoutent les points de vue divers – anglophone, hispanophone, arabophone, lusophone et russophone – sur l’avenir du français, points de vue qui, bien que succincts, offrent un regard critique et éclairant sur la francophonie.

Dans la conclusion, rédigée par le comité de rédaction et intitulée « Propositions pour une politique du français », les auteurs, en soupesant les forces et les faiblesses du français, s’entendent pour dire que l’avenir de cette langue se joue sur deux dimensions politiques, économiques et démographiques différentes : l’Europe, qui joue un rôle capital sur le plan géopolitique et économique, et l’Afrique, où, si l’on en croit les prévisions, vivront plus de 80 % des francophones du monde d’ici 2050. Il y a aussi consensus pour dire que le poids démographique du français à l’échelle mondiale constitue un défi, d’autant plus que la France représente environ le tiers du nombre total de francophones; l’anglais, l’espagnol et le portugais, en revanche, ont des foyers démographiques situés en dehors du bassin originel européen, ce qui leur donne une longueur d’avance sur le français sur ce chapitre. Sans compter que, pour de nombreuses raisons, la France tend à prendre du recul en Europe, à perdre de son influence. Cela dit, les atouts de la langue française sont tout de même nombreux et non négligeables. Pour garantir son rayonnement et sa diffusion, par contre, il faudra agir, comme l’ont précisé bien des collaborateurs, sur de nombreux fronts, au premier plan desquels figurent le renforcement du français dans les institutions européennes (en misant notamment sur la langue de travail), la mise en place d’une politique d’enseignement du français à l’échelle mondiale ainsi que les interventions en matière de développement dans les pays du Sud (à côté, bien sûr, de l’aide dite traditionnelle visant à réduire les inégalités et la pauvreté). Mais ce qui ressort, en dernière analyse, c’est la nécessité de modifier les représentations qu’entretiennent les locuteurs du français à l’égard de leur langue, de débarrasser le français et ses locuteurs de leurs complexes, de militer en faveur de la pluralité des normes et d’un français plus ouvert, à défaut de quoi la diffusion du français, ainsi que son appropriation par l’ensemble des locuteurs de la francophonie, risque de se heurter à de sérieux obstacles.

Dans l’ensemble, L’avenir du français propose un état des lieux complet de la situation du français et constituera sans aucun doute une référence incontournable en la matière. Si l’on aurait pu souhaiter qu’un regard plus critique soit posé sur le rôle et les objectifs politiques de la Francophonie, par exemple, ou encore sur les problèmes « non linguistiques » qui guettent la francophonie africaine, la valeur de l’ouvrage, qui se veut avant tout unificateur, n’en est pas pour autant réduite. Concis et accessible, l’ouvrage nous amène à réfléchir non seulement sur l’avenir du français dans le monde, mais également sur les enjeux auxquels il est confronté et, surtout, sur les actions collectives à envisager.